Les autorités égyptiennes rackettent impitoyablement les

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Les autorités égyptiennes rackettent impitoyablement les
Les autorités égyptiennes
rackettent
impitoyablement
les Palestiniens qui veulent
quitter la Bande de Gaza
Sanaa Kamal & Hunter Stuart – Les voyageurs et leurs
intermédiaires disent que l’Égypte rackette des sommes allant
jusqu’à 10 000 dollars pour vendre aux Palestiniens la
permission de traverser le poste-frontière de Rafah.
Selon les intermédiaires à Gaza qui coordonnent les versements
d’argent et selon aussi d’anciens agents des services
frontaliers palestiniens et des voyageurs, des officiers
égyptiens gagnent des pots de vin – allant jusqu’à 10.000
dollars – sur le dos des Palestiniens de Gaza, désespérés de
pouvoir quitter l’enclave côtière assiégée.
En règle générale, un adulte à Gaza doit payer un pot de vin
de 3000 dollars pour obtenir la permission de traverser la
frontière égyptienne, ont déclaré à al-Jazeera deux courtiers
palestiniens, qui ont parlé sous couvert d’anonymat. Ces
courtiers ont dit se réserver 20% de la somme, les 80%
restants allant au soldat ou à l’officier égyptien impliqué
dans la boucle.
Toujours selon les témoins, il arrive que les officiers
égyptiens inscrivent les noms de certains Palestiniens sur une
liste noire, les déclarant être une « menace pour la sécurité
». La liste interdit alors l’entrée en Égypte à ceux dont les
noms sont mentionnés, mais une somme de 10000 $ (dix-mille)
peut faire que leur nom soit effacé.
De temps en temps, d’après les courtiers, les Égyptiens
veulent des pots de vin payés en marchandises, et pas en
argent comptant.
Trafic des deux côtés de la
frontière
« Parfois, ils veulent des iPhones ou même de l’or », a
déclaré l’un des intermédiaires, connu dans la bande de Gaza
comme le « Roi de la frontière » pour sa capacité à monnayer
le passage de quasi n’importe qui.
Au cours de l’entrevue qui a duré deux heures à son bureau de
Gaza, ce courtier a reçu six appels téléphoniques de personnes
lui demandant de l’aide pour entrer en Égypte.
« Mon téléphone ne cesse jamais de sonner, » se vante-t-il.
La volonté de payer des sommes élevées pour arriver à quitter
Gaza reflète le désespoir des habitants pour échapper à
l’enclave côtière assiégée, laquelle a enduré trois grandes
opérations militaires israéliennes depuis 2008, laissant en
ruines cet endroit considéré comme le plus densément peuplé de
la terre.
L’infrastructure de Gaza est tellement endommagée qu’un
rapport des Nations Unies de l’an dernier a prédit que si les
tendances actuelles persistaient, l’enclave deviendrait
« inhabitable » d’ici 2020.
Depuis le coup d’État militaire de juillet 2013, le
gouvernement égyptien du général Abdel Fattah al-Sisi a imposé
des restrictions extrêmes sur le passage de Rafah, à la
frontière de Gaza.
Al-Sisi voit le Hamas, l’organisation qui administre Gaza,
comme une extension des Frères musulmans en Égypte – une
organisation déclarée terroriste en 2013 – et il a accusé le
Hamas de mener des attaques contre des soldats égyptiens dans
la péninsule du Sinaï. Le Hamas a toujours nié un rôle
quelconque dans ces attaques.
Dans la première moitié de 2013, lorsque Mohamed Morsi, le
président égyptien élu était au pouvoir, une moyenne de 40816
personnes avait pu passer entre Gaza et l’Égypte chaque mois.
Depuis que al-Sisi a pris le pouvoir, les responsables
égyptiens ont rarement ouvert la frontière, permettant son
fonctionnement pendant quelques jours tous les un ou deux
mois. Cette année, le nombre moyen de personnes à traverser la
frontière chaque mois est tombé à 1896, selon le Centre
juridique Gisha pour la liberté de mouvement, une organisation
indépendante basée en Israël.
Il y a environ 30000 personnes à Gaza qui ont besoin de se
rendre de toute urgence à l’étranger pour des raisons
humanitaires, très souvent afin d’obtenir des soins médicaux,
a déclaré à al-Jazeera le porte-parole de Gisha, Shai
Grunberg.
Une corruption qui tue
Mohamed Abu Abdelqader, un patient atteint de cancer et vivant
au sud de Gaza, a déclaré à al-Jazeera qu’il allait bientôt
mourir s’il était dans l’incapacité de se rendre à un hôpital
en Égypte pour recevoir un traitement approprié pour son état.
C’est en effet impossible pour lui car il n’a absolument pas
les moyens de verser 2000 ou 3000 dollars à un intermédiaire
qui assurerait son passage.
« Je n’ai pas cet argent, » dit ce fermier âgé de 55 ans, au
bord des larmes.
La seule autre option pour les Palestiniens voulant quitter la
bande de Gaza – qui est sous blocus commun égyptien et
israélien par air, terre et mer depuis 2007 – est le passage
d’Erez vers Israël puis par le pont Allenby vers la Jordanie.
Mais Israël et la Jordanie imposent conjointement de sévères
restrictions sur qui est autorisé à passer par les points de
passage d’Erez et d’Allenby.
Al Jazeera a demandé de façon répétée au gouvernement
égyptien, à la fois par téléphone et par e-mail, de faire des
commentaires, mais sans recevoir de réponse.
Pourtant, les accusations de corruption au passage de la
frontière égyptienne ne sont pas nouvelles.
Un ancien haut fonctionnaire du Hamas qui a travaillé pour le
Service des Frontières qui supervise le terminal de Rafah, a
confirmé à Al Jazeera que ce type de corruption se produit
fréquemment et que l’entreprise est devenue « une véritable
machine à faire du fric ».
L’an dernier, au cours de deux jours seulement et alors qu’il
travaillait à la frontière de Rafah, selon ce fonctionnaire
près d’un demi-million de dollars ont été payés en pots de vin
par 150 Palestiniens en échange de l’autorisation de voyager
en Égypte.
Un chantage ignoble
Le site arabophone PLS48 a récemment repris les propos de
responsables du Hamas affirmant que les officiers égyptiens
travaillant au point de passage de Rafah lors d’une ouverture
de deux jours en mai dernier, avaient insisté sur le fait que
les Palestiniens qui avaient payé des pots de vin juteux
devaient être autorisés à traverser la frontière avant ceux
qui n’avaient pu le faire. Les Égyptiens sont allés jusqu’à
fermer le terminal de passagers pendant sept heures jusqu’à ce
que leurs exigences soient satisfaites, selon les déclarations
des responsables du Hamas.
En outre, en 2009, l’Associated Press a rapporté que les
habitants de Gaza ont payé des intermédiaires palestiniens
pour faciliter leur entrée à la fois en Israël et en Égypte,
souvent par l’obtention de faux documents disant qu’ils
avaient des maladies incurables.
Le passage de Rafah est devenu une bouée de sauvetage pour
Gaza, dit Grunberg : « Il est fondamentalement le canal de
Gaza vers le reste du monde. »
Amal Mustafa, âgé de 40 ans, a dit être venue à Gaza du Koweït
en 2012 pour prendre soin de son père mourant. Elle est restée
à ses côtés pendant le coup d’État militaire en Égypte et
après la fermeture du passage de la frontière en 2013.
Son père est mort peu après, mais Amal se retrouva dans
l’impossibilité de retourner dans sa famille au Koweït. Au
début de juillet, Mustafa a payé un pot de vin de 3000 dollars
à un « coordinateur » palestinien pour organiser son voyage
vers l’Égypte. Mais quand elle est arrivée à la frontière, on
lui a dit que son nom était sur la liste noire et qu’elle
était repérée comme une menace pour la sécurité.
» Je suis juste une femme au foyer. Je n’ai jamais été
impliquée dans la politique « , dit-elle. » Je ne sais pas
pourquoi ils ont inscrit mon nom.
»
Mustafa a alors raconté que le » Roi de la frontière » lui a
dit que si elle lui versait 10000 dollars, il pourrait alors
organiser son entrée en Égypte – un montant qu’elle dit être
prête à payer, la prochaine fois que le passage s’ouvrira à
nouveau.
Pour elle, retrouver son époux et sa famille après des années
d’éloignement vaut cette somme-là…
6 août 2016 – Al-Jazeera – Traduction : Lotfallah