au pays des beaux chevaux

Transcription

au pays des beaux chevaux
DÉCOUVERTE Rando à cheval Turquie
Rando à cheval Turquie DÉCOUVERTE
En Cappadoce sur selle et sous tente
Chef-d'œuvre de la nature. La Rose Valley surprend
avec ses formations de tuf des plus bizarres.
AU PAYS DES BEAUX CHEVAUX
Aucun animal ne joue un rôle aussi important pour les explorations et les
­conquêtes que le cheval. Il est rapide, puissant et agile dans le terrain. Il permet de
réaliser ses rêves d’aventure, par exemple dans le haut pays de la Cappadoce,
en Anatolie centrale.
Je n’arrive plus à respirer. Le petit Turc d’apparence inof­
fensive touche avec précision le point douloureux. Nous
sommes couchés sur les catelles turquoise et chaudes
du hammam d’Avanos, une petite ville cappadocienne.
Pendant que le tellak, le masseur du hammam, redonne
une forme correcte à ma musculature dorsale en com­
pote, je repasse dans ma tête les cinq derniers jours :
150 kilomètres sur un cheval. Tout me paraît irréel. Ou
plutôt comme dans un rêve.
De l’art abstrait
Lors de mes recherches pour préparer le voyage, je me
suis senti interpellé par une phrase trouvée sur Wikipé­
dia. « Le nom Cappadoce provient du vieux perse Kat­
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patuka et signifie pays des beaux chevaux. » Yiippiiiee !
J’ai mon projet ! Pourquoi ne pas combiner le trekking
et les « beaux chevaux » ?
Deux mois plus tard, nous sommes assis dans le bus
qui nous conduit de l’aéroport de Kayseri à Avanos, no­
tre point de départ et d’arrivée. C’est aussi le siège du
Akhal-Teke Horse Center. « Meet the horses », dit leur
slogan. Là bas, rien ne se passe sans la traditionnelle
boisson de bienvenue. Le thé est à la Turquie ce que la
bière est à la Bavière. Tandis que je me brûle la langue,
notre guide Cecilia nous explique ce qui nous attend
ces prochains jours. Elle vient du nord de la France,
mais habite depuis 20 ans en Turquie, où elle dresse
des chevaux depuis son arrivée. Peu après nous rencon­
trons pour la première fois nos compagnons de voyage à
quatre pattes. Il s’agit de croisements entre des chevaux
arabes, anatoliens et la race des Akhal-Téké. « Beautiful
and fast », résume Ercihan, le propriétaire du ranch,
tout en souriant dans ses habits de cowboy.
4 heures 30. Mon souhait le plus vif serait d’écraser
mon téléphone portable et sa fonction réveil contre le
mur ! Mais une fois sorti de la douche, la perspecti­
ve d’un lever de soleil dans une montgolfière au-dessus
d’un paysage époustouflant réactive ma bonne humeur.
De nombreuses montgolfières de toutes les couleurs at­
tendent leurs clients dans la nuit. Nous sommes à Gö­
reme, au centre de la Cappadoce. La plupart des tou­
ristes sont asiatiques. Lorsqu’ils se jettent sur le buffet
de biscuits et de café, les futurs passagers sont presque
encore plus impressionnants que les engins volants. Il
faut croire qu’il n’y a pas de biscuits au Japon.
Le soleil du matin apparaît petit à petit sur l’arête du
volcan Erciyes (3'917 m), le « père de la ­Cappadoce ».
Il génère des jeux de lumière et de couleurs qui ren­
dent l’ambiance surréaliste : de nombreux ballons de
toutes les couleurs flottent dans un ciel bleu, survo­
lant les sculptures de tuf volcanique de couleur terreu­
se. Ce sont les fameuses « cheminées de fées ». On a
l’impression d’être dans un tableau de Salvador Dali.
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DÉCOUVERTE Rando à cheval Turquie
Rando à cheval Turquie DÉCOUVERTE
Un décor de la Guerre des Étoiles ? Non, une leçon de géologie.
La rencontre : Sahra veut savoir à qui elle a affaire.
Partir à la découverte du souterrain
Trois heures plus tard, je pose mon pied gauche dans
l’étrier. « Elf » est le nom de la jument qui me porte­
ra aujourd’hui jusqu’à Özkonak, une cité souterraine
antique. Les sacoches pleines de bouteilles d’eau et
d’objectifs pour l’appareil photo, notre caravane se met
en route. Nous sommes trois : Cecilia voyage sur GülNiza, vient ensuite Anne, mon épouse, avec Tuvanna
– puis moi, la lanterne rouge.
Petit à petit nous nous sentons de plus en plus à l’aise
sur nos selles. Nous traversons à vitesse réduite des vi­
gnobles et dépassons de petites fermes au fort potentiel
d’assainissement, gardées par des chiens de la race des
bergers d’Anatolie. Trente minutes plus tard Cecilia de­
mande pour la première fois : « Un petit trot, ça vous
dirait ? » Plus tard nous saurons que cela signifie en véri­
té « au galop » – après un petit départ au trot. Les trois
juments mettent les gaz. La piste de course naturelle
est recouverte d’une poussière de glaise. L’endorphine et
l’adrénaline se mélangent dans mes artères. Néanmoins,
tomber le premier jour ne serait ni glorieux, ni utile.
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Les nuits d’octobre en Cappadoce sont fraîches
et romantiques.
La vue depuis la crête est fantastique. Au loin nous
apercevons le sommet enneigé du Erciyes avec, à ses
pieds, la grande ville de Kayseri et son smog. À la des­
cente nous avons tout intérêt à nous pencher en arrière.
Autant j’avais pitié de ma jument à la montée, autant
j’espère maintenant qu’elle a le pied sûr dans ce ter­
rain raide. À Özkonak nous déposons nos quadrupèdes
dans une ferme. Un escalier peu engageant permet de
plonger dans les entrailles de la terre et dans l’histoire
de l’humanité. Bien avant la naissance du Christ, des
personnes – de petite taille - ont creusé dans le tuf
des couloirs ramifiés et des cités entières. Nous avons
l’impression d’être dans une construction réalisée par
des termites. Pas tellement adaptée à ma taille, proche
des deux mètres – mais très impressionnante.
Le retour jusqu’au ranch passe par des gorges rai­
des et étroites. De nombreux serpents et scorpions y
viennent l’été pour s’abriter de la chaleur. Maintenant,
au mois d’octobre, ils ont déjà regagné leurs quartiers
d’hiver ; ce qui fait qu’Anne apprécie encore davantage
notre voyage.
L’amour pour le repas de midi
Après le premier jour de test sur la selle, nous nous
préparons à affronter des choses plus sérieuses. Quatre
jours dans les plus beaux coins de la Cappadoce. On
doit échanger ma jument, car elle a faibli un peu au
retour et Cecilia ne veut pas prendre de risques. Je me
sens coupable, car la deuxième ration du repas de midi
n’aurait pas été indispensable. Tandis que j’attends mon
cheval de remplacement, un garçon d’écurie s’approche
de moi avec un cheval blanc très dynamique et il me
plante les rênes dans la main ! Ce n’est quand même pas
le mien ? Il me fait comprendre qu’il veut bien m’aider
à monter dessus. À mon regard interrogateur il répond
« C’est Sahra, ton nouveau cheval. Elle est vraiment
merveilleuse ». Et bien nerveuse, pensé-je. La suite du
voyage lui donnera raison.
L’air a une odeur épicée et aride lorsque nous lon­
geons un lit de rivière à sec. Les premières formations
de grès gris-blanc apparaissent. On peut lire « Love
Valley » sur le panneau qui se trouve à la bifurcation.
Quand on lui demande pourquoi, Cecilia reste plutôt
évasive en répondant « Vous allez voir… ». À la sui­
te d’une longue montée nous voyons un bout de tissu
orange dépasser d’un champ de chaume. C’est le signe
que notre petite jeep d’accompagnement n’est pas loin.
Elle permet de transporter non seulement de la nourri­
ture pour les humains et les animaux, mais aussi nos
bagages, la tente et les sacs de couchage. Ce véhicule bi­
zarre mais très pratique est conduit par un trio qu’Anne
et moi adopteront vite comme amis : Mehmet et Serdar,
aux talents universels, ainsi que Ates, le chiot de Ser­
dar, âgé de cinq mois.
Nous ne le découvrons que maintenant : la jeep et
notre repas de midi se trouvent directement à la cassure
qui mène dans la Love Valley. Les explications sur le
nom deviennent superflues. Des centaines de colonnes
hautes comme des maisons se dressent dans le ciel. Un
paradis pour géologues. Les différents types de roches
se distinguent grâce aux couleurs des couches. Les co­
lonnes ont un chapeau presque noir en lave et en cen­
dres volcaniques refroidies. Cette même lave, autrefois
liquide alors qu’elle bouillonnait encore au cœur du
volcan Erciyes, s’est déposée sur le paysage après son
éruption, il y a cinq à dix millions d’années.
« Gipsy chicken » pour la cavalerie
Le clapotement des sabots ferrés retentit sur les pa­
vés. Nous nous sentons un peu comme des chevaliers
lorsque nous entrons dans les ruelles de Uchisar. Ce
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petit village est véritablement collé sur une immense
colonne rocheuse. D’en haut nous jouissons d’une vue
magnifique sur la « vallée du pigeon », Pigeon Valley.
Il paraît que la fertilité du sol de la Cappadoce est due
eux excréments des pigeons, qui ont été répartis sur
les champs comme engrais. Afin de forcer les récoltes
de cet engrais un peu particulier, des milliers de « stu­
dios » pour volatiles ont été creusés dans les parois. Un
air de banlieue au milieu du haut pays anatolien.
La lumière chaude de l’après-midi nous accompagne
sur l’arête en direction de Ibrahimpaşa. L’étendue et la
variété du paysage sont uniques. Les nombreuses cul­
tures qui ont marqué la Cappadoce pendant des millé­
naires sont toutes représentées à Ibrahimpaşa. Presque
chaque peuple du sud-est, que l’on aura appris à citer
par cœur au cours d’histoire, apparaît dans les anna­
les de la Cappadoce. De nombreuses localités ont des
noms grecs, comme Ibrahimpaşa qui s’appelle aussi Ba­
bayan. L’architecture va de la période préchrétienne à
la moderne, en passant par l’ottomane. Les gens nous
­regardent avec une certaine curiosité, nous saluent et
nous invitent à boire le thé. Le crépuscule gagne douce­
ment les ruelles de la petite ville.
Nous arrivons à Ortahisar avec la nuit, accueillis par
le jeu de lumières spectaculaire de ses maisons illu­
minées. Comment les habitants ont pu construire ces
nombreuses petites maisons dans ces gorges raides et
entrecoupées est inimaginable. La route cahoteuse des­
Des bâtisses de différents siècles dans un espace
très réduit. Bâtie au cours des siècles, Ibrahimpasa
aux dernières lueurs du jour.
Inséparables après six jours – Anne et Tuvanna.
cend en serpentins. Nous marchons avec les chevaux.
C’est trop raide et les pavés trop lisses. Arrivés en bas,
les parois de couleur ocre semblent flamboyer. Mehmet
et Serdar ont arrangé un grand feu en forme de cercle
avec, en son centre, un jerricane de métal. « Gipsy chic­
ken », répond Serdar à mon regard interrogateur. « Gi­
psy » signifie tsigane en anglais. Dans le temps, quand
ils volaient une poule dans un village, ils l’embrochaient
pour la mettre sur le feu, puis la couvraient avec un jer­
ricane en métal et y déposaient la cafetière. Lorsque la
Salvador Dali aurait aimé
admirer ce spectacle.
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police venait, ils expliquaient leur méthode tradition­
nelle de faire du café et ils arrivaient ainsi à sauver non
seulement leur proie mais aussi leur peau.
J’ai habité pendant trois ans dans le quartier de la
gare principale de Munich et je n’ai jamais réussi à
m’enthousiasmer pour la musique turque, bien que j’y
étais bruyamment exposé une bonne partie de la jour­
née. Cela peut paraître un peu kitch, mais ici, au milieu
de la Cappadoce, assis devant le feu, après avoir goûté
un « gipsy chicken » turc, une bière fraîche à la main
et avec le halètement des chevaux dans le dos, il n’y a
point de musique plus adaptée que ces sons mélanco­
liques en provenance de la camionnette de Mehmet.
Un bon coup sur le nez
Au petit matin, le camp se réveille dans une forte agita­
tion. Les hennissements se mélangent à des cris en turc.
La jument de trois ans de Cecilia s’est emmêlée dans ses
propres rênes et, prise de panique, elle tourne en rond.
Cecilia tente de l’apaiser au risque de se faire piétiner
par la jument apeurée. Encore en chaussettes, Mehmet
attrape la corde entortillée et désamorce ainsi la situa­
Un régal pour les sens – ambiance
?????????
cow-boy idyllique dans la Devrent Valley.
Rando à cheval Turquie DÉCOUVERTE
tion. Une minute plus tard, la routine est rétablie. Le
petit déjeuner nous attend : café, pain blanc grillé sur
le foyer ouvert, miel et fromage de chèvre doux. Mieux
que dans tous les cinq étoile.
Nous laissons les vignes et les abricotiers d’Ortahisar
derrière nous. En longeant une étroite rivière nous tra­
versons Üzengi Valley. Cecilia nous explique les pro­
chains mètres de l’itinéraire comme une copilote de ral­
lye. « Descente raide, virage serré à gauche – attention
aux branches épaisses qui pendent – puis montée raide
dans une gorge étroite. » Ça va barder ! Je prends par­
ticulièrement à cœur le conseil de Cecilia concernant
les grosses branches et je me penche bien en avant.
Malheureusement Sahra fait exactement le contraire
au même instant. Son cou heurte pile poil mon nez.
Alléluia ! Oh les belles étoiles. La Cappadoce de nuit…
Quelques secondes plus tard il fait à nouveau jour, je
suis heureusement toujours assis sur la selle. Ma ju­
ment, alias « Mike Tyson », suit les deux autres au pas
de course le long de la remontée du ravin. « Que s’estil passé ? » demande Anne, quand j’arrive en haut. Il
faut croire que j’ai l’air un peu écrabouillé. Fier, je leur
montre le dos ensanglanté de ma main du fait de l’avoir
passé sur mon nez. Mais au lieu d’avoir pitié, mes deux
compagnes de voyage tentent, assez mal, de dissimuler
leurs éclats de rire. Bizarrement, juste à ce moment-là,
chacune regarde de son côté. Mais leurs épaules trem­
blantes les trahissent. « Ça joue ? » demande Cecilia, un
peu calmée. « Cela ne peut être pire qu’avant », contré-je
avec un peu d’autodérision.
Élimination « naturelle » des déchets
Sous un soleil brûlant nous atteignons Mustafapasa.
Des enfants en uniforme scolaire viennent à notre ren­
contre. Dès que nous quittons ce lieu, nous sommes en­
tourés d’énormes cheminées de tuf couleur crème. Au
centre, à l’ombre d’un grand chêne vert se trouve notre
cantine mobile. Protégés de la chaleur de midi, un Coca
frais entre les mains, nous observons nos trois juments
se rouler dans la terre. Le luxe ! Je n’hésiterais pas à
attribuer au moins une étoile Michelin à Mehmet et Ser­
dar. Les plats qu’ils arrivent à cuisiner sur la minicui­
sinière et le feu ouvert sont sensationnels et succulents.
Selon Serdar je devrais manger beaucoup plus : celui
qui ne prend pas au moins cinq kilos en Turquie, ne
mange pas comme il faut. S’il continue à poursuivre son
objectif, je me ferai davantage de souci pour la pauvre
Sahra que pour moi.
L’après-midi se passe sans incident. Nous traversons
de magnifiques bosquets et des champs cultivés avec
une charrue et un cheval de trait. En général il s’agit
d’étalons et cela génère une conversation très animée
que nous, les bipèdes, ne pouvons pas comprendre.
Cela fait longtemps que nous sommes sortis du champ
de vision de l’étalon, qui implore bruyamment Tuvanne
de lui donner son numéro de téléphone. Nous sautons
par-dessus plusieurs petits ruisseaux entourés de ro­
seaux plus hauts que nos têtes. Encore et encore nous
passons devant de petites fermes gardées par des ber­
gers d’Anatolie. Dommage que les abords de la route
soient utilisés comme poubelle à ciel ouvert. Cecilia
explique que ce comportement n’est malheureusement
pas punissable en Turquie. Il faut croire que la sensibili­
té manque aussi, car voir des sacs poubelle dans une si
belle nature fait mal au cœur.
Nous faisons courir Sahra & Cie en traversant une
forêt clairsemée avec des prairies, des peupliers et des
cyprès. La vitesse que peuvent atteindre ces chevaux
sur commande me fascine à chaque fois. Et il ne s’agit
ici que du mode « jogging ». Dès qu’on relâche un peu
Des témoins du temps en pantalon d’équitation – les églises
rupestres de la Cappadoce offrent
une excellente opportunité de
redécouvrir l’histoire.
Sentez-vous l’odeur des dorades
et des poivrons?
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plus les rênes, on remarque qu’ils mettent vraiment le
turbo. Après un court passage sinueux au galop nous
quittons la forêt et sommes à nouveau entourés de
cônes et de cheminées en tuf, ainsi que par d’autres
formes fabuleuses et bizarroïdes. La lumière dorée an­
nonce la soirée. Notre campement se trouve au bout
d’une voie sans issue de cette même gorge : Ortahisar.
« Viens, mon frère », me dit notre accompagnant Ser­
dar en disparaissant derrière une petite saillie rocheu­
se. Cent mètres plus loin nous découvrons un véritable
paradis avec un bassin d’eau, des places confortables
pour s’asseoir, des suspensions de fleurs aux murs et
une treille. Ce sont des amis de Serdar qui ont aménagé
cette petite oasis secrète.
Dans la tour d’ivoire
En octobre les nuits et les heures du petit matin sont
fraîches en Cappadoce. Nous évoluons en moyenne à
1'200 mètres d’altitude. L’étape du jour nous mènera
d’abord à « Rose Valley ». Nous sommes très curieux,
surtout après avoir vu et admiré la « Love Valley ». De
loin, les formations de tuf ressemblent à des pétales de
roses imbriqués les uns dans les autres. Et il y en a des
milliers ! Impossible de s’en lasser tant la fascination
pour les talents artistiques de Mère Nature est grande.
Avec nos chevaux nous passons au milieu des « roses »,
tandis qu’à gauche et à droite se dressent des parois
rocheuses blanches et arrondies. Étant gamin, j’ai rêvé
d’être dans la tour d’ivoire de « l’histoire sans fin ». Cet­
te expérience me rapproche beaucoup de mon rêve.
Cecilia souhaite nous montrer un monastère. Nous at­
tachons les chevaux à un peuplier. De l’extérieur on ne
devine que quelques fenêtres et ouvertures. Nous devons
faire un peu d’escalade sur dalle avant d’atteindre une
voûte impressionnante. Des peintures murales décorent la
voûte et les murs intérieurs. Les cadres et motifs sculptés
dans les murs soulignent l’esthétique très ancienne des
locaux.
Tôt dans l’après-midi nous atteignons Çavuşin. C’est
ici que se trouve, ou plutôt se trouvait, une des plus
vieilles églises rupestres de la Cappadoce : l’église SaintJean. La bâtisse date probablement du cinquième siècle.
Un éboulement survenu en 1963 l’a en grande partie dé­
truite. Presque tout le massif rocheux, qui était parsemé
d’innombrables couloirs et pièces, s’est écroulé. Il est
maintenant possible de découvrir le système de grottes en
coupe transversale comme dans une maison de poupée.
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Peu avant la fin de la journée, notre sang-froid est
une fois de plus mis à rude épreuve. À l’entrée de « Dev­
rent Valley » nous rencontrons un troupeau de mou­
tons. Quatre bergers d’Anatolie furieux nous attaquent.
« Continuez tranquillement, ils ne nous feront rien »,
dit Cecilia. En effet, les chiens s’arrêtent devant nous et
le berger nous salue aimablement, mais malheureuse­
ment sans dents, comme si rien ne s’était passé.
Je me souviendrai longtemps de la soirée. Nous nous
sommes installés sur une pente douce et spacieuse, au
pied de cheminées de fées. Des dorades fraîches et des
poivrons verts grillent sur le feu. La nuit est claire et la
bière glaciale. Juste avant, nous avons vécu un coucher
de soleil sensationnel qui a plongé ce paysage unique
dans une lumière rouge-orange. Nos trois compagnons
de voyage sont très intéressés par nos points de vue,
nos traditions et nos habitudes – et inversement. C’est
passionnant de pouvoir échanger avec eux et de décou­
vrir à travers eux une mentalité conservatrice mais très
moderne. Aucune idée du nombre de clichés que j’ai
éliminé durant ce voyage…
Le pot doit mourir
La nostalgie de notre dernier jour a visiblement aussi
affecté le beau temps qui, jusqu’à présent, nous a gâ­
tés. Entre-temps, Anne et sa jument Tuvanna sont de­
venues inséparables et profitent de chaque occasion
pour se faire des becs. Peu avant la pose de midi il y a
encore un peu de culture au programme. Le caravan­
sérail « Saruhan » a été reconstruit selon le modèle ori­
ginal. Semblables à des forteresses, les caravansérails
étaient des refuges pour les voyageurs en transit. Les
marchands les utilisaient comme point de rencontre sûr
pour faire des affaires. Les derviches étaient responsa­
bles de l’animation religieuse. Puisque tant l’alcool que
les drogues leur étaient interdits, ils dansaient en rond
jusqu’à ce qu’ils atteignent un état de transe pour parler
à Allah.
Les cuistots ont encore une fois tout donné pour notre
dernier repas. « Pot Kebap » est une potée de viande, au
fort potentiel addictif, qui est cuite pendant plusieurs
heures dans un récipient traditionnel en argile, posé
dans la braise et les cendres. La tradition veut que l’on
casse le cou au récipient avant de servir le plat. C’est ce
que fait Mehmet, sans état d’âme mais en respectant la
tradition.
Nos chevaux sentent qu’on se dirige vers leur écurie.
On ne se lasse jamais des grands
espaces de la Cappadoce. Attention au
risque d’addiction !
Ils se laissent de plus en plus tenter par un trop qui
finit en galop si l’on ne tient pas bien les rênes. Nous
longeons la rivière Kizilirmak, ce qui signifie rivière
rouge. Long de 1'355 kilomètres il s’agit du plus grand
fleuve entièrement en Turquie. Son lit relativement plat
et les sédiments de glaise lui donnaient autrefois un
teint rougeâtre. Aujourd’hui il a été canalisé à tellement
d’endroits qu’on devine à peine une note rougeâtre.
Cecilia ne choisit pas le chemin direct le long du fleu­
ve pour retourner au ranch, mais nous emmène pour
une dernière fois à la montagne. Même si aujourd’hui
le ciel est bas et gris la vue est grandiose. Une dernière
fois nous laissons les chevaux faire un petit sprint.
Départ en larmes
Sur le terrain du Akhal-Teke Horse Center il y a de
l’agitation. On ne peut pas parler d’un au revoir roman­
tique. Anne fond en larmes quand elle doit dire adieu à
sa Tuvanna. La jeune jument est par contre très impa­
tiente d’aller folâtrer avec les autres. Cecilia ne doit pas
rater son covoiturage pour Mersin. Nous échangeons
rapidement nos coordonnées, promettons de rester en
contact – mais savons pertinemment que trop souvent
ces promesses sont vaines.
Le tellak me réveille en tapotant doucement mon dos
et me signale que mon traitement est terminé. Je me
sens très détendu, tant au niveau du corps que de la
tête. Je suis un homme privilégié. Ma passion des voya­
ges fait véritablement partie de mon métier. Il y a tant
de choses que j’ai pu vivre. Ce voyage très spécial reste­
ra longtemps gravé dans ma mémoire.
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Astuces et informations
ORGANISATEUR Akhal-Teke Horse Center,
[email protected], tél. +90-384-5115171,
www.akhal-tekehorsecenter.com
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TEXTE ET PHOTOS
Moritz Becher
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