COUR SUPRÊME DU CANADA
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Dossier No : 34743 COUR SUPRÊME DU CANADA (EN APPEL D’UN ARRÊT DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC) ENTRE : SA MAJESTÉ LA REINE APPELANTE (Appelante) -et- STÉPHANE MCRAE INTIMÉ (Intimé) MÉMOIRE DE L’INTIMÉ Me Stéphanie Carrier 330, Route Saint-Louis St-Omer, Québec G0C 2Z0 Me Christian Deslauriers La société prof. De Christian Deslauriers Inc. 85, rue Albert, suite 800 Ottawa, Ontario, K1P 6A4 Tél : 514-886-2538 Téléc. : 514-221-2181 [email protected] Tél : 613-288-9999 Téléc : 613-237-8146 [email protected] Procureure de l’Intimé Correspondant de l’Intimé Me Sébastien Bergeron-Guyard Me Thomas Jacques Procureurs aux poursuites Criminelles et pénales Directeur des poursuites Criminelles et pénales Complexe Jules-Dallaire Tour1, bureau 500 2828, boul. Laurier Québec (Québec) G1V 0B9 Me Jean Campeau Procureur aux poursuites criminelles et pénales Directeur des poursuites criminelles et pénales Bureau 1.230 17, rue Laurier Gatineau (Québec) J8X 4C1 Tél : 418-643-9059, poste 20867 Téléc. : 418- 646-5412 [email protected] Tél : 819-776-8111, poste 60416 Téléc : 819-772-3986 [email protected] Procureurs de l’appelante Correspondant de l’appelante i Mémoire de l’Intimé Table des matières TABLE DES MATIÈRES Mémoire de l’Intimé Page PARTIE I – EXPOSÉ DE LA POSITION ET DES FAITS 1 PARTIE II – EXPOSÉ DES QUESTIONS EN LITIGE 5 PARTIE III – EXPOSÉ DES ARGUMENTS 7 A) Question 1 – La Cour d’appel a-t-elle erré en introduisant une nouelle norme juridique, ou à tout le moins un champ d’exclusion du régime de l’artile 264.1 C.cr., à savoir celui du « cercle fermé », et en statuant que des paroles menaçantes prononcées dans des circonstances où l’on suppose qu’il pourrait exister une expectative de confidentialité ne peuvent satisfaire à l’actus reus et à la mens rea de l’infraction créée à cet article? 1) Actus reus 7 7 a) Position de la Cour d’appel 10 b) Position de l’Appelante 10 i) Choix du transmettre terme ii) Analyse de l’actus reus 10 11 c) Droit applicable 12 d) Position de l’Intimé 14 i Mémoire de l’Intimé Mémoire de l’Intimé Table des matières Page 2) Mens Rea a) Position de la Cour d’appel b) Position de l’Appelante c) Position de l’Intimé 15 16 17 18 3) Conclusion quant au premier motif d’appel 22 B) Question II – La Cour d’appel a-t-elle erré en droit en érigeant au titre de moyen de défense le fait que des menaces soient proférées en raison de la frustration, de la colère ou du désir de vengeance? 23 C) Position sur la consignation de verdicts de culpabilité 25 PARTIE IV – DÉPENS 26 PARTIE V – ORDONNANCES DEMANDÉES 27 PARTIE VI – TABLE ALPHABÉTIQUE DES SOURCES 28 PARTIE VII – LÉGISLATION 29 1 Mémoire de l’Intimé Exposé de la position et des faits MÉMOIRE DE L’INTIMÉ PARTIE 1 – EXPOSÉ DE LA POSITION ET DES FAITS 1. Lors de son procès, l’Intimé faisait face à six chefs d’accusation, tel qu’il appert de la dénonciation tenant lieu d’acte d’accusation (d.a., vol. I, p. 18 et 19) Ces derniers étaient libellés ainsi : 1. Entre le 1 juin 2009 et le 5 septembre 2009, à New Carlisle, district de Bonaventure, a sciemment transmis à Patrick Cloutier une menace de causer la mort ou des lésions corporelles à L.-P. T.-L, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 264.1 (1) a) (2)a) du Code criminel; 2. Entre le 1 juin 2009 et le 5 septembre 2009, à New Carlisle, district de Bonaventure, a sciemment transmis à Patrick Cloutier une menace de causer la mort ou des lésions corporelles à Benoît Corriveau, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 264.1 (1) a) (2)a) du Code criminel; 3. Entre le 1 juin 2009 et le 5 septembre 2009, à New Carlisle, district de Bonaventure, a sciemment transmis à Patrick Cloutier une menace de causer la mort ou des lésions corporelles à Anthony Devouge, Armand Laflamme, Guillaume Bujold et Tony Gionest, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 264.1 (1) a) (2)a) du Code criminel; 4. Le ou vers le 7 juin 2009, à New Carlisle, district de Bonaventure, a sciemment transmis à Édouard Collin une menace de causer la mort ou des lésions corporelles à L.-P. T.-L, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 264.1 (1) a) (2)a) du Code criminel; 5. Le ou vers le 7 juin 2009, à New Carlisle, district de Bonaventure, a sciemment transmis à Édouard Collin une menace de causer la mort ou des lésions corporelles à Anthony Devouge, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 264.1 (1) a) (2)a) du Code criminel; 6. Le ou vers le 7 juin 2009, à New Carlisle, district de Bonaventure, a sciemment transmis à Édouard Collin une menace de causer la mort ou des lésions 2 Mémoire de l’Intimé Exposé de la position et des faits corporelles à Éric Landry, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 264.1 (1) a) (2)a) du Code criminel; 2. Il a été acquitté, en première instance sur tous les chefs. Seuls les acquittements des cinq premiers chefs sont contestés dans la présente instance. 3. Le ministère public devait faire la preuve hors de tout doute raisonnable des éléments essentiels de l’infraction de menace de mort ou de lésions corporelles, conformément à l’article 264.1 du Code criminel, à savoir que des menaces de mort ou de lésions corporelles ont objectivement été transmises à Patrick Cloutier et Édouard Collin, et quelles l’ont été avec l’intention spécifique, c’est-à-dire sciemment, dans le but de faire craindre, d’intimider ou d’être prises au sérieux. 4. À cette fin, la preuve fut présentée au procès par le biais des témoins policiers Cédric Aubut, Patrick Rogers, Stéphane Grenon, Gino Dion, Christian Babin (Agent des services correctionnels). Ont également été entendus Patrick Cloutier et Édouard Collin. La preuve présentée incluait également un enregistrement de type « Body pack », porté par Patrick Cloutier lors d’une unique conversation avec un tiers, Louis-Joseph Comeau. 5. Le résumé des faits apparaît au jugement de première instance, a été repris par la Cour d’appel, ainsi qu’en page 3, paragraphe 6, du mémoire de l’Appelante. Nous souscrivons aux fins des présentes à ce résumé. 6. Rappelons que le juge de première instance, non plus que la Cour d’appel ne se sont prononcé sur l’admissibilité de la preuve des actes manifestes, qu’avait soumis le ministère public lors du procès, faisant référence à un complot non spécifié. Le contenu de l’enregistrement devait, selon l’Intimé, être écarté de la preuve à charge contre lui. 7. L’Intimé soumet que la transmission et l’intention qui devaient être prouvées étaient directement liées, en fonction des accusations portées, aux témoins Cloutier et Collin, et non relativement aux victimes potentielles, qui étaient peu pertinentes dans l’analyse, leur connaissance des menaces n’étant pas un élément à démontrer. 3 Mémoire de l’Intimé 8. Exposé de la position et des faits Selon l’Intimé, la présente Cour doit revenir à la base même des accusations. L’Intimé soumet que les mauvaises accusations ont été portées, que le ministère public a fait un mauvais choix dans la présentation de sa preuve et que les jugements, quoique peut-être malhabiles, démontrent une impossibilité complète à déterminer un élément qui devenait essentiel aux fins de l’intention, soit la détermination du destinataire des menaces. 9. Ce qui est exprimé par la Cour d’appel, en évaluant le contexte entier révélé par la preuve, est que le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en arrivant à la conclusion qu’il n’y avait pas de destinataire, vu l’impossibilité de démontrer l’intention nécessaire à rendre criminels, et conformes à l’article 264.1 du Code criminel, les propos menaçants rapportés. 10. Cette conclusion relative au contexte, aux circonstances, est décrite par la Cour d’appel comme ayant eu lieu dans un cercle fermé. Cette notion est, selon l’Intimé, purement descriptive, et uniquement qualificative du contexte révélé par la preuve. Contrairement aux prétentions de l’Appelante, par cette confirmation d’absence de destinataire, en raison de ce contexte fermé, la Cour d’appel ne crée pas une nouvelle norme juridique qui viendrait alourdir le fardeau de la preuve du ministère public, non plus qu’il n’entraînerait une obligation ou une nécessité de faire la preuve de la prévisibilité objective et/ou subjective de l’ébruitement des propos menaçants. 11. La conclusion de la Cour d’appel est tout à fait factuelle, et elle trouve son fondement dans les faits mis en preuve par les témoins, principalement Cloutier et Collin. 12. Aucune erreur de droit, ni de faits d’ailleurs, ne peut être reprochée au jugement de la Cour d’appel. L’Appelante accorde une importance trop grande au choix des termes « cercle fermé » utilisés par la Cour d’appel, ce qui résulte d’une mauvaise compréhension des motifs du jugement. 13. Il faut revenir à la base, aux accusations. Ces dernières ne pouvaient trouver de fondement dans la preuve, qui elle-même révélait des lacunes importantes. 4 Mémoire de l’Intimé 14. Exposé de la position et des faits L’Intimé soumet qu’une réponse négative s’impose au premier moyen d’appel. La Cour d’appel n’a pas erré en droit en introduisant une nouvelle norme juridique, à savoir celle du « cercle fermé », en statuant que des paroles menaçantes prononcées dans des circonstances où l’on suppose qu’il pourrait exister une expectative de confidentialité échapperaient aux règles établies. En fait, la Cour d’appel n’introduit aucunement une telle norme, ni ne reconnaît une telle norme. Le « cercle fermé » auquel il est fait référence est descriptif de ce dossier en particulier. 15. La Cour d’appel n’introduit pas non plus un nouveau moyen de défense en la frustration, la colère ou le désir de vengeance. Ces éléments ne sont pas reconnus comme moyens de défense dits affirmatifs, et ne sont pas utilisés ou analysés comme tel par la Cour d’appel dans son raisonnement. 16. L’état d’esprit et les motifs à la verbalisation des propos menaçants sont toutefois des éléments pertinents, et même déterminants quant à la question de la détermination de l’intention véritable de l’auteur, de son but recherché par la verbalisation reprochée. 17. Dans le présent dossier, la conclusion de la verbalisation de la frustration est appuyée par les faits et trouve son fondement factuel dans la preuve présentée au procès. Il n’y a donc aucune erreur dans son utilisation par la Cour d’appel. 18. Ce deuxième moyen d’appel doit par conséquent être également rejeté. 5 Mémoire de l’Intimé Exposé des questions en litige PARTIE II – EXPOSÉ DES QUESTIONS EN LITIGE Question 1. : La Cour d’appel a-t-elle erré en introduisant une nouvelle norme juridique, ou à tout le moins un champ d’exclusion du régime de l’article 264.1 C. cr., à savoir celui du « cercle fermé », et en statuant que des paroles menaçantes prononcées dans des circonstances où l’on suppose qu’il pourrait exister une expectative de confidentialité ne peuvent satisfaire à l’actus reus et à la mens rea de l’infraction créée à cet article? 19. La Cour d’appel n’a pas erronément introduit une nouvelle norme juridique fondée sur l’expectative de confidentialité, ni établi de nouveau concept tel le « cercle fermé ». La Cour d’appel a utilisé ces termes à titre descriptif des circonstances du présent dossier. Cette mention est directement liée à l’absence de destinataire, en faisant référence à l’intention de l’auteur des paroles d’être prise au sérieux ou de susciter la crainte ou d’intimider, le tout dans l’objectif visé du législateur. Les faits ont été qualifiés par la Cour d’appel, non le droit. Ce moyen d’appel doit être rejeté. 20. L’Intimé soumet également que l’inférence tirée par l’Appelante, à l’effet que « le ministère public serait ainsi indirectement contraint de prouver la prévisibilité objective et subjective que les menaces soient ébruitées et éventuellement portées à la connaissance des victimes potentielles.(m.a., p. 10, para. 23) », n’est pas fondée. 6 Mémoire de l’Intimé Exposé des questions en litige Question 2 : La Cour d’appel a-t-elle erré en droit en érigeant au titre de moyen de défense le fait que des menaces soient proférées en raison de la frustration, de la colère ou du désir de vengeance? 21. La Cour d’appel n’a pas érigé au titre de moyen de défense à l’accusation de menace la frustration, la colère ou le désir de vengeance. Elle reconnaît toutefois ce que la jurisprudence a depuis longtemps indiqué, à l’effet qu’il s’agit, dans la détermination de l’intention de l’auteur, d’éléments pertinents devant être considérés, soit les motifs des verbalisations. d’intimidation, Cette reconnaissance n’exclut aucunement l’élément de crainte et qui doivent toutefois être liées à l’intention. 7 Mémoire de l’Intimé Exposé des arguments PARTIE III – EXPOSÉ DES ARGUMENTS A) Question 1. : La Cour d’appel a-t-elle erré en introduisant une nouvelle norme juridique, ou à tout le moins un champ d’exclusion du régime de l’article 264.1 C. cr., à savoir celui du « cercle fermé », et en statuant que des paroles menaçantes prononcées dans des circonstances où l’on suppose qu’il pourrait exister une expectative de confidentialité ne peuvent satisfaire à l’actus reus et à la mens rea de l’infraction créée à cet article? 22. D’entrée de jeu, l’Intimé se déclare généralement en accord avec l’exposé de l’Appelante relativement au droit applicable, dont la lecture nous amène à affirmer que la Cour d’appel a traité correctement le dossier. Cette dernière a correctement appliqué ce droit aux faits et à la preuve disponible. 1.) ACTUS REUS – L’ÉLÉMENT MATÉRIEL DE LA MENACE 23. Selon l’Intimé, les reproches de l’Appelante relativement au traitement de l’actus reus par la Cour d’appel sont infondés. En faisant référence à un « cercle fermé », la Cour d’appel décrivait le contexte entourant les propos menaçants, ce qui était nécessaire tant au niveau de l’élément matériel que de l’intention. 24. Lesdits propos menaçants ont été rapportés par les témoins Cloutier et Collin. 25. L’entièreté du témoignage rendu en première instance par le témoin Cloutier est retranscrit au volume II du dossier de l’Appelante, aux pages 68 et suivantes. En somme, ce dernier indique avoir servi, selon ses termes, de « pigeon voyageur » entre l’Intimé et Louis-Joseph Comeau, lors de la détention de ces trois personnes (d.a., Vol. II, p. 84). Il 8 Mémoire de l’Intimé Exposé des arguments indique que sa relation avec l’Intimé est à ce moment, en 2009, comme étant un lien solide, qu’ils sont comme des frères. (d.a., Vol. II, p.77 et 78). Il indique également entendre « des égards au sujet de Mc Rae comme quoi que y met des menaces... [...] Qu’ya des menaces qu’y met au sujet de la procureure de la Couronne Lili TrottierLapointe, parce que à rajoute toujours des chefs d’accusation, à promet toujours de remettre des chefs d’accusation de surplus. » (d.a., Vol. II, p. 88 et 89) Il précise ensuite que se paroles sont au sujet de la faire disparaître, et en donne son interprétation (d.a., Vol. II, p.89). En contre-interrogatoire, il admet avoir plutôt mentionné aux policiers le terme débarrasser, et non disparaître (d.a., Vol. II, p. 175). Quant aux témoins, il rapporte les paroles de l’Intimé, à l’effet que « j’ai dit à mon avocat comme quoi que tous les témoins, y’ont une sentence à vie.) (d.a., Vol. II, p. 91) Il précise que l’Intimé lui aurait également dit qu’en sortant, il irait les voir un à un, leur mettre l’arme à feu dans le visage, les regarder, pis c’est fini (d.a., Vol II, p. 94). Enfin, il rapporte que l’Intimé lui aurait dit qu’il voulait faire lever les pattes de Benoît Corriveau (d.a., Vol. II, p. 94) 26. Quant au témoin Édouard Collin, il affirme que l’Intimé se présentait à sa cellule au moins dix fois par jour (d.a., Vol II, p. 35). Il rapporte que l’Intimé, « y’avait v’nu dans ma cellule, pis, euh, y’avait parlé qu’y voulait, y’avait dit qu’yétait pour appeler ses gars en haut pour v’nir, pour descendre pour arranger la face à Lili Trottier-Lapointe, pis à Tony Devouge », « Pis après, y’a dit qu’yétait pour s’occuper des...(inaudible)... luimême mèque qu’y sortirait » (d.a., Vol. II, p. 1 et 2). 27. Il ressort des témoignages de ces témoins qu’une grande part du sens à donner à ces paroles relève de leur propre interprétation. 28. Force est de constater que les propos menaçants ne visaient pas directement ces témoins, qu’ils n’en étaient pas la cible, ou les victimes potentielles de ces paroles énoncées. 29. Le choix des accusations déposées par le ministère public est d’avoir transmis des menaces à Cloutier et Collin, non de les avoir proférées, ni fait transmettre. L’Intimé ne peut pas être en accord avec l’Appelante, à l’effet que la transmission implique « autrement que verbalement ou directement », puisque le législateur spécifie bien à la 9 Mémoire de l’Intimé Exposé des arguments disposition que la menace peut être proférée, transmise, ou fait transmettre, et ce par quelque moyen. 30. L’Intimé soumet qu’il s’agit de modes de commission différents de l’infraction, qui doivent être établis hors de tout doute raisonnable en fonction de la particularisation choisie par le ministère public dans les chefs d’accusation. 31. L’Intimé soumet que proférer pourrait s’entendre de menaces directes, face à face, les paroles prononcées visant directement le destinataire. Ce dernier devient facilement identifiable. Ce n’est pas le cas dans notre dossier, puisqu’aucune menace de causer la mort ou des lésions corporelles ne vise directement les témoins Cloutier et Collin. 32. Un autre mode de commission de l’infraction à être écarté dans le présent dossier est celui de faire transmettre les menaces. S’il avait été effectivement établit que le mandat de Cloutier et Collin était de rapporter les paroles, à titre d’intermédiaire, aux victimes potentielles, cette accusation aurait dû être portée. Cette preuve est inexistante dans le présent dossier. 33. Reste la possibilité de transmettre les menaces, qui est ce qui était reproché à l’Intimé. Ce dernier soumet qu’une preuve devait être faite à l’effet que Cloutier et Collin étaient les récepteurs de ces menaces, c’est-à-dire, au niveau de l’actus reus, qu’ils étaient ceux à qui les paroles menaçantes étaient destinées, qu’elles ont été verbalisées à eux, dans ce dossier particulier. La preuve de cette verbalisation a été faite par les témoignages de Cloutier et Collin. Nous verrons toutefois que ce n’est pas suffisant pour justifier une déclaration de culpabilité. 34. La difficulté, telle que reconnue par la Cour d’appel, se matérialisera lorsqu’il devra être établi que les propos menaçants ont été transmis sciemment, c’est-à-dire avec l’intention spécifique qu’elles soient prises au sérieux par ces destinataires, ou qu’elles aient été prononcées dans le but de faire craindre ces mêmes destinataires ou de les intimider. Nous reviendrons sur cet élément. 10 Mémoire de l’Intimé Exposé des arguments a) POSITION DE LA COUR D’APPEL 35. La Cour d’appel arrive à la conclusion que les paroles rapportées étaient objectivement menaçantes : « L’Intimé n’est pas accusé d’avoir proféré, mais d’avoir « transmis » des « menaces ». Les mots utilisés par l’Intimé, considérés de façon objective, peuvent faire craindre, de façon sérieuse, que des gestes susceptibles de causer la mort ou des lésions corporelles seront posés à l’initiative de l’accusé. C’est d’ailleurs ce que les codétenus ont compris. » (d.a., Vol. I, p. 13 et 14, au paragraphe 8) 36. Elle ajoute toutefois que, « lorsque ces mots et propos sont mis en contexte, force est de conclure qu’il ne s’agit pas d’une « menace » au sens de l’article pertinent du Code criminel. » b) POSITION DE L’APPELANTE 37. Avec raison, l’Appelante réfère à l’arrêt de cette Cour, R. c. McCraw[1991] 3R.C.S., 72 (R.s.a., Onglet 15): « L’actus reus consiste à déterminer si « considérés de façon objective, dans le contexte de tous les mots écrits ou énoncés et compte tenu de la personne à qui ils s’adressent » les termes visés constituent une menace de causer la mort ou des lésions corporelles pour une personne raisonnable. » (m.a., p. 11, para. 27) i) CHOIX DU TERME « TRANSMETTRE » 38. L’Appelant soumet que la Cour d’appel reconnaît, ou impose un fardeau de preuve plus élevé quant à l’actus reus puisqu’il faudrait prouver une « prévisibilité objective que les menaces soient ébruitées ou que les destinataires (codétenus) aient retransmis aux victimes potentielles les menaces qu’ils ont reçues » (m.a., p. 13, para. 34). Elle arrive à cette conclusion relativement, et uniquement, par la spécification par la Cour d’appel du choix du ministère public de spécifier « transmettre » dans l’acte d’accusation. 11 Mémoire de l’Intimé 39. Exposé des arguments L’Appelante semble comprendre que la Cour d’appel fait une distinction dans le fardeau de preuve, concluant à tort que transmettre implique une prévisibilité objective de retransmission. Dans la même lignée, elle admet que les accusations n’étaient pas d’avoir transmis les menaces aux victimes potentielles par l’intermédiaire des codétenus. 40. L’Intimé ne peut pas être en accord avec la position de l’Appelante sur ce point. La distinction qu’elle fait relativement au mode de transmission (means of conveying), verbale ou écrite, est incompatible avec la modification législative de 1985. À ce jour, il est spécifié à l’article 264.1 du Code criminel, que les propos menaçants peuvent prendre toute forme, indépendamment du mode de commission de l’infraction. 41. L’Intimé soumet que la Cour d’appel, en faisant l’analyse du chef d’accusation tel que porté, a eu raison de s’attarder au choix du ministère public de reprocher la « transmission ». Il ne s’agit pas d’imposer un fardeau de preuve plus lourd, mais bien d’identifier un élément matériel essentiel de l’infraction reprochée. ii) ANALYSE DE L’ACTUS REUS POSITION DE L’APPELANTE 42. L’Appelante semble voir de façon catégorique une position de la Cour d’appel à l’effet qu’un contexte de cercle fermé exclut automatiquement l’existence d’un destinataire. 43. Elle impute à la décision de la Cour d’appel une erreur de droit, alléguant que cette dernière « postule que la personne qui profère des menaces est fondée à revendiquer une expectative de confidentialité, et, d’autre part, elle exige ainsi que le ministère public prouve qu’il existait une prévisibilité objective que les paroles soient ébruitées au-delà du « cercle fermé » ». (m. a. , p. 16, para. 42) 12 Mémoire de l’Intimé 44. Exposé des arguments L’Intimé soumet qu’il n’y a aucun fondement à cette position et qu’une telle exigence ne ressort aucunement des motifs de la Cour d’appel. 45. L’utilisation des termes « cercle fermé » par la Cour d’appel est de toute évidence purement descriptif du contexte du présent dossier, faisant référence aux verbalisations de l’Intimé à deux codétenus, récepteurs, ou auditeurs, de ces énoncés « menaçants ». Tel que brièvement résumé par l’appelant, «[dans] le présent dossier, il s’agit de menaces proférées en présence de codétenus et visant des personnes associées au système judiciaire » (Nous soulignons) (m.a., p. 1, para 1) Cette même position est exprimée par la Cour d’appel lorsqu’elle utilise les termes « confiés par l’Intimée (sic) à trois autres détenus ». (d.a., Vol. I, p. 14, para. 9) 46. L’Intimé soumet que la Cour d’appel ne fait pas référence à une quelconque expectative de confidentialité. L’utilisation des termes « cercle fermé » n’a pas ici de connotation juridique, mais est plutôt une pure description du contexte factuel. Il est l’aboutissement d’un raisonnement tout à fait légal et conforme aux enseignements jurisprudentiels, qui édictent, comme le reconnaît l’Appelante, que le contexte doit, au niveau de l’actus reus, et ultimement de la mens rea, être considéré dans son ensemble. C’est cette qualification du contexte entourant l’élément matériel qui est décrit par la Cour d’appel comme étant un cercle fermé, qualification utile afin de répondre à la question : « Considérés de façon objective, dans le contexte de tous les mots écrits et énoncés, et compte tenu de la personne à qui ils s’adressent, les termes visés constituent-il une menace pour une personne raisonnable? » (m.a., p. 11, para 27, précité) c) DROIT APPLICABLE 47. L’arrêt R. c. McCraw, précité, dresse la base de l’analyse devant être faite afin de déterminer si les mots énoncés contreviennent à l’article 264.1 du Code criminel : « La structure et le libellé de l’al. 264.1 (1) a) indiquent que la nature de la menace doit être examinée de façon objective, c’est-à-dire comme le ferait une personne raisonnable ordinaire. Les termes qui 13 Mémoire de l’Intimé Exposé des arguments constitueraient une menace doivent être examinés en fonction de divers facteurs. Ils doivent être examinés de façon objective et dans le contexte de l’ensemble du texte ou de la conversation dans lesquels ils s’inscrivent. De même, il faut tenir compte de la situation dans laquelle se trouve le destinataire de la menace. » (précité, p. 82) 48. La Cour d’appel a appliqué cette méthode d’analyse dans sa détermination de l’actus reus de l’infraction. Il ressort également du libellé des motifs du jugement qu’elle a appliqué les principes enseignés et décrits aux arrêts, entre autres, Rudnicki. c. R. [2004] R.J.Q. 2954 (R.s.i., Onglet 1) et R. c. Eakin, [2002] M.J. n. 349 (Man. P. Ct.) : R. c. Rudnicki : « Au niveau de l’actus reus, il faut cependant que le message transmis constitue objectivement une menace, en d’autres mots, qu’il constitue pour une personne raisonnable qui le recevrait, un message menaçant ou à prendre au sérieux. Il appartient au juge des faits de déterminer si le message constitue une menace de causer la mort ou une blessure pour une personne raisonnable » (R.s.i., para. 6), cité dans Henry c. R. , [2007] J.Q. n. 17878 (C.S), R.s.a., Onglet 1, p. 5) R. c. Eakin : « As a question of law, in my opinion, for the reasons that will be discussed [...] words to the effect that a person could or would smash or shatter a face are capable of constituting a threat within the meaning of the criminal code. However, as to whether or not the words actually do constitute a threat is a question of fact depending upon the circumstances in wich they were uttered, even if they are proved to have been uttered beyond a reasonnable doubt.” (R.s.a., Onglet 8, p.89, para. 35) 14 Mémoire de l’Intimé Exposé des arguments d) POSITION DE L’INTIMÉ APPLICATION DES PRINCIPES À LA PREUVE 49. Au moment des faits reprochés, tant l’Intimé que les témoins Cloutier et Collin sont détenus. 50. Cloutier se décrit comme étant le « pigeon voyageur » entre l’Intimé et Louis-Joseph Commeau. Il décrit ce rôle ainsi : Q. : Okay. C’est quoi un pigeon voyageur? R. : C’est une, c’est à place de passer un mot par un papier, une personne, un gardien ou n’importe qui peut prendre, ben c’est dans ta tête, c’est pas supposé d’sortir. (d.a., Vol. II, p. 84) 51. Le témoin Cloutier, rappelons-le, décrit également ainsi sa relation avec l’Intimé : Q. : Entretenez-vous un bon lien également avec Stéphane Mc Rae? R. : Un très bon lien avec Stéphane Mc Rae. Q. : Okay. Et ça se démontre comment, ce lien-là? R. : C’était un lien que, solide. Q. : Okay. Concrètement, ça se manifeste comment? R. : Comme des frères. (d.a., Vol. II, p. 77 et 78) 52. Quant au témoin Collin, il indique que l’Intimé le visite dans sa cellule dix fois par jour : Q. : Non? D’accord. À quelle date est-ce que monsieur Mc Rae serait rentré dans votre cellule pour vous dire : « Je vais aller faire descendre des gens d’en haut »? 15 Mémoire de l’Intimé Exposé des arguments R. : C’est quelle date, c’est euh, j’ai pas commencé à marquer la date euh, j’veux dire, dans une journée y’était souvent à tous les jours, j’veux dire, y pouvait être comme dix (10) fois dans ma cellule par jour. Q. : D’accord, d’accord. On ne sait pas à quelle heure, est-ce que ça, vous vous en souvenez? R. : C’est comme que j’viens d’vous dire, y’était souvent dans ma cellule. Y v’nait comme dix (10) fois par jour euh... 53. La notion de « cercle fermé », qui est selon nous purement descriptive des faits, est actuellement fondée sur la preuve. Il s’agit d’une conclusion qui pouvait à bon droit être tirée par la Cour d’appel. 54. L’Appelante soumet que la Cour d’appel élève le concept à une nouvelle norme juridique de laquelle découlerait un fardeau supplémentaire au niveau de l’actus reus. 55. L’Intimé maintient qu’une telle inférence ne saurait trouver de fondement dans le jugement de la Cour d’appel, et que cette dernière s’est bien dirigée en fait et en droit dans son évaluation de l’élément matériel de l’infraction. 2) MENS REA 56. Afin de bien comprendre l’élément intentionnel de la menace codifiée à l’article 264.1 du Code criminel, il est d’intérêt de se rappeler la justification, la motivation du législateur. « Le législateur, lorsqu’il a créé cette infraction, a reconnu que l’acte de menacer permet à la personne qui profère la menace d’utiliser l’intimidation pour atteindre son but. Il n’est pas nécessaire que la menace soit exécutée, l’infraction est complète lorsque la menace est proférée. Elle est destinée à faciliter la réalisation du but visé par la personne qui profère la menace. Une menace est un moyen d’intimidation visant à susciter un sentiment de crainte chez son destinataire. Le but et l’objet de l’article sont d’assurer une protection contre la crainte et l’intimidation. Le législateur, lorsqu’il a adopté l’article, a agit pour protéger la liberté de choix et d’action de la 16 Mémoire de l’Intimé Exposé des arguments personne, une question d’une importance fondamentale pour les membres d’une société démocratique. » [...] « C’est l’élément de crainte insufflé à la victime par la personne qui profère la menace qui est visée par la sanction criminelle. L’article 264.1 prévoit que la menace doit avoir été proférée et transmise sciemment par l’accusé. Le ministère public est donc tenu d’établir que l’accusé avait l’intention de menacer la victime de blessures graves. Toutefois, pour déterminer si une telle intention subjective est présente, il faudra souvent se fonder dans une large mesure sur un examen des mots employés par l’accusé. Lorsque l’accusé ne témoigne pas et ne produit pas de preuve, la détermination doit se fonder sur les mots employés. » R. c. McCraw, précité, R.s.a., Onglet 15, p. 71 et 72 57. Plus spécifiquement, la mens rea nécessaire a été explicitée dans R. c. Clemente, [1994] 2 R.C.S. 758 : « Aux termes de la disposition, il doit s’agir d’une menace de mort ou de blessures graves. Or, il est inconcevable qu’une personne qui proférerait des menaces de mort ou de blessures graves avec l’intention qu’elles soient prises au sérieux n’ait pas également l’intention d’intimider ou de susciter la crainte. En d’autres termes, une menace sérieuse de tuer ou d’infliger des blessures graves a dû être proférée avec l’intention d’intimider ou de susciter la crainte. Inversement, une menace proférée avec l’intention d’intimider ou de susciter la crainte a dû l’être avec l’intention qu’elle soit prise au sérieux. Ces deux formulations de la mens rea expriment l’intention de menacer et sont conformes au but visé par la disposition. » R. c. Clemente, p. 761, R.s.a. Onglet 4, pa. 43 a) POSITION DE LA COUR D’APPEL 58. À bon droit, la Cour d’appel rappelle les principes précités dans son jugement. Elle prend acte également du fait que la victime visée n’a pas à être mise au courant de la 17 Mémoire de l’Intimé Exposé des arguments menace, non plus qu’il ne soit nécessaire de prouver une intention de transmettre les menaces aux victimes visées dans le message. 59. La Cour d’appel prend acte également des conclusions du juge de première instance quant à l’absence de preuve de l’intention de transmettre une menace. Elle résume en affirmant que, « dans le contexte de cette affaire, les propos de l’Intimé ne pouvaient être perçus « comme visant à intimider » » (d.a. Vol. I, p. 16, para. 16) (Nous soulignons) 60. Elle indique également que « ces déterminations essentiellement factuelles ne sont affectées d’aucune erreur manifeste et déterminante. » (d.a., Vol. I, p.16, para. 17) b) POSITION DE L’APPELANTE 61. L’Appelante soumet à tort que, parce que les témoins Cloutier et Collin ont jugé les paroles sérieuses, l’intention de l’Intimé avait été démontrée. 62. Bien que pouvant être considéré dans l’ensemble de la preuve, l’effet produit sur les récepteurs des propos menaçants ne saurait à lui seul faire la preuve hors de tout doute raisonnable qu’il s’agissait de l’intention véritable et subjective de l’auteur. 63. Encore une fois, au niveau de l’élément intentionnel cette fois, l’Appelante reproche à la Cour d’appel, faisant référence aux termes « cercle fermé », interprétés par elle comme exprimant une expectative de confidentialité, d’alourdir le fardeau de preuve du ministère public. Elle prétend cette fois que la Cour d’appel impose une obligation de démontrer la prévisibilité subjective (connaissance par l’accusé), que ses propos seraient ébruités. Selon l’Appelante, « la Cour d’appel impose ainsi indirectement le fardeau de démontrer l’intention de la transmission des paroles menaçantes. » (m. a., p. 18, para. 16) 64. L’Intimé soutient que la Cour d’appel n’a aucunement reconnu un tel fardeau. Contrairement à l’exposé de l’Appelante, la Cour d’appel n’a pas indiqué que le « cercle fermé » faisait référence à un complot, qui était allégué par la poursuite en première instance. Encore une fois, l’Intimé soumet qu’il s’agit uniquement d’une considération 18 Mémoire de l’Intimé Exposé des arguments factuelle ainsi décrite par la Cour d’appel, qui, tout comme au niveau de l’actus reus, était non seulement pertinent dans l’analyse de l’intention, mais aussi fondée sur la preuve. 65. Il appert de l’argumentation de l’Appelante, plus spécifiquement au paragraphe 49 de son mémoire, qu’elle comprend que l’objectif visé du législateur est d’empêcher le risque que les propos menaçants suscitent une crainte chez les victimes potentielles. Cette analyse est contraire à l’ensemble de la jurisprudence. L’Appelante elle-même reconnaît que cette démonstration n’est pas nécessaire, tout comme l’a spécifiquement reconnu la Cour d’appel dans son jugement. 66. Une telle interprétation éluderait en fait toute référence à l’intention de l’auteur des propos. 67. Il est établi que l’intention nécessaire aux fins de l’application de la disposition de l’article 264.1 du Code criminel est subjective et spécifique. Elle ne peut être établie par l’insouciance ou autre intention générale. c) POSITION DE L’INTIMÉ 68. L’Intimé est en accord avec l’interprétation de la mens rea applicable exposée dans l’arrêt R. c. Fenton, [2008] A.J. n. 439 (Alb.QB.), Rsa, Onglet 9. L’intention devant être démontrée hors de tout doute raisonnable est une intention spécifique de susciter la crainte et l’intimidation chez la personne visée par la menace. En l’espèce, la preuve de l’intention devait être liée, pour être conforme aux chefs d’accusations, aux détenus Cloutier et Collin. 69. À cette fin, le contexte était encore une fois des plus pertinent. Les personnes en présence de qui les propos menaçants étaient tenus, le lien entre eux et les circonstances entourant les verbalisations de l’Intimé devaient être considérés. En l’occurrence, la 19 Mémoire de l’Intimé Exposé des arguments Cour d’appel qualifie ce contexte de cercle fermé, qui représente une conclusion factuelle trouvant son fondement dans la preuve présentée au procès. 70. Pour déterminer l’intention de l’Intimé, la Cour d’appel, tout comme le juge de première instance, devait être en mesure d’identifier le destinataire de la menace, c’est-à-dire la personne que l’auteur visait à intimider ou chez qui il souhaitait susciter un sentiment de crainte. 71. C’est précisément la détermination qu’ils n’ont pas été en mesure de faire, se référant à ce cercle fermé dans lequel les propos auraient été prononcés. 72. Les témoins Cloutier et Collin n’étaient de toute évidence pas les victimes potentielles, et la crainte ne pouvait pas viser leur propre personne. 73. Ces témoins ne peuvent pas non plus être considérés comme des intermédiaires à qui on aurait souhaité faire craindre en menaçant une tierce personne. L’extériorisation des paroles en leur présence n’établit pas de ce fait l’Intention de l’Intimé de les faire craindre afin d’arriver à un but ou de faciliter une fin quelconque en intimidant. 74. Il est intéressant ici de faire un parallèle entre la situation qui nous occupe et celle présente dans les faits ou soutient des arrêts Clemente, en Cour d’appel et ultimement devant cette Cour. 75. Dans ce dossier, le destinataire des menaces était bien identifié. Il s’agissait de Madame Dennehy, qui n’était pourtant pas la victime potentielle. Par contre, les faits permettaient de conclure que, bien que les menaces visaient une tierce personne, à savoir l’ancienne intervenante auprès de l’accusé, les menaces avaient été transmises à Madame Dennehy dans l’intention spécifique qu’elle craigne que les menaces soient mises à exécution si le dossier de l’accusé était transféré tel que prévu. Dans ce cas d’espèce, la menace visait strictement à empêcher le transfert du dossier, et l’accusé avait, selon la preuve, l’intention de parvenir à cette fin en faisant craindre les conséquences d’une décision impliquant Madame Dennehy. 20 Mémoire de l’Intimé 76. Exposé des arguments L’Intention était claire. Elle a ainsi été reconnue par la Cour d’appel, pour la majorité : « That is a finding of fact and, in my view, implicit in that finding is the conclusion that the accused’s utterances were intented to coerce Ms Dennehy and Ms Douglas into a course of conduct by fear and intimidation.” R. c. Clemente, [1993] M.J. n. 612 (C.A. Man.), R.s.a, Onglet 3, P 27, para. 17 Cette conclusion est confirmée au paragraphe 28 de la décision de la Cour d’appel dans Clemente: « The threats were uttered to Ms Dennehy with the intent to intimidate her, to instill fear in her. » (R.s.a, p. 30) 77. L’Intimé est également d’accord avec les propos du juge dissident, qui abonde en ce sens lorsqu’il édicte, au paragraphe 75 : « A threat, then, was construed not as a mere promise of sinister action, but as the use of such a promise as a means of instilling fear either in the mind of the person to whom it was uttered or in the mind of another to whom the threatner intented his words to be conveyed. It is a threat as a “tool of intimidation” or as an “instrument of fear” wich is proscribed by the section”. (R.s.a., p. 37) 78. La situation et le contexte dans Clemente permettaient d’identifier le destinataire de la menace et l’intention visée par l’auteur. Cette preuve est totalement absente dans le dossier qui nous occupe. 79. Il est impossible, dans la preuve, de trouver le fondement d’une intention de susciter la crainte par le prononcé de paroles menaçantes auprès des codétenus Collin et Cloutier en conformité avec l’objectif visé par le législateur. 80. La preuve révèle plutôt que, selon Cloutier, l’Intimé tenait de tels propos en raison de sa frustration de se voir accusé de nouvelles infractions lors de ses passages à la Cour, et d’avoir été dénoncé. 81. Lorsqu’il lui est demandé pourquoi l’Intimé tient des propos menaçants envers la procureure, le témoin répond : 21 Mémoire de l’Intimé Exposé des arguments R. : Qu’ya des menaces qu’y met au sujet de la procureure de la Couronne Lili Trottier-Lapointe, parce que à rajoute toujours des chefs d’accusation, à promet toujours de remettre des chefs d’accusation de surplus. R. : C’est parce que à y rentre dedans. À chaque fois qu’y passe en cour, à y rentre dedans. À le, à l’pousse à bout, à l’en rajoute. Y dit qu’à tout le temps, à manque de vérité ou euh t’sais à l’attaque, dans le fond, là. (d.a., Vol, II, p. 89) 82. Quant au témoin Collin, il rapporte essentiellement la même motivation. 83. Lorsque la question lui est posée si l’Intimé lui avait dit pourquoi il « voulait faire venir des gars d’en haut pour s’en prendre à monsieur Tony Devouge », il répond : R. : Ah, y’a dit parce que madame Lapointe arrêtait pas d’dire, qu’yavait tout le temps des charges qui rentraient, pis des charges, pis euh... Et R. : Parce que tony Devouge l’avait « stoolé ». (d.a., Vol. II, p.6) 84. Rappelons également que la preuve des propos reprochés à l’Intimé est vague, imprécise et parfois confuse. Les paroles exactes et les termes spécifiquement utilisés ne sont pas mis en preuve. Le sens à donner aux propos tenus est l’objet d’une interprétation des témoins. 85. Les contextes de pigeon voyageur utilisés pour « que ça ne sorte pas » et de rencontres fréquentes dans une cellule étaient importants et nécessaires à l’analyse. Force est de constater que la preuve démontrait l’existence d’un « cercle fermé », qui, encore une fois ne fait pas référence à une norme juridique, mais uniquement à une constatation de fait. 86. Ces considérations étaient possibles à faire et conformes au droit dans l’évaluation de la mens rea : la relation entre l’Intimé et les témoins était pertinente : 22 Mémoire de l’Intimé Exposé des arguments « This is substantially different from a situation where an accused utters a threat in face to face communication or when there is an established relationship between the person who utters the threat and the target of the threat. In such situations, it may be easier to determine whether the person uttering the threat intends to intimidate or be taken seriously, or whether the words were in mere jest. This is because the tone of voice used on the relationship between the parties will assist in determining intention.” R. c. Fenton, précité, (R.s.a., p 109) 87. Les principes précités, qui confirment la position dénuée d’erreur de la Cour d’appel, sont toujours d’actualité et ont été appliqués encore récemment par cette Cour dans l’arrêt R. c. O’Brien, rendu le 17 janvier 2013. (R.s.a. Onglet 18) 3) CONCLUSION QUANT AU PREMIER MOTIF D’APPEL 88. L’Appelante n’a pu démontrer une erreur de droit commise par la Cour d’appel dans le présent dossier. La position à l’effet que cette dernière instituait une nouvelle norme juridique, ou un champ d’exception en raison d’une expectative de confidentialité présente dans un cercle fermé, n’a pas été démontrée. L’Appelante n’a pas été en mesure de démontrer non plus que la Cour d’appel exigeait la preuve de la prévisibilité objective ou subjective de l’ébruitement des menaces. 89. Au contraire, l’ensemble des motifs de la décision démontre que la Cour d’appel s’est bien dirigée en fait et en droit, et elle a confirmé les verdicts d’acquittement. 90. Ce moyen d’appel doit être rejeté. 23 Mémoire de l’Intimé Exposé des arguments B) Question 2 : La Cour d’appel a-t-elle erré en droit en érigeant au titre de moyen de défense le fait que des menaces soient proférées en raison de la frustration, de la colère ou du désir de vengeance? 91. L’Intimé constate que les passages reprochés au jugement de la Cour d’appel concernant l’expression de la frustration et de la colère sont uniquement des citations du jugement rendu par l’Honorable juge de première instance. 92. Nous soumettons que la Cour d’appel a simplement pris acte d’une conclusion de fait fondée sur la preuve en première instance. Elle n’a pas confirmé les acquittements en reconnaissant un moyen de défense basé sur la frustration ou la colère. 93. Ce dernier moyen de défense n’existe pas. Comme le précise l’Appelante dans son mémoire, au paragraphe 63, « si tant est que « l’expression de la frustration ou de la colère » soit un élément pertinent, il ne s’agirait tout au plus que d’un élément à soupeser aux fins de la détermination de l’actus reus et de la mens rea. » Nous soumettons que telle a été l’utilisation de cette constatation de fait, tant par le juge de première instance que par la Cour d’appel. 94. Tant le témoignage de Patrick Cloutier que celui d’Édouard Collin font référence à cette frustration exprimée par l’intimé. Les passages pertinents ont été cités aux paragraphes 81 et 83 du présent mémoire. 95. Ces éléments étaient importants à considérer dans l’analyse de l’intention de l’Intimé, à savoir s’il a sciemment transmis des menaces de causer la mort ou des blessures corporelles à Patrick Cloutier et Édouard Collin, c’est-à-dire s’il avait l’intention de les faire craindre ou de les intimider. C’est cette analyse qui a été exprimée par le jugement en première instance, et confirmé en appel. 96. L’Appelante cite la Cour d’appel dans l’arrêt Clemente : 24 Mémoire de l’Intimé Exposé des arguments « The intend to intimidate, to instill ear in the victim, is the element that makes a threat a crime. It is the absence of that element that excludes from the criminal sanctions of the offence the idle threat, words blurted out in anger, bitterness or frustration” (m.a., p. 25, para. 60) 97. Ce dossier ayant été porté en appel, la Cour suprême avait l’occasion de rectifier une erreur si cette affirmation de la Cour d’appel constituait une erreur en droit. Non seulement ne l’a-t-elle pas fait, mais elle indique : « L’alinéa 264.1 (1)a) vise des mots qui suscitent la crainte ou l’intimidation. Il a pour objet de protéger l’exercice de la liberté de choix en empêchant l’intimidation. [...] Des paroles prononcées à la blague, toutefois, ne sauraient être visées par cet alinéa. » (Précité, Rs.a., Onglet 4, p. 43) « De toute évidence, des paroles prononcées à la blague ou de manière telle qu’elles ne pouvaient être prises au sérieux ne pourraient mener un personne raisonnable à conclure qu’elles constituaient une menace. » (R.s.a, Onglet 4, p. 45) 98. D’aucune façon la Cour d’appel n’a élevé l’élément de frustration à titre de moyen de défense dit affirmatif. Elle a suivi un courant jurisprudentiel reconnu et, encore une fois, à utilisé l’ensemble du contexte du dossier, incluant cet élément, pour parvenir à la conclusion que le juge n’avait pas commis d’erreur et que les conclusions tirées étaient bien fondé sur la preuve présentée. 99. Ce deuxième moyen d’appel doit être rejetté. 25 Mémoire de l’Intimé Exposé des arguments C) CONSIGNATION DE VERDICTS DE CULPABILITÉ 100. Pour les motifs consignés dans le présent mémoire, l’Intimé demandera de rejetter le pourvoi. Par contre, nous formulons les présents commentaires à la demande de consignation de verdicts de culpabilité formulée par l’Appelante. 101. Le juge de première instance, sur des questions de faits, est parvenu à la conclusion qu’il n’y avait pas de preuve de destinataire, ni de preuve de l’intention coupable requise pour justifier une déclaration de culpabilité, en constatant entre autres des éléments telles la frustration et la colère de l’Intimé et rapportés par les témoins à titre de motivation aux paroles. 102. Toutes les conclusions émises sont fondées sur la preuve et ces conclusions de faits ne présentent aucune erreur manifeste et déterminante. 103. Par conséquent la présente Cour ne pourrait remplacer les verdicts d’acquittement par des verdicts de culpabilité, puisque les conclusions de fait du juge du procès n’étayent pas, au regard du droit applicable, une déclaration de culpabilité hors de tout doute raisonnable. 26 Mémoire de l’Intimé Dépens PARTIE IV – DÉPENS Auncun dépens. 27 Mémoire de l’Intimé Ordonnances demandées PARTIE V- ORDONNANCES DEMANDÉES POUR CES MOTIFS EXPOSÉS, PLAISE À LA COUR : REJETER le pourvoi contre le jugement rendu par la Cour d’appel du Québec, prononcé le 3 février 2012 dans le dossier 200-10-002572-100 LE TOUT RESPECTUEUSEMENT SOUMIS. Carleton-sur-Mer Le 24 avril 2013 Me Stéphanie Carrier Procureure de l’Intimé 28 Mémoire de l’Intimé Table alphabétique des sources PARTIE VI – TABLE ALPHABÉTIQUE DES SOURCES Paragraphe(s) Henry c. R., [2007] J.Q. no 17878 (C.S.) ................................................48 R. c. Clemente, [1993] M.J. no 612 (C.A.Man.) ....................................76, 77, 96 R. c. Clemente, [1994] 2 R.C.S. 758 ..........................................57, 97 R. c. Eakin, [2002] M.J. no 349 (Man.P.Ct.) ................................................48 R. c. Fenton, [2008] A.J. no 439 (Alb.Q.B.) ..........................................68, 86 R. c. McCraw, [1991] 3 R.C.S. 72 ....................................37, 47, 56 R. c. O’Brien, 2013 CSC 2 ................................................87 Rudnicki c. R., [2004] R.J.Q. 2954 ................................................48 29 Mémoire de l’Intimé Législation PARTIE VII – LÉGISLATION S/O