ESPAGNE Le spectre d`une «génération perdue

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ESPAGNE Le spectre d`une «génération perdue
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Monde
V E N DRE DI 18 DÉ C E M B RE 201 5
L ' AL S A CE
ESPAGNE
Le spectre d’une «génération perdue»
Un jeune Espagnol sur deux est au chômage, et cette frustration se traduit par le rejet des « vieux » partis, de droite comme de gauche, à deux jours des
élections législatives.
De notre envoyé spécial Francis Brochet
Des trentenaires au pouvoir ?
« Il faut tout changer ! » s’enthousiasmait José Manuel Garcia
en juillet 2014, au plus dur de la
crise espagnole. Il est vrai que
nous l’avions rencontré alors
qu’il venait, à 25 ans, de déposer
avec trois amis les statuts d’une
entreprise, « Innvento »… Depuis, l’Espagne va mieux. Mais
pas José Manuel : son entreprise
a mis la clé sous la porte, il s’est
réinscrit en fac. « Je n’ai pas un
rond », dit-il en souriant un peu
tristement devant son Coca, dans
un bar de Madrid.
Les comptes de José Manuel sont
vite faits : ses parents, pourtant
modestes, lui envoient depuis
Valence 150 euros par mois, sur
lesquels il doit payer son ticket
mensuel de transport (60 euros),
pour aller dormir chez son oncle
à 50 km de la capitale. Le reste
permet des allers-retours à Valence, où demeure sa fiancée. Et ses
parents paieront aussi les 2500
euros de droits universitaires
pour le semestre à venir. Pas de
bourse ? « Non, rien ». L’État espagnol consacre il est vrai trois
fois moins d’argent aux bourses
universitaires que la moyenne
des pays de l’OCDE.
Quitter l’Espagne pour travailler
Le spectre d’une « génération
perdue » plane sur l’Espagne. Le
chômage, qui affecte encore près
d’un Espagnol sur quatre, frappe
José Manuel (en médaillon), 25 ans, a dû liquider son entreprise et retourner à la fac. Il appartient à cette génération qui
espère une réelle reprise en main du pays après les législatives de ce dimanche. Photo DR et AFP
un jeune sur deux. Le nombre de
chômeurs de moins de 25 ans a
pourtant diminué, depuis 2011,
pour passer sous les 800 000…
Comment ? Ils sont allés travailler ailleurs. « J’ai deux amis
en Angleterre, un en France, un
en Allemagne, deux aux ÉtatsUnis… », énumère José Manuel.
Lui-même programme avec sa
fiancée d’émigrer bientôt au Canada ou en Australie. Pas pour
faire fortune, mais pour vivre loin
d’une Europe qui l’exaspère.
yeux, est responsable de cette
crise ».
« La crise a coïncidé avec l’entrée
sur le marché du travail de la
génération née après la « Transition » (démocratique, en 1978),
explique le sociologue Ludolfo
Paramio. Elle y éprouve beaucoup de difficultés. Et elle ne
partage pas les principes de la
génération précédente qui, à ses
La traduction politique, c’est la
chute de confiance des deux
grands partis traditionnels, le PP
conservateur et le PSOE social-démocrate, au profit des nouveaux
venus Ciudadanos et Podemos.
C’est ainsi que l’on peut entendre
le jeune économiste (38 ans)
d’une organisation patronale, di-
ÉTATS-UNIS
Baltimore à nouveau face à ses démons
L’annulation du procès du policier William Porter a provoqué une série de
manifestations dans la ville de Baltimore. Photo AFP
Le procès à très forte charge
symbolique d’un policier américain accusé de l’homicide d’un
Noir dans un fourgon de police à
Baltimore a donc été annulé mercredi. Le jury n’est pas parvenu
pas à s’accorder sur un verdict.
Dans la procédure pénale américaine, la nullité du procès est un
événement rare. La balle est désormais dans le camp des procureurs, qui peuvent décider que
l’agent William Porter sera rejugé
avec un autre jury à une date
ultérieure.
Ce procès devait permettre
d’apaiser les esprits à Baltimore,
une ville qui enregistre une recrudescence des violences armées et
des fossés communautaires. À
l’annonce de l’annulation du procès, quelques échauffourées ont
éclaté devant le tribunal, survolé
par des hélicoptères de la police.
Les forces de sécurité avaient été
déployées en nombre dans les
rues de la ville, les autorités
redoutant des débordements. La
maire de Baltimore, Stephanie
Rawlings-Blake a mis en place
depuis lundi une cellule de crise
réunissant des représentants de
la police et des services de secours.
Cette annulation en forme de
coup de théâtre vient confirmer le
rapport compliqué entre la communauté noire et la police dans
certaines villes américaines. Pendant tout le procès qui a duré
deux semaines, William Porter, ce
policier blanc, a plaidé non coupable des chefs d’accusation d’homicide involontaire, violences,
mise en danger de la vie d’autrui
et faute professionnelle. Il était
jugé pour des faits entourant la
mort de Freddie Gray, un jeune
afro-américain de 25 ans décédé
le 12 avril dernier. À l’époque, il
avait été interpellé par une patrouille, violenté au cervicales
dans un fourgon, il avait succombé à ses blessures la semaine
suivante. Cet « homicide », ainsi
qualifié par la procureure de
l’État du Maryland, avait alors
déclenché des émeutes, des pillages et de graves actes de vandalisme dans cette ville de la côte est.
LII06
re du bien du jeune leader (37
ans) de la gauche radicale Pablo
Iglesias, parce qu’il « amène des
idées neuves, et fait entrer en
politique des personnes qui ne
s’y intéressaient pas »…
José Manuel Garcia, vous l’aviez
deviné, votera Podemos : « Il faut
éjecter du pouvoir les vieux PP et
PSOE. Ils nous ont volés, trompés ».
Impensable dans le monde politique français, où Manuel Valls fait figure, à 53 ans, de « jeune » en devenir : les candidats espagnols rivalisent de jeunesse.
Trois trentenaires avec Albert Rivera (36 ans, Ciudadanos), Luis Garzon (30 ans, Izquierda Unida) et Pablo Iglesias (37 ans, Podemos), et un quadra avec Pedro Sanchez (43 ans, PSOE). Seul détonne le sortant Mariano Rajoy (60 ans, mais 56 ans à son arrivée au pouvoir). Ce n’est pas nouveau en Espagne : Felipe Gonzalez est devenu président à 40 ans (en 1982), José Maria Aznar à 43 ans (en 1996), et José Luis Zapatero à 43 ans (en 2004). Une réaction sans doute à la gérontocratie du général Franco, mais aussi l’expression du formidable baby-boom des années 60-70, aujourd’hui oublié avec une natalité parmi les plus faibles d’Europe (on compte 1,3 enfant par femme, contre 2 enfants en France, en tête de l’Union Européenne devant l’Irlande et l’Allemagne), et dans un pays qui vieillit vite.

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