La Soupe américaine / The American Soup - FRAC Basse
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La Soupe américaine / The American Soup - FRAC Basse
FRAC Basse-Normandie Journal d’exposition Jordi Colomer. M. Robert Vesque dans le salon de son UK 100 avec l’œuvre de Didier Marcel, Sans titre (Prefab Church, d’après E.T.). ADAGP 2013. Courtesy : Galerie Michel Rein. JORDI COLOMER La Soupe américaine / The American Soup Invité à produire une exposition pour le trentième anniversaire du Frac Basse-Normandie, l’artiste catalan Jordi Colomer s’est intéressé aux grands moments qui organisent et structurent la collection du Fonds Régional d’Art Contemporain. La guerre et ses conséquences socio-politiques, une histoire moderne de l’abstraction et les affinités entre art et architecture sont autant de pistes à suivre afin d’explorer cet ensemble d’œuvres de plus de quatre cent cinquante artistes rassemblées depuis maintenant 30 ans. L’intérêt que Jordi Colomer cultive pour les interrelations entre l’architecture et la politique a logiquement orienté ses investigations. Il a questionné la collection sous cet angle, tout en cherchant des liens possibles entre une sélection d’œuvres du fonds et les particularités territoriales de son intervention. 9 rue Vaubenard 14000 Caen +33 (0)2 31 93 09 00 www.frac-bn.org Biographie Jordi Colomer est né à Barcelone (Espagne) en 1962. Actuellement, il réside et travaille entre Barcelone et Paris. Son œuvre, marquée d’un fort sens sculptural, englobe de multiples disciplines et tout particulièrement la photographie et la vidéo ainsi que leur mise en scène dans l’espace d’exposition. Souvent, la création de situations relevant d’une sorte de “théâtre dilaté” permet au spectateur d’évaluer sa relation avec les représentations et de remettre en question le rôle qu’il joue dans ce face à face. La variété de moyens que convoque l’œuvre de Jordi Colomer et la transversalité de son point de vue sont sans doute liées à sa formation plurielle d’architecte, d’artiste et d’historien de l’art, dans une Barcelone des années 80 en pleine effervescence postfranquiste. À partir de l’exposition “Alta Comèdia”, réalisée à Tarragone en 1993, Jordi Colomer commence à fusionner dans son travail sculpture, éléments de la scénographie théâtrale et références à l’architecture. C’est dès ces années-là (plus particulièrement lorsqu’il découvre le cinéma d’avant-garde allemand des années 30), que la vidéo commence à s’imposer comme médiateur principal dans la relation que l’artiste entretien avec la performance, le théâtre et la sculpture. En 1997, il présente sa première œuvre vidéo Simo, dans une salle Jordi Colomer, extrait vidéo Simo (1997), Vidéo et salle de de projection in-situ au MACBA (Barcelone). Cette stratégie multi-projection, Master Betacam SP , 12min, Boucle, ADAGP, permet à Jordi Colomer de superposer l’espace théâtral, Courtesy : Galerie Michel Rein l’installation, comme sculpture habitable, et la micro-narration cinématographique. C’est ainsi qu’apparaissent des pièces telles que Pianito (Le Petit Piano, 1999), Les Jumelles (2000) ou Le Dortoir (2001), qui complètent une période marquée par un travail en sets, de tournage extrêmement construits, où le décor détermine entièrement le comportement des personnages. À partir de 2001, la recherche scénographique de Jordi Colomer s’ouvre à l’espace urbain, explorant les divers scénarios de la vie sociale (quartiers, routes, déserts, terrasses...). Cette étape de son travail est caractérisée par les voyages, peut-être parce qu’ils lui permettent de garder un regard étranger sur les différents décors urbains qu’il cherche ou découvre. C’est l’époque, parmi de nombreuses autres œuvres, Jordi Colomer, extrait vidéo Les jumelles (2001), Vidéo et salle d’Anarchitekton (2002-2004), un projet itinérant parcourant de projection, Master DV-CAM, Double projection, Édition de 3 quatre grandes villes globales (Barcelone, Bucarest, Brasilia, ex. et 1 HC, 4’20min, Édité en boucle, ADAGP, Courtesy : Galerie Osaka), de No? Future! (tournée au Havre, 2004), d’Arabian Michel Rein Stars (2005) tourné au Yemen, ou de Cinecito (La Havane, 2006), ou encore En la Pampa (réalisée dans le désert d’Atacama, Chili, 2008), Avenida Ixtapaluca (des maisons pour Mexico, 2009) ou The Istanbul Map (Istanbul, 2010), ainsi que la trilogie newyorkaise « What will come » qui Anarchitekton, 2002, 3 exemplaires, 1 A.P, Ensemble de 5 photographies, Photographie couleur contrecollée sur aluminium, 49,5 x 49,5 cm, Chacune : 49,5 x 49,5 cm, Collection Frac Basse-Normandie, ADAGP visite Coop City dans le Bronx, Levittown et The Hamptons. Dans ces œuvres-voyages la thématique du déplacement revient en leitmotiv et l’action isolée d’un personnage condense la réflexion (teintée souvent d’humour absurde) sur les possibilités de survie poétique qu’offre la métropole contemporaine. Les travaux les plus récents présentent les multiples facettes de l’utopie, de la dystopie, et de leurs rapports avec la fiction. L’Avenir 2010, présente un groupe singulier de pionniers, dans une libre interprétation du projet Phalanstères de Charles Fourier, et « Prohibido cantar/No singing » 2012 superpose villes imaginaires et projets non réalisés sur des lieux très précis. Ayant en commun le geste fondateur d’une ville, ces œuvres évoquent en même temps des projets mégalomanes de villes casino en Espagne, comme Gran escala ou Eurovegas et la ville de Mahagonny décrite par Bertoltd Brecht au moment où Las Vegas commençait à prendre forme au milieu du désert. Jordi Colomer, extrait vidéo Levittown, 2011, Vidéo, Master 2K, 11’35 min, boucle, ADAGP, Courtesy : Galerie Michel Rein Les 30 ans du Frac BN, la collection et les «baraquements américains» Jordi Colomer, mai 2012 « L’idée de fêter les 30 ans de la création des Frac aurait quelque chose d’un anniversaire de l’âge adulte; tout en construisant le futur, un certain regard vers le passé semblerait, à cette occasion, raisonnable. J’ai visité Caen toujours guidé par Sylvie Froux (dir. Frac Basse-Normandie); nous avons vu d’immenses jardins, des chantiers navals très abîmés, des bâtiments militaires abandonnés, des églises en ruine, des vieux hangars, d’énormes terrains vagues avec des caravanes et une prostituée dans un camion. Partout aussi, des grues, des matériaux de construction, des baraques de chantier, des bulldozers, des habitations très récentes et des panneaux qui annoncent de nouveaux projets. La ville est en train de se faire et de se refaire, cherche partout sa forme. On a l’impression qu’elle écrit encore les chapitres de l’après-reconstruction, celle-ci officiellement achevée en 1963. Les terribles bombardements de 1944 et l’Histoire de la Normandie sont dans tous les livres d’école pour signaler un moment crucial dans l’histoire de l’Europe, mais aussi des nouveaux rapports qui s’établirent entre l’Europe et les Etats-Unis d’Amérique. La collection du Frac Basse-Normandie s’en fait l’écho, avec un penchant, pendant les premières années pour une certaine «peinture abstraite», choix qui semblerait ne pas être complètement innocent, et deux autres grands axes qui signalent «la guerre», et «l’architecture». Avec les bombardements de 1944, la ville de Caen a été détruite sur la moitié de sa surface et 68 % du volume du bâti a disparu. Immédiatement il a donc fallu, avant toute autre chose, loger les habitants sans abri. Les premières constructions provisoires sont rapidement arrivées de la main des Américains. Il s’agissait de constructions en carton aggloméré préfabriqué, de peu de m2. On les appelle les «baraquements américains». Outre ces baraquements provisoires, des maisons en bois définitives (60 maisons suédoises, des maisons finlandaises) ainsi que des maisons en pierre (les maisons d’état) françaises et les maisons américaines à charpente métallique (stran steel) furent édifiées entre 1946 et 1948. Fabriquées pour durer, certaines d’entre elles existent encore. À Caen, les baraquements américains, conçus comme des constructions provisoires, ont tout naturellement disparus. Comme un objet trouvé, un seul a survécu dans la cour de l’ancienne école des beaux-arts, rue de Geôle. L’école des beaux-arts, aujourd’hui devenue l’Esam, a déménagé il y a peu. Le baraquement américain et le bâtiment de l’ancienne école sont aujourd’hui vides, en attente de reconversion ou d’une probable démolition.» La Soupe américaine / The American Soup L’installation in-situ et le film réalisés par Jordi Colomer pour le FRAC Basse-Normandie gravitent donc autour d’un point central que constitue l’architecture singulière des préfabriqués américains nommés UK100. Ces logements dessinés entre 1942 et 1945 par le Building Research Establishment et la Federal Public Housing Authority américains, devaient Jordi Colomer, dessin préparatoire au projet La Soupe initialement être achetés par le Royaume-Uni pour y être installés, d’où américaine/The American Soup, 2012 leurs initiales UK. Jugée trop coûteuse par les autorités anglaises, la commande est finalement reprise par les Français pour loger dans l’urgence les victimes des bombardements. Il en arrive plus de 8000 sur le territoire qui sont implantés dans les zones les plus sinistrées; des villes comme Boulogne-sur-Mer, Le Havre, Caen, Lorient ou Pont-Audemer en reçoivent. Cette dernière commune regroupe d’ailleurs un nombre important de ces maisons américaines encore habitées et a donc logiquement accueilli le tournage du film La Soupe américaine / The American Soup. Ces unités d’habitation temporaires réalisées en carton aggloméré arrivaient par bateau, en kit, prêtes à être montées. Elles étaient pourvues des dernières innovations en matière d’aménagement d’intérieur et d’équipement ménager et représentaient les versions à bas prix des maisons de la Middle Class américaine, elles-mêmes dérivées des villas californiennes pour milliardaires. Elles sont le symbole du progrès imaginé par l’élite et décliné dans ses versions low cost. Ces constructions condensent aussi les caractéristiques de la modernité: fabrication en série, modules préfabriqués, transport, montage par éléments, confort d’intérieur mais aussi économie des matières et des énergies. C’est donc à partir de cette architecture symboliquement très marquée et d’une œuvre de Bill Owens, S-29 Tupperware de 1972, choisie dans la collection du Frac, que Jordi Colomer imagine un film dans lequel se côtoient prises de vues contemporaines et images d’archives. Composé d’images tournées dans des maisons américaines ayant survécu au passage du temps et d’images d’archives filmées dans des cités similaires une cinquantaine d’années auparavant, le film trouble d’abord par le mélange des genres et des époques. Ces archives que l’on pourrait penser à même de témoigner au plus juste de l’histoire de la reconstruction et de l’arrivée de ces nouveaux logements sur le territoire européen sont en fait des mises en scène produites par la télévision française pour promouvoir ces nouvelles Notice de montage, archives nationales de Fontainebleau architectures et ces nouveaux styles de vie à la fin des années 40. Dans un premier temps, le film invite le spectateur à réévaluer les genres cinématographiques que sont le documentaire et la fiction tout en interrogeant leur capacité à raconter la réalité. Alternant noir et blanc et couleur, ces architectures constituent aussi le décor principal du film et jouent presque le rôle d’un personnage à part entière ouvrant sur une succession de temporalités. Elles sont le fil conducteur sur lequel se greffent des récits fragmentaires que chacun pourra s’approprier. À titre d’exemple, l’histoire de l’aviateur qui invente une soupe alors qu’il s’est écrasé en pleine forêt (raconté par le chef cuisinier) est un clin d’œil au mythe qui accompagna la démarche artistique de Joseph Beuys à partir des années 50. Récits qui font aussi écho au dialogue des trois femmes évoquant un fils pilote dans l’armée de l’air, rejouant lui-même une situation sociale d’un enfant et de sa mère éloignés par la guerre, contexte dans lequel ont été construites ces maisons... On pourrait tenter de décrire cet emboîtement vertigineux de citations et d’emprunts, de clins d’œil et d’échos, ces récits imbriqués sur le principe des poupées russes jusqu’à en perdre pieds tant la complexité des choix qui ont présidés à la réalisation de ce film est grande, mais laissons à chacun le choix de l’appropriation et de l’interprétation de ce mille feuille-gourmand. Empruntée à la photographie de Bill Owens présentée dans la salle de projection, une scène d’intérieur réactivant une réunion Tupperware autour d’un chef cuisinier constitue le S-29 Tupperware, 1972, Photographie noir et blanc, 25 x 33,6 cm, nœud principal du film. Au-delà de l’aspect convivial et coloré Collection Frac Basse-Normandie de la scène d’intérieur, est évoqué par la présence d’une multitude de boîtes en plastique, l’arrivée d’un modèle socio-économique dont le but est de rassembler un certain nombre d’amis et de connaissances à son domicile afin de vendre des objets. Ce nouveau modèle de sociabilité se déploie en Europe dans la période d’après-guerre et entraîne avec lui de nouvelles manières de vivre l’architecture et d’utiliser les intérieurs domestiques. Sur le mode de l’absurde et avec beaucoup d’humour, Jordi Colomer livre sa version de la rencontre entre deux formes d’organisation du social, l’architecture et un modèle économique, toutes deux contemporaines. Ce décalage par l’absurde entretien une distance critique avec l’ensemble des composantes du film : des procédés cinématographiques utilisés aux ressorts de la narration, en passant par la mise en exposition. Dans cette perspective, il n’est pas anodin que les premiers éléments qui accueillent le visiteur de cette installation insitu soient des portes et des fenêtres prélevées sur l’un des derniers préfabriqués UK100 de Caen avant sa démolition. Posés à même le sol et appuyés au mur comme de simples éléments d’un décor potentiel, éclairé par des projecteurs de théâtre, leur présence interroge différents modes temporels, entre préfabriqués prêts à la construction et ruines d’un passé historique et architectural, invitant le public à choisir le statut de ces éléments en s’impliquant encore dans le processus de signification. De plus, les œuvres de la collection du Frac qui apparaissent dans le film sont exposées à l’étage (Renaud AugusteDormeuil, François Curlet, George Dupin, Benoit Grimbert, Raymond Hains, Didier Marcel, Bill Owens, Martha Rosler et Sophie Ristelhueber). Elles ont cette capacité à creuser encore l’image filmée et le décor en ouvrant d’autres portes sur d’autres récits potentiels, d’autres temporalités dans cette installation in-situ résolument polysémique qui multiplie les liens entre art, guerre et architecture. Michel Blazy est aussi présent sur invitation de Jordi Colomer avec une pièce spécialement créée pour cette salle et une œuvre éphémère visible dans le film, renforçant encore ce cadre de temporalités dilatées dans lequel s’inscrivent tous les éléments de l’exposition. Enfin, Jordi Colmer propose une autre manière d’habiter et de vivre l’architecture lors de rendez-vous réguliers qui ont lieu au Frac BasseNormandie pour les soirées Pré-fab / Prefab. À l’étage du FRAC, la présentation d’œuvre de la collection, la scénographie (estrade, chaises, projecteurs) ainsi qu’un mur recouvert d’agar-agar et de neige artificielle irisée, préparé par Michel Blazy, accueillent des interventions Soirée Pré-Fab / Prefab #1 - Vernissage artistiques (performances, conférences, concerts et récitations Romuald Duma-Jandolo et Renaud Jaillette, performance poétiques). Celles-ci réinscrivent l’exposition dans un devenir tout en Informulée ouvrant sur un contexte artistique local et international. Les œuvres de la collection Ordre d’apparition de droite à gauche dans l’exposition DANS LE FILM Raymond HAINS Né en 1926 à Saint-Brieuc - Paris, 2005. Sans titre, 1976 Affiche déchirée sur tôle, 100 x 91 cm, Collection Frac BN Les affiches lacérées, les tôles et les palissades comportant des traces d’affichage, de Raymond Hains, sont emblématiques du mouvement des « Nouveaux Réalistes », crée en 1960. C’est au début des années 50, en compagnie de Jacques Villeglé, qu’il commence par collecter des affiches publicitaires, collées par des anonymes, dans les rues de Paris. Dix ans plus tard, ils exposent leurs trouvailles sous le titre « Loi du 29 juillet 1881 », en référence à la législation du droit de l’affichage public. Peu à peu, Raymond Hains prend ses distances avec le mouvement pour poursuivre une recherche personnelle autour des calembours et autres jeux de langage. Au-delà de la notoriété des affiches lacérées, l’œuvre multiforme de Raymond Hains (photographie, cinéma, objet, jeux de mots) se trouve quelque peu occultée. En dérobant ces affiches à la rue, Raymond Hains choisit de conserver la trace vulgaire et abandonnée d’un morceau de ville, une manière d’arrêter un moment de modernité dans ce qu’elle a de plus imparfait tout en lui reconnaissant une fonction du vivant. Ces fragments du réel offrent un double langage, l’un social, l’autre artistique, tout en délivrant un message disparate, désordonné, incohérent, mutilé. DANS LE FILM Bill OWENS Né en 1938 à San José (Californie), vit et travaille à San Francisco (Californie). * Extrait de La banlieue américaine de Bill Owens. Présentation de l’exposition « Bill Owens », CPIF (Centre photographique de l’Ile de France) , 1998 Bill Owens commence sa carrière en 1968 comme photographe de presse. Dans ce cadre il produit de nombreuses images d’enquête documentaire qu’il publiera en livres entre 1972 et 1976 : Suburbia, Our Kind of People, Working. Chaque ouvrage présente un aspect différent des Etats-Unis, la banlieue et ses habitants, les fêtes et les loisirs collectifs, l’univers du travail. Dans les années 70, la concurrence de la télévision plonge l’activité de la presse écrite locale et du reportage photos dans une grave crise, Bill Owens S-67 Fourteen years ago, 1972, Photographie noir abandonne alors son activité de photojournaliste pour celle de brasseur, plus et blanc, 21 x 32 cm lucrative. Son travail restera toutefois dans les mémoires et des cinéastes Collection Frac Basse-Normandie tels Steven Spielberg ou Tim Burton s’en inspireront dans certains de leurs films. Cette notoriété est justifiée par la justesse et l’acuité de son témoignage documentaire, qualités que détaille Yannick Vigouroux dans sa présentation de l’artiste : « Bill Owens ne juge personne. Son regard est fraternel. Ce n’est pas avec condescendance mais avec un amusement certain qu’il photographie une réunion Tupperware. La jeune femme qui présente les produits dans son salon confie qu’elle aime organiser ces rendez-vous, parce qu’ils lui permettent de retrouver ses amies pour discuter. C’est aussi ce que semble suggérer le photographe : peu importe le prétexte des réunions, le plus important est la permanence du lien social et l’adhésion des individus à des valeurs communes, que ce soit en banlieue,dans les associations ou dans le monde du travail/ …/ Le regard de Owens, à la fois proche du sujet et doucement distancé parce que documentaire, n’est pas extérieur – à quelques exceptions près – ou inquisiteur. Le reporter est pleinement conscient de faire partie de la communauté qu’il photographie et affirme la légitimité de ses bonheurs simples qui lui sont devenus si familiers. Il nous convie, spectateurs guidés par son « regard caméra », à une visite de voisinage qui semble ouvrir les portes d’un rêve américain bien palpable. »* DANS LE FILM Sophie RISTELHUEBER Née en 1949 à Paris, vit et travaille à Paris. « Territoires cicatrisés » et « frontière » sont deux notions autour desquelles s’articule l’œuvre photographique de Sophie Ristelhueber depuis le début des années 1980. « Territoires cicatrisés » pour le sujet que choisit l’artiste, celui de la trace, de la marque d’une violence qui affecte des corps ou des lieux. « Frontière » pour les pôles géographiques ou géopolitiques difficiles mis en exergue ; mais « frontière » également pour le contenu des images quand celles-ci sont à la lisière de la fiction et de la réalité ; de l’abstraction des formes oscillant entre beauté et cruauté. L’artiste utilise la photographie comme moyen de mise à distance, comme outil du voir autour de situations particulièrement Fait (n°43), 1991,Photographie sur papier chargées, mais ramenées pourtant à une simple mise au monde de formes. RC contrecollée sur aluminium La série Fait (1992) revient à la question de la guerre et de ses représentations dans le 100,5 x 125,5 monde actuel. En octobre 1991, peu après la fin des combats de la première guerre du Collection Frac Basse-Normandie Golfe, Sophie Ristelhueber parcourt et survole le désert du Koweit, elle y relève les signes pétrifiés ou noircis de la destruction. De toutes ses prises de vue, elle en garde soixante et onze à mettre dans son livre au format de poche. Sophie Ristelhueber nous propose une conception de la photographie distanciée, refusant tout effet spectaculaire comme toute anecdote. DANS LE FILM Didier MARCEL Né en 1961 à Besançon, vit et travaille à Dijon. De l’outil au véhicule de série, de l’architecture industrielle au décor rural, l’œuvre de Didier Marcel est la (re)découverte d’un paysage rural et industriel à travers des images, indices et textures connus de tous. Dans un « processus implacable de contrôle de l’espace » selon Eric Troncy, l’artiste associe les contraires en maniant les jeux d’échelle, les formes et les paradoxes. Dans certaines de ses œuvres figurant des ruines et des vestiges, marques de l’effondrement, la temporalité devient celle du rappel et de la commémoration, évoquant la notion de ruins in reverse de Robert Smithson dans les années 1970. Les maquettes, outils de prévisualisation d’un édifice à venir, Sans titre (Prefab Church, d’après E. Tabuchi), 2009. Oeuvre en 3 dimensions, installation avec du mouvement. deviennent chez Didier Marcel des outils de modélisation du banal. Maquette tournante fixé sur un pied en acier. Réalisée dans la continuité d’une série de travaux débutée en Maquette en résine acrylique teintée, laiton, avec système 1993, cette maquette reprend une photographie de l’artiste Eric rotatif débrayable. Support en acier galvanisé sondé. Tabuchi intitulée Prefab church. Les matériaux utilisés par Didier 150 x 75 x 50 cm, Collection Frac BN Marcel évoquent ceux des bâtiments d’élevage intensif, alors que la croix est une image fantôme transformant « ce local en un lieu de culte étrange » (D. Marcel, avril 2010). Le système rotatif intégré renvoie aux procédures de présentation de type commercial, art de la vitrine et du produit. DANS LE FILM François CURLET Né en 1967 à Paris, vit à Piacé et Bruxelles. * terme proposé par Paul Crutzen pour désigner la nouvelle ère géologique dans laquelle nous sommes entrés (Vincent Pécoil) Des questions visuelles sont posées sur des objets de notre environnement. Pas des objets sacrés, mais plutôt liés à la propagation industrielle et publicitaire. Des objets ou des choses qui nous façonnent, un peu comme des outils mentaux qui nous travaillent en permanence. J’interroge ces outils d’un point de vue presque anthropologique (mag.Victoire, 2008). Voici comment François Curlet définit lui-même son art. D’emblée très visuelles et marquées par une distance plein d’humour, ses œuvres s’emploient à déstabiliser les certitudes quant aux signes de tout type qui Bunker pour six oeufs, 2011, béton, constituent le monde post-industriel et domestique, qui formatent l’individu comme de œufs frais, 17 x 20 x 40 cm Collection Frac BN réels déterminismes. En cela, son œuvre perpétue celles engagées par Broodthaers ou Filliou, subtils interstices entre le conceptuel radical et la mise à distance par le trait d’esprit. Ces oeuvres offrent des collisions incongrues entre des formes et le sens qu’on leur attribue initialement. « Dans toutes ses œuvres, il touche des vérités actuelles – en nous faisant réfléchir, par exemple à l’impact qu’aurait le fait de porter une djellaba Nike à Badgad ou à Miami » (Jeff Rian, « Objets mnémoniques », Spezialität, 2007). L’œuvre Bunker pour six oeufs porte en elle cette incongruité, à la fois abri de couvade pour œufs alignés comme dans une boîte à œufs suggérant leur production en série et espace de camouflage de guerre. Ces deux référents identifiés et catégorisés dans la mémoire collective forment un objet non identifié, comme un « vestige possible de l’ère industrielle » pour reprendre les propos de Vincent Pécoil à propos de l’œuvre de Curlet. « Rassemblées, continue Vincent Pécoil, ces oeuvres semblent être les éléments d’une collection d’un museum d’histoire naturelle d’un genre nouveau, quelque chose qui serait un musée de “l’anthropocène”* » (Vincent Pécoil, « l’art de l’Anthropocène », Spezialität, 2007). DANS LE FILM Martha ROSLER Née en 1943 à New York, vit et travaille à New York. La position de Martha Rosler se veut, dès ses débuts, au milieu des années 60, engagée et contestataire avec une critique sans concession de l’évolution de la société contemporaine des années soixante-dix à nos jours. Par ses œuvres, elle dénonce les réalités de la guerre avec des photomontages incisifs et l’American Way of Life avec des installations critiques. Martha Rosler va sur le terrain des médias, celui-là même qui véhicule les déterminismes de la société américaine de l’époque, et inonde la culture occidentale. Le photomontage Photo-Op est issu de la série “ Bringing the War Home : House Beautiful ” (2004). Une première série du même nom réalisée entre 1967 et 1972 donnait à voir des images de guerre du Vietnam qui s’immisçaient dans les foyers modèle de l’American Way of Life. Martha Rosler réitère son propos avec une autre actualité, l’Irak. L’impact visuel en est le même : la réalité de la guerre à partir d’images d’actualité (télévision, journaux) intégrée à la vie quotidienne, dans les décors les plus triviaux et les activités les plus banales, crée une tension insupportable. Photo-Op, from the new series Bringing the War Home : House Beautiful, 2004, Photographie, photomontage Photomontage imprimé comme photo couleur, 51 x 61 cm,Collection Frac BN George DUPIN Né en 1966 au Havre, Les photographies de George Dupin relèvent d’une démarche documentaire mais vit et travaille à Paris. à la différence du photo-reportage, il fait de ses images la matière d’un projet délibérément inscrit dans l’espace de l’art, où le choix des lieux d’investigation, du temps de réalisation, du mode de présentation, de la finalité de l’échange atteste de sa façon de penser le monde. Les lieux de Georges Dupin : Caracas, Jérusalem, Le Havre, Berlin. Des villes dont Sylvaine Bulle, historienne et sociologue, écrit qu’on y « perçoit ce que l’histoire fait à l’espace, une histoire singulière et universelle, avec l’inscription de phénomènes les plus contemporains : globalisation, fragmentation sociale, guerres et crises. » La présentation de photographies des territoires se présente selon deux modes, Big Jérusalem, 1998-2003, celui de l’exposition où elles composent un atlas en cours ou chaque élément doit 24 photographies couleur x 39 cm chacune constituer « un indice, un révélateur produisant des effets de connaissance ou sur la 26 6 photographies couleur connaissance. ». L’autre mode expérimenté par George Dupin est celui d’un journal 56 x 70 cm chacune Collection Frac Basse-Normandie intitulé Des actualités. Trente photographies composent l’ensemble Big Jérusalem de la collection du Frac Basse-Normandie, elles sont issues de deux campagnes de prises de vues l’une de 1998 l’autre de 2003 dans la même zone géographique de Jérusalem-Est. En portant son choix d’investigation sur une ligne de fracture aussi symbolique que Jérusalem-Est, George Dupin détaille un certain état du monde, celui d’une lutte permanente pour une légitimation d’un territoire qu’il soit naturel, économique, ou symbolique, dont les traces les plus violentes se lisent dans le paysage des villes. Renaud AUGUSTE-DORMEUIL Né en 1968 à Neuilly-sur-Seine, vit et travaille à Paris. Si les œuvres de Renaud Auguste-Dormeuil sont fortement marquées par un sens politique et un regard sur l’histoire contemporaine, elles vont au-delà du simple constat et s’attachent à révéler le mode opératoire de toute logique sécuritaire, celui de l’anticipation. Ainsi dans la vidéo Hôtel de transmission (2003), l’artiste filme froidement depuis une chambre d’hôtel les cibles potentielles d’un attentat. Il réalise un prototype de vélo Contre projet Panopticon (2001) muni de miroirs qui empêchent tout repérage du cycliste, ces derniers réfléchissant le sol qui l’entoure. Le projet The Day Before_Star System reprend cette composante de l’anticipation en reproduisant des vues informatisées de nuits étoilées précédant les jours de catastrophes (Caen, le 5 juin 1944, New York, le 10 septembre 2001, Guernica le 25 avril 1937). En écho à l’œuvre de Picasso, Guernica, elles soulèvent la cruauté de ceux qui savaient face à des victimes qui ignoraient leur devenir immédiat. Par ailleurs, Renaud Auguste-Dormeuil joue de l’ambivalence entre l’esthétique révélée de ces images, véritables paysages célestes, et la cruauté de ce qu’elles sous-tendent. DANS LE FILM Benoit GRIMBERT Né en 1969 à Mantes-la-Jolie, vit et travaille à Paris Sans titre 012, Caen, de la série Normandie, 2004 - 2006, Tirage argentique contrecollé sur aluminium, 50 x 50 cm, Collection Frac BN The Day Before_Star System_ Caen_June 05,1944_23:59, 2004 Impression jet d’encre marouflée sur aluminium 170 x 150 cm Collection Frac BN *David Benasayag, Paysages de la Reconstruction, in Normandie pittoresque, Silvana Editoriale, Milan (IT), 2009 « En 2005, Benoit Grimbert a parcouru la Normandie sur une période de six mois, guidé par le répertoire des sites établi dans les années 1950 par le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU), dont certains avaient été en leur temps photographiés. Pour autant, il ne s’agissait en rien d’une reconduction, mais bien de s’attacher aux paysages urbains contemporains. Le travail de Benoit Grimbert ne porte donc pas sur des bâtiments emblématiques de cette période, ni même sur l’architecture. Il traite de la présence, évidente ou discrète, de la Reconstruction à travers le territoire normand, des villages aux capitales régionales. Une telle entreprise implique la prise en considération d’une réalité historique visible, sans la présenter de manière spectaculaire.»* INFORMATIONS PRATIQUES SUR L’EXPOSITION Exposition du 19 avril au 23 août 2013 Ouvert tous les jours de 14h à 18h sauf le 14 juillet Entrée libre / Free admission Ponctuée par les Soirées Pré-Fab / Prefab Visites commentées de l’exposition : Public scolaire et jeune public : Mathilde Johan / 02 31 93 92 41 / [email protected] Public de l’enseignement supérieur, associations, entreprises : Antoine Huet / 02 31 93 92 95 / antoine.huet@ frac-bn.org PROCHAINEMENT AU FRAC BASSE-NORMANDIE LES SOIRÉES PRÉ-FAB / PREFAB PAR JORDI COLOMER POUR LES 30 ANS DES FRAC Proposées par Jordi Colomer, les soirées Pré-fab / Prefab sont conçues comme une suite logique de l’exposition La Soupe américaine / The American Soup et dans la perspective du film du même nom. Ces soirées au Frac BN verront se succéder performeurs, conférenciers, poètes et musiciens, dont les pratiques « hors cadre » nécessitent une réception de l’instant. À l’étage, sont disposés des chaises, un estrade, des projecteurs et une sélection d’oeuvres de la collection du FRAC. Elles sont aux côtés d’un mur recouvert d’un mélange de neige artificielle irisée et d’agar-agar, intervention de Michel Blazy, qui crée une ambiance de fête kitsch et hors du temps. Ce mur, composé d’éléments végétaux, se transformera au cours de l’exposition. Hommage à trente années de programmation artistique en région et clin d’œil à des soirées atypiques comme Boucles d’or, En échanges, les cafés Hiatus et nombre de cartes blanches aux artistes de la collection, les soirées Pré-fab / Prefab réinscrivent l’exposition dans un devenir. Jeudi 18 avril / jeudi 6 juin / vendredi 21 juin / samedi 29 juin / jeudi 4 juillet à 19h EXPOSITIONS HORS LES MURS SPENCER FINCH / PEINDRE L’AIR / NORMANDIE IMPRESSIONNISME AU PAVILLON DE NORMANDIE, Quai François Mitterrand, 14000 Cean exposition du 1er juin au 23 août 2013 / vernissage le vendredi 31 mai 2013 à 18h30 tous les jours sauf le 14 juillet, entrée libre de 14h à 19h À PLAT / Collection FRAC Basse-Normandie Sylvie FANCHON, Vera MOLNAR, François MORELLET Dans le cadre du réseau d’espace d’art actuel en collèges et lycées / exposition du 14 mai au 21 juin / Collège Challemel Lacour, Avranches (50) / Tel. 02 33 58 08 22 9 rue Vaubenard 14000 Caen +33 (0)2 31 93 09 00 www.frac-bn.org