LA 4 : chapitre 3 p. 42 à 44 : de « La fille déshonorée ne trouve plus
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LA 4 : chapitre 3 p. 42 à 44 : de « La fille déshonorée ne trouve plus
LA 4 : chapitre 3 p. 42 à 44 : de « La fille déshonorée ne trouve plus de mari. » à « un nombre égal de filles et de garçons. » En quoi l’opposition entre les thèses de l’aumônier et celle d’Orou conduit-elle à une critique de l’Europe ? Introduction Les deux personnages envisagent la question de la sexualité à Tahiti. Or cette question est un point qui séduit l’imaginaire du XVIIIème siècle par rapport au monde sauvage. C’est le problème du libertinage amoureux, qui s’est également posé dans la littérature avec des œuvres comme Les égarements du cœur et de l’esprit de Crébillon ou Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. Le discours d’Orou est d’ailleurs lancé par le mot « libertin ». Diderot s’inspire donc d’un sujet traditionnel du discours sur les mœurs sauvages : la sexualité. Mais son approche est originale : il n’y a pas de pittoresque douteux. La liberté sexuelle tahitienne n’est pas traitée en tant que telle, mais comme un instrument de la critique des mœurs européennes. L’utopie tahitienne devient un instrument de la critique de l’Europe. I. Un dialogue critique 1) Fonctionnement du dialogue entre l’aumônier et Orou a) Cet extrait se structure en deux parties fortement antithétiques, toutes deux construites sur le même schéma : - succession de répliques courtes : l. 1 à 12 ; l. 37 à 46, - puis une longue réplique qui expose le fonctionnement d’une société : l’Europe l. 13 à 36 ; puis Tahiti l. 47 à 64 domination d’Orou : dans les deux cas, c’est lui qui énonce les répliques les plus longues b ) Les premières répliques de l’aumônier sont l’affirmation de « vérités », celles de l’aumônier, c’est-à-dire celles de la religion catholique, elles sont de l’ordre du jugement : phrases déclaratives, structure simple ; A l’assurance de l’aumônier s’oppose le refus d’Orou : longuement développé, riche en procédés. c) Apparemment les deux interlocuteurs entretiennent une relation d’amitié mais il s’agit en fait un dialogue de sourds. L’aumônier ne répond pas aux questions d’Orou qui n’en sont d’ailleurs pas de réelles, mais plutôt une façon de rompre le dialogue et de remettre en cause le fondement idéologique de ces mots. Dans la deuxième partie du texte, c’est Orou qui refuse de répondre aux questions de l’aumônier « O étranger ! ta dernière question achève de me déceler la profonde misère de ton pays » un renversement inattendu L’importance de ce texte se caractérise par le discours du sauvage sur l’Europe. Il s’agit ici d’un renversement du schéma ethnographique traditionnel, où l’Européen analyse et juge celui qu’il nomme sauvage. C’est ici le « civilisé » qui se découvre jugé par un regard étranger. (à rapprocher des Lettres persanes de Montesquieu On peut d’ailleurs remarquer que l’aumônier ne conteste pas les propos d’Orou 2) La figure du sauvage a) Il est le juge de la civilisation européenne : elle est « extravagance », « monstrueuse », elle est caractérisée par une « profonde misère » (termes dépréciatifs) : elle est donc contre-nature b ) Il possède une un savoir omniscient : il sait tout sans avoir vu et est capable de reconstruire une image de la société européenne, et ce par une démarche déductive, c’est-à-dire par la raison : « tu ne me dis pas tout » ; « je sais tout cela comme si j’avais vécu parmi vous » c ) Il maîtrise la rhétorique : 1 - une phrase interminable qui témoigne de la maîtrise syntaxique et conceptuelle d’Orou ; 2 - une réplique longue et très argumentée mais pas très orale. La maîtrise du dialogue par le sauvage montre qu’en fait Orou est une incarnation du philosophe des Lumières, avec lequel il partage le goût du XVIIIème siècle pour les discussions abstraites, pour la réflexion. II. Critique de la société européenne Orou répond au lexique de l’adultère développé par l’aumônier en proposant dans sa description de la société européenne toutes les situations stéréotypées du roman galant. 1) Une critique véhémente Le bilan que dresse le Tahitien révèle une pensée européenne qui apparaît sans fondement et sans légitimité : le champ lexical du caprice : « caprice », « à son gré », « arbitraire » s’applique à tout le champ des activités: idées l.15, choses l.17, actions l.17. Rythme ternaire. Orou envisage tous les aspects et les ramène à un seul principe : le caprice. Une critique globalisante : il n’y a pas de détermination personnelle (« on ») ni temporelle (présent de vérité générale). Une accumulation de 14 verbes : mensonge, renversement de la hiérarchie naturelle, crimes.. C’est une société en état de guerre qui est évoquée Une conclusion rigoureuse qui résume les conséquences néfastes des principes européens : « un ramas ou d’hypocrites... ou d’infortunés... ou d’imbéciles... ou d’êtres mal-organisés... » Cette réplique développe le sous-titre du SVB : « Sur l’inconvénient d’attacher des idées morales à certaines actions physiques qui n’en comportent pas » La conséquence de ce fonctionnement de la société européenne, c’est l’éclatement de la cellule familiale. La famille est la première victime de cette conception de la sexualité qui attribue les valeurs morales à l’acte sexuel. L’argumentation d’Orou est alors stratégiquement puissante : il détruit à la base l’argument majeur de la critique que fait l’Europe de la société tahitienne et de sa la liberté sexuelle : à savoir la stabilité de la famille 2 ) Tahiti : antithèse de l’Europe a) La question de l’enfant L’aumônier pose la question de l’enfant dans la perspective de la cellule originelle qu’est la famille, mais Orou opère un déplacement : le problème de l’enfant ne se pose pas en termes individuels mais en termes collectifs : la nation l.53-58. « joie domestique et publique », « accroissement de fortune pour la cabane, et de force pour la nation » + énumérations des rôles positifs du futur adulte dans la société Cette analyse du pouvoir économique lié à la masse de la population est caractéristique de la pensée des Lumières. Elle se retrouve par exemple chez Voltaire. b) Tahiti : avant tout une arme critique a) Si Tahiti apparaît comme une utopie dans le discours de Diderot, c’est exclusivement en tant qu’arme critique : le mariage tahitien est une mise en cause du mariage européen. On a bien une atmosphère idéale d’harmonie. b) la raison et la loi de nature dictent les comportements : en conséquence, l’harmonie règne à Tahiti c) passage qui illustre le sous-titre de l’œuvre : « Sur l’inconvénient d’attacher des idées morales à certaines actions physiques qui n’en comportent pas » Conclusion En mettant en scène un débat entre un sauvage et un Européen, Diderot exprime ses idées philosophiques sur la société dite « civilisée ». Le dialogue permet de confronter le regard de l’Européen et celui du sauvage, qui n’est plus un véritable sauvage mais une incarnation du discours critique du philosophe des Lumières. Le traitement du thème de la sexualité et de l’utopie sont cependant originaux. A la sexualité libérée, édénique qui a pu séduire les lecteurs du XVIIIème siècle, Diderot substitue une économie sexuelle beaucoup plus réglementée et peut-être plus inquiétante. L’enfant n’est pas considéré comme un individu, fruit de l’amour de deux êtres mais comme un bien pour la nation.