Les vanités selon Favier

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Les vanités selon Favier
arts
Les vanités selon Favier
la galerie
MARCHÉ DE L’ART
DE LA
SEMAINE
L’artiste français expose au Salon d’art à Saint-Gilles
jusqu’à ce samedi. Plongée au cœur de ses gravures
tout en finesse, se jouant du langage et des images
arallèlement à son exposition personnelle à la Maison
d’Erasme, Philippe Favier a
investi le Salon d’art de Jean Marchetti avec une série datant de
1998, intitulée Abracadavra. Fidèle à lui-même, l’artiste diplômé
des Beaux-Arts de Saint-Etienne
y pratique l’humour grinçant, la
vanité et les jeux de mots. A partir
d’une série d’anciennes plaques
de cuivre servant à l’impression
de cartes de visite d’un autre
temps, chinées aux puces, Favier
modifie celles-ci en cherchant,
dans les noms de leurs utilisateurs, aujourd’hui tous décédés,
matière à diverses histoires visuelles, drôles et grinçantes, emplies de squelettes, d’animaux et
de symboles tous finement gravés
au moyen d’une aiguille de gramophone. « Rire de la mort, n’estce pas une manière d’en exorciser
les peurs ? Que la mort et la vie ne
puissent faire qu’un rend dérisoires l’une et l’autre », déclare
Daniel Abadie, commissaire de
l’exposition à la Maison d’Erasme.
Dans la série exposée au Salon
d’art, Favier joue sur les patronymes de ces inconnus aujourd’hui tous oubliés pour en dégager tous les jeux de mots possibles
et multiplier les références aux
grands noms de sa mythologie
personnelle. Le nom « Delvaney »
devient ainsi simultanément Sonia Delaunay et Paul Delvaux.
Ailleurs, il dégage les « Adam » et
« Eve » présents dans l’indication
« Madame Henri Chevelu ».
« Fernand Aurelle » devient
quant à lui Fernandel. Partout les
squelettes grimacent et se répandent, et pas seulement dans
les gravures : l’œuvre présentée en
vitrine est une autre forme de vanité, dont Favier a acheté le cadre
clinquant aux puces du Jeu de
balle à Bruxelles.
Pour Abracadavra, Favier a enduit les anciennes plaques de
cuivre d’un vernis dans l’épaisseur
duquel il a dessiné ses petits rébus, avant de les plonger dans un
bain d’acide rongeant le vernis et
révélant la matière. La cuvette ré- Philippe Favier, « Abracadavra », estampes, 1998, 500 euros sans
ceptionne l’encre bistre, dont le cadre. © D.R.
P
Page 52 Mercredi 4 mai 2016 Mad
surplus est éliminé au moyen de
la tarlatane puis de la paume de la
main. Attentif à ces aspects techniques, l’artiste perfectionne le
rendu final des œuvres, dont il
faut s’approcher pour en découvrir toutes les subtilités. « On sait
l’importance que Marcel Proust
accorde au code des cartes de visite comme marqueurs de la vie
sociale. Seule, la Princesse Mathilde, pour signifier sa volonté
de rompre tout commerce avec
l’une de ses connaissances, lui
adresse une carte inscrite P.P.C.,
définitivement utilisée Pour
prendre congé…, raconte Daniel
Abadie. C’est une autre forme de
P.P.C. que pratique Philippe Favier : ses interventions sur les
cartes de visite renvoient certes
leurs anciens propriétaires à un
oubli définitif mais, préalablement, leur offrent cet ultime linceul brodé de manière inattendue. »
40 ANS DÉJÀ !
Fêtant cette année ses 40 ans, le
Salon d’art de Jean Marchetti est
un lieu unique en son genre, à la
fois salon de coiffure et galerie,
dont le regard de son fondateur a
su, au fil des ans, proposer une
programmation singulière et passionnante. Après Philippe Favier,
l’exposition qui ouvrira ses portes
en mai sera cette fois consacrée
aux gravures de Thierry Mortiaux, dont le galeriste Jean-Baptiste Baronian souligne l’acuité
visuelle : « armé d’une imagination inouïe et d’un sens prononcé,
irréversible, de ce monde grotesque, aux frontières incertaines
de la farce et de la tragicomédie, il
a gravé tous ces hommes et toutes
ces femmes dans la mémoire collective », déclare-t-il. L’exposition
accompagne la parution d’un
livre consacré à Jean Ray, illustré
par Thierry Mortiaux et qui paraît aux Editions de la Pierre
d’Alun, dirigées par Marchetti.
ALIÉNOR DEBROCQ
▶ Philippe Favier. Estampes, Le Salon d’Art,
jusqu’au 7 mai, du mardi au vendredi de
14 à 18 h 30, samedi de 9 h 30 à 12 h et de
14 à 18 h, 81 rue de l’Hôtel des Monnaies,
1060 Bruxelles, 02-537.65.40, www.lesalondart.be.
Thierry Mortiaux. Gravures à partir du
9 mai.