Armelle Héliot, Le Figaro et vous, 19 juin 2015

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Armelle Héliot, Le Figaro et vous, 19 juin 2015
Date : 19 JUIN 15
Page de l'article : p.30
Journaliste : Armelle Héliot
Pays : France
Périodicité : Quotidien Paris
OJD : 314312
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Pinter et Fassbinder : l'art de la cruauté
CHRONIQUE La troupe flamande tg STAN présente une version acide de «Trahisons» tandis que Thomas
Ostermeier revient avec «Le Mariage de Maria Braun». Tout semble opposer les auteurs. Et pourtant...
LE THÉÂTRE
Armelle Heliot
ahehot@lefigaro fr
blog lefigaro fr/theatre
L
a piece ne lui donne pas le rôle
de premier plan II est un peu
en retrait, le mari, dans Trahisons d'Harold Pinter Mais
dans cette version extiaordi
nairement jubilatoire et teroce, ourdie
par trois comédiens intelligents, insolents et fascinants, on a le sentiment
qu'il prend une place tres importante
Et pour cause II est toujours en sce
ne Pas dans l'aire de jeu Mais dans notre champ de vision Pt il ne cesse de
traverser le plateau il s'occupe beaucoup II fait du rangement II porte une
attention toute paiticuliere aux verres
de vin et aux bouteilles vides Et comme dans ce monde d'intellectuels londoniens des swinging sixtees, on aime
boire et que l'on va en vacances en Ita
hc, dcs verres, il y en a beaucoup
On voit donc beaucoup Frank Vercruvssen puisque c'est lui, le mari A
ses cotes, TolenteDeKeersmaeker Mais
oui la sœur d Anne Teresa qui est en ce
moment au Ihcâtrc dc la Ville avec Golden Hours (Asyou like it) Elle est un pilier de tg STAN, une fille d'une audace
et d'une liberte, d'iiiie rigueur de leu
epoustouflantes Dans la partition de
l'ami ct amant, saluons Robby Clcircn,
qui n'est pas fondateur de tg STAN II
est en position d'invite, comme l'ami
s'invite en arnaut '
Une fois de plus nos amis belges vont
a la verite crue dc Pinter Us n'en toni
pas une comedie « élégante » tramée de
silences «éloquents», comme le veut
une certaine tradition paiesseuse Bien
Tous droits réservés à l'éditeur
Dans Le Mariage de Maria Braun, Ursula Lardi est aussi solaire qu'indéchiffrable dans le rôle-titre. \RNO e CLAIR
au contraire ' Cela file a toute allure
Une heure quinze-vingt D'ailleurs, ils
s'appuient sur une remarque de l'écrivain, Prixïvobel de litterature 2005 «Si
/'avais su a quel point mas pauses et mes
silences serment si ma/ joues, je ne les
aurais pas écrits »
Excès romanesques du réel
En faisant confiance aux spectateurs,
les interprètes metteurs en scene ne
s'embarrassent pas non plus des indi
cations que l'on trouve souvent dans les
représentations de Trahisons La piece
commence en effet par la fin, par le
present et remonte dans le temps
Tout se joue a vue Tout est dans le
même espace Jolcntc Dc Kccrsmackcr
est éblouissante, ses camarades, Robbv
Cleiren avec ce qu'il y a de vulnérable
dans l'amant, Frank Vercruyssen avec
la distance ironique, la tension subtile
ment agressive du mari, sont eux aussi
formidables
Dans Le Mariage de Mana Braun de
Rainer Wernei Fassbinder, spectacle
que l'on a découvert dans la mise en
scene de Thomas Ostermeier l'été dernier a Avignon, il s'agit aussi de férocité Mais bien sur, l'écrivain et cinéaste
ancrait profondement le récit dans
l'histoire de l'Allemagne On peut re
voir sans se lasser ce film, avec Hanna
Schygulla li date de 1978 II inaugurait
la trilogie que complètent Lola (1981) et
Le Secret de Veronika \ oss (1982)
La scene se déroule dans les annees
1950, a Berlin Ouest Maria est entrai
neuse dans un bar fréquente pai les
Américains Son mari a disparu pen
dani la guérie, elle le croît mort Une
nuit, sans l'avoir voulu, elle tue un
client Et voila que l'époux revient ct
s'accuse du mc-urtie
Fassbinder ne craignait pas les exces
romanesques du reel Contrairement a
d'autres dè ses films, il n'avait pas donne d abord une forme théâtrale a cette
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Date : 19 JUIN 15
Page de l'article : p.30
Journaliste : Armelle Héliot
Pays : France
Périodicité : Quotidien Paris
OJD : 314312
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histoire qui puise sa sève, ses personnages, ses rebondissements, dans Berlin même. Ce Berlin de l'après-guerre,
de l'occupation alliée, ce Berlin d'avant
le Mur qui se relève à peine de ses blessures de ville totalement détruite, est
bien plus qu'une toile de fond.
Thomas Ostermeier, né en 1968, interroge lui aussi la ville où il vit et travaille, la ville où brille la Schaubùhne
qu'il dirige. Le temps a passé. Mais l'artiste a les mêmes interrogations que
Fassbinder en son temps.
Son adaptation est vive, elle possède
des angles coupants, elle procède par
ellipses. Ici aussi, comme chez tg STAN,
tout se fait à vue dans un espace entouré
de voilages: au Festival d'Avignon, le
spectacle s'était donné dans la cour du
lycée Saint-Joseph, avec vent coulis et
rumeurs lointaines... Un décor très années 50-60 avec ses fauteuils recou-
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verts de tweed !
Ursina Lardi, magnifique, belle, ultrasensible, profonde, audacieuse, est
Maria Braun. Elle est solaire mais demeure très indéchiffrable... Ses camarades, uniquement des hommes, incarnent tous les autres personnages,
femmes comprises! Thomas Bading,
Robert Beyer, Moritz Gottwald, Sébastian Schwarz sont impressionnants,
déliés, concentrés et pleins d'esprit.
Maniée par les interprètes eux-mêmes, la vidéo appuie le propos très radical. Ostermeier ravive le feu. La pensée de Fassbinder flambe haut. •
Théâtre de la Bastille (Paris Xl?),
à 20 heures. Jusqu'au 5 juillet. Relâche
les 20,21,27 au 30 juin. Durée : 1 h 20
(0143574214).
Théâtre de la Ville (Paris IV?), à 20 h 30,
du 25 juin au 3 juillet, 15 heures le 28 juin.
En langue allemande avec surtitrages.
Durée : 1 h 45 (0142 74 22 77).
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