Musée des Beaux-Arts de Caen Le Débarquement à Cythère

Transcription

Musée des Beaux-Arts de Caen Le Débarquement à Cythère
Musée des Beaux-Arts de Caen
Dossier pédagogique
Le Débarquement à Cythère
Vincent Bioulès
L'œuvre en question (9)
18 octobre 2014 – 18 janvier 2015
1. Présentation de l'exposition
Au début de l'année 2000, Vincent Bioulès présentait dans une galerie parisienne ses « Mythologies », soit
quelques peintures ayant comme dénominateur commun la fable antique et pour héroïnes Vénus, Danaé,
Europe ou Léda. Figurait également à cette exposition Le Débarquement à Cythère, tableau auquel est
consacré le neuvième numéro de L'œuvre en question.
Cette œuvre a sans doute de quoi dérouter si l'on songe à celles, fameuses, peintes sur le même thème par
Watteau quelque trois siècles plus tôt. Mais Vincent Bioulès se plaît à relever les défis ; il s'approprie les
sujets de la peinture ancienne, les actualise en transportant non sans humour ses personnages dans des
environnements résolument contemporains, en la circonstance sur un rivage bien prosaïque : Palavas-lesFlots plutôt que Cythère ! Mythe et réalité se rejoignent ainsi, également pris au sérieux par l'artiste qui
cherche aussi, dans cette confrontation, le plaisir de peindre.
Autour du tableau de Caen sont réunis les croquis exécutés sur le motif, les études de figures et les dessins
d'ensemble qui ont mené à la composition définitive ainsi que d'autres œuvres permettant de comprendre
le processus d'élaboration. C'est avec un vocabulaire très étendu que Vincent Bioulès retranscrit sur la toile
l'émerveillement toujours renouvelé qu'il ressent devant la nature. De tableau en tableau - en témoignent
Le Débarquement à Cythère mais aussi la Daphné du musée Fabre à Montpellier et l'étrange Fuite en Égypte
provenant d'une collection particulière -, il poursuit sa réflexion sur le paysage, pariant toujours pour les
possibilités insoupçonnées qu'offre la peinture figurative.
2. Daphné
« Daphné (juin 1998 - décembre 1999, huile sur toile, 200 x 300 cm, Montpellier, musée Fabre) est un vaste
paysage verdoyant, arrêté au loin par une ligne de montagnes bleutées avec, sur la gauche, le pic Saint-Loup
reconnaissable à son profil acéré. Dans la zone intermédiaire, l’œil perspicace distingue au milieu de la
garrigue un vieux pont et la moto qu'un homme vient d'abandonner. Celui-ci court après une femme nue,
prête de se fondre dans un laurier, unique élément vertical contrecarrant l'horizontalité du tableau. On ne
peut avoir de doute sur l'intention qui anime le personnage masculin. À l’aide de quelques artifices, Bioulès
fait de cette scène de viol une peinture d'histoire : il la rend plus épique en adoptant un grand format,
assombrit la masse des nuages et le premier plan, accentue la gestuelle des figures pour amplifier l'effet
dramatique. En même temps, il désamorce l’ensemble, peint avec brio la végétation et situe l'épisode dans
un cadre édénique. L'affaire, bien qu'identique, est ainsi moins sordide si, comme l'artiste nous y invite, on y
voit le dieu Apollon poursuivant de ses ardeurs la nymphe Daphné, sauvée in extremis par son père, le
fleuve Pénée, qui la métamorphose en laurier1. »2
Daphné (juillet 1998- janvier 2000, fusain, pierre noire et pastel sur toile, 130 x 162 cm, musée Fabre,
Montpellier). Ce dessin n'est pas une esquisse préparatoire à la peinture sur le même sujet mais a été conçu
comme une œuvre à part entière. Les deux œuvres, dessin et peinture, témoignent en particulier de la
réflexion menée par l'artiste sur le format. Bioulès a par ailleurs l'habitude de travailler sur plusieurs œuvres
à la fois : le travail sur Daphné commence alors que celui sur Le Débarquement à Cythère n'est pas terminé.
La particularité du dessin est qu'il a été réalisé sur une grande toile.
Éléments à faire observer aux élèves :
 le contraste entre la référence mythologique et les éléments modernes : les vêtements de l'homme,
la moto.
 La liberté prise avec le mythe : Daphné ne se métamorphose pas en laurier, elle trouve un abri en
fusionnant avec un laurier.
 La « gestuelle baroque » des personnages (expression employée par Bioulès).
 Dans la peinture à l'huile : la texture du ciel, des nuages, de la végétation. Bioulès travaille par
couches superposées, entrecroisées, en une sorte de tissage. Il fait parfois des dessous colorés,
travaille dans le demi-frais et plaque parfois du papier journal pour absorber en partie la peinture.
 Dans le dessin : l'importance de la trame de la toile et un tracé très vigoureux qui donne
l'impression d'une gravure. Le soin accordé au ciel nuageux et à la végétation : Vincent Bioulès
affirme vouloir représenter le « pelage de la terre ».
3. Le Débarquement à Cythère
Le Débarquement à Cythère (août 1997 – novembre 1999, huile sur toile, 130 x 162 cm, musée des Beauxarts de Caen)
Pour l'analyse de ce tableau, on se reportera à la fiche œuvre accessible sur le site du musée et au
catalogue de l'exposition L'œuvre en question n°9.
Bioulès avait vu un jour un couple sur une digue, l'homme appelant et attendant la femme qui avançait
péniblement sur les rochers. Cette scène a donné à Vincent Bioulès l'idée du tableau. Les esquisses ont été
faites de mémoire.
Éléments à faire observer aux élèves :

le contraste entre la référence mythologique et les éléments modernes voire triviaux : la planche à
voile, le short de bain fleuri de l'homme. Ce décalage donne au tableau un caractère déconcertant
et humoristique. Bioulès affirme lui-même avoir voulu ménager une part d'humour et de modernité
dans ses tableaux mythologiques pour renouveler le sujet.

La tension qui semble régner : la femme qui ne regarde pas l'homme, les rochers aux arêtes
coupantes, les lignes droites et brisées qui dominent.

L'importance du minéral, avec la digue au premier plan qui impressionne par son relief travaillé et
sa matière (au lieu de la végétation luxuriante du Pèlerinage à l'île de Cythère de Watteau, 1717,
musée du Louvre et de l'Embarquement pour Cythère, 1718, Berlin, Château de Charlottenburg).
Cette digue paraît presque être l'élément principal du tableau comme le montrent déjà les études
préparatoires à la mine de plomb et pastel gras.

La texture du ciel, de la mer, des rochers : la touche est fournie et multicolore, créant une surface à
la fois grumeleuse et vibrante. Laissée apparente, elle affirme la matérialité de la peinture.
Minutieusement posée, elle anime la toile et lui confère un caractère scintillant. Bioulès crée une
peinture figurative enrichie de son expérience de la peinture abstraite.
1 Ovide, Les Métamorphoses, livre 1, 452-567. http://bcs.fltr.ucl.ac.be/METAM/Met01/M01-416-567.html
2 Caroline Joubert, Vincent Bioulès, Le Débarquement à Cythère, catalogue de l'exposition l'œuvre en question n°9, 2014



Le ciel, loin d'être un simple aplat de bleu, est composé de touches pointillistes superposées,
bleues, vertes ou orangées, ces dernières devenant plus nombreuses à mesure que l'on s'approche
de la ligne d'horizon.
Pour signifier les vagues comme les aspérités de la roche, la matière picturale, plus onctueuse,
forme des empâtements.
Le blanc des deux voiles et de la tunique de la femme créent des tâches lumineuses qui contrastent
avec les ombres des rochers et du torse de l'homme.
« Disons que mon vœu le plus cher serait de parvenir à faire une peinture à la fois savante et populaire. »
Vincent Bioulès3
4. Pistes pédagogiques
4.1 Histoire des arts, collège
► Thématique « Arts, mythes et religions ».
Pistes d'étude : « L’œuvre d’art et le mythe ; l’œuvre d’art et les grandes figures de l’inspiration artistique en
Occident ».
4
 On pourra étudier le passage des Métamorphoses d'Ovide qui raconte l'histoire de Daphné
transformée en laurier pour échapper à Apollon. Voici un extrait du texte :

« Il allait parler encore mais, dans une course éperdue
la fille de Pénée a fui et l'a planté là, lui et ses paroles inachevées.
À ce moment aussi, elle lui parut belle ; les vents la dénudaient
et, soufflant de face, agitaient les vêtements qui leur résistaient,
tandis qu'une brise légère gonflait ses cheveux rejetés en arrière.
La fuite accentuait encore sa beauté. Mais le jeune dieu, en fait,
ne supporte pas de se perdre plus longtemps en propos caressants ;
inspiré par son amour même, d'un pas vif, il suit la nymphe à la trace.
[...] Elle est à bout de forces, livide et, dans sa fuite éperdue,
vaincue par l'effort, elle dit en regardant les eaux du Pénée :
« Ô père, aide-moi, si vous les fleuves, avez un pouvoir divin ;
[...] en me transformant, détruis la beauté qui m'a faite trop séduisante. »
La prière à peine finie, une lourde torpeur saisit ses membres,
sa poitrine délicate s'entoure d'une écorce ténue,
ses cheveux poussent en feuillage, ses bras en branches,
des racines immobiles collent au sol son pied, naguère si agile,
une cime d'arbre lui sert de tête ; ne subsiste que son seul éclat.
Phébus l'aime toujours et, lorsqu'il pose la main sur son tronc,
il sent encore battre un coeur sous une nouvelle écorce ;
serrant dans ses bras les branches, comme des membres,
il couvre le bois de baisers ; mais le bois refuse les baisers ».
On pourra confronter le tableau de Bioulès à d'autres représentations du mythe de Daphné. Par
exemple : les tableaux5 de Nicolas Poussin, Apollon et Daphné (1625), Van Loo, Apollon chassant
Daphné (1737), de Tiepolo, Apollon et Daphné (vers 1743-1744), de Théodore Chassériau, Apollon
et Daphné (avant 1846), la sculpture du Bernin Apollon et Daphné (XVIIe siècle, galerie Borghèse),
l'opéra de Richard Strauss, Daphné (1938), le film de Christophe Honoré, Métamorphoses (2014).
 Autour du Débarquement à Cythère : on pourra évoquer le mythe grec de Cythère et ses versions
picturales, littéraires et musicales (voir fiche œuvre Le Débarquement à Cythère, rubrique
« repère » sur le site du musée).
3 Entretien avec Caroline Joubert, été 2014, catalogue de l'exposition l'œuvre en question n°9, 2014
4 Ovide, Les Métamorphoses, livre 1, 452-567. http://bcs.fltr.ucl.ac.be/METAM/Met01/M01-416-567.html
5 Voir, à l'adresse suivante, plusieurs représentations iconographiques du mythe de Daphné : http://www.iconos.it/index.php?id=185
► Thématique « Arts, espace, temps »
Piste d'étude : « L'œuvre d’art et la place du corps et de l’homme dans le monde et la nature » : on pourra
remarquer la petitesse des deux couples de personnages dans les tableaux Daphné, Le débarquement à
Cythère, et plus encore dans La Fuite en Egypte où les personnages, minuscules, ne sont pas
immédiatement visibles. Ces personnages semblent perdus dans l'immensité du paysage, immensité
renforcée par le choix de grands formats. Pour développer cette question, on se reportera à la fiche œuvre
sur Le débarquement à Cythère pp.5-6.
► Thématique « Arts, ruptures, continuités »
Pistes d'étude : « L’œuvre d’art et la tradition : emprunts, échos, citations, la réécriture de thèmes et de
motifs », « L’œuvre d’art et le dialogue des arts : citations et références d’une œuvre à l’autre ; échanges et
comparaisons entre les arts » : on pourra étudier comment Bioulès renouvelle les mythes de Cythère et de
Daphné en introduisant des éléments modernes, quotidiens et triviaux dans sa représentation du mythe.
4.2 Histoire des arts, lycée
► Thématique « Arts et sacré »
Piste d'étude : « L’art et les grands récits (religions, mythologies) : versions, avatars, métamorphoses, etc. ».
Voir ci-dessus la thématique histoire des arts, collège « Arts, mythes et religions ».
► Thématique « Arts, contraintes, réalisations »
Pistes d'étude : « L’art et les étapes de la création (palimpsestes, esquisses, essais, brouillons, repentirs,
adaptations, variantes, work in progress, etc.) ». On pourra étudier le travail préparatoire aux tableaux
Daphné et Le Débarquement à Cythère.
« Le matériel préparatoire réuni autour des deux œuvres de Caen et de Montpellier témoigne de la
primauté du paysage dans le processus d'élaboration. En premier lieu, l'artiste se rend sur le motif et
multiplie les croquis, les rehaussant parfois d'aquarelle. Il saisit dans ses carnets les lignes principales du site
observé – champêtre, maritime, montagneux ou urbain selon le cas –, s'appesantit sur telle partie, note tel
détail. Viennent ensuite les études de figures et leur inscription dans la composition d'ensemble qui
s'effectuent à l'atelier tout comme le tableau lui-même, fruit d'un travail patient. C'est bien souvent la
richesse du monde naturel qui émerveille d'abord Bioulès et lui donne envie de dessiner et de peindre. Le
paysage est là, devant soi, magnifique et fragile, intact ou construit, habité ou pas, qui ne demande qu'à
être vu et pourtant qui y prête attention. L'artiste le voit et nous engage à le considérer avec un regard plus
averti. Il le place au centre de son œuvre, l'utilisant comme cadre ou le représentant pour lui-même, avec le
désir de le dépouiller de sa « fausse évidence ».
Ainsi, la nature est-elle très présente dans la plupart des scènes mythologiques, dans Le Débarquement à
Cythère et plus encore dans les deux Daphné, en particulier dans le grand dessin sur toile où le trait au
fusain se répand, proliférant de manière presque mimétique. On rencontre également cette préséance du
paysage dans les scènes religieuses peintes par Vincent Bioulès dans la foulée, avec pour sujet l'arche de
Noé ou la fuite en Égypte : Le Départ à la nuit est à cet égard exemplaire. Il faut plisser les yeux pour
discerner cette minuscule Sainte Famille partant à bicyclette pour une lointaine contrée, si petite que la vue
du paysage nocturne, presque abstrait et cosmique, en est augmentée. »6
Dossier réalisé par Karine Guihard (2nd degré - lettres), professeur-relais du service éducatif
6 Caroline Joubert, Vincent Bioulès, Le Débarquement à Cythère, catalogue de l'exposition L'œuvre en question n°9, 2014

Documents pareils

Apollon-Phébus amoureux de Daphné, par Ovide.

Apollon-Phébus amoureux de Daphné, par Ovide. « Le premier amour de Phébus fut Daphné, fille du Pénée ; sa passion naquit, non d’un aveugle hasard, mais d’une violente rancune de Cupidon. Tout récemment le dieu de Délos, fier de sa victoire su...

Plus en détail