NOSFERATU (Allemagne, 1922) un film de Friedrich - o-zone

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NOSFERATU (Allemagne, 1922) un film de Friedrich - o-zone
NOSFERATU (Allemagne, 1922)
un film de Friedrich Wilhelm Murnau
Comme classique du mois de janvier, le film-clé et inaugural de l'histoire du cinéma d'horreur,
Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau. Oeuvre à la fois emblématique et particulière d'un courant majeur de l'histoire du septième art, l'expressionnisme allemand, première adaptation cinématographique du Dracula de Bram Stoker, mais aussi œuvre fondatrice et personnelle, fortement imprégnée du contexte culturel et politique de l'Allemagne des années vingt, que certains
ont vu comme une préfiguration de l'horreur nazie.
À l'occasion de la sortie du film Shadow of the Vampire (voir notre critique), hommage au chefd'oeuvre de Murnau, aux films de vampires, à l'expressionnisme allemand et film dans le film,
portrait d'un film marquant d'une époque (le cinéma muet), d'un genre (le film d'horreur) et d'un
courant (l'expressionnisme).
Une adaptation trafiquée et illégale du Dracula de Bram Stoker
Projeté pour la première fois le 5 mars 1922 à Berlin sous le titre Nosferatu, Eine Symphonie Des
Grauens, "une symphonie de l'horreur", le film de Murnau est bien sûr d'abord et avant tout la
première adaptation cinématographique du célèbre roman Dracula de Bram Stoker, paru en
1897. Bien qu'il ait connu auparavant quelques adaptations pour le théâtre (dont certaines supervisées par Stoker lui-même), Nosferatu est le film que l'histoire aura reconnu comme l'inauguration du personnage de Dracula au cinéma (quoique certains spécialistes mentionnent des films roumains notamment ! - aujourd'hui perdus et qui auraient précédé celui de Murnau).
Or la version de Murnau est une version non approuvée et trafiquée. S'ils effectuent quelques
modifications en regard de l'histoire originale, le réalisateur et son scénariste Henrik Galeen
reprennent la structure, les personnages et les situations essentielles du roman, masquant le tout
en changeant le nom des personnages : ainsi Dracula, jamais nommé ainsi dans le film, devient
le comte Orlock, alias Nosferatu, signifiant "non-mort" (terme employé dans le roman original
pour caractériser Dracula), Jonathan Harker devient Thomas Hutter et Mina, Ellen. Ces stratagèmes scénaristiques n'empêchent bien sûr pas les connaisseurs de reconnaître immédiatement ce
film pour ce qu'il est - une adaptation romanesque issue tout droit de Stoker - et la veuve de
Stoker (décédé en 1912), Florence, entreprend une véritable lutte judiciaire contre le film dans le
but de le faire interdire et même détruire. Ce qui n'empêchera pas Nosferatu de parvenir jusqu'à
nous, le film étant notamment appuyé dès cette époque par un comité de défense qui se voue à
la protection et à assurer la pérennité du film.
Le réalisateur : Friedrich Wilhelm Murnau (1888-1931)
Murnau est considéré par l'ensemble des critiques et spécialistes du cinéma comme l'un des plus
grands maîtres du septième art. Venu du théâtre et associé à l'expressionnisme allemand, il
signe son premier film en 1919, poursuivant dans la voie tracée par Le Cabinet du docteur
Caligari de Robert Wiene. C'est avec Nosferatu, en 1922, qu'il se démarque du courant en adoptant les décors naturels. En 1924, il signe un autre chef-d'oeuvre, Le Dernier des hommes, qui
fait une si forte impression que Hollywood l'invite à poursuivre sa carrière aux États-Unis, comme
tant d'autres européens avant et après lui, dont ses confrères Pabst et bien sûr Fritz Lang,
grands maîtres de l'expressionnisme allemand. Il accepte, et sa première réalisation hollywoodienne, Sunrise (L'Aurore), en 1927, est unanimement considérée encore aujourd'hui comme l'un
des plus grands films des années 20. Il signera ensuite trois autres films, dont le célèbre Tabou,
en tandem avec Robert Flaherty, filmé en Polynésie et autre grand classique du cinéma. Son
œuvre est brutalement interrompue la même année, en 1931, lorsqu'il meurt dans un accident de
voiture. Il laisse derrière lui une œuvre foisonnante que les critiques et spécialistes ne cessent de
célébrer et analyser.
Une interprétation psychanalytique
Nosferatu invite à une lecture psychanalytique. Les schémas et concepts freudiens s'appliquent à
merveille sur le film, comme l'ont démontré nombre de spécialistes. Les trois personnages principaux - Nosferatu le vampire (Dracula), Ellen (Mina) et Hutter (Jonathan) représentent les trois
niveaux de conscience de l'individu, respectivement le Ça, le Moi et le Surmoi. Nosferatu, créature des rêves et de la nuit, incarne bien sûr les pulsions, les instincts et l'inconscient, principalement les deux pôles fondamentaux, Eros et Thanatos, sexe et mort, pulsion de vie et pulsion de
mort. C'est le Ça le plus pur, entièrement désir et forces primaires. Il est l'exact envers de Hutter Jonathan Harker, qui incarne la droiture, la retenue, la logique, l'aspect légal aussi bien sûr de
par son métier. Il est le Surmoi idéal, qui a refoulé tous ses désirs et toutes les forces obscures
qui l'habitent. Entre les deux, Ellen - Mina, le Moi, qui incarne l'équilibre de ces forces, à la fois
attirée et fascinée par le désir et l'amour mais aussi consciente, lucide et habitée de valeurs.
Vu sous cet angle, tout le film peut être lu comme une quête initiatique de Hutter, dont le séjour
dans les Carpathes chez Nosferatu est en fait une descente dans son propre inconscient, à la
rencontre de ses véritables pulsions qui émergent : sexualité et pulsions de mort (le film insiste
sur les pulsions de mort, les versions subséquentes insisteront davantage sur les pulsions
sexuelles). Le passage du pont, lorsque Hutter arrive au château du comte - élément typique
dans toute mythologie - est d'ailleurs une séquence qui invite explicitement à cette lecture.
Nosferatu et Hutter ne font ainsi qu'un, et seule Ellen pourra rétablir l'équilibre en éliminant le
monstre, l'attirant dans son lit pour mieux le piéger. Il sera tué par le soleil : encore une fois rencontre des pôles antagonistes, soleil (lumière) et ombre, sexe (désir) et mort.
Une interprétation politique et prophétique
Sous un tout autre éclairage, plusieurs interprètes soulignent la dimension politique et sociale du
film, comme métaphore de la société allemande des années vingt. Cet angle d'analyse est lui
aussi fort pertinent et fécond, d'autant plus que l'expressionnisme allemand est un courant fortement imprégné du contexte social et culturel de l'Allemagne post-Première Guerre mondiale, alimenté par un profond dégoût et une révolte viscérale nourris par les horreurs de la guerre et les
retombées de la défaite allemande.
Certains voient en Nosferatu une préfiguration de l'horreur nazie, comme Metropolis était une
préfiguration de l'aliénation de la société moderne. Le Nosferatu de Murnau et Schreck, par ses
allures cadavériques, évoque effectivement très fortement le physique des victimes de
l'Holocauste et des camps de concentration, et le spectre mortifère qui habite le film offre de fortes résonances avec l'ombre des charniers à venir. Nosferatu peut alors apparaître comme une
formidable métaphore de l'ombre de la mort qui avance sur l'Allemagne. D'autres analystes
offrent une version aux antipodes de cette interprétation, donnant même au film de Murnau une
teinte antisémite très prégnante à l'époque en Europe. Sous cet angle, Nosferatu possède plusieurs traits que les caricatures dénigrant les Juifs à l'époque exploitaient ad nauseam, notamment dans les caractéristiques physiques du monstre. L'arrivée de Nosferatu par bateau en
Allemagne dans le but de s'y installer et sa volonté de vampirisation appuient cette thèse et
offrent effectivement des similitudes frappantes avec les arguments antisémites typiques de l'époque. De là à dire que le Nosferatu de Murnau dissimule de forts relents d'antisémitisme, il n'y a
qu'un pas, et plusieurs critiques n'hésitent pas à le franchir. On voit donc à quel point un film en
apparence aussi éloigné de la réalité et plongé dans l'imaginaire et le fantastique peut en fait porter en lui toutes les contradictions et tous les déchirements fondamentaux d'une époque.
Max Schreck, premier Dracula au cinéma
C'est à l'acteur allemand Max Schreck que revient l'insigne honneur de la première interprétation
du comte au cinéma. Celui-ci aura incarné, de l'avis presque unanime, la version la plus repoussante et cauchemardesque d'un personnage que Stoker lui-même présentait pourtant comme
fort, imposant et robuste. Le Nosferatu de Schreck est au contraire hideux, voûté et squelettique,
suscitant frayeur et répulsion par son allure grotesque, loin des interprétations plus élégantes de
ceux qui prendront la relève - de Bela Lugosi jusqu'à Gary Oldman. Il est en cela un personnage
typique de l'imaginaire cauchemardesque expressionniste et la marque personnelle donnée par
Murnau, très près des personnages morbides de Munch.
Les rumeurs superstitieuses qui ont entouré l'identité de Max Schreck - entourant le fait qu'il
serait un véritable vampire - étaient bien sûr inventées de toutes pièces et destinées à assurer le
succès du film. Le film-hommage Shadow of the Vampire est d'ailleurs entièrement construit
autour de ce mythe (voir critique). Schreck, dont c'est bien le nom authentique (le mot signifie
"effroi", belle prédestination !), est un acteur qui a fait sa marque dans plus d'une vingtaine de
pièces de théâtre et de films des années vingt. Le seul rôle de Nosferatu lui aura assuré pérennité. Et son interprétation repoussante et fascinante à la fois est inscrite à jamais dans l'histoire
du cinéma. Klaus Kinski, dans Nosferatu, fantôme de la nuit, et Willem Dafoe, dans Shadow of
the Vampire, lui auront rendu un impressionnant hommage.
Les différentes copies de Nosferatu... et son accompagnement musical
Attention aux différentes copies de Nosferatu circulant sur le marché ! Plusieurs d'entre elles ne
rendent pas justice au travail de Murnau. D'abord le cinéaste n'avait pas conçu ce film simplement en noir et blanc : des copies originales retrouvées intactes ont permis de certifier que
Murnau avait magnifiquement travaillé sa symphonie horrifique selon les axes nocturne et diurne.
Les scènes de nuit avaient une teinte bleutée ; les scènes de jour, une teinte jaunâtre. Nul besoin
de dire que cela ajoute énormément de cachet et d'atmosphère au film... On pourra visionner des
copies conformes aux teintes originales du film dans la version DVD du film récemment mise en
circulation. Attention aussi aux intertitres du film: les copies américaines utilisent les noms des
personnages du roman de Bram Stoker : Dracula, Jonathan, Nina (Mina en fait). Faut-il rappeler
que jamais le Nosferatu original de Murnau n'a employé ou évoqué le terme de Dracula et que
cette utilisation des noms originaux va à l'encontre du travail de Murnau, rendu nécessaire par
l'impossibilité d'obtenir l'autorisation d'utiliser le Dracula de Stoker.
L'autre aspect fondamental concerne l'accompagnement musical du film. Plusieurs versions circulent et là aussi, il faut faire attention si l'on veut rendre justice au film. Les fanas de gothique et
de rock voudront peut-être s'offrir la version accompagnée par le groupe gothico-métal Type O
Negative (... et oui !) pour avoir un rendu plus... incisif ? Certaines copies ont pour accompagnement un jazz moderne tendance free qui, à mon humble avis, jure plutôt rudement avec l'ambiance expressionniste et glauque du film. Entre toutes, peut-être accorder privilège à la version
musicale moderne du groupe Art Zoyd conçue expressément pour accompagner le film en prestation live. Musique atmosphérique sombre avec prééminence de claviers.

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