COMETTANT, Oscar, L`Amérique telle qu`elle est. Voyage
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COMETTANT, Oscar, L`Amérique telle qu`elle est. Voyage
COMETTANT, Oscar, L'Amérique telle qu'elle est. Voyage anecdotique de Marcel Bonneau dans le Nord et le Sud des États-Unis. Excursion au Canada, Paris, Achille Faure libraire-éditeur, 1864, 392 p. [TÉMOIGNAGE DE 1859] Né à Bordeaux en 1820, Jean-Pierre-Oscar Comettant, pianiste et écrivain, fit de nombreux voyages dans l'Ancien et dans le Nouveau monde. Comettant commence son récit de voyage en romançant, croyons-nous, les circonstances qui l'ont conduit au Canada en juillet 1859.1 Il se présente sous le nom de Marcel Bonneau, artiste peintre. L'ancien colonel James Clinton lui demanda un jour de peindre son portrait avant qu'il ne s'enlève la vie. Bonneau lui proposa d'aller au Canada et de se précipiter dans les chutes Niagara plutôt que de s'enlever la vie avec un pistolet. L'idée plut au colonel et il invita Bonneau à l'accompagner afin qu'il puisse terminer son portrait durant la traversée [juillet 1859]. Comme on peut le deviner, le colonel ne se suicida pas durant le voyage; au contraire, il y reprit goût à la vie.2 « Au pied de la chute des Chaudières3 se dessine, admirablement placée sur une hauteur, la jolie ville de Bytown4 , moitié française, moitié anglaise. Tous les habitants d'origine française qui habitent Bytown connaissent les deux langues, mais le culte des souvenirs et l'amour invincible qu'ils portent à la France, malgré son ingratitude et malgré les événements politiques, leur font un pieux devoir de parler entre eux la langue nationale. Cet attachement des Canadiens pour la France a quelque chose de triste et de profondément touchant, qui ne peut être parfaitement apprécié que des personnes absentes de la mère patrie. Enfin nous touchons à l'île5 de Montréal où se trouve bâtie la ville importante de ce nom. Ici la population est pour ainsi dire tout entière française, et ce n'est pas sans un plaisir mêlé de curiosité que j'ai entendu les hommes du peuple parler le patois normand du quinzième siècle. [...] » (pp. 174-175) « En traversant je ne sais quel petit bourg [des environs de Montréal], nous vîmes des paysannes canadiennes qui brodaient avec des perles différents objets en écorce d'arbre. Les habitants de ce bourg, descendants des compagnons de Cartier, ont conservé pur le type de nos 1 La lecture de son récit montre que Comettant exagère dans les supposés témoignages qu'il rapporte. 2 Encyclopédie universelle du XXe; COMETTANT, L'Amérique telle qu'elle est..., pp. 1-12. 3 Toponyme référant à un lieu de la région d'Ottawa aujourd'hui nommé Chaudière Falls. Déjà connu sous le nom français de Sault de la Chaudière. (v. LAPIERRE, Toponymie française en Ontario, s. Chaudière, Sault de la). 4 Aujourd'hui Ottawa. 5 On lit ile dans le texte. paysans normands, et parlent le patois de cette ancienne province au quinzième siècle. Ne connaissant de la France que ce qui leur a été appris par tradition, ils commettent les anachronismes les plus singuliers et font parfois les questions les plus bizarres et les plus irréfléchies. – Monsieur, me demande avec beaucoup d'intérêt une de ces jeunes brodeuses, est-ce toujours Louis XIV qui règne en France? – Non, ma chère enfant, Louis XIV est mort. – Comment! il est mort! Quel dommage, un si grand roi! – Hélas! les grands rois meurent comme les petits, et ceux-ci comme tout le monde. – Et madame de Maintenon? – Morte aussi. – Morte aussi!.. On dit qu'elle s'est mariée secrètement avec Louis XIV, est-ce vrai? – C'est vrai, et ce mariage n'est plus un secret pour personne. – Mon grand-père nous parlait beaucoup de madame de Maintenon. Mon aïeul l'avait vue une fois, il paraît qu'elle a beaucoup fait pour la religion et qu'elle était bien bonne. – Elle a fait massacrer plus de trente mille protestants. – C'est beaucoup. – C'est assez. – Etait-elle jolie? – Très-jolie. – Oh! que j'aurais voulu voir Louis XIV et madame de Maintenon! En revenant à Montréal, nous trouvâmes Arthur6 de plus en plus plongé dans ses réflexions. Il avait trouvé, suivant le conseil que lui en avait donné le colonel, un sixième moyen de s'emparer de son ex-associé, dans le cas où il le verrait au Congress Water. Après quarante[-]huit heures passées à Montréal, où nous pûmes apprécier le caractère hospitalier et franc des Canadiens, restés français par le cœur et par l'esprit, nous prîmes la route de Québec. On ne saurait tout voir sur son passage. C'est ainsi que nous passons, sans les visiter, les comtés de Verchères7 , de Chambly, de Berthier, de l'Assomption, de Joliet et de Montcalm. 6 Il s'agit de Arthur Lee, une connaissance du colonel Clinton retrouvée à New York et qui fut invitée à prendre part au voyage entrepris par le colonel et Bonneau. Nous côtoyons les bords riants du Richelieu et, partout sur notre parcours, des noms français rappellent l'origine de notre colonie, en mêlant les regrets au plaisir que j'éprouve. Ce sont, par exemple, le comté de Saint-Jean, de Napierville, de Saint-Hyacinthe8 , de Banville, d'Iberville, etc., etc. A la rivière Richelieu succède la rivière Saint-Maurice dont le parcours a plus de trois cents milles et qui sert, comme dirait Pascal, de route mouvante, au transport des bois de toutes sortes qu'on trouve en grande quantité dans les forêts avoisinantes. Nous avançons toujours et toujours des noms français viennent attester l'importance autrefois si étrangement méconnue du Canada, et les efforts héroïques9 de nos colons pour s'y maintenir. Aux comtés que nous avons cités il faut ajouter le comté de Lotbinière, celui de Mésantie10 , celui de Montmorency, celui de Saguenay11 , celui de Tadoussac12 , celui de Beauce, celui de Bellechasse, celui de Montgomery et tant d'autres encore que nous passons sous silence pour abréger. » (pp. 179-181) 7 Verchèves dans le texte. 8 Sainte-Hyacinthe dans le texte. 9 Dans le texte, une virgule suit héroïques. 10 Il s'agit sans doute du comté de Mégantic. 11 On lit Sagnenay dans le texte. 12 On lit Tadaussac dans le texte.