Chamanisme, corps et âme_Procédés rituels de soins

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Chamanisme, corps et âme_Procédés rituels de soins
Chamanisme, corps et âme
Procédés et rituels de soins chamaniques en Equateur
Guy Lesœurs
Psychanalyste et anthropologue de la santé
INTRODUCTION
Chamanisme. Le mot fait peur et fascine à la fois. Il fait penser aux esprits malfaisants, à l’animisme
et au diable. Il rappelle à nos esprits occidentaux, en une ancestrale angoisse, le commerce avec les
démons, les esprits, les ancêtres, les sorciers… mais aussi la folie, les oripeaux, la transe et la mort. Le
sujet intéresse ceux et celles qui sont en quête de savoir, de sens et de spiritualité mais aussi
d’exotisme. Si le chamanisme n’est ni une philosophie ni une religion, il est une manière quasi
universelle de concevoir le monde et la nature.
Le chaman est celui qui est investi par son groupe social du pouvoir et de l’art d’appréhender l’au-delà
du monde. Seul humain habilité à s’échapper du monde des vivants pour voyager dans le pays des
morts et des esprits et en revenir, il agit en tant qu’intermédiaire entre le visible et l’invisible et relie
les hommes avec les éléments, la terre, l’eau, le feu, l’air et tout ce qui existe dans la nature.
Pour être crédité de tels pouvoirs, le chaman a dû passer par de multiples épreuves. Il est souvent un
rescapé de l’au-delà et il tient sa puissance des entités qui l’ont initié au cours de son passage par la
mort réelle ou simulée.
De nos jours, le chamanisme est à la mode et il est quelquefois dénaturé afin d’exploiter la crédulité de
personnes en quête d’eux-mêmes, de leurs ancêtres, du surnaturel et de la guérison. L’importation des
pratiques chamaniques et notamment l’usage de plantes psychédéliques dans des pays qui n’ont pas
cette tradition représentent un certain nombre de dérives. Les authentiques chamanismes sont
indissociables de leurs pays d’origine.
C’est pourquoi il est nécessaire de toujours replacer le chamanisme dans son contexte géographique en
rappelant sa genèse et son utilité au sein des cultures où il est encore très présent.
Après un essai de définition puis une description du chamanisme, je montrerai, à l’aide d’exemples
vécus lors de mes contacts avec les chamans équatorien, comment ces derniers sont utiles à la
communauté dans laquelle ils vivent. Je tenterai de montrer quels sont les liens possibles entre
psychanalyse et chamanisme. Dans le vaste champ des maladies mentales et somatiques, il existe, sans
aucun doute, des pistes de réflexion et de recherche intéressantes sur les procédés qui font appel au
symbolique.
C’est en tant qu’anthropologue de la santé que je me suis intéressé au chamanisme ; par la suite, j’ai
entrevu un parallèle avec la cure analytique. J’ai fait partie quelques années de The Foundation for
Shamanic Studies de Michaël Harner qui a vulgarisé le chamanisme surtout aux Etats-Unis. Mes
recherches en anthropologie médicale ont porté sur deux terrains d’étude : les tradi-praticiens français
(guérisseurs que je me garderai d’appeler chamans) et les chamans d’Equateur de la ville et de la forêt
amazonienne. Ces deux types de praticiens ont en commun de servir d’intermédiaires entre le monde
des vivants et le monde « surnaturel » ou supposé tel et de mobiliser l’énergie.
ORIGINE ET DEFINITION DU CHAMANISME
Première croyance humaine
Michel Perrin, anthropologue indianiste spécialiste des Indiens d’Amérique Centrale, a écrit Le
Chemin des Indiens morts, Payot, 1976 et a publié le Que Sais-je intitulé Le Chamanisme, 1995. Il y
décrit le chamanisme comme « l'un des grands systèmes imaginés par l'esprit humain dans diverses
régions du monde pour donner sens aux événements et pour agir sur eux »
Le chamanisme existe depuis l’aube de l’humanité ou presque : il est, en tout cas, contemporain de
l’homme chasseur-cueilleur avec lequel il fit alliance. Le chaman est un moyen dont la communauté se
dote pour communiquer avec le monde surnaturel dans un but bien précis : se concilier l’esprit de la
bête qui sera tuée et mangée, celui de l’arbre qui sera abattu pour creuser une pirogue ou celui de la
plante sauvage qui va être cueillie car ces esprits ne doivent pas vouloir se venger sur l’homme qui en
a eu besoin pour vivre. Il s’agit donc d’une attitude et d’un comportement pragmatiques et concrets.
Pour subvenir aux besoins de la tribu en viande, les chasseurs s’adressent au chaman pour avoir le
droit de tuer l’animal. Celui-ci, par la transe, visite le monde surnaturel et prend l’âme de l’animal (sa
peau psychique) avant que les chasseurs ne tuent son enveloppe physique. L’échange se fera plus tard
avec l’âme des hommes. On retrouve cette notion quand le chaman équatorien prie (dièta) l’esprit de
la plante hallucinogène avant de la couper afin d’en faire l’ayahuesca, sa boisson sacrée
hallucinogène.
Le chamanisme est sans doute la première croyance humaine (J. Clottes, D Lewis-William, 1996)
Depuis les temps les plus reculés et encore dans de nombreuses traditions contemporaines, le chaman,
d’allié des chasseurs, est devenu l’agent de liaison entre les mondes et entre l’homme et les entités du
monde animal, végétal et minéral.
Le chaman est le spécialiste du voyage de l’âme. Il est investi par des divinités ancestrales et de la
nature du pouvoir de naviguer dans des contrées où aucun mortel n’a le droit de pénétrer sauf à mourir
lui-même. D’ailleurs, le chaman en personne a expérimenté la mort (réelle ou rituelle dont il est sorti
initié) et la renaissance, ce qui lui a donné le pouvoir sur les autres.
Par extension, ses pouvoirs surhumains ou surnaturels lui permettent de guérir les maladies du corps et
de l’esprit (medecine man) en allant chercher les âmes atteintes de maladies dans le monde des esprits
où elles errent, de prédire les événements, de contrôler les éléments de la nature, de préparer la bonne
chasse ou la victoire des chasseurs et des guerriers et de conduire les morts vers l’au-delà.
Indispensable à la communauté, le chaman restaure l’équilibre et l’harmonie de chacun et du groupe.
Rencontrer des chamanes
Pour rencontrer des chamanes, il faut aller loin dans le passé ou aujourd’hui, se rendre dans des lieux
où le chamanisme est encore très actif comme en Asie, en Amérique du Nord ou du Sud, en Australie
mais aussi en Corée, en Laponie et bien sûr en Sibérie. C’est de Sibérie que semble être issu le mot
« shaman » saman/jàman (en dialecte evenki des toungouzes) qui signifie « celui qui s’agite, qui
bondit ». Il viendrait aussi du sanskrit shramana qui a pour sens : « celui qui sait » ou « celui qui
voit ».
Cependant, il ne faut pas forcément planter sa tente au fin fond de la forêt amazonienne ou au faîte
d’un haut sommet tibétain pour rencontrer un chaman. Pour parler de ce que je connais, il est possible
de se mêler à la foule des badauds et aux chamanes sur une place en plein centre de Quito où a lieu
annuellement un congrés de « shamanes » (cf photo) venus de tous les coins de l’Equateur, avec des
curanderos (guérisseurs), des yachaks, des ayahuesqueros etc. chacun avec sa spécialité, son costume,
sa mesa etc. et où ils « traitent » les gens en public au milieu d’un parterre de roses et d’œillets et au
son des maracas.
A Otavalo, le dispensaire médical dispose d’une officine chamanique où le chaman, portant badge et
blouse, reçoit les patients très officiellement en complément de la médecine occidentale.
S’il s’agit bien d’une croyance, pour autant, le chamanisme n’est pas une religion et le chaman n’est ni
un prêtre ni un moine. Il n’existe pas de dogme, de bible ni de rituels codifiés et encore moins de chef
spirituel.
L’intermédiaire
Pour se risquer à une définition, dans sa version authentique, le chaman est un intermédiaire qui agit
pour sa communauté qui le reconnaît comme tel, entre notre monde humain et le monde surnaturel, ce
dernier incluant les esprits de toute nature et surnature à savoir : les âmes des animaux, des plantes,
des pierres, les ancêtres de la tribu ou du clan mais également les âmes des enfants qui se préparent à
habiter leurs nouveaux corps humains, les âmes des malades qui commencent à voyager etc. Le
chaman est donc un voyageur et un passeur d’âmes.
Comme son appellation est devenue au fil du temps un terme générique, le chaman est devenu la
« bonne à tout faire spirituelle, somatique et sociale» du clan et son pouvoir s’est étendu à l’obtention
de la bonne récolte, la fécondité des femmes, la virilité des hommes, l’initiation des jeunes, la pluie et
bien entendu la maladie somatique et mentale. On lui attribue les pratiques de soin chez les malades,
d’exorcisme, de vision etc.
Les tradi-praticiens occidentaux et leur mode opératoire qui revendiquent la tradition chamanique
n’ont très souvent rien à voir avec l’esprit et la pratique séculaire des peuples autochtones d’Asie,
d’Amérique et même d’Afrique. Aujourd’hui, le terme « chamanisme » qui a été galvaudé par les
anthropologues et les folkloristes recouvre plusieurs types de pratiques éloignées les unes des autres. Il
n’est donc pas étonnant que la confusion règne et que le filon soit exploité de diverses manières.
Les caractéristiques du chaman
Le mot chaman doit être employé à bon escient. Il y a de fortes présomptions de penser
« chamanisme » chaque fois que
1. une culture populaire utilise le mot ou un équivalent
2. une communauté désigne l’un des siens comme chamane
3. une personne dit avoir été choisie par les esprits pour faire le bien à sa communauté
Celui qui affirme être un chaman ne l’est pas forcément (à Sarayaku, chez mes amis Kich’was
d’Amazonie équatorienne beaucoup se disent chamanes…) car c’est sa communauté qui l’institue.
On ne peut réduire le rôle du chaman à celui du guérisseur car il est bien autre chose. Ce n’est pas non
plus parce que quelqu’un accomplit des rituels chamaniques qu’il est chaman.
On peut dire qu’un chamane se définit parce qu’il est la référence du collectif et qu’il peut exercer sa
fonction en public. Si l’on cherche quelques points communs entre tous les chamans, sur un plan
concret et pratique, c’est à dire de l’accoutrement et des ustensiles, on peut se risquer à trouver :
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Un couvre-chef (en tissu ou en tressage de plantes avec symboles, plumes, poils provenant
d’animaux etc.)
Un ou plusieurs colliers avec coquillages, os d’animaux, plumes etc.
Une « mesa » (table) ou un autel fixe ou transportable (par exemple un carré de tissu)
Des objets comme des pierres lisses ou rugueuses, des statuettes, des plantes, des morceaux de
verre, de tendons d’animaux, des croix, des dés etc.
Un hochet, des maracas, un tambour, un bol en cuivre destiné à produire des sons, des clochettes
Un bâton ou une lance
et sur un plan plus « spirituel » :
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Des incantations, des litanies spécifiques et …
La transe qui est l’élément central du chamanisme
LE MONDE CHAMANIQUE
Selon Mircea Eliade, l’univers du chaman s’articule selon trois niveaux :
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Le monde céleste qui contient les forces masculines à savoir le soleil, la lune, les étoiles, le
tonnerre et la foudre.
Le monde humain ou intermédiaire avec les humains, les animaux, les plantes, les animaux, et
les minéraux
Le monde souterrain, lieu des forces féminines.
Les mondes céleste et souterrain sont en conflit perpétuel. L’univers s’inverse au coucher et au lever
du soleil : quand c’est le jour sur la terre, le ciel devient la nuit dans le monde souterrain et
inversement.
Il existe un axe cosmique (axis mundi) qui peut être représenté par un arbre, une montagne ou un
tunnel et qui sert de canal de communication entre les trois mondes. Le chaman appartient au monde
des humains et sert d’intermédiaire en montant ou descendant vers les mondes céleste et souterrain le
long de l’axe cosmique. (Mircea Eliade, 1978)
La nature est faite d’énergie et, dans chaque chose ou élément, se trouve un esprit ou une âme. Tout
porte la vie en soi. Les esprits habitent les animaux, les plantes et les minéraux. Les animaux, les
végétaux et les montagnes sont nos ancêtres car ils étaient présents avant l’homme sur la terre. Nous
leur devons le respect. S’il faut les sacrifier pour se nourrir, le chaman accomplira des rituels pour ne
pas fâcher leur esprit. Le chaman est particulièrement sensible à leur existence, à leur souffrance et à
leur pouvoir. C’est pour lui une façon d’être au monde. Si le chaman est le garant de l’alliance de
l’homme avec les forces de la nature il est aussi le lien entre la vie terrestre et l’au-delà et, pour lui, la
vie et la mort sont en continuité. Les êtres vivants possèdent plusieurs âmes dont l’une est corporelle.
Quand on meurt, cette âme corporelle se dissout dans la terre et ses éléments fusionnent avec d’autres
âmes pour se réincarner dans un autre être.
Prenons l’exemple de Pachamama, la terre-mère (Amazonie). Le sang de Pachamama est le pétrole.
Les compagnies pétrolières enlèvent le sang de la terre et la détruisent. Elle se vengera un jour.
RITUELS CHAMANIQUES GUERISSEURS D’EQUATEUR
La maladie est considérée comme un déséquilibre dans les relations entre le corps et l’âme et plus
globalement entre l’homme et son groupe social et même en relation avec le cosmos.
Comme je l’ai déjà écrit, le chaman, en tant que guérisseur, restaure un équilibre perdu par le monde,
la communauté et l’individu. Il combat par le pouvoir de son esprit, en liaison avec les autres mondes,
les forces néfastes qui amènent les événements malheureux (mala suerte : mauvaise chance) dont les
maladies. Dans ce but, le chaman se sert des forces des « esprits » de la nature et de la sur-nature pour
soigner et ramener l’harmonie.
En Amérique du Sud, le savoir des chamanes, de tradition orale, a survécu à la conquête espagnole.
Les populations indigènes dans les campagnes et en forêt ont à leur disposition une médecine
traditionnelle alternative à la coûteuse médecine occidentale. Si elle ne peut rivaliser avec elle sur bien
des domaines comme la chirurgie et les maladies graves, sa pharmacopée indigène, héritière d’un
patrimoine ancestral et éprouvé rend des services indéniables. Le chaman, figure symbolique
essentielle, maintient l’équilibre de la circulation dynamique de l’énergie entre le monde vivant
(hommes, animaux, plantes, arbres, minéraux, air, eau, feu, terre) et le monde des morts mais aussi
l’unité de la communauté. Il utilise des vecteurs tels que les incantations et des chants (icaros) mais
aussi les maracas, les bouquets de feuilles sèches etc.
Les icaros et le cuy
Les icaros sont des chants que le chaman a appris directement des esprits des plantes quand il a
pratiqué un rituel spécifique (dièta) ou bien quand un autre chaman l’a initié ou encore lorsqu’il les a
reçus lors d’un rituel à l’ayahuesca. L’icaro est un véhicule qui conduit l’énergie au patient à travers le
chaman. L’énergie vitale des plantes, des fleurs et des arbres, de la fumée du tabac, des pierres est
délivrée par l’intermédiaire du chaman lors de cérémonies rituelles individuelles ou collectives
appelées limpias (nettoyage ou balayage). Pendant la limpia, le chaman pratique une soplada avec de
l’agua florida (littéralement eau de fleurs) pulvérisée avec sa bouche sur le patient et avec la fumée du
tabac. La participation du patient est assez ténue. Au plus, le chaman lui demandera de tenir une lance
en l’air les deux bras tendus ou de se frictionner le corps avec l’agua florida qui a été soufflée sur lui
par le chaman.
En Equateur, les chamans, curanderos (ville) et yachaks (forêt) utilisent le cochon d’Inde (cuy) comme
outil diagnostique (limpia con cuy). Un cochon d’inde vivant est passé sur le corps du patient afin de
« radiographier » les endroits de son mal. Puis, le cochon d’inde est sacrifié et le chaman lit ses
entrailles en établissant des analogies avec le corps du patient. Ainsi, si le foie du cobaye a un aspect
anormal, le chaman fera l’hypothèse d’un problème hépatique chez le patient, ancien, présent ou futur.
La mesa
La mesa est l’autel portatif du chaman qui y dispose ses pouvoirs et ses outils de guérison qui devront
entrer en vibration avec le chaman et la personne à traiter. La mesa est une large pièce de tissu coloré
que le chaman oriente selon les points cardinaux à partir de la position du soleil. On y trouve divers
objets propres au chaman.
En début d’exercice, le chaman bénit sa mesa avec les incantations appropriées pour s’assurer de son
alliance avec les esprits des objets qui la composent. En fin d’exercice ou entre chaque patient,
certains objets disposés sur la mesa seront nettoyés par le chaman et d’autres jetés après usage, pour
éviter la contamination car ils ont pris le mauvais mal.
Objets pouvant figurer sur une mesa de chaman (Equateur) :
Minéraux
De diverses provenance mais surtout volcaniques ou des galets de rivières avec des formes
spéciales que le chaman a choisi pour leur symbolique : formes phalliques (pour la stérilité et
l’impuissance), organes (cœur, reins etc.).
• Magnétite (pour attirer ou repousser l’énergie)
• Silex (il contient le feu)
• Huacas : haches préhistoriques ou fragments d’anciennes poteries trouvées dans les tombes
• Pierres dites de foudre.
• Des pierres volcaniques de type pierre ponce (pour absorber l’énergie).
• de petits morceaux de verre ou de miroir : bouchons de carafe ou couvercle de sucrier.
Végétaux
• Des cigares (mapacho) et des cigarettes pour souffler la fumée.
• La shacapa est un bouquet de feuilles séchées préparé par le chaman et humecté par l’agua
florida qui, agité de manière rythmée comme un hochet par le chaman avec les icaros
appropriés, permet de balayer les mauvais esprits autour et à l’intérieur du patient mais aussi
les impuretés de son corps et de son esprit. Dans les traditions chamaniques (notamment au
Canada) le hochet a la vertu de s’ajuster sur la fréquence vibrationnelle de la cinétique du
monde. Ainsi la shacapa s’alignerait sur les nœuds énergétiques obstrués pour les délivrer et
les nettoyer. La shacapa comme le hochet aurait aussi le pouvoir de relier le chaman au
monde des esprits. La shacapa est nettoyée par le souffle du chaman et la projection d’agua
florida.
• La bouteille d’agua florida est une macération dans l’eau ou dans l’aguardiente de plantes et
de fleurs cueillies par le chaman.
• Les maracas sont constitués des coques des fruits des arbres de la forêt décorées et
contiennent des graines sèches.
• Des pétales de roses.
• Des oeillets rouges et/ou blancs effeuillés sur la mesa.
• Des feuilles de coca.
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Animaux
• Certains chamanes disposent sur leur mesa, des touffes de poils d’animaux, des plumes ou des
morceaux de fourrures (tigrillo), des dents, des vertèbres de serpents, des peaux de serpent. A
noter que certains de ces éléments se retrouvent dans l’accoutrement du chaman notamment en
colliers ou situés sur son couvre-chef.
• Des coquillages
Objets religieux et autres
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Des statuettes de la Madone ou des crucifix
Une statue de Bouddah (je ne l’ai trouvée qu’une seule fois)
Des chapelets
Une ou deux bougies
Un billet d’un dollar et des pièces de monnaie (pour donner la richesse à celui qui le demande)
Tous ces objets appartiennent au chaman qui les a choisis en fonction de ses propres critères car il
n’est pas pensable de faire un rituel en se servant de la mesa d’un autre. Les objets pourront « retirer »
l’énergie en excès tandis que d’autres en fourniront. Ces objets sont placés selon un ordre précis. A
gauche, se situe le champ pathogène en rapport avec la mort où l’on peut trouver une petite tête de
mort en pierre ou en plastique et des colliers des morts, c’est à dire provenant de tombes. A droite, se
trouve le champ curatif et bénéfique en rapport avec la vie avec des images ou médailles pieuses
(Madone, Saints), des chapelets, du tabac, une croix, une fiole d’eau bénite, des brindilles, des plantes,
des pierres de foudre etc. Le centre de la mesa représentant l’équilibre et l’harmonie est libre,
généralement mais peut comporter des clochettes.
Le tabac
Le tabac, plante des dieux, est la base des rituels chamaniques amérindiens. La fumée du tabac est
utilisée dans les rites chamaniques pour guider le chaman et notamment pour enlever le mal dont
souffre le patient car le pouvoir du chaman est dans son souffle. Ainsi le souffle du chaman augmenté
des vertus de la plante (créditée de propriétés purificatrices et stimulantes) est il particulièrement
efficace. La poudre de tabac prisée ou l’infusion concentrée de tabac peut provoquer un état modifié
de conscience chez le chaman, couramment utilisé dans les initiations. Le tabac est utilisé aussi en
lavement. On peut aussi mélanger le tabac avec le yagé (ayahuesca), le datura, des champignons ou
des cactus psychédéliques pour augmenter la transe narcotique.
Plantes psychédéliques
Dans un article sur le chamanisme, on ne peut pas ne pas mentionner l’utilisation des plantes
psychédéliques comme l’ayahuesca. Ayahuasca est un mot kich’wa qui signifie liane des morts ou
liane des âmes. Après avoir coupé la liane en la diétant (prière adressée à l’esprit de la plante) le
chaman supervise la préparation de la boisson qui consiste à faire bouillir dans un chaudron pendant 6
à 7 heures la liane coupée en bûchettes avec des feuilles d’une autre plante, la chacruna. Ingérée lors
du rituel chamanique sous la conduite d’un chaman, le breuvage concentré provoque une transe
hallucinogène spécifique avec une sensation de « récurage » corporel de fond en comble, des visions
colorées accompagnée de vomissements, de nausées et de diarrhées.
Pour plus de détails, se référer à mon article intitulé La nuit de l’iguane, Ethnopharmacologie autoappliquée (cf bibliographie).
En 2009, la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a
attiré l’attention sur les dangers de l’ayahuasca, classée depuis 2007 comme stupéfiant en France et
donc strictement interdite. Si la Miviludes reconnaît à l’ayahuasca des «fins thérapeutiques» ou une
«finalité sociale et sociologique» chez les tribus amazoniennes, elle souligne qu’une consommation
moderne «paraît très éloignée de l’essence même et des racines profondes du chamanisme
traditionnel». J’ajouterai que si la pharmacologie de la plante fait encore l’objet de recherches
scientifiques, il a été mentionné des cas de décompensations de type psychotique et de décès.
CHAMANISME, PSYCHANALYSE ET PSYCHIATRIE
Ce sujet est si vaste et si compliqué qu’il mérite beaucoup plus qu’un chapitre et cela nous entraînerait
trop loin. Certains chercheurs y ont consacré leur temps et ont publié des ouvrages très documentés
notamment sur le chamanisme et les états modifiés de conscience (cf bibliographie).
Paradis perdu
Dans notre quête et notre désir de retrouver la nature des origines et donc un paradis perdu, un Eden
où aurait existé l’harmonie entre les êtres, les choses et les éléments, chacun cherche sa source. Ce
paradis perdu serait, d’un point de vue psychanalytique, l’état fœtal, état de non besoin et de non désir.
Nous avons tendance à idéaliser la culture des peuples premiers parce qu’ils nous semblent pleins de
sagesse et d’harmonie, de vie saine et de communion avec la nature, c’est pourquoi le chamanisme
peut nous attirer.
Dans une perspective psychanalytique, le chaman serait le représentant de la force vitale qui triomphe
de la pulsion de mort. Il est capable de voyager dans l’inconscient, de « descendre seul dans son ombre
et d’en ressortir indemne » (CG Jung).
Sous un angle psychiatrique, on peut aussi supposer que le chaman aurait une structure de nature
psychotique et qu’il serait capable de « maîtriser » sa folie dans son voyage chamanique (avec ou sans
substance psychédélique) et de sortir de cet état schizoïde ce qui n’est pas permis au commun des
mortels qui risque de laisser des plumes dans cette dissociation, même conduite par un chaman
expérimenté, comme cela aurait été rapporté dans des cas de tourisme chamanique en Amérique du
Sud (paranoïa, schizophrénie, traumatismes et décès, cfr site de l’Ambassade de France au Pérou).
Georges Devereux (1956) suggérait que la schizophrénie serait dans nos sociétés occidentales le
pendant du chamanisme dans les sociétés traditionnelles.
Le chaman pourrait être aussi un ancien malade somatique ou mental. On peut faire l’hypothèse du
« patient guéri » qui devient chamane et donc capable de soigner ce qui fut son semblable.
Carl Gustave Jung était ouvert au chamanisme qu’il considérait comme une expression d’un
archétype. Il voyait la cure analytique comme le successeur de la cure chamanique. Sigmund Freud,
bien qu’il se soit intéressé dans Totem et Tabou aux cultures « primitives », ne fit pas grand cas du
chamanisme.
Rapprocher le psychanalyste du chaman est une attitude assez courante. Claude Lévi‑Strauss avec
lequel Jacques Lacan eut des contacts suivis écrivit un article intitulé « L’efficacité symbolique » dans
lequel où il établit une comparaison sinon un parallèle entre le chaman et le psychanalyste (1949).
Selon lui, le soin du chaman permet au patient de supporter sa souffrance qui résulte d’un conflit que
le chaman explique sous forme mythologique en s’appuyant sur les croyances de la communauté. Le
chaman est bien l’intermédiaire entre ce qu’endure le corps et le psychisme du malade et cette liaison
symbolique entre le praticien et les esprits qui malmènent le patient est efficace.
Claude Lévi-Strauss compare cette efficacité symbolique au processus de la cure analytique. En effet,
les démons et esprits seraient logés dans l’inconscient d’où l’analyste, comme le chaman, aiderait le
patient à les conscientiser sous la forme d’une abréaction. La différence réside dans le sens de
circulation de la parole : le chaman utilisant la parole ou l’incantation alors que l’analyste écoute celle
du patient. Une autre différence opératoire est le fait que l’analysant se libère de sa charge
inconsciente individuelle dans la cure alors que le patient du chaman s’affranchit de la mythologie
collective. La pratique opératoire commune serait celle de l’interprétation des symptômes.
Lacan s’inspirera de l’article écrit par Lévi-Strauss mais critiquera cette position « structurale » car
elle aboutit à un déni du sujet tout comme la science qui ne tient pas compte que des objets.
Il est vrai que le chamanisme, au contraire de la psychanalyse, ne tient pas compte de la position du
sujet et ne fait tenir au chaman qu’un rôle d’instrument alors que la cure analytique est la rencontre de
deux inconscients à l’œuvre.
NEOCHAMANISME
La transposition du chamanisme dans notre culture occidentale a contribué à entretenir une grande
confusion et un doute. Cela dit, le chamanisme, comme tout élément culturel, est continuellement en
mouvement et il n’est pas figé dans une tradition pure et dure.
Le chamanisme, originaire de Sibérie, a diffusé en Amérique du Nord puis du Sud et il a dû s’adapter
aux habitudes, à la flore et à la cosmogonie locale. Le rituel chamanique est aussi en évolution et
emprunte des éléments à la modernité. C’est ainsi que les petites fioles à « suerte » (chance) que l’on
trouve sur les marchés d’Amérique du Sud contiennent maintenant des petites voitures, des dollars et
des dés miniatures scellées avec des prières tapées à la machine afin que les désirs s’exaucent. Certains
chamanes équatoriens utilisent même des photos et maintenant les mails pour guérir les internautes.
Fiction
Imaginez une séance chamanique en public place de la Concorde à Paris avec un chaman auvergnatashuar paré de plumes de chouca ou de pigeon du jardin des Tuileries et qui vous pulvériserait au
visage de l’aqua florida / pastis de Marseille ou gnôle de Saint Flour en invoquant la Montagne Sainte
Geneviève et Sainte Blandine, l‘esprit du Puy de Dôme mixé avec celui de la Bonne Mère sans oublier
une prière adressée à la tête de Louis XVI, supplicié célèbre de la place de Grève au son des tambours
du Royal Auvergne ou de la Garde Républicaine. Il aurait préalablement disposé sur une table de
camping et sur un châle provençal des haches préhistoriques, des pierres de Volvic aux formes
bizarres, un moellon venant de l’abbaye de Montmajour, une effigie de la Sainte Vierge du Puy en
Velay et une bouteille d’eau bénite de Lourdes…
Notre « chamanisme celte », si l’on peut appeler ainsi certains rituels de nos druides du plateau
armoricain n’a sûrement rien à envier aux rites des Amérindiens. Les druides ont disparu aux environs
du V° siècle après JC et ils étaient, sans doute, les lointains héritiers des chamans néolithiques qui
officiaient dans les cromlechs de Carnac ou de Stonehenge, quelques 4500 ans avant notre ère.
D’un point de vue anthropologique, le fait qu’apparaissent des pratiques chamaniques au sein de notre
société occidentale qui n’en pas la culture peut s’avérer intéressant mais doit aussi nous rendre
vigilants car c’est la porte ouverte à toutes les interprétations et tous les abus…de confiance.
Commerce, université et chamanisme
Le filon commercial du chamanisme a débuté avec la mode du New Age, les stages et les publications
des “chamanes” toltèques et autres, les peintures de sable des Indiens Navajos, les livres de Carlos
Castaneda et les films comme Blueberry etc. pour répondre à une appétence du public pour l’étrange,
le magique et le surnaturel.
Michael Harner, anthropologue, étudia de manière sérieuse (mais souvent controversée) les pratiques
chamaniques des Indiens Shuar/Jívaro de l’Amazonie équatorienne dans les années 60 d’où il tira un
livre mondialement diffusé People of the Sacred Waterfalls (Les Jívaros, hommes des cascades
sacrées) University of California Press, 1972 et récemment (2001) La voix du chamane, Mamaé
editions, 2011. Il oeuvre encore pour faire connaître le chamanisme amérindien aux Etats Unis. Il eut
comme étudiant Carlos Castaneda qui exploita lui-même le filon éditorial avec plus ou moins
d’authenticité.
Le chamanisme est devenu un produit commercial pour des touristes en mal de quête spirituelle et de
sensations fortes. Des voyagistes organisent des trips chamaniques en Amérique du Sud et Centrale
ainsi qu’en Sibérie et ailleurs. Des stages « chamaniques » se déroulent en Europe et à Paris
notamment.
Ce phénomène d’attirance du public change aussi la façon dont les chamanes se comportent et leurs
rites ancestraux. Il comporte aussi le risque majeur d’ethnopillage, à savoir l’exploitation par des
officines peu scrupuleuses du patrimoine botanique notamment comme le dénonce J.-P. Costa (Les
Chamanes d’hier et d’aujourd’hui, Alphée, 2009).
Comme suite à un séjour voire après une expérience avec la liane des morts (ayahuesca) chez les
Indiens d’Amazonie au Pérou ou en Equateur, des Occidentaux sont « devenus » chamans et
exportent dans des stages leur expérience avec des procédés empruntés à différentes cultures et en font
un métier lucratif proposant pêle-mêle : un travail sur les moments clés de la vie, des extractions
chamaniques, du désenvoûtement, de la géobiologie, du recouvrement d’âme, du retour d’amour etc. Il
suffit d’aller sur Internet pour découvrir ce « nouveau monde » du néo-chamanisme.
Il est légitime de se poser la question éthique, en effet, a-t-on le droit d’exploiter la crédulité humaine
en déplaçant des pratiques ancestrales et en les appliquant dans des cultures et des lieux étrangers au
risque de les priver de sens ?
CONCLUSION
Chaman, mot magique. Cela s’écrit aussi avec un « s » en Equateur comme le bruit de la feuille agitée
pour la limpia ou le souffle « tsssuiiii » venu du fond des âges que le chaman projette sur le visage,
irisé de gouttes d’agua florida purificatrice. Je vois s’agiter autour de moi des plumes
multicolores, des oripeaux tremblants et j’entends les tambours, les maracas et autres crécelles
amplifier le bruit de la forêt nocturne de l’Oriente.
Ce soir, nous sommes assis dans la casa ouverte du chaman ; 85 ans et très vaillant. Il est 17
ou …18h car l’oiseau du soir vient de chanter. La nuit vibre de petits cris. Nous fumons le
long cigare (mapacho) qui passe de mains en mains. Il est fait de ce tabac à la fois fort, âcre et
douceâtre que nous avons coupé très fin au couteau comme un saucisson bien sec de chez
nous. En me disant cela, je pense à l’âtre de nos maisons fermées où brûle le feu familier. J’ai
l’impression d’aspirer dans la fumée de la feuille un peu de ce concentré du monde afin de
mieux m’enfoncer dans la langueur envoûtante de l’Amazonie, sur le piémont oriental des
Andes.
Don Sabino est assis, silencieux dans son siège de balsa au dossier sculpté d’une tête d’aigle.
Quand nous sommes arrivés dans son village, il y a trois jours, par le fleuve, nous sommes
venus le saluer après la remise des colis que nous avions apportés pour les enfants. Il nous a
dit en espagnol: « je vous ai vus dans mon rêve comme des aigles et des taureaux blancs ». En
fin de séjour, j’offrirai au chaman mon grand couteau en nacre, blanc, à profil d’aigle et lui,
en échange, me donnera une de ses coiffes de chaman, ornée de plumes d’oiseaux.
Quand je pense à Don Sabino, je lui associe l’image de Serge Boucard. Dans ma rêverie, mon
esprit s’envole sur un condor qui après avoir franchi les Andes et l’Océan, se pose près du
grand chêne-ressource de Serge Boucard, mon ami guérisseur de Belle Ile en Mer, décédé il y
à l’automne 2014, une belle âme comme celle de Don Sabino. Leurs pratiques guérisseuses
n’ont rien en commun sinon la croyance en la force prodigieuse de la nature que certains
savent canaliser pour le bien des autres. Chaman amazonien ou guérisseur breton, ce sont des
intermédiaires, des passeurs symboliques avec une fonction sociale et des faiseur de bien
commun.
Les médecines traditionnelles amérindiennes accordent une place essentielle à l’accord de
l’individu avec son milieu naturel, c'est-à-dire « l’être au monde » que l’homme partage avec
les vivants, les rivières, les montagnes, les nuages etc. Maintenir ou restaurer l’équilibre altéré
et retrouver un peu du paradis perdu.
Notre conception occidentale de l’homéostasie s’arrête aux frontières de la biologie c'est-àdire à l’équilibre de nos fonctions humorales et celui de notre fonctionnement mental alors
que la conception des savoirs anciens s’étend à l’environnement voire au cosmos. Ceci est
résolument moderne.
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