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La Lettre d’Archimède
L’actualité de l’Eldo vue par un spectateur
Sommaire
NO 91 — 17 décembre 2016
Le Voyage au Groenland
La Jeune Fille sans mains
Le film mystère # 91 — La solution du film mystère # 90
En bref et en vrac — Prochains rendez-vous à l’Eldo
L
a découverte de la semaine passée aura été, pour moi, la reprise le temps d’une soirée du très beau
L’Heure exquise (1981) de René Allio (1924 – 1995). Je connaissais quelques-uns de ses films de fiction — La Vieille Dame indigne (1965), Les Camisards (1972), Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma
mère, ma sœur et mon frère… (1976), Le Matelot 512 (1984)… — mais j’ignorais qu’il avait fait un long
métrage documentaire. L’Heure exquise est à la fois un portrait amoureux de Marseille, une évocation
d’un roman familial et une introspection méditative. J’y ai retrouvé cette attention à un présent, celui de
1981, éclairé par son passé. Plaisir de spectateur de lire au générique de fin des noms alors inconnus ou
presque : Cyril Collard, Denis Gheerbrant, Nicolas Philibert…
La projection fut suivie d’une rencontre avec le cinéaste Luigi Filotico, originaire d’Italie comme la branche
paternelle de René Allio, et qui a fait des études d’architecture avant de s’installer à Marseille en 2002. Il
nous fit une petite surprise, un petit film réalisé pour l’occasion, visite de la cité phocéenne en Vespa, clin
d’œil à Journal intime (Caro diaro ; 1993) de Nanni Moretti, revenant sur les lieux montrés par Allio, passant aussi dans d’autres quartiers dont la physionomie, physique ou sociale, avait beaucoup changé depuis trente-cinq ans. Prolongement bienvenu du propos urbanistique de L’Heure exquise, surtout pour les
spectateurs qui, comme moi, connaissent peu ou pas Marseille, ou ne l’ont pas parcourue depuis longtemps. Une dernière anecdote mêlant l’œil du cinéaste à la vision de l’architecte : Luigi Filotico a remarqué la différence de lumière entre les deux époques filmées qu’il a attribuée à la désindustrialisation de
la ville portuaire, ajoutant ainsi à la richesse documentaire de L’Heure exquise. Bref, j’ai passé une belle
soirée, comme le sont en général celles sur l’architecture présentées à l’Eldorado.
LE VOYAGE AU GROENLAND
un film de Sébastien Betbeder
Autre surprise, d’un autre genre, Le Voyage au Groenland. J’avais apprécié les moyens métrages Inupiluk
(2014), histoire de Thomas B. et Thomas S., des intermittents du spectacle qui accueillaient deux Groenlandais, les guidant dans leur découverte de la France sans connaître un seul mot de leur langue, et Le
Film que nous tournerons au Groenland (2015) dans lequel le réalisateur et les acteurs qui interprètent
les deux Thomas cogitaient sur ce qui est devenu Le Voyage au Groenland. Le troisième volet, tout à fait
Rencontre avec l’acteur François Chattot
jeudi 22 décembre 2016, 20 h 15
suivie d’une crêpe-party arrosée de vin chaud
compréhensible sans avoir vu les deux précédents, m’a étonné dès les premières secondes tant la tonalité
en est différente. Je m’attendais à une franche comédie comme Inupiluk, et, de fait, Le Voyage au Groenland est souvent très drôle, mais l’humour est immédiatement mêlé de mélancolie, un mariage déjà présent dans Deux automnes, trois hivers (2013), ici en plus intense.
Le film est tissé de plusieurs fils narratifs. Il y a l’histoire de deux touristes parisiens qui fuient leur vie
morose en plongeant dans l’exotisme du village inuit. Comme dans Inupiluk, Sébastien Betbeder joue sur
les incompréhensions fréquentes entre les Thomas d’une part et les habitants de Kullorsuaq d’autre part.
Il y ajoute habilement un état des lieux assez pessimiste, les dégâts de l’alcool ayant été remplacés par
ceux d’Internet. Il y a l’histoire de ce vieux couple d’amis pour qui le voyage à la vertu d’une thérapie. Les
deux trentenaires se sont rencontrés dans un cours de théâtre et, dix ans après, le succès n’est pas au
rendez-vous et ils courent le cachet toujours aussi difficilement — ce qui donne lieu à une scène irrésistible de drôlerie où l’un des deux Thomas essaie d’expliquer le fonctionnement du système français des
intermittents du spectacle à un chasseur de phoques et à une épique déclaration mensuelle aux ASSEDIC
via Internet. Le lien qui unit le Thomas sensible au Thomas critique s’est distendu. Malgré les petites
piques ou les disputes vite avortées, il reste une tendresse, une attention à l’autre qui ne s’exprime pas à
voix haute, une profonde complicité qui resurgit dès que l’occasion se présente — comme l’illustre les
rires enfantins pendant un jeu avec Ole et Adam, ou le changement de couleur des anoraks d’un plan à
l’autre au cours d’une chasse. Enfin, il y a l’histoire d’un père et d’un fils. Entre Thomas B. et son père
Nathan, le cœur, au sens propre comme au figuré, est un sujet difficile à aborder. Chacun fait bonne figure,
les discussions sur Internet permettent à chacun de garder de la distance, de masquer ses problèmes —
le même Internet qui permet toutefois de garder le contact malgré l’éloignement géographique.
Sans doute, par son argument et par la voix-off qui ouvre le film, Le Voyage au Groenland s’écrit avant tout
comme l’histoire de Thomas B., le trentenaire sensible dont la vie familiale, sentimentale et professionnelle
n’est pas celle qu’il aura rêvée. Si la mélancolie du film est la sienne, elle est aussi celle des autres protagonistes, de l’autre Thomas, de Nathan, de Nukannguaq dont le frère s’est suicidé, du grand chasseur Martika
au sourire rare, de tous les habitants de Kullorsuaq qui accueillent avec générosité les deux étrangers sans
pouvoir les comprendre. Parfois l’un d’eux réussit à surmonter sa réserve, à confesser ses sentiments par
ses propres mots, ceux d’un poème, d’une chanson ou d’un rap, sans grande déclaration et même si celui à
qui ils sont adressés ne peut les entendre — le fait que le destinataire ignore la langue ou puisse attribuer
les parole à un tiers étant sans doute nécessaire pour que la confession ait lieu, les déclarations directes
étaient très vite avortées. Par la conscience de leur faiblesse, par leur solitude, leur pudeur et leur bienveillance, les personnages s’apparentent à ceux de Deux automnes, trois hivers. Le dépaysement, l’approche
documentaire et la force d’interprétation du duo des Thomas font cependant de ce Voyage au Groenland
une œuvre plus riche et plus puissante, à mon avis la meilleure de Sébastien Betbeder à ce jour.
LA JEUNE FILLE SANS MAINS
un film de Sébastien Laudenbach
Pour la période des fêtes de fins d’année, l’Eldorado a prévu quelques dessins animés, un programme des
premiers Disney, extraits de la série des Alice Comedies (Lettre # 90), réalisés par Walt lui-même ; du drôle
et merveilleux Ivan Tsarévitch et la princesse changeante précédé de trois autres contes de Michel Ocelot,
tous repris de la série Dragons et princesses ; enfin il y a le premier long métrage de Sébastien Laudenbach,
La Jeune Fille sans mains. Difficile d’être le petit nouveau face à Disney et Ocelot qui, chacun à sa manière,
ont marqué l’histoire du dessin animé et modifié le paysage du film jeune public. En sera-t-il de même du
nouveau venu ? Impossible à dire à présent, mais, en tout cas, le jeune animateur choisit de se démarquer
du tout-venant de la production actuelle.
Sébastien Laudenbach choisit l’épure. L’image tout d’abord. Pour cette peinture animée, le réalisateur ne
cherche jamais à remplir le cadre, seuls les éléments importants y apparaissent, parfois se recouvrant l’un
l’autre sans pour autant nécessairement que le plus proche cache le plus éloigné, comme dans un rêve.
Quelques traits suffisent pour que nous reconnaissions une jeune fille, un pommier, un moulin, des objets
du quotidien ou même surréalistes, telle la « nourrice » composée d’une multitude de seins. Ces traits peuvent se déformer, s’estomper ou se raviver, vibrer… insufflant une vie aux éléments, au dessin même, par
leur fragilité. Le tout nous place dans un monde de conte, fabuleux, où la métamorphose la plus improbable
est crédible. Ainsi Sébastien Laudenbach choisit d’être moins précis que le texte des frères Grimm, laissant
le spectateur recourir à son imagination pour combler les blancs, de l’image comme du récit.
Récit lui aussi épuré donc, y compris dans le montage qui de temps en temps donne l’impression d’un collage de tableaux successif avant d’en laisser apparaître la signification. Les choix esthétiques atténuent les
moments d’extrême violence et de sexualité qu’un dessin plus réaliste aurait rendu insoutenables, pour un
enfant en tout cas, et qui auraient détourné l’attention du spectateur du sens profond du conte. Sébastien
Laudenbach retrouve ainsi le pouvoir d’abstraction de la littérature qui fait si souvent
défaut au cinéma. Comme le récit de la lutte
de la jeune fille contre un Diable protéiforme
et adepte du quiproquo, mieux peut-être, la
fluidité des traits, la désynchronisation des
contours et du contenu, la persistance des
traces nous interrogent sur la vérité et les
apparences. Vous l’aurez compris, La Jeune
Fille sans mains est un magnifique film
« pour enfants » qu’il serait dommage de ne
réserver qu’à eux.
Rencontre avec le réalisateur Sébastien Laudenbach
Archi
vendredi 23 décembre 2016, 18 h
LE FILM MYSTÈRE # 91
Dans Paterson de Jim Jarmush, qui sort ce mercredi, Paterson (Adam Driver)
et Laura (Golshifteh Farahani) vont voir le film mystère au cinéma. Si vous
n’avez pas été attentif, le costume de la demoiselle dans le photogramme cicontre, extrait du film mystère bien entendu, vous aidera peut-être.
Pour jouer, envoyez le titre du film mystère et de son réalisateur par courrier
électronique à l’adresse [email protected] ou déposez la
réponse en indiquant le numéro du film mystère, votre nom et des
coordonnées (de préférence une adresse électronique) dans l’urne située dans
le hall de l’Eldorado avant le dimanche 25 décembre minuit. Un bulletin sera
tiré au sort parmi les bonnes réponses et fera gagner deux places de cinéma à
son auteur. Bonne chance !
LA SOLUTION DU FILM MYSTÈRE # 90
Certains d’entre vous m’ont réprimandé car reconnaître le film mystère aurait été trop
facile, le double hypersexuel de Guy l’Éclair n’apparaissant que dans deux films. Ce n’est
sans doute pas Jean-Louis R. qui s’en plaindra, car, ayant reconnu Le Retour de Flesh Gordon
(Flesh Gordon Meets the Cosmic Cheerleaders ; 1990) de Howard T. Ziehm et sa réponse
ayant été tirée au sort, il emporte les deux places en jeu.
Dans cette version, Flesh Gordon est interprété par Vince Murdocco (au premier plan dans
le premier photogramme), un champion canadien de kick-boxing (comme vous pouvez le
constater dans le second photogramme) dont ce fut la première apparition au cinéma, et,
sans nul doute, la plus marquante malgré la piètre valeur du film. Durant les années quatrevingt-dix et plus rarement après 2000, il tint des seconds rôles souvent musclés comme dans
Kickboxer 2 : Le Successeur (Kickboxer 2: The Road Back ; 1991) d’Albert Pyun, Le Cercle de
feu (Ring of Fire ; 1991) de Richard W. Munchkin et Rick Jacobson, The Barber (2002) de
Michael Bafaro, ou L’Agence tous risques (The A-Team ; 2010) de Joe Carnahan. Rien d’inoubliable, la plupart des films étant sortis directement en vidéo ou n’ayant jamais été distribués dans les salles françaises. Depuis une dizaine d’années, il a été crédité comme cascadeur dans certaines productions Marvel telles
Le Voyage au Groenland (France ; 2016 ;
X-Men : L’Affrontement (X-Men: The Last
1 h 38 ; couleur, 1.85:1 ; 5.1), écrit et réalisé
Strand ; 2006) de Brett Ratner et L’Incroyable Hulk (The Incredible Hulk ; 2008) de
par Sébastien Betbeder, produit par Frédéric
Louis Leterrier, et autres films à grand spectacle, 2012 (2009) de Roland EmmeDubreuil. Musique de Minizza, image de Sérich, Le Territoire des loups (The Grey ; 2011) de Joe Carnahan…
EN BREF ET EN VRAC
 En panne d’idée pour un cadeau de Noël ? Le carnet de 10 places (52 €) est
un grand classique, mais la carte de cinq places (28 €) est plus exceptionnelle.
Et il a bien sûr le sac de toile Eldorado, sobre et élégant (10 €), ou la sérigraphie (20 €) à accrocher dans la chambre à coucher pour rêver des prochains
films Art et essai. De plus, l’aimable établissement vous fera une ristourne si
vous panachez vos achats, une carte cinq places avec un sac pour le transporter : 35 € au lieu de 38 € ; et, comme il reste de la place dans le sac, si vous
ajoutez la sérigraphie : 50 € le tout au lieu de 58 €.
 Au début du mois, Benoît Jacquot était venu présenter À jamais en compagnie de la scénariste et actrice principale du film, la jeune et jolie Julia Roy.
Aurélio Savini (CinéDV) les a interrogés et vous pouvez retrouver les deux entretiens sur le site Web de l’Eldorado, rubrique « Entretiens filmés ». Quant
au film, il est encore en salle pour quelques séances.
 Préventes en cours pour les séances spéciales des films Le Voyage au Groenland (22/12), La Jeune Fille sans mains (23/12) et Les Jours ici (27/01).
 Attention ! Dernières séances d’À jamais (Lettre # 89), Ma’ Rosa (Lettre # 89)
et Une vie (Lettre # 88).
PROCHAINS RENDEZ-VOUS À L’ELDO
Décembre
• Jeudi 22, 20 h 15 : Le Voyage au Groenland en présence de l’acteur François
Chattot.
• Vendredi 23, 18 h : La Jeune Fille sans mains en présence du réalisateur Sébastien Laudenbach.
Janvier
• Vendredi 6, 20 h 15 : Comme des lions en présence du délégué C.G.T. Philippe Julien.
bastien Godefroy, montage de Céline Canard.
Avec Thomas Blanchard (Thomas), Thomas
Scimeca (Thomas), François Chattot (Nathan),
Ole Eliassen (Ole), Adam Eskilden (Adam), Judith Henry (la professeure de théâtre) et les
habitants de Kullorsuaq. Distribué par UFO
Distribution, sortie française : 30 novembre
2016.
La Jeune Fille sans mains (France ; 2016 ;
1 h 16 ; couleur ; 5.1), écrit et réalisé par Sébastien Laudenbach d’après le conte des
frères Grimm et La Jeune Fille, le Diable et le
moulin d’Olivier Py, produit par Jean-Christophe Soulageon. Musique d’Olivier Mellano,
image de Sébastien Laudenbach, montage de
Santi Minasi et Sébastien Laudenbach. Avec
les voix d’Anaïs Demoustier (la jeune fille), Jérémie Elkaïm (le prince). Distribué par Shellac,
sortie française : 14 décembre 2016. Mention
du jury au Festival du film d’animation d’Annecy 2016.
Cinéma Eldorado
21, rue Alfred de Musset
21 000 DIJON
Site Web : http://www.cinema-eldorado.fr
Courriel : [email protected]
Twitter : @CinmaEldorado
Facebook : CinemaEldorado
La Lettre d’Archimède
Site web :
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Courriel : [email protected]

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