cygne noir - Nassim Nicholas Taleb

Transcription

cygne noir - Nassim Nicholas Taleb
La théorie du « cygne noir » appliquée
au 11 septembre fascine les
politiciens et les analystes US
Nassim Taleb à « L’Orient-Le Jour » :
« Je suis certain que personne
n’attaquera New York une deuxième
fois »
Nassim Taleb, « philosophe des sciences »,
mathématicien et statisticien.
New York, de Sylviane ZEHIL
Le rôle du hasard dans notre vie et sa
sous-estimation est un thème cher à
Nassim Taleb, « philosophe des
sciences », mathématicien et
statisticien. Dans son livre Fooled by
randomness (Leurré par le hasard),
traduit en quinze langues, ce Libanais
avait dégagé l’idée philosophique du «
cygne noir » appliquée aux grands
évènements de l’histoire. Une idée
(présentée dans nos colonnes en
décembre 2001) reprise par de
nombreux penseurs intellectuels,
philosophes et politiciens. Les formules
lapidaires et subtiles de Nassim Taleb
ont même été reprises, lors d’une
conférence de presse sur la guerre en
Irak, par le secrétaire d’État à la
Défense, Donald Rumsfeld : « The
unknown unknown » (l’inconnue
inconnue).
Fuyant la presse, Nassim Taleb se terre
dans « son laboratoire » pour mieux se
concentrer sur son prochain ouvrage
The black swan : why don’t we learn
that we don’t learn (Le cygne noir :
Pourquoi nous ne savons pas que nous
ne savons pas ?). Il donne des
conférences dans les universités et les
institutions à travers le monde, mais se
limite à un éditorial par an. Le dernier
en date, paru en avril dernier dans le
New York Times, explique à la
commission d’enquête sur le 11
septembre, qui a rendu son rapport final
en juillet dernier, et aux politiciens son
incapacité à anticiper les évènements. «
Ils n’ont rien compris aux évènements
du 11 septembre », dit-il. Refusant de
parler à la presse, il a quand même
accepté de recevoir L’Orient-Le Jour
dans son « laboratoire » de la 59e rue,
pour expliquer sa théorie.
Dès l’âge de 15 ans, Nassim Taleb
observe les évènements de l’histoire. Il
se rend compte qu’on les « voit à
l’envers, par la solution ». Pour ce
philosophe, c’est après l’évènement que
les choses apparaissent explicables
voire inévitables, ce qu’il appelle la «
distorsion rétrospective ». « On pense
avoir compris beaucoup plus après le
fait qu’avant », dit-il. La dynamique des
évènements historiques montre, selon
lui, qu’il y a une vision de « surcausalité
». L’homme, ajoute-t-il, est leurré par
des séquences aléatoires en pensant y
voir une certaine logique là où il n’y en a
pas. Nous sommes incapables de
concevoir les phénomènes historiques
alors que nous avons l’illusion de les
comprendre, précise-t-il. Preuve en est
les grands évènements historiques tels
que la Première Guerre mondiale, la
Seconde Guerre mondiale, le 11
septembre, les grandes faillites de
sociétés, la bulle financière de l’an
2000, la multiplication des best-sellers
(Harry Potter et La Passion de Mel
Gibson).
Le 11 septembre
Dans son prochain ouvrage, Nassim
Taleb consacre un chapitre à la guerre
du Liban qu’il appelle « le prototype
parfait du cygne noir ». Les évènements
du 11 septembre entrent aussi dans
cette catégorie. Quelles sont donc les
propriétés du cygne noir ? Il distingue
deux sortes de cygnes noirs : le bénin
et le vicieux. Le cygne bénin ne peut
pas être causé par les hommes
(tornades, tremblements de terre, «
black-out » électriques). Le cygne noir
vicieux a la propriété de paraître
prévisible après le fait. Il n’a lieu que si
l’on ne s’y attend pas. Après
l’évènement, on trouvera toujours une
personne qui l’aura prédit. C’est le cas
du 11 septembre. « Était-il possible de
prédire les évènements du 11
septembre la veille sans être traité de
lunatique ? » interroge-t-il. Notre
machine à éviter les risques est bâtie
sur des évènements qui se répètent. «
Je suis certain que personne ne va
attaquer New York une deuxième fois »,
confie-t-il.
Dans son éditorial sur la commission
d’enquête du 11 septembre paru dans
le New York Times, Nassim Taleb parle
d’erreurs commises. Il met l’accent sur
le fait qu’on n’a pas appris la leçon de
l’existence des cygnes noirs dans le
monde comme source de risques.
L’attention était « braquée sur les
détails de l’évènement lui-même tout
comme nos ancêtres sur les détails de
la source à éviter pour ne pas
rencontrer le tigre ». La deuxième
erreur est de mesurer les
responsabilités de la négligence à
l’époque en utilisant des informations
postérieures. Les héros de l’histoire
sont ceux qui viennent après, comme
c’est le cas du maire Rudolph Giuliani
dans le cadre des attentats du 11
septembre.