radiographie d`une bavure policiere dans le 9.3

Transcription

radiographie d`une bavure policiere dans le 9.3
L’affaire Jérémie R.
RADIOGRAPHIE D’UNE BAVURE POLICIERE DANS LE 9.3
Cette affaire est évoquée pp. 77/78 de
Lettre ouverte à Nicolas Sarkozy, ministre des libertés policières
Villepinte (Seine-S aint-Denis), 3 octobre 2003
Jérémie et son père Jean-Marie tabassés par la police
Villeju if, hôpital Paul-Brousse, 6 décembre 2003
Mort de Jean-Marie R.
Tribunal pour enfants de Bobigny, mercredi 6 décembre 2006 (13 h 30)
Procès de Jérémie R. pour outrage et rébellion
1°) Rue La Pérouse (Villepinte), quartier pavillonnaire paisible, 3 octobre 2003, vers 22h45.
Jérémie, 16 ans, métis de père antillais, est assis sur le muret devant le pavillon de son domicile en compagnie
d’un ami. Une patrouille de police, composée de deux hommes et d’une femme, l’apostrophe. On lui demande son
âge et les raisons de sa présence. Un des policiers lui demande de ne pas cracher dans l’herbe. Jérémie
répond qu’il ne voit pas pourquoi. Voulant toutefois éviter tout problème, il se redresse pour rentrer à son domicile.
Il est empoigné par ce policier qui le secoue violemment par l’épaule. Jérémie le questionne pour comprendre les
raisons de ce geste. Pour toute réponse, les policiers lui passent les menottes tout en le bousculant.
2°) Jean-Marie, le père de Jérémie, Antillais, sort à ce moment précipitamment de sa maison, pieds nus et
en caleçon, porteur d’un cathéter* central sur le torse. Il demande des explications aux policiers qui l’enjoignent de rentrer chez lui. Jean-Marie répond qu’il est le père de Jérémie, déplore leur violence et veut s’interposer
car les policiers continuent de malmener son fils. Il est frappé violemment sur la tête et sur le corps. En dépit des
pleurs de Jérémie qui tente de défendre son père et des supplications des voisins qui indiquent que Jean-Marie est
gravement malade, les policiers s’acharnent contre le père et le fils.
* Jean-Marie, atteint d’une maladie incurable (métastases au cerveau et tumeur au poumon), suit un traitement de chimiothérapie et de radiothérapie. De plus, il est sous anti-coagulant du fait d’une thrombose au bras et doit éviter de saigner en
raison d’un taux de plaquettes très bas. Son visage saigne abondamment. Les coups portés à Jean-Marie ont occasionné des
blessures graves et profondes sur le crâne – coups reçus dans la région cérébrale atteinte de métastases –, au niveau de
l’oreille, ainsi que des hématomes au thorax. Jean-Marie reçoit cinq points de sutures puis le lendemain doit être hospitalisé en
urgence en raison de l’aggravation de son état général.
3°) Les voisins qui tentent de calmer les policiers en expliquant que Jean-Marie est gravement malade sont
à leur tour frappés à coups de matraque et projetés contre le mur : de même que l’autre fils de Jean-Marie âgé
de 13 ans, son neveu de 15 ans, une petite voisine… Un voisin qui tarde à monter sa pièce d’identité reçoit un
coup de torche et ses papiers sont jetés par terre. Le neveu de Jean-Marie veut appeler les pompiers, les
policiers l’en empêchent. Finalement les pompiers sont alertés par un voisin. Les trois policiers partent avec
Jérémie puis reviennent avec du renfort (six véhicules de police).
Isabelle, l’épouse de Jean-Marie, arrivée sur ces entrefaites, se précipite vers la voiture de police pour demander les raisons de l’interpellation de son fils. Elle est saisie au cou par un des policiers et projetée violemment.
Jérémie, voyant que l’on moleste sa mère, sort de la voiture de police, les mains menottées dans le dos. Il est
immédiatement projeté au sol par plusieurs policiers et immobilisé après avoir été frappé. Son père qui tente de
sortir du camion des pompiers est projeté au sol et immobilisé par les pompiers* et les policiers qui le
plaquent avec leurs pieds ou leurs genoux sur son torse, alors qu’il porte un cathéter.
* Cas rarissime où des pompiers se comportent comme des auxiliaires de police.
4°) Un jeune voisin est interpellé en même temps que Jérémie. Les policiers le suivent jusque chez lui, font
intrusion au domicile de la mère, illégalement, sans mandat et font pression sur elle : soit elle leur remet son fils,
soit ils défonceront la porte le lendemain à 6h. Le garçon est giflé violemment et reçoit de nombreux coups de
matraque dans le ventre.
La capitaine de police du commissariat de Villepinte – une jeune femme –, se rendant coupable de subornation
de témoin, influence le témoignage de la mère du jeune voisin, qui témoignera plus tard des pressions qu’elle a
subies de la capitaine de police, laquelle s’acharne contre Jérémie, répétant « il faut absolument que Jérémie
aille au trou dès le lundi ». Cet acharnement sera confirmé par l’avocat de Jérémie qui surprendra incidemment
une conversation entre le procureur de la République – alors qu’il se trouvait dans son bureau pour une autre
affaire – et cette capitaine de police.
5°) Jérémie est placé en garde à vue les 3-4 octobre.
La capitaine de police demande la prolongation de la garde à vue de Jérémie pour les besoins de l’enquête et
parle d’un climat d’émeute. Le juge refuse. Jérémie est libéré. Mais l’avocat de Jérémie devra appeler le ministère
de l’intérieur afin de pouvoir rencontrer l’adolescent.
La mère de Jérémie, déposant plainte au nom de son fils mineur, attendra plus de 2 ans avant d’être convoquée par un juge. Quant à l’enquête de l’IGS, à une exception près, aucun voisin ne sera entendu.
6°) Vendredi 24 octobre 2003, Jérémie est de nouveau convoqué au commissariat.
Sa mère le voit repasser menotté dans le dos sans explications. Deux heures plus tard, un officier de police
prétend que son fils est accusé d’avoir agressé une voisine le 11 août 2003 alors qu’il était en colonie de vacances
dans le sud de la France, ce qui sera prouvé par le directeur de la colo !
Placé en garde à vue pour la 3e fois, puis déféré au parquet et mis en examen avec les accusations d’outrage, de rébellion et de dégradation de véhicule de l’Etat, Jérémie est mis sous contrôle judiciaire avec obligation
de signer tous les mois, de voir un psychologue, de justifier de ses activités professionnelles ou de son assiduité à
un enseignement et « de s’abstenir de recevoir, de rencontrer ou d’entrer en relation de quelque façon que ce soit
avec les fonctionnaires de police du commissariat de Villepinte » alors que ceux-ci ne cessent de patrouiller dans
sa rue.
7°) 6 décembre 2003. Le père de Jérémie, Jean-Marie, meurt à l’hôpital de Villejuif, deux mois après les
coups qu’il a subis et après que son état de santé se soit dégradé rapidement.
Pendant cette période douloureuse pour la famille, Jean-Marie a été mis en examen et convoqué à de multiples reprises alors que la simple considération de son état général, attestée par de multiples certificats médicaux,
aurait dû conduire à un autre comportement. La convocation du 20 octobre mentionnant même de manière
manuscrite : « dernière convocation avant usage de la force publique ».
Le TGI le convoque encore le 28 novembre, alors qu’il est hospitalisé et mourant.
Le jour de l’enterrement, une voiture de police avec à son bord quatre policiers stationne à la sortie de l’église.
Les policiers, qui n’ont cessé de patrouiller dans la rue des Ratchel durant ces deux mois, ricanent.
8°) Juillet 2006. Jérémie, qui a perdu son travail de boulanger (les policiers se sont rendus chez son patron
pour le salir), après plusieurs CDD à la Poste non renouvelés car il n’a pas le permis de conduire, trouve un travail
de serveur en CDI à l’aéroport Roissy CDG. Pour travailler sur le site de l’aéroport, il lui faut un badge d’accréditation, attribué par la police de l’air et des frontières après un double agrément du préfet de Seine-Saint-Denis et
du procureur de la République.
Convoqué à la PAF de Roissy en août 2006, Jérémie est informé qu’une enquête est en cours, à cause du plan
Vigipirate. Deux semaines plus tard, il apprend que son badge va lui être retiré, au motif que 3 ans plus tôt il a
été accusé pour outrage à agent et rébellion (alors qu’il n’a toujours pas été jugé). Son avocat dépose un recours.
Le préfet, qui refuse dans un premier temps de lui renouveler son badge (sans quoi Jérémie, employé modèle,
perdra son travail), le lui accordera finalement mi-septembre, pour une durée provisoire d’un an.
9°) Octobre 2006. Après plus de deux ans d’attente (et alors qu’une première plainte sans constitution de partie
civile a été classée sans suite par le procureur), la mère de Jérémie est enfin convoquée chez le juge, suite à la
plainte qu’elle a déposée avec constitution de partie civile. Celui-ci lui apprend qu’il clôture l'instruction, aucune
charge n’étant retenue pour mettre les policiers en examen.
10°) 6 décembre 2006, 13h30. Jérémie passera en jugement au tribunal pour enfants de Bobigny, pour
outrage, rébellion et destruction d’un véhicule de l’Etat.
Le jugement aura lieu trois ans jour pour jour après la mort de son père.
A noter qu’en 2006, Laurent Akim, journaliste à France 2, avait réalisé un reportage sur Jérémie (sur les lieux même où lui et
son père avaient subi des violences policières en 2003). Le sujet, qui devait être diffusé dans le cadre de l’émission Envoyé
spécial, a finalement été retiré au dernier moment.