Tryba, fenêtre sur le monde

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Tryba, fenêtre sur le monde
ECONOMIE
SAMEDI15FÉVRIER2014 P
DÉVELOPPEMENT Soixante entrepreneurs qui font l’Alsace
DÉCIDEURS
Ludovic Piquier, de PSA à
Constellium. DOCUMENT REMIS
DE L’AUTO À L’ALUMINIUM
Ludovic Piquier,
Constellium NeufBrisach
L’usine Constellium Rhenalu (1367
personnes) de Neuf-Brisach change de pilote. Ludovic Piquier,
jusque-là en poste chez PSA
Mulhouse, est nommé directeur de
l’établissement. Il remplace Philippe Abeillon, qui était aux commandes depuis le 1er octobre 2007,
et prend les fonctions de manager
du projet (GOAL) de standardisation des processus informatiques
au niveau du groupe.
Diplômé de l’École nationale
supérieure des arts et métiers,
Ludovic Piquier, 42 ans, a fait
toute sa carrière au sein du groupe PSA. À Mulhouse, il était directeur du montage depuis deux ans.
Il a entre autres géré le lancement
des montées en cadence de la
2008. Avant cela, il a occupé le
poste de directeur de l’emboutissage à Sochaux, et des fonctions
aux ressources humaines. La CFDT
note que le groupe a opté « pour
un recrutement externe d’un
spécialiste du lean management ». Le choix d’un professionnel de l’automobile pour diriger
Neuf-Brisach ne surprend pas au
regard de la stratégie du groupe.
Constellium vient d’annoncer un
renforcement de ses capacités de
production de tôles de carrosserie
auto (DNA du 21 janvier). Le laminoir haut-rhinois, qui dispose
d’une capacité de plus de 400 000
tonnes, travaille pour le marché
automobile depuis le début des
années 2000. Il devrait monter en
puissance avec, à terme, l’espoir
d’accueillir un nouveau four de
traitement thermique. Le choix du
site pour cet investissement n’est
pas encore fait.
Ludovic Piquier prendra ses fonctions de directeur de l’établissement de Neuf-Brisach le 31 mars.
L’AGENDA
ÉCONOMIE
COLMAR
Information sur
le crédit d’impôt
recherche
Q JEUDI 20 FÉVRIER. La CCI
de Région Alsace organise
une conférence sur le crédit
d’impôt recherche et sur le
crédit d’impôt innovation (à
partir de 17 h chez RITTMO
Agro Environnement, ZA
Biopôle, 37 rue de Herrlisheim à Colmar). Contact :
www.alsace.cci.fr
EXPORT
Mission en Autriche
au mois de mai
Q VENDREDI 28 FÉVRIER.
Date limite pour s’inscrire à
la mission de prospection en
Autriche proposée par CCI
Alsace Export du 13 au
15 mai 2014. Cette mission
permettra aux entreprises,
notamment spécialisées
dans les équipements pour
l’industrie et le bâtiment, de
rencontrer en B to B leurs
futurs clients, distributeurs/
importateurs ou partenaires.
Plus d’informations : www.alsace-export.com. Contact :
Claudia Scanvic,
✆ 0388764225, [email protected]
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Tryba,
fenêtre sur le monde
Président du groupe Atrya à Gundershoffen, holding coiffant 420 millions d’euros de chiffre d’affaires et
près de 2000 salariés, Johannes Tryba cultive la discrétion en proportion inverse de la marque éponyme,
à la très forte notoriété. Étonnant parcours et 44e volet de notre série.
E
n décidant de lancer la
menuiserie familiale de
Baden-Baden dans la production de fenêtres en
PVC, le jeune Johannes Tryba lançait un défi. Sans doute n’imaginait-il pas être un jour à la tête
d’un groupe français, basé en Alsace et fort de vingt usines en
Europe. Un étonnant parcours
pour ce menuisier, fils et petitfils de menuisiers, une famille
issue de Silésie.
Il ne l’imaginait peut-être pas
mais il a été l’artisan tenace et
pragmatique de cette incroyable
trajectoire industrielle. Beaucoup moins seul qu’à ses débuts,
avec désormais des directeurs associés dans chaque branche, Johannes Tryba qui fêtera ses
soixante ans cette année est toujours l’âme de ce groupe rebaptisé Atrya il y a dix ans.
Lemodeste atelier d’une quinzaine de compagnons ouvert à Gundershoffen en 1980, sur
1200 m², est aujourd’hui noyé
dans un immense complexe de
fabrication sur plusieurs hectares. Quelque 270 personnes y
produisent sur mesures un million de m² de vitrages par an et
débitent 1000 fenêtres par jour,
de toutes dimensions et de toutes
couleurs. Au total, le groupe produit 3500 unités par jour, l’usine
alsacienne étant de loin la plus
importante.
« Notre défi, c’est
la fabrication sur
mesures dans
un très grand
nombre de gammes »
Dans cet univers où la notion de
grande série doit être repensée,
coexistent une informatique de
gestion ultra-poussée et beaucoup d’interventions manuelles,
le produit ne se prêtant que marginalement à la robotisation.
Flanquée de son siège social sur
quatre étages, l’unité de Gundershoffen a beaucoup grandi.
Mais elle est désormais au centre
d’une galaxie de vingt sites de
production, dont treize en France. Le pays d’adoption de Johannes Tryba, qui a gardé sa nationalité de naissance, assure 69 % du
chiffre d’affaires d’Atrya. L’Allemagne, où se trouvent deux usines, ne pèse que 4 %, alors que la
Suisse en assure 13 %. Alors que
le groupe fait face à un palier
dans ses ventes, stabilisées depuis 2012 à 420 millions d’euros,
son internationalisation n’en est
probablement qu’au début.
« Pourquoi autant de sites ? Dans
notre activité, il est très important de réduire les coûts de transport. Notre défi, c’est la fabrication sur mesure dans un très
grand nombre de gammes », explique Johannes Tryba.
L’homme totalement identifié à
payer aussi cher alors qu’on peut
avoir un lutteur de sumo pour
rien ? »
Pragmatique, le patron d’Atrya
reste indéfectiblement attaché à
la France, et pas seulement parce
que c’est son premier marché.
« En 1976, j’avais décidé de me
lancer dans le PVC. Mais nos locaux à Baden-Baden se sont très
vite avérés trop petits. Nous
étions très contents, à l’époque,
des frontaliers alsaciens qui travaillaient chez nous et c’est cela
qui m’a donné l’idée de venir en
Alsace. Lorsque j’ai voulu m’implanter en 1980, j’ai reçu un accueil formidable de l’Adira et des
élus. C’était vraiment très bien
organisé. Et puis, à l’époque,
nous avons touché une subvention de 625000 francs. C’était
extrêmement important parce
que cela m’a permis de renforcer
nos fonds propres ».
« La seule solution
pour continuer à
produire en France,
c’est d’être
irréprochable »
Aujourd’hui, sans même qu’on le
sollicite, Johannes Tryba revendique sa volonté de rester en France
et de s’y développer. Le programme d’investissements 2014 est de
20 millions d’euros, dont 3 millions consacrés à l’extension de
l’unité de production du site Le
Vérandier, à Mertzwiller. « Naturellement, nous continuons à investir pour rationaliser la prod uc t i o n . N o s u s i n e s s o n t
correctement chargées. La seule
solution pour continuer à produire en France, c’est d’être irréprochable pour nos clients », affirme
le chef d’entreprise.
À ses yeux, cette ambition passe
d’abord par les salariés, même si
le groupe, depuis 2012, a tendance à s’alléger en ne remplaçant
pas tous les
partants. Le dirigeant veut
Johannes Tryba a choisi de se lancer dans les fenêtres en PVC en 1976, avant de
encourager un
s’implanter définitivement en France en 1980. PHOTOS DNA – LAURENT RÉA
esprit de responsabilité en
son affaire, au point d’arborer ge en Autriche. Et la consigne du sien. L’indusgénéralisant
avec le plus grand naturel une patron est claire et respectée : triel ne s’y atl’e-learning, la
cravate sobrement frappée aux lancer chaque année trois ou t a r d e
formation sur
couleurs du groupe, semble tou- quatre produits innovants dans d’ailleurs pas
les postes de
jours plus à son aise en arpentant chaque gamme.
plus que cela.
travail. Mais
l’atelier, avec un plaisir visible, « Aujourd’hui, le contexte n’est Le militantis- Le siège du groupe Atrya à
aussi en mobique dans un environnement de pas très favorable pour la crois- me n’est pas sa Gundershoffen.
lisant ses troubureau. Pour autant, le menui- sance externe », soupire le pa- tasse de thé.
pes sur des acsier que fut et demeure Johannes tron d’Atrya. Et il ne cache pas Tryba a l’indépendance chevillée tions de mécénat de compétence.
Tryba assume totalement son rô- son agacement devant le climat au corps et se concentre sur son C’est ainsi que 1100 enfants ont
le de stratège et ses choix. C’est économique et politique fran- job, depuis toujours. Il est sans été soutenus au Vietnam, bénéfilui qui a fait doubler la taille du çais : « Aujourd’hui, il y a vrai- doute, en Alsace, l’industriel le ciant de cours délivrés par des
groupe depuis 2000, une crois- ment beaucoup trop d’incertitu- plus imperméable aux comités, salariés du groupe alsacien, une
sance reposant à la fois sur des des… Tout le monde a moins syndicats, chambres, associa- action prise à moitié sur le temps
produits et services maîtrisés de- dans la poche, c’est démotivant ! tions et autres organismes man- de travail et à moitié sur les conpuis toujours et sur des acquisi- C’est la peur qui arrête l’activité. geurs de temps. Il ne veut se gés, l’employeur assumant les
tions. En 2012 encore, Atrya a Le gouvernement n’a pas changé, consacrer qu’au groupe, à sa fa- frais : « Bien sûr, il y a des gens
mis la main sur un fabricant de l’attitude n’a pas changé… Je mille et à quelques rares loisirs riches en Asie… », dit Johannes
volets roulants en Vendée et sur peux vous le dire, en Allemagne de plein air, dont la randonnée à Tryba, qui se rend sur place tous
un spécialiste des portes de gara- et en Suisse, ils rigolent ! » com- moto. Une fois l’an.
les deux ans. « Mais il y a aussi
mente Johannes Tryba. Pour il- Johannes Tryba a indéniable- des personnes qui, toute la jourlustrer le poids accablant des ment les pieds sur terre, le bon née, ne pensent qu’à une chose :
complexités administratives et sens et le pragmatisme l’empor- trouver de quoi nourrir leurs enfiscales françaises, il fait simple- tent toujours. En témoigne un de fants ».
ment observer que son activité ses choix. Lorsqu’on lui demande
ANTOINE LATHAM
est soumise à trois taux de TVA pourquoi il a choisi un lutteur de
différents. Exaspéré mais poli, il sumo japonais pour incarner ses
n’en dira pas plus…
fenêtres dans les campagnes pu- Q Dernière parution dans cette série
Ironique, voire cinglant, il ne fait blicitaires, sa réponse est immé- créée à l’occasion des soixante ans
pas mystère de ses doutes quant diate, et plutôt drôle : « Les spor- de l’Adira, Manou Massenez et
aux promesses de l’exécutif pari- tifs sont hors de prix ! Pourquoi Bernard Baud le 5 novembre 2013.
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RTE 06