Le Soir - enseignement Catholique

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Le Soir - enseignement Catholique
Le Soir Vendredi 18 septembre 2015
4 LABELGIQUE
Jeholet et Crucke (MR) relancent
l’idée d’une Belgique à quatre Régions
ENTITÉS FÉDÉRÉES La
Fédération Wallonie-Bruxelles serait à terme une coquille vide
A la veille des Fêtes
de Wallonie, les deux
députés wallons plaident
pour une évolution
institutionnelle de
grande ampleur.
Une logique
d’efficacité et de
transparence, disent-ils.
Des coopérations se
noueraient entre Régions, selon les besoins.
ans une carte blanche
que Le Soir publie ce
vendredi, les députés
wallons MR Pierre-Yves Jeholet
(chef de groupe) et Jean-Luc
Crucke relancent le débat sur
l’organisation de la Belgique fédérale autour de « quatre Régions fortes ». Avec pour conséquence à terme un affaiblissement du pouvoir des Communautés, voire « la disparition du
gouvernement et du Parlement
de la Fédération WallonieBruxelles au bout de la logique », commentent les élus.
Le débat n’est pas neuf. Des
régionalistes convaincus, on en
trouve dans tous les partis, idem
pour ceux qui veulent conserver
un
lien
structurel
entre
Bruxelles et la Wallonie à travers
des organes politiques communs. Mais Jeholet et Crucke
savent que le fait régional a été
consacré par la sixième réforme
de l’Etat et que l’occasion est
belle d’enfoncer le clou : « Nous
ne sommes pas dans une logique
d’opposition. Notre souhait est
d’organiser une meilleure lisibilité des institutions, une plus
grande efficacité aussi. A
Bruxelles et en Wallonie, les
francophones ont l’occasion de
prendre leur destin pleinement
en main. Ne la laissons pas passer ! Et maintenons bien sûr des
RÉACTION
Demotte (PS) :
« La Fédération,
nécessaire maillon »
D
Jeholet (à gauche) et Crucke, proches au Parlement wallon comme dans l’analyse de l’évolution du pays. © BELGA.
solidarités fortes ».
Le message se veut fort et rassurant à la fois : « Nous ne traçons pas cette piste par plaisir,
mais parce que le pays peut
mieux fonctionner de la sorte,
notamment son espace francophone. Il faut mettre un terme à
une tuyauterie qui rebute les citoyens et les investisseurs, chercher l’efficacité, le pragmatisme.
Le fait régional est une réalité
sur laquelle on ne reviendra
plus, il faut en faire un atout ».
La réflexion des deux élus libéraux conduit à un scénario
institutionnel qui reste à ce
stade de politique-fiction. En
voici toutefois les contours. Une
Belgique à quatre Régions,
d’abord : Flan-dre, Wallonie,
Bruxelles et Région germano-
phone (à l’est du pays, on est
très demandeur, faut-il le rappeler). Une Fédération WallonieBruxelles qui s’étiole : « Cela
prendra du temps, mais au bout
du compte, à l’inverse du fédéral, la Fédération sera une coquille vide de compétences. Ses
organes politiques ne seront plus
utiles ».
lien des Wallons avec les germanophones et les Bruxellois doit
être fort et qu’il faut davantage
travailler avec la Flandre,
ajoutent encore les deux élus. Il
est évident que les différentes Régions devront encore mener des
politiques communes. On n’utilise pas assez la possibilité de
conclure des accords de coopéra-
« Il est évident que les différentes régions devront
encore mener des politiques communes » CRUCKE ET JEHOLET
Etape ultime : des collaborations entre les quatre Régions,
« lorsque l’intérêt commun le réclame et selon une logique de valeur ajoutée », dit en substance
la carte blanche.
« Notre réflexion est aussi celle
de la main tendue parce que le
tion entre entités fédérées. Cela
peut pourtant s’avérer très utile
pour travailler ensemble dans le
respect des aspirations propres à
chaque Région. »
Une question aussi sensible
que l’enseignement se prêteraitelle à ces aménagements ? Jeho-
let et Crucke notent que dans un
domaine voisin, la formation en
alternance est gérée par
Bruxelles et la Wallonie, et vient
de faire l’objet d’un accord de
coopération afin d’assurer la coordination.
« Pour
l’école,
disent-ils, on peut réfléchir à un
cadre global commun sur les
programmes, mais préserver
l’autonomie des Régions sur la
question des infrastructures, par
exemple. Il ne s’agit pas de vivre
en autarcie, mais au contraire
de favoriser des collaborations
plus poussées et à géométrie variable. » ■
ERIC DEFFET
Ministre-président de la
Fédération
WallonieBruxelles,
Rudy Demotte
(PS) est bien placé pour
commenter la proposition
des députés libéraux.
« Ce débat-là est-il celui du
moment dans le contexte
politique que nous connaissons, en plein marasme socioéconomique, au milieu d’un
monde en déséquilibre ? Dans
la rue, je rencontre des gens
qui se soucient de la qualité
de l’enseignement offert à
leurs enfants, jamais de savoir
si c’est la Fédération ou la
Wallonie qui l’organise. »
« Je ne nie pas que Jeholet et
Crucke soulèvent une question
légitime de fond : comment
mieux tisser le lien entre les
institutions et les compétences
utiles aux gens ? Mais pourquoi briser le lien de solidarité
alors que la sixième réforme
de l’Etat n’est pas encore
digérée ? Je note d’ailleurs que
les présidents de parti n’ont
jamais parlé de cela lors de
leurs négociations. »
« La Fédération, c’est le
maillon physique de la solidarité entre francophones. La
bonne entente entre les Régions ou même des accords de
coopération n’auront jamais
cette dimension-là. Ce maillon
est indispensable, avec des
approches bi-régionales bien
sûr. Si on le supprime,
Bruxelles et la Wallonie perdront ensemble. »
E.D.
P.24 & 25 LA CARTE
BLANCHE DE PIERRE-YVES
JEHOLET ET JEAN-LUC CRUCKE
HOMMAGE
« Il faut une solution qui réponde au Conseil d’Etat »
Pierre Kroll et Adamo parmi
les mérites wallons 2015
ECOLE Etienne Michel (Segec) maintient que, dans le libre, la citoyenneté ne fera pas l’objet d’un cours à part
LESBRÈVES
ENTRETIEN
onformément à un projet de décret
rédigé en été, un cours de citoyenneté
va être organisé dans le réseau officiel (en
2016 au primaire, 2017 au secondaire). Le
libre, lui, enseignera aussi la citoyenneté, à
deux différences près.
A l’été, Joëlle Milquet (CDH), ministre
de l’Education, proposait un référentiel
commun à tous les réseaux (un référentiel
définit les objectifs d’un cours). Mais un
référentiel commun, ça se négocie avec
l’ensemble des acteurs. Et le PS a refusé
que l’école libre se mêle de co-rédiger le référentiel du cours de citoyenneté qui sera
dispensé dans l’officiel. On a donc décidé
que, pour le libre, les objectifs seront fixés
dans un « cadre général » – dans les faits,
ça revient au même mais l’habillage juridique devait éviter que le libre participe à
la confection du référentiel. Autre différence : si l’officiel créera un cours à part
entière, le libre déclinera la citoyenneté
dans les autres cours – religion, français,
histoire,…
On le sait : le Conseil d’Etat regrette que
le décret crée deux régimes distincts. Que
faire pour répondre à cette critique ? Le PS
juge que le libre devrait, comme l’officiel,
créer un cours de citoyenneté à part entière (quitte à réduire à 1 heure le cours de
religion). Le CDH refuse : pour lui, il suffit
de soumettre le libre à un référentiel interréseaux pour lever l’inégalité de traitement. En attendant que PS et CDH
s’alignent, nous avons interrogé Etienne
Michel, le patron du Secrétariat général de
l’enseignement catholique pour savoir ce
au Conseil d’Etat, respecte l’accord de
majorité, et respecte la Constitution – laquelle garantit la liberté pédagogique.
Cette équation, on peut la régler sans
grande difficulté.
© BELGA.
C
Pour la cinquième fois, le gouvernement wallon a remis une
série de « Mérites » à des personnalités régionales. Trois
médailles sont accordées :
celle de commandeur est la
plus prestigieuse, devant les
titres d’officier et de chevalier.
Particularités de la procédure
wallonne : les décorations
peuvent être posthumes et
peuvent aussi être attribuées à
des personnes morales. C’est
le cas cette année de la Bourse
aux dons (surplus alimentaires) ou du Vignoble des
Agaises, producteur du désormais célèbre Ruffus. La cuvée
2015 des Mérites wallons ne
récompense qu’un seul commandeur : Adamo. Les lauréats
évoluent dans tous les domaines de la société : Anne
Demelenne, Sabine Laruelle,
David Goffin et Pierre Kroll…
(E.D.)
Comment ?
En établissant un référentiel interréseaux, que nous appliquerons dans le
projet éducatif de l’école catholique,
dans les projets d’établissement et dans
nos programmes, notamment, mais pas
seulement, dans le programme de religion. Il faut une garantie – et nous
sommes disposés à la donner : l’inspection de la Communauté française doit
pouvoir demander à nos PO comment ils
mettent en œuvre le référentiel. Deux :
comme il s’agit de référentiels contraignants, il faut évaluer aussi nos élèves.
Dans le libre, la citoyenneté sera prise
avec sérieux et l’inspection pourra venir
le vérifier, dit Etienne Michel. © S. PIRAUX.
qui était, pour lui, acceptable ou non.
Quelle est votre lecture de l’avis du
conseil d’Etat ?
Ma lecture, c’est que le Conseil d’Etat dit
qu’il faut un référentiel commun à l’ensemble des réseaux. Et je n’ai pas d’objection…
Le PS lit l’avis du Conseil d’Etat comme
une invitation à créer, dans le libre, un
cours de citoyenneté à part entière.
Il faut trouver une solution qui réponde
Vous acceptez donc l’idée qu’une inspection de la Communauté contrôle le cours
de citoyenneté dans le libre ?
Le cours de religion sera l’un des lieux où
on prendra en considération les éléments de citoyenneté. C’est légitime que
l’autorité publique vérifie si les missions
d’intérêt public sont bien exécutées. C’est
d’autant plus légitime qu’elle finance ces
cours. Mais il est évident que, chez nous,
il n’y aura pas de cours de citoyenneté à
proprement parler. Nous ne couperons
pas le programme de religion en deux.
Le cours de religion est-il le lieu idéal
pour faire de la citoyenneté alors qu’elle
suppose une certaine neutralité ?
La citoyenneté est-elle nécessairement
neutre ? Bien sûr que non ! La citoyenneté renvoie toujours à des valeurs qui
n’ont rien de neutre. Un exemple : le décret Missions dit qu’il faut assurer à tous
les élèves les chances égales d’émancipation sociale. Il y a là une conception du
rôle de l’école, à laquelle nous adhérons,
mais qui n’est pas neutre – c’est un choix
de société, sous-tendu par des valeurs
comme celle de la solidarité. Autre
exemple : la démocratie. Nos sociétés démocratiques ne reposent pas seulement
sur des procédures – comme le fait
d’avoir un gouvernement élu. L’idéal démocratique repose sur des valeurs,
comme celle de l’égale dignité de tous les
êtres humains. Ce principe n’a rien de
neutre. La preuve, c’est qu’il ne se concrétise que dans certaines parties du monde
– surtout celles qui ont été imprégnées de
la tradition chrétienne. Dire que la citoyenneté devrait être neutre par essence, c’est courir le risque de couper la
démocratie d’une partie de ses propres
fondements. La démocratie repose sur
des fondements prépolitiques, dont le
dialogue qui a pu prévaloir en Occident
entre le christianisme et la tradition des
Lumières. Mais l’égale dignité des êtres
humains, c’est une valeur qui n’a rien de
neutre. Et j’espère que l’on voudra bien
rendre à la tradition chrétienne d’avoir
eu une influence dans son émergence
dans nos sociétés occidentales démocratiques. ■
Propos recueillis par
PIERRE BOUILLON
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