La séquestration géologique du CO2

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La séquestration géologique du CO2
FICH E DE SYNTHÈSE SCI ENTI FIQUE
N° 2 - Septembre 2003
Lutte contre les gaz à effet de serre
La séquestration
géologique du CO2
Le gaz carbonique produit par les
activités humaines contribue aux
désordres climatiques.
Son stockage géologique peut
être une solution à moyen terme
pour réduire ces risques.
Le point sur cette question
d’actualité.
limat désordonné, catastrophes
naturelles à répétition, fonte de
glaciers, élévation du niveau de
la mer : notre planète est en danger.
La très grande majorité des experts
s’accorde maintenant à penser que
les émissions anthropiques sont à
l’origine de ces désordres annoncés
par certains comme dramatiques à
moyen et long terme. Parmi ces gaz,
le CO 2 (gaz carbonique ou dioxyde de
carbone), produit en quantité
considérable par les transpor ts,
l’habitat ou les activités industrielles
est considéré comme le plus
dangereux et en grande partie responsable de l’augmentation de l’effet
de serre.
Les engagements internationaux formalisés à Kyoto en 1997 doivent se
traduire par une réduction de ces
émissions de CO 2 directement liées à
l’activité humaine «productrice»
aujourd’hui de 30 milliards de tonnes
par an. Un chiffre qui pourrait
atteindre 110 milliards en 2100 avec
C
Direction de la Communication et des Éditions - D. Roblin - Tél. 02 38 64 39 76
comme conséquences directes l’augmentation des températures, la fonte
des glaciers et l’élévation du niveau
des mers de 9 à 88 centimètres. Ces
différents scénarios dépendent des
modes de gestion des terres (surfaces
cultivées, forêts) mais surtout des
politiques énergétiques mises en
œuvre. Plus des trois quar ts des
émissions de ce gaz sont imputables
aux combustibles fossiles (pétrole,
charbon, gaz) utilisés dans les centrales thermiques, les centres sidérurgiques et pour le chauffage ou les
transports. C’est dire que ces émissions dépendent avant tout du
mode de développement : un NordAméricain produit en moyenne 8 fois
plus de CO 2 qu’un Sud-Américain et
près de 20 fois plus qu’un Africain !
CAPTURER LE CO2
À LA SOURCE
Ce concept de «séquestration
géologique» est encore une idée
neuve puisque les premiers grands
travaux
de
recherche
n’ont
véritablement commencé qu’au
début des années 90. «C’est
encourageant»,
note
Isabelle
Czernichowski-Lauriol, responsable
du programme «stockage géologique de CO 2 » au BRGM, «car il y a
de plus en plus d’intérêt de la communauté scientifique et industrielle
internationale pour cette question.
C’est dire si elle est jugée porteuse
d’avenir».
Principaux gisements naturels de CO2 exploités (Sud de la France et Vallée du Rhône)
PLUSIEURS PISTES
DE RECHERCHES
Depuis 1950, la température augmente de 0,15°C tous les 10 ans et le
20ème siècle restera comme le plus
chaud du millénaire. Une évolution
qui va se poursuivre : les experts
prévoient que d’ici 2100 l’augmentation moyenne des températures
se situera entre 1,4 et 5,8°C avec des
impacts sensibles pour la planète.
Il faut donc réduire les émissions
de CO 2 . Le protocole adopté à Kyoto
prévoit que d’ici 2012 les émissions
mondiales des six gaz à effet de
serre (dont le CO 2 ) devront avoir
diminué de 5,2 % par rappor t à
1990. Pour l’Union Européenne,
cette baisse est chiffrée à 8 % alors
que la France devra stabiliser ses
émissions à son niveau de 1990.
Club CO2
Ce réseau français fédère l’activité
d’entreprises émettrices de CO2 et
d’instituts de recherche dans le
domaine des études, de la recherche
et du développement technologique
en matière de capture et de stockage
du CO2. La présidence est assurée par
l’ADEME avec la participation de
Total, Usinor, IFP (Institut français du
pétrole), BRGM ( qui assure,
conjointement avec l’IFP,
le secrétariat du réseau), l’Air Liquide,
Alstom, CNRS, EDF, GDF ...
Pour parvenir à ces résultats, plusieurs actions ou politiques peuvent être mises en place : maîtrise
de la demande énergétique (économies d’énergies, gains en efficacité
énergétique) et recours à des énergies à moindres impacts en terme
d’émission de CO 2 (remplacement
du pétrole et du charbon par le gaz
naturel, nucléaire, énergies renouvelables). Des recherches pour le
long terme sont également engagées : fixation du CO 2 en un produit
stable (le carbonate) pour former
des roches carbonatées selon un
processus naturel, biofixation de
CO 2 par la photosynthèse de micro
algues, production de méthane
avec du CO 2 grâce aux bactéries
méthanogènes...
L’une des recherches, aujourd’hui à
un stade très avancé et avec des
perspectives prometteuses, concerne le stockage géologique. «Pour
lutter contre l’augmentation de
l’effet de serre, explique Nathalie
Audibert, chercheur au BRGM où
elle vient de réaliser une importante étude sur cette question, il faut
isoler durablement le CO 2 de l’atmosphère pour qu’il ne concourre
pas à per turber l’équilibre thermique de la terre. Pour autant, la
séquestration n’est qu’une des
options pour endiguer l’augmentation exponentielle de CO 2 ».
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Cette recherche repose sur un
constat (dans l’immédiat il n’est
pas possible de réduire autant qu’il
le faudrait ces émissions de gaz) et
une technique (la capture et le
stockage souterrain des gaz). Ce
procédé suppose de récupérer le
CO 2 là où il est produit en grande
quantité comme les centrales thermiques qui émettent 30 % du CO 2
mondial.
Mais avant de mettre en pratique
cette idée «révolutionnaire» les
scientifiques, notamment ceux du
BRGM, devront répondre à une multitude de questions : comment
récupérer ces gaz ?, comment les
transpor ter vers les lieux de
stockage ?, comment se comportera
ce CO 2 et les roches durant des milliers d’années... ?
Des problèmes complexes, mais qui
s’appuient pour tant sur un fait
incontestable : le stockage de CO 2
existe déjà à l’état naturel. Lors de
la formation des couches géologiques, des gaz ont été emprisonnés dans des réservoirs géologiques
où certains dorment depuis 15 millions d’années. C’est vrai en particulier dans le Colorado et en France
avec plusieurs gisements de CO 2
exploités dans le sud et la vallée du
Rhône. Par fois même ce CO 2
s’échappe par des fissures, rejoint
des nappes aquifères ou des
sources pour donner... de l’eau
pétillante.
Une hypothèse crédible
en France
Les transports et le bâtiment sont les
plus grands pourvoyeurs de CO2. Mais
seules les émissions industrielles
concentrées pourront être capturées
et piégées. Elles sont estimées à
160 millions de tonnes par an en
France dont 27 millions dans le
Nord - Pas-de-Calais et 8 millions en
Ile-de-France. Des sites sensibles
(supérieurs à un million de tonnes)
sont également localisés à
Saint-Nazaire, Rouen, Lille, dans la
sidérurgie de l’Est, les raffineries de la
vallée du Rhône, Fos-sur Mer, Lacq...
La France présente de bonnes
possibilités de stockage dans les bassins sédimentaires du Bassin parisien,
de l’Aquitaine ou du Sud-Est mais
aussi peut-être dans les veines de
charbon profondes non exploitées.
À elle seule, la capacité de stockage
du Bassin parisien est estimée à
plusieurs gigatonnes (milliards de
tonnes).
La plate-forme de Sleipner
DES CAPACITÉS DE STOCKAGE
CONSIDÉRABLES
DES EXPÉRIENCES DÉJÀ
CONCLUANTES
Des recherches sont en cours aux
USA, en Australie, au Japon et bien
sûr en Europe où le BRGM a joué un
rôle pionnier avec le programme
Joule qui remonte au début des
années 90. Plusieurs programmes
internationaux sont lancés avec
différentes
pistes
explorées.
D’anciens réservoirs d’hydrocarbures, des veines de charbon non
exploitables et des aquifères profonds pourraient emprisonner ces
gaz avec des capacités fantastiques
à moyen terme.
Les experts estiment en effet les
capacités de stockage dans les
nappes aquifères à plusieurs centaines voire plusieurs milliers de
milliards de tonnes... Encore faudra-t-il au préalable résoudre des
problèmes techniques, surmonter
les
questions
financières
et
répondre à une question de fond : le
stockage de CO 2 ne va-t-il pas
encourager certains pays à émettre
encore davantage? Pour les scientifiques, la réponse est claire : la
séquestration ne doit se faire qu’en
accompagnant une politique de
réduction des émissions de CO 2 à la
base.
Depuis peu, la recherche sur cette
question est entrée en phase active
avec deux expérimentations. A
Sleipner, un million de tonnes de
CO 2 sont injectées chaque année
depuis 1996 dans un aquifère profond situé à 1000 m dans le soussol de la mer du Nord. Ce CO 2 , qui
provient de l’extraction de gaz
naturel à partir d’une plate-forme
off-shore, est capturé à sa source
puis réinjecté sous le plancher
océanique. Cette séquestration présente l’avantage de ramener la proportion de CO 2 dans le gaz produit
de 9 à 2,5 %, maximum autorisé par
les critères de vente, et d’éviter à la
compagnie norvégienne Statoil de
payer la taxe sur le CO 2 émis.
A Weyburn, la séquestration
(1,8 Mt/an depuis 2000) est réalisée
dans un champ pétrolier. Le CO 2
séquestré provient d’une usine de
gazéïfication du charbon située aux
USA (nord du Dakota). Il est acheminé, par un pipe-line de 330 km,
jusqu’à Weyburn où, réinjecté, il
permet la récupération assistée de
pétrole. Que ce soit à Sleipner ou à
Weyburn on voit bien que la
séquestration du CO 2 présente un
double bénéfice : environnemental
et économique.
Weyburn
Des recherches
bien engagées
De nombreux programmes de
recherches ont été lancés au niveau
international. Le BRGM après
sa participation, au projet européen
pionnier JOULE II sur la faisabilité du
concept (1993-95) est impliqué dans
plusieurs projets de recherche
européens ( SACS, SACS II, GESTCO,
NASCENT, WEYBURN, CO2NET),
un projet français (PICOR)
et un projet de recherche
sous-contrat piloté par des
industriels (SAMCARDS). D’autres
projets devraient voir le jour
prochainement, en France et en
Europe avec le grand projet européen
CASTOR et le réseau d’excellence
CO2GeoNet.
Des coûts supportables ?
Le succès de cette technique
dépendra en grande partie de son
coût. On estime le coût global
(capture+transport+stockage)
entre 40 à 60 dollars la tonne de CO2
évitée. C’est la capture (séparation du
CO2 des autres gaz) qui représente
l’essentiel de la charge à laquelle il
faut ajouter des coûts induits.
La capture du CO2 produit par une
centrale thermique entraîne en effet
une perte de rendement de celle-ci
et donc une augmentation du prix de
l’électricité produite.
Mais l’amélioration des process
industriels devrait entraîner, à terme,
une réduction sensible de ces coûts
techniques.
Le stockage géologique est une
hypothèse tout à fait crédible en
France. Du stockage géologique de
gaz naturel est déjà opérationnel
dans plusieurs régions tandis que
les aquifères profonds (au-delà de
800 mètres de profondeur) des
grands
bassins
sédimentaires
offrent des capacités de stockage
très importantes. «La potentialité
des options de séquestration industrielle est énorme et pourrait couvrir largement les objectifs visés
dans la lutte contre le réchauffement climatique» estime ainsi
Isabelle Czernichowski-Lauriol.
Pourtant, cette séquestration géologique du CO 2 ne pourra être mise
en œuvre qu’à moyen terme. De
nombreuses recherches sont en
effet encore indispensables pour
comprendre les processus physiques et chimiques dans le réservoir de stockage, pour choisir des
sites, développer des méthodologies de surveillance, de suivi...
PREMIÈRES RÉALISATIONS
APRÈS 2010
Il faudra surmonter l’obstacle des
coûts aujourd’hui trop importants.
Et même si ces coûts deviennent
supportables, y-aura-t-il «acceptation sociale» de cette technique ? Si
l’objectif prioritaire à court terme
reste la réduction des émissions de
CO 2 , «l’avenir passe par une politique associant prévention et traitement, parce que ce n’est qu’en cumulant CO 2 évité et CO 2 séquestré que
l’on pourra écarter, selon Nathalie
Audiber t, le risque d’un bouleversement climatique de grande
ampleur». La séquestration géologique n’est donc qu’une des solutions
proposées.
Mais
elle
pourrait s’avérer indispensable
pour concilier développement économique et lutte contre le changement climatique tout en acceptant
une for te augmentation de la
population mondiale. Il est en effet
illusoire de viser un «zéro émission
de CO 2 » tant que les énergies fossiles seront prépondérantes dans la
consommation énergétique et alors
que de nouveaux et grands pays
émergents (Chine, Inde, Brésil...)
vont être fortement «producteurs».
De plus, cette solution serait transitoire entre les actuelles énergies
fossiles et les futures énergies
(hydrogène, piles à combustible,
solaire...).
Les choix devraient être rapides. La
référence internationale en la
matière, le GIEC (Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat) devrait en effet rendre un rapport, en 2005, sur la capture et le
stockage de CO 2 qui permettrait de
dégager l’horizon. Les premières
grandes opérations de stockage
pourraient donc voir le jour après
2010.
Pour en savoir plus :
Isabelle Czernichowski - Tél. 02 38 64 46 55.
Nathalie Audibert - Tél. 02 38 64 30 71.
Collaboration rédactionnelle :
Jean-Jacques Talpin
Centre scientifique et technique
BRGM - 3, avenue Claude-Guillemin - BP 6009
45060 Orléans Cedex 2 - Tél. 02 38 64 34 34
www.brgm.fr
Septembre 2003
Ces recherches doivent permettre
d’étudier le compor tement des
roches et du sous-sol afin d’établir
des simulations pour un stockage
durant plusieurs siècles ou millénaires. Ces expérimentations s’appuient sur des techniques déjà
anciennes dans l’industrie pétrolière
et gazière où l’injection de CO 2 facilite les extractions et prolonge la
durée de vie des gisements.