Mieux qu`un polar

Transcription

Mieux qu`un polar
Page trois Justice
0123
Mercredi 6 août 2008
3
Jean-Christophe Mitterrand, Jacques Attali, Charles Pasqua, Paul-Loup Sulitzer… Ce sera
le grand procès de la rentrée. Révélations sur ce trafic d’armes entre la France et l’Angola
Mieux qu’un polar : l’Angolagate
S
es 468 pages se dévorent comme
un roman. L’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris de la quarantaine de
prévenus poursuivis dans le dossier de l’Angolagate évoque à bien des
égardsl’affaire Elf. On y hume lemêmeparfum de soufre des relations franco-africaines,sur fond de corruption et dediplomatie
parallèle. L’argent s’y compte en milliards
– de francs –, voyage dans les paradis fiscaux, fait un détour par du financement
politiqueocculte et seglisse dans les poches
de personnalités. Une précaution, cependant. Ces pages, signées du juge d’instruction Philippe Courroye, reprennent largement le réquisitoire définitif et donc le
point de vue de l’accusation. Visite guidée.
Au commencement est l’Angola
Cette ancienne colonie portugaise est
déchirée par une guerre civile qui oppose le
MPLA du président élu, José Eduardo Dos
Santos, à l’Unità de son rival, Jonas Savimbi. Au début des années 1990, le premier,
qui cherche à équiper son armée, se heurte
à la diplomatie française, selon laquelle on
ne livre pas d’armes à un pays en guerre.
S’esquisse alors une diplomatie parallèle,
avec, par ordre d’entrée en scène, le fils aîné
du président, Jean-Christophe Mitterrand,
ancien membre de la cellule africaine de
l’Elysée, qui se charge de mettre en relation
le président angolais avec l’homme d’affaires Pierre Falcone, lui-même très lié à JeanCharles Marchiani, conseiller du ministre
de l’intérieur Charles Pasqua. Un contrat
de livraison d’armes est conclu en 1994
entre la société de Falcone, Brenco, et l’Angola,pourun montant de4milliards dedollars via une société slovaque, dont Arcadi
Gaydamak, ex-colonel du KGB devenu
homme d’affaires, est l’un des mandataires. Ni Alain Juppé, ministre des affaires
étrangères, ni Edouard Balladur, premier
ministre, ne sont au courant. En 2001,
après les péripéties qui vont mettre au jour
ce trafic, le ministère de la défense porte
plainte.
Une secrétaire si consciencieuse
L’instruction se cogne aux sociétés
écrans. Heureusement, il existe, chez Brenco, une collaboratrice consciencieuse, Isabelle Delubac. Lors d’une perquisition à
son domicile, les enquêteurs dénichent
26 disquettes informatiques qui contiennent tous les « mémos » rédigés à l’intention de son patron. M. Falcone lui verse,
outre un salaire de 15 000 francs par mois,
doublé en espèces, un « cadeau » de
6 500 000francs destinéà l’achatde sarésidence. Son silence est précieux.
Les visiteurs de l’avenue Kléber
Installés dans un hôtel particulier de
l’avenue Kléber dans le 16e arrondissement
de Paris, dotés d’hôtesses ravissantes, les
bureaux de Brenco reçoivent des visiteurs
réguliers. Lorsque Jean-Christophe Mit-
Pierre Falcone lors de sa convocation à la 12 e chambre correctionnelle du tribunal de Paris dans le cadre de l’affaire de la Sofremi. IP3/MAXPPP
terrand, Jean-Charles Marchiani, l’écrivain
Paul-Loup Sulitzer ou le directeur général
de RMC, Jean-Noël Tassez, sont annoncés,
lerituelest immuable.Isabelle Delubacdescend au sous-sol, où sont entreposées des
espèces, et remplit des enveloppes, sans
oublier de noter sur ses fameux « mémos »
les initiales parfois codées des bénéficiaires
ainsi que la date et le montant alloué.
Les sacs en plastique de « Galilée »
Un coup de téléphone de Mme Delubac,
une demande « 500, urgent », et Samuel
Mandelsaft, un vieil ami de M. Falcone surnommé « Galilée » dans les mémos, ne tarde pas à arriver avenue Kléber, affublé d’un
sac en plastique.
L’enquête démontrera qu’il était chargé
d’un réseau de blanchiment d’argent entre
la France et Israël. Mais, à quelques jours
de la première convocation de Pierre Falcone à la brigade financière, en novembre 2000, M. Mandelsaft se volatilise. Le
dernier achat constaté sur sa carte bleue est
un aller simple Paris-Tel Aviv.
Très cher M. Mitterrand
« Sans Jean-Christophe Mitterrand, il n’y
aurait pas eu de contrat [de vente d’armes],
de la même manière que, sans femme, il n’y
aurait pas de bébé », avait expliqué un des
prévenus aux enquêteurs. Pour avoir mis
en relation MM. Dos Santos et Falcone, le
fils de l’ancien président sera généreusement rétribué par ce dernier : 14 millions de
francs, selon l’accusation, versés sur des
comptes suisses auxquels s’ajoutent des
billets d’avion et des frais de séjour à Bali et
à Phoenix, à un moment où M. Mitterrand,
licencié de la générale des eaux – on est en
octobre 1995, son père n’est plus à l’Elysée – touche pendant un an une allocation
chômage supérieure à 300 000 francs.
Les démarches de Jacques Attali
En 1997-1998, le ministre des affaires
étrangères, Hubert Védrine, est régulière-
ment sollicité par l’avocat de Pierre Falcone, Alain Guilloux – lui-même prévenu
dans le dossier – pour trouver un arrangement concernant le redressement fiscal
signifié à la société slovaque, qui a permis le
commerce des armes avec l’Angola. « Eluder »,répondà chaque foisleministre.Invité à déjeuner chez son ami Jacques Attali,
M. Védrine y rencontre un jour Me
Guilloux, qui lui remet un nouveau dossier.
« Je préfère l’Attali intellectuel à celui qui fait
ce genre de démarche », dira aux enquêteurs
M. Védrine. Quelques mois plus tard,
M. Attali se voit confier une mission sur le
microcrédit en Angola, qui sera payée
200 000dollarsparunesociétédeM. Falcone.
Le Mérite agricole pour Gaydamak
En juillet 1996, à Toulon, Arcadi Gaydamak reçoit des mains de Jean-Charles Marchiani, alors préfet du Var, et en présence
de M. Falcone, les insignes de chevalier de
MM. Gaydamak et Falcone pour commerce illicite de matériel de guerre ? Ou n’estelle qu’un des éléments du débat juridique que le tribunal aura à trancher ?
Le parquet semble par ailleurs très sollicité pour modifier la position écrite
qu’il a prise et qui soutenait les réquisitions sur ce point. Une autre question sensible fait l’objet de « recommandations »
officieuses. En effet, une partie du dossier porte sur les commissions qu’aurait
versées M. Falcone à des officiels angolais – dont aucun n’est prévenu – en
échange de leur soutien pour l’attribution des marchés. Un sujet dont les autorités angolaises ont fait savoir qu’elles ne
souhaitaient pas voir abordé. a
l’Ordre du mérite. Cette décoration, sollicitée par le président du conseil général des
Hauts-de-Seine Charles Pasqua auprès du
président Jacques Chirac, au motif du rôle
joué par M. Gaydamak dans la libération
des pilotes français otages en Bosnie, sera
étrangement prise sur le quota du ministère de l’agriculture. Aucune enquête de
moralité n’a été conduite sur l’heureux
bénéficiaire, que les renseignements généraux présentent alors comme « l’un des
relais de la mafia russe sur notre territoire ».
Le même mois, l’association France Afrique Orient, support du mouvement
Demain la France de Charles Pasqua, reçoit
1 500 000 francs de Brenco.
Initiales « C. P. »
Endécembre 2001,les enquêteurs saisissent chez M. Marchiani un papier comportant des dates, des prénoms, des initiales,
« C.P »,le nomde Brenco, auxquels correspondent des montants accompagnés de la
mention « cash » ou « virés ». Au juge qui
l’interroge sur ces initiales, M. Marchiani
répond : « C. P, ça peut vouloir dire 36 trucs.
Chef de poste ou correspondant permanent si
c’est une opération de renseignement. Je ne
pense pas que cela peut vouloir dire Courroye
Philippe. »
Pour une « authentique justice »
En 1997, l’Association professionnelle
des magistrats (APM, droite), alors présidée par Georges Fenech, substitut général
à Lyon – devenu député UMP depuis –,
reçoit 100 000 francs de subvention de
Brenco, soit 50 % de son budget de fonctionnement. « Merci de préciser : sur ordre
dePierre Falcone »,lit-on sur l’ordre de virement. M. Fenech se fend d’une lettre de
remerciement au donateur pour son « aide
spontanée », qui permettra de défendre les
« valeurs auxquelles nous croyons », au premier rang desquelles figure la volonté de
« restaurer une authentique justice ». a
P. R.-D.
Pascale Robert-Diard
Une intervention ambiguë du ministre de la défense
C’EST LE GRAND procès de la rentrée.
Cinq mois d’une audience correctionnelle à Paris présidée par Jean-Baptiste Parlos, du 6 octobre au 4 mars, qui verront
défiler une quarantaine de prévenus, parmi lesquels Charles Pasqua, Jean-Charles
Marchiani, Jacques Attali, Jean-Christophe Mitterrand ou Paul-Loup Sulitzer,
accusés de trafic d’influence, abus de
biens sociaux ou recel, abus de confiance
ou recel aux côtés des deux hommes d’affaires Pierre Falcone et Arcadi Gaydamak, poursuivis pour trafic d’armes.
La présence de ces deux derniers sur
les bancs est en suspens. En fuite en
Israël, M. Gaydamak, sous mandat d’arrêt international, conditionne son retour
à l’engagement de ne faire l’objet d’aucu-
ne mesure coercitive. Quant à M. Falcone, placé en détention provisoire pendant un an, il a ensuite bénéficié d’une
« immunité » diplomatique en qualité de
membre de la délégation permanente de
l’Angola auprès de l’Unesco. Dès lors, il
n’a plus déféré aux convocations de la justice. Il a fait l’objet d’un mandat d’arrêt,
qui a été levé pour lui permettre d’assister au procès de la Sofremi à l’automne
2007.
Intenses tractations
Mais ce dossier de 150 tomes, qui a
nécessité sept ans d’instruction, fait surtout l’objet d’intenses tractations au sommet de l’Etat au moment où le président
Nicolas Sarkozy – qui s’est rendu en
Angola en mai – souhaite reprendre des
relations apaisées avec le président José
Dos Santos. C’est dans ce contexte qu’est
intervenue, le 11 juillet, la remise aux avocats de M. Falcone d’une lettre signée du
ministre de la défense, Hervé Morin, destinée à affaiblir la position de l’accusation en soulignant que, en l’absence de
transit par le territoire français, la législation nationale sur le commerce des
armes « ne s’applique pas à l’activité exercée par M. Falcone ». L’interprétation à
donner au contenu de cette lettre devrait
occuper une large part des débats à
l’ouverture du procès. Revient-elle, pour
le ministère de la défense, à renoncer à la
plainte qu’il avait déposée en 2001 et qui
avait entraîné la mise en examen de
CD 431 6252
Révisez vos classiques
JAMES LEVINE GERSHWIN Rhapsody in blue
Certains reprochent à l’Amérique une absence supposée d’histoire. Mais le seul XXe siècle et sa lignée de compositeurs
et chefs d’orchestre au rayonnement international démentent cette assertion. James Levine a su rendre hommage
à sa nation et au lyrisme moderne de ses compositeurs en dirigeant ses plus grands orchestres. Egalement pianiste
on l’entend ici dans une version de “Rhapsody in blue”. Après La suite orchestrale de” Porgy and Bess”, voici
“An American in Paris”, dont les couleurs restituent à l’histoire américaine ce qu’elle doit au métissage.
50 RÉFÉRENCES INDISPENSABLES, EN CD ET DVD À PRIX SPECIAL
DÉCOUVREZ DES EXTRAITS DE CET ALBUM
SUR RADIO CLASSIQUE DANS L'ÉMISSION
SUR LA ROUTE DE VOS VACANCES
TOUT L'ÉTÉ ENTRE 9H ET 12H
LES CLASSIQUES, C’EST TOUTE L’ANNÉE SUR
ARTE : MUSICA TOUS LES LUNDIS À 22H30,
MAESTRO TOUS LES DIMANCHES À 19H

Documents pareils

angolagate : un an de prison ferme à charles pasqua.

angolagate : un an de prison ferme à charles pasqua. Le sénateur Charles Pasqua a été condamné mardi à 3 ans de prison, dont 2 avec sursis, et 100.000 euros d'amende pour « trafic d'influence » par le tribunal correctionnel de Paris au procès de l'An...

Plus en détail