L`ode aux Champs-Élysées

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L`ode aux Champs-Élysées
Solutions
LUMIÈRE
Vuitton
« Luxe, calme et volupté » :
le vaisseau amiral de Vuitton fait
résonner autrement à nos oreilles
ce vers de Baudelaire.
Parcours doux, lumière naturelle
frisante, éclairages subtils,
œuvres lumineuses portent
E
NTRER dans la grande maison Vuitton, 101, avenue des
Champs-Elysées, c’est poursuivre une balade commencée
place de l’Etoile, avec le sentiment que l’on n’a pas quitté la
lumière du jour. Ni l’avenue elle-même et ses rues transverses,
que l’on aperçoit quel que soit l’espace où l’on se trouve dans
l’enceinte. La foule qui se presse là dès l’ouverture ne fait
qu’accroître ce sentiment. Le lieu est baigné de lumière, les murs
percés de baies immenses. Les teintes sont claires, les volumes majestueux sans ostentation. Tout y incite à flâner.
« Promenade » et « lumière » sont les deux clés qui ouvrent les portes du
concept architectural mis en œuvre pour la réouverture du vaisseau amiral
de l’enseigne. Avec ses 1 800 m2, répartis en 4 niveaux, l’immeuble historique des Champs-Elysées est le plus grand magasin du numéro 1 du luxe.
« Chaque magasin Vuitton dans le monde innove dans son architecture.
Cette politique s’appuie sur un staff d’architectes impressionnant. Mais pour
PHOTO ©LOUIS VUITTON / STÉPHANE MURATET
C’est par le biais des vitrines immenses tout en verticalité, et en
revisitant les bandeaux horizontaux des anciennes enseignes,
que les architectes ont pu signer l’identité Louis Vuitton de
la façade inscrite en jouant sur l’éclairage et la maille. Au
niveau de la rotonde, le sigle de la marque est rétroéclairé.
rénover celui-ci, dont la façade 30
est inscrite, nous ne pouvions
toucher au bâti, explique Eric
Carlson, architecte et fondateur de
l’agence Carbondale. Nous avons
donc travaillé sur l’architecture intérieure et fait venir l’extérieur audedans. Nous l’avons transformé en
un lieu de promenade et de shopping, en osmose avec l’identité des
Champs-Elysées. »
Cela commence par le sol de pierre
polie, dont le calepinage et le matériau rappellent discrètement les
dalles de granit qui composent le
trottoir de l’avenue. Puis la configuration architecturale intérieure prolonge l’illusion. « Une promenade est un
mouvement corporel fluide. La difficulté était donc de faire circuler les
visiteurs sur 4 étages, sans effort et sans qu’ils s’en rendent compte.
Nous les emmenons par un escalator jusqu’en haut. Là commence le
parcours. Ils redescendent insensiblement selon un tracé en spirale, par
une série de 4 terrasses jusqu’à l’entrée du magasin. C’est comme si nous
reprenions le trottoir de l’avenue et l’enroulions à l’intérieur du magasin. »
Ce schéma, inspiré par l’architecture du musée Gugenheim à New-York,
en est l’exact négatif : ici, on monte en suivant une rampe, les œuvres sont
accrochées aux murs, à gauche ; là, on descend par une série de
terrasses, les produits sont à l’intérieur de la spirale, à droite. La lumière
naturelle entre à gauche, par les baies et fenêtres.
DOC. CARLSON/CARBONDALE
L’ode aux
Champs-Élysées
PHOTO ©LOUIS VUITTON / VINCENT KNAPP
le sceau de la marque.
La maille
La seconde innovation de ce magasin atypique est la technique imaginée
pour contrôler la lumière naturelle. « Il est encore très rare, note Eric
Carlson, d’utiliser la lumière du jour dans une boutique de luxe où tout
repose sur un éclairage artificiel sophistiqué. Ici, l’immeuble s’y prête.
Toutes ses faces donnent sur la rue. On ne quitte jamais le dehors. »
C’est cela qui va ancrer l’illusion que l’on n’a jamais quitté l’avenue. Mais
la lumière solaire ne peut être exploitée telle quelle. Elle est trop crue, trop
violente pour les produits comme pour l’ambiance luxueuse qui doit
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lumière
SOLUTIONS
720 000 points de fibres
optiques
PHOTO ©LOUIS VUITTON / STÉPHANE MURATET
Comment attirer le visiteur dans un tunnel long de 20 m, lui faire oublier qu’il
monte – même si c’est par un escalator – une pente à 30° pendant 40 secondes ?
En le plongeant dans l’art. Le mur vidéo de 20 m de long sur 2,5 m de haut de
Tim White-Sobieski est une peinture en mouvement, sur un thème qui lui est
cher : la vie, les saisons, la transformation constante. C’est également une
prouesse technologique : chacun de ses pixels correspond à une fibre optique.
Il y en a 720 000. En effet, l’espace très étroit de l’escalier (30 cm de profondeur
pour l’écran) obligeait à trouver une solution technique spécifique.
Impossible en effet de loger des matériels vidéo classiques ou des écrans à LED
qui nécessitent un système de ventilation. Autre contrainte : l’entretien. Il n’était
pas question de démonter le mur-écran. D’où l’idée d’utiliser des fibres optiques
comme vecteur de la vidéo en déportant la source de lumière et en réservant
l’espace mural aux seules fibres. Accessibles, installés dans le plafond de
l’escalator, 12 vidéoprojecteurs, dotés d’une optique, d’une électronique et d’une
régie spécifiques, transmettent l’image aux fibres optiques. Ils servent aussi de
générateurs. La maison Vuitton aime les fibres optiques.
Dans l’escalier de marbre qui achève le parcours en spirale, des milliers de
fibres optiques permettent de projeter des images sur la contremarche.
Un concept déjà mis en œuvre au Japon.
La maille « Monogram » est fabriquée pièce par pièce,
artisanalement. Composée de 110 000 pièces assemblées et
27 000 incrustations (Wengé, verre, porcelaines, cuir), elle
identifie, décore, guide et sert de filtre pour la lumière du jour.
émaner du lieu. Elle a besoin d’un filtre. Dans son arsenal d’éléments
décoratifs, Vuitton a créé une grille composée de « mailles » métalliques
qui répètent son monogramme à l’infini. Placée à l’intérieur, épousant sur
toute la hauteur du magasin la ligne du mur et des baies, cette double
peau, qui ne quitte jamais la gauche du promeneur, sert à guider et à
délimiter certains espaces. Mais elle va permettre aussi de contrôler et
réorienter le flux solaire. La lumière est travaillée par les mailles qui la
renvoient en une multitude d’angles différents dans l’espace intérieur, les
mailles n’ayant pas la même épaisseur sur toute leur surface (8 mm à
l’extérieur pour attraper la lumière, 3 mm à l’intérieur). « Ce mélange
génère une lumière horizontale, et recrée l’ambiance fluide et naturelle
de l’avenue, analogue à celui qu’opèrent les arbres au-dehors. » Pour
améliorer le filtrage, autant que pour faire ressentir le luxe propre à la
marque, certaines mailles sont incrustées de matériaux nobles. La
composition de la grille de mailles, au niveau des ouvertures, répartit les
incrustations pour mieux contrôler les apports de lumière du jour.
Ces mailles, visibles du dehors en arrière-plan des vitrines de 7 m de
haut, signent aussi l’identité d’une façade intouchable. Là encore, elles
jouent avec la lumière : les reflets rasants du soleil, à l’aube ou au
couchant, la font briller à l’image des balcons de fer forgé des
immeubles environnants. Un éclairage qui n’a coûté que… de la créativité et un budget considérable… non révélé.
Un éclairage de musée
La lumière artificielle toutefois n’a pas dit son dernier mot. La mise en
valeur des produits puis la tombée de la nuit l’appellent nécessairement.
Mais, avant tout, le concept repose sur l’équilibre entre lumière naturelle
et lumière artificielle. « La mise en valeur des produits est une évidence
dans tout magasin. Ici, l’enjeu consistait à contrôler parfaitement le lien
entre l’architecture, la lumière naturelle et l’éclairage de valorisation,
confirme l’éclairagiste George Sexton (George Sexton Associates,
Washington). Nous avons traité tous les espaces comme s’il s’agissait
Mur lumineux : ce développement,
d’un musée où cette mixité peut
imaginé par Vuitton, a demandé au
exister. Cela se traduit par l’intégrafabricant lyonnais Flux, 6 mois pour la
tion totale des équipements, leur
conception, et 9 pour la fabrication.
invisibilité, l’utilisation d’appareils à
haute performance optique, des
sources gradables, reliées à un
système de gestion de l’éclairage capable d’équilibrer les niveaux d’éclairement en fonction des variations d’apport de la lumière naturelle. »
Les matériels utilisés produisent une lumière de grande qualité, grâce
à une palette étendue de systèmes optiques à lentilles spécifiques, à
une conception qui évite la perte de flux la nuit, et, bien sûr, à la mise
en œuvre de sources, désormais classiques dans les commerces haut
de gamme : les halogènes de dernière génération, les iodures métalliques à brûleur céramique, quelques minispots à LED – notamment
pour les bijoux – et des fibres optiques. Température de couleur :
3 000 K. Tous les matériels ont été spécialement développés pour
Vuitton, depuis plusieurs années, par différents fabricants.
La plupart des appareils sont orientables, pour répondre à la fois à la flexibilité de l’aménagement intérieur au mobilier modulaire, conçu par l’architecte
américain Peter Marino, et pour maîtriser la direction du flux sur les produits.
L’éclairage des 13 vitrines, hautes de 7 m sur 4 m de large, donnant
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LUMIÈRE
L’atrium
Sur 20 m de hauteur, 1 900 tiges d’acier poli, à section biseautée, semblent
ruisseler le long des parois d’un dôme qui se perd dans le ciel. Elles scintillent
et renvoient des éclats de lumière dorée dans l’espace. Pourtant, il n’y a pas
vraiment de dôme, mais un demi-dôme dont le reflet dans un miroir de 260 m2
reforme l’autre moitié. La lumière provient d’une série de projecteurs masqués
par les étagères de bagages. Elle est dirigée vers le centre du miroir, d’où elle
repart sur les tiges qui la renvoient vers l’œil. « Le blanc des murs et la couleur
des tiges dont le corps est en inox et la section en laiton ou inox, génèrent une
lumière blonde et scintillante que nous avons voulue proche de la couleur du
champagne, expliquent Eric Carlson et George Sexton. Ce lieu, qui revisite le
principe de l’atrium central, est un écrin de calme. »
PHOTO ©LOUIS VUITTON / STÉPHANE MURATET
sur l’avenue, est à ce titre exemplaire. Le pourtour de la vitrine est
entièrement équipé de spots orientables dont les flux sont dirigés sur
les objets exposés pour créer le bon contraste sans perte de flux. « On
voit trop souvent des produits présentés sous une lumière zénithale et
dispersée qui les écrase. Il faut éclairer sous plusieurs angles pour
rehausser le volume et focaliser sur l’objet. » En contre-jour, les sacs,
ou mannequins de la vitrine, reçoivent une partie du flux des spots
orientables placés dans le plafond du rez-de-chaussée. Ce flux rase la
grille, tamise le fond de la vitrine et contrebalance la lumière du jour. A
l’intérieur du magasin, pour accroître la flexibilité autant que par souci
esthétique, les appareils installés au plafond – à quelques exceptions
près – sont disposés avec sobriété dans des gorges rectangulaires selon
des axes tantôt parallèles, tantôt perpendiculaires les uns aux autres.
Un dessin dont le motif est rappelé au sol.
Grand maître d’œuvre des scénarios lumière, un imposant système de
gestion de l’éclairage entièrement numérique – processeur, câblage de
type « bus », 22 à 23 armoires de 24 circuits chacune, capteur de
lumière naturelle – agit en sous-main. « Le processeur du système
contrôle la constance des contrastes recherchés et du niveau d’éclairement en compensant les variations des apports de lumière solaire, il
gère les différents scénarios d’éclairage, et permet le réglage en
dernière minute des appareils après chaque modification de l’exposition
des produits. » A aucun moment le personnel n’intervient. Le résultat
final est convaincant. La lumière – 3 000 K – enveloppe le promeneur
et rehausse les produits. Elle joue avec l’architecture de Peter Marino et
les matériaux de ses espaces. Bois, cuirs, dallages, couleurs éclatantes
des sièges – en contraste avec la sobriété chromatique des murs et des
sols –, incrustations de la grille s’offrent à cette caresse tout en finesse.
L’art
Dans son voyage le long de la spirale, le promeneur traverse également des
lieux totalement atypiques, où la lumière du jour le cède à la lumière artificielle : l’escalator qui le mène, au départ, jusqu’au 7e étage, et l’atrium
central gigantesque, tout en verticalité, qu’Eric Carlson a imaginé comme un
contraste à l’horizontalité de ses terrasses (voir encadrés). L’atrium, haut de
6 étages (20 m), est un rappel en creux des fontaines Lalique de l’avenue
des Champs-Elysées. On y entre surpris par l’espace, par les parois miroitantes. L’ambiance est magique. En fait, une illusion d’optique savamment
orchestrée. Débouchant dans l’atrium, l’ascenseur « Votre perte de sens » de
l’artiste danois Olafur Eliasson, mène à l’espace d’expression culturelle du
7e étage. Cette boîte noire, capitonnée, à peine éclairée, est un lieu asensoriel, en contraste avec la profusion lumineuse ambiante. L’escalator, tunnel
sombre de 20 m, prête sa paroi
droite à une œuvre d’artiste. Un
immense écran lumineux, composé
de plusieurs centaines de milliers de
I Maître d’ouvrage : Louis Vuitton
fibres optiques, diffuse, sur une
surface de 50 m2, l’œuvre mobile
I Architectes :
de l’artiste Tim White Sobieski. Un
• Carbondale Paris : bâtiment et
rêve végétal. Cette poésie inattendue
conception intérieure, façade,
promenade, espace intérieur, atrium,
trouve un écho final dans l’œuvre de
peau métallique, escalator
James Turrell, « First Blush », sculp• Architectes associés et conception
ture lumineuse modulable, qui
• Peter Marino Associates (N.Y.) :
signe l’approche de la sortie. Une
mobilier, exposition mobilier, sols
œuvre pérenne, contrairement à
I Eclairage : George Sexton Associates
celles qui se succéderont dans l’esI Art : James Turrel (Arizona), Olafur
calator. Grand mécène, Vuitton a,
Eliasson (Berlin), Tim White-Sobieski
pour le plus grand de ses magasins
(New York)
dans le monde, convoqué la lumière
I Fibres optiques et vidéoprojecteurs :
jusque dans l’art.
Flux
PHOTO ©LOUIS VUITTON / VINCENT KNAPP
Les intervenants
ANNE LOMBARD
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I Gestion de l’éclairage : Lutron.

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