Le sens d`un dialogue sur Internet

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Le sens d`un dialogue sur Internet
 Le sens d’un dialogue sur Internet Synthèse de l’intervention du P. Julien DUPONT pour la CORREF – Samedi 1er mars 2014 PARTIE I : De l’incommunication au dialogue Internet peut tout à fait juxtaposer des idées, des positions… et être le lieu de l’incommunication1, c’est à dire de l’absence de relations entre deux choses ou deux personnes. Cette réalité rappelle celle de Babel2. Cependant, pour nous qui sommes disciples de Christ, l’Esprit-­‐Saint ne cesse de pénétrer nos vies depuis la Pentecôte. Alors comment vivre sur Internet pour que les humains se comprennent et qu’ils entrent ainsi en relation ? Cette question est celle de l’Eglise depuis Communio et progressio (1971). Dans ce document, les moyens de communication sociale sont vus comme des outils qui « contribuent à augmenter l'union entre les hommes et à favoriser leur mutuelle collaboration » (n°7). Ce texte va jusqu’à dire que « les moyens de communication sociale présentent donc un triple intérêt pour le Peuple de Dieu: ils aident l'Eglise à se révéler au monde moderne; ils favorisent le dialogue à l'intérieur de l'Eglise; ils apprennent à l'Eglise les mentalités et les attitudes de l'homme contemporain, car Dieu l'a chargée de porter à cet homme le message du salut, dans un langage qu'il puisse comprendre, à partir des questions qu'il se pose et qui lui tiennent à cœur » (n°125). Il s’agit ici de dialoguer. Ce mot revient justement à trente-­‐sept reprises dans ce texte. Qu’est-­‐ce que signifie dialoguer ? L’étymologie de ce mot est claire : il s’agit d’un échange (dia) dans l’acte de parler (legein). Ainsi, dialoguer ce n’est pas convaincre son détracteur où trouver une vérité́ médiane. Il s’agit bien plus de permettre à chacun des partenaires de la conversation d’affiner leur propre compréhension et leur recherche personnelle. PARTIE II : Comment Jésus dialogue-­‐t-­‐il ? (Jn 8, 1-­‐11) 1. Une parole qui vient après un silence Le Christ n’a pas commencé par parler, mais par écouter. « Jésus choisit le silence, faisant face à ce qui étouffe toute parole, toute possibilité d’entrer en communication avec les autres et même avec l’Autre » commente Lytta BASSET3. La question du silence est importante dans toute communication car sans lui, « aucune parole riche de sens ne peut exister »4. Evidemment, il y a différents types de silence, mais tous, comme tels, sont un élément du langage. Dans la bible, ce silence précède, interrompt ou prolonge la Parole de Dieu, éclairant ainsi le dialogue entre l’humanité et son Seigneur. Toujours, « il y a un temps pour se taire et un temps pour parler » (Qo 3, 7). 1
Samuel LEPASTIER (dir). L’incommunication. Paris : CNRS Editions, 2013 Dominique WOLTON. Informer n’est pas communiquer. Paris : CNRS Editions, 2010 3
Lytta BASSET. « Moi je ne juge personne » -­‐ L’Evangile au delà de la morale. Paris : Albin Michel, Col. Spiritualités vivantes, 2012 (2003) ; p. 83. 4
Cette citation provient du 46ème message de Benoît XVI pour la journée mondiale des communications sociales (20 mai 2012) intitulé « Silence et parole : chemin d’évangélisation ». C’est dire combien ce sujet est d’actualité pour l’Eglise Catholique. Ce document est disponible sur http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/messages/communications/documents/hf_ben-­‐xvi_mes_20120124_46th-­‐
world-­‐communications-­‐day_fr.html [consulté le 1er mars 2013] 2
2. Une parole qui ne juge ni ne condamne Si Jésus ne condamne pas, il n’est pas non plus celui qui juge. Cette péricope se trouve d’ailleurs enserrée entre deux prises de positions explicites de Jésus à cet égard : « cessez de juger sur l’apparence » (7, 24) et « vous, vous jugez selon la chair, moi je ne juge personne » (Jn 8, 15). Cela signifie que Jésus est celui qui ne juge ni ne condamne. Ainsi, en développant cette attitude de non jugement direct, Jésus cherche à respecter chaque personne, qu’elle soit émettrice d’un jugement ou accusée. 3. Une parole qui relève Le verdict final de clémence du Christ envers la pécheresse que fut cette femme lui ouvre un avenir. Cette victoire de la vie sur la mort ne peut que préfigurer la Résurrection du Christ, Résurrection à laquelle nous sommes tous appelés. D’ailleurs, la mention du temps dans lequel se situe ce récit n’est pas neutre. « Dès le point du jour » (v. 2), renvoie au même moment que celui du matin de la Résurrection. Notons aussi que cette Parole du Christ relève cette femme. Et cette parole est crédible à cause même de l’attitude de Jésus-­‐Christ qui y est accordée : il relève cette femme en se relevant lui-­‐même. Ainsi, la Parole de Dieu est-­‐elle Résurrection au sens où elle inaugure pour cette femme – et à travers elle, pour l’humanité entière – un monde nouveau. C’est pourquoi Joseph Caillot écrit que « cette parole est naissance, cette parole est création, parce qu’elle provoque à son tour du neuf chez tous ses auditeurs. Bref, dès que Jésus parle, (...) c’est l’univers stérile de la répétition qui se brise, c’est un monde nouveau qui s’ouvre »5. 4. Une parole qui engage à accorder pleinement actes et paroles Si la Parole de Jésus-­‐Christ fut performative, c’est précisément parce qu’il s’est mis à hauteur d’autrui en communicant, mais aussi parce qu’il existait alors une véritable cohérence entre ses paroles et ses actes. Dans ce récit, lorsque Jésus ordonne à la femme de ne plus dévier (v. 11), cette parole rend compte de sa propre attitude. De fait, devant une telle parole, il ne s’agit plus de discourir, mais de s’engager personnellement. Car s’il ne s’y engage pas, sa parole se réduit à un discours vide, sans aucune crédibilité. 5. Une parole qui promeut la communion Pour promouvoir la communion, Jésus communique sans dominer autrui. Ainsi, sa parole prend en compte son auditeur, non pas d’abord pour qu’il reçoive le message émis mais pour qu’il en devienne lui-­‐même l’émetteur. Ainsi, la communion se vit déjà dans la participation à une même mission puisque Jésus et son auditeur sont appelés à être, ensemble, émetteurs du même message. Chercher la communion dans toute communication, c’est donc prendre soin de l’autre pour ce qu’il est, en étant en même temps l’émetteur et le récepteur du message. PARTIE III : Dialoguer, c’est prendre en compte l’autre Si Jésus dialogue ainsi, en se laissant « bousculer » par l’autre, analysons nos pratiques, en conscience sur la manière dont nous communiquons. Alex MUCCHIELLI définit cinq types de communication qui sont autant de compréhension du dialogue6. 5
Joseph CAILLOT. « L’espace de la libre marche » in Dominique MEENS, Joseph CAILLOT et Joséphine LE FOLL. Le Christ et la femme adultère. Paris : DDB, Col. Triptyque, 2001 ; p. 80. 6
Alex MUCCHIELLI. La nouvelle communication. Épistémologie des sciences de l’information-­‐communication. Paris : Armand Colin, 2000 1. La communication-­‐transmission d’information Nous voyions ici un type de communication qui ne permet pas directement le dialogue. Il s’agit, de transmettre quelque chose que l’on a à dire, avec une certaine « verticalité ». Une information (contenu) est donnée au récepteur (contenant). 2. La communication-­‐transaction MUCCHIELLI donne ici l’exemple d’un garçon qui siffle une fille pour attirer son attention et peut-­‐être provoquer une rencontre. Ici, il n’y a pas de contenu, mais un code qui permet d'enclencher et de maintenir la communication. 3. La communication-­‐participation La participation nécessite de prendre en compte la « cible » ou le « récepteur » du message. Chercher la participation, c’est faire une proposition qui tient compte de l’autre, et pas simplement de ce que l’on pense de l’autre. 4. La communication-­‐expression d’un débat Débattre, c’est plus que prendre en compte l’autre. C’est l’écouter dans un premier temps et parler ensemble. Dans ce cas, la communication est pensée comme un lien avec autrui, lien que l’on entretien. 5. La communication-­‐processus de transformation de la situation Là, il s’agit d’aller jusqu’au bout de l’exercice communicationnel : la communication n'est pas conçue ici comme un simple lieu de transmission ou même de débat, mais d’implication directe et de changement d'attitude. C’est ici et seulement ici qu’un goût d’Evangile se fait sentir. Cf. exhortation la joie de l’Evangile, n°142 : « Un dialogue est beaucoup plus que la communication d’une vérité. Il se réalise par le goût de parler et par le bien concret qui se communique entre ceux qui s’aiment au moyen des paroles. C’est un bien qui ne consiste pas en des choses, mais dans les personnes elles-­‐mêmes qui se donnent mutuellement dans le dialogue. »