croisière

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croisière
croisière
LOUEZ ET DECOUVREZ
106 juillet 2013 • Voile Magazine
croisiere aux açores
Les perles vertes
de l’Atlantique
Les Açores, c’est l’escale traditionnelle des voyageurs de retour des Antilles.
C’est aussi un archipel hors du temps, à la fois rude et accueillant,
que l’on peut aujourd’hui découvrir en location. Une expérience extraordinaire.
Texte et photos : François-Xavier de Crécy.
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LOUEZ ET DECOUVREZ
Ils parlent fort, ils boivent sec.
Ils sont britanniques, suédois, australiens,
suisses, belges, français… Qu’importe ?
Ils ne sont pas là par hasard, et ils le savent.
Au Peter Café Sport, à Horta, les marins sont
en famille, quelles que soient leur provenance
et leur destination. Pour eux, cet endroit
est plus qu’un simple café, moins guindé
qu’un yacht-club, plus vivant qu’un musée :
c’est leur maison, tout simplement. Tous ont
parcouru au moins 900 milles pour venir boire
une Super Bock chez Peter. Et nous
qui sommes venus en avion, nous nous
accrochons à l’idée que notre goût prononcé
pour l’eau salée suffit à légitimer notre place
au bar ! C’est vrai qu’aujourd’hui, même si
on vient aux Açores pour faire du bateau,
ce n’est pas forcément à la voile. Surtout si
on l’a déjà fait, depuis la France ou à l’occasion
d’un retour des Antilles. On a aimé, on n’a pas
oublié, mais on a manqué de temps sur place,
comme toujours…
enfin des bateaux
a louer aux açores
La bonne nouvelle, c’est qu’il existe depuis
bientôt deux ans une flotte de location, encore
modeste mais bien tenue, armée par la société
Sail Azores. C’est à l’invitation de ses
responsables, Nicolao Faria et Joao Portela,
que nous sommes venus redécouvrir ces
terres portugaises exilées en plein Atlantique.
Ils sont gonflés, les deux beaux-frères, de
lancer cette activité de location sans skipper
(on dit « bare boat ») dans une région réputée
pour ses conditions de navigation viriles.
Réputation un peu surfaite, en saison du
moins, car l’été on peut aussi manquer de vent
aux Açores si l’anticyclone éponyme est
correctement positionné. N’empêche que la
saison est plutôt courte, de mai à septembre,
idéalement de juin à août, que les bons
mouillages sont rares et l’archipel très étendu.
Pourtant, pour cette deuxième saison
d’exploitation, le planning de location des trois
Dufour de Sail Azores est plein. Preuve
que les plaisanciers sont demandeurs de
ces destinations authentiques et préservées,
signe aussi que l’archipel est plus accueillant
Filipe, skipper de l’une des baleinières de Pico,
prépare avec passion la saison des régates.
108 juillet 2013 • Voile Magazine
que jamais avec ses marinas installées ces
dernières années à Florès, à Velas do Sao Jorge
ou encore à Lajès do Pico. Attention, pas
des parkings à bateaux de deux mille places,
des petits bassins à la fois pittoresques, sûrs
et bien équipés qui font d’excellentes bases
de départ pour découvrir l’île. Car aux Açores,
il ne faut pas chercher à naviguer comme
en Bretagne ou en Corse, en collectionnant
les petits mouillages de rêve. On l’a dit, ils sont
rares et généralement peu sûrs sur ces côtes
volcaniques accores. Il existe un projet
d’équipement de différents sites avec
des corps-morts, mais il a encore pas mal
de chemin à faire dans les méandres de
l’administration lusitanienne… Aux Açores,
l’idée est plutôt de se poser dans un port
le temps de découvrir l’île de l’intérieur,
en voiture (les taxis ne sont pas chers), à vélo
et surtout à pied. Elles en valent la peine, ces
hautes terres souvent cultivées en terrasses,
parcourues de milliers de kilomètres de murets
de pierres sèches et dominées par des reliefs
volcaniques moussus. Un vrai paradis
de verdure qui se couvre de fleurs en juin,
avec ses caldeiras (anciens cratères) souvent
occupés par des lacs cristallins, ses torrents
et ses chutes d’eau.
Entre deux îles, les étapes peuvent être
longues, surtout si on veut quitter le groupe
central (Faial, Saõ Jorge, Pico, Graciosa et
Terceira) pour gagner soit les îles occidentales
(Florès et la petite Corvo), soit les orientales
(Saõ Miguel et Santa Maria). Ces distances
et la rareté des mouillages déterminent
le rythme d’une croisière aux Açores : pas
des sauts de puce quotidiens d’un mouillage
à l’autre, mais plutôt une vraie navigation tous
les deux ou trois jours. Pour notre part, nous
n’avons qu’une semaine et resterons donc
dans le groupe central. Graciosa nous attire,
on dit qu’elle porte bien son nom, mais le vent
de nord-est nous en rend l’accès difficile. Dans
un premier temps, nous mettons donc le cap
sur l’île de Saõ Jorge toute proche d’Horta,
notre base de départ, ce qui nous permet
de rester dans des eaux abritées et de nous
amariner en douceur. Il n’y a qu’une vingtaine
de milles à vol d’oiseau, mais en tirant des
bords dans ce nordet perturbé par les reliefs
de l’île, il nous faudra six heures. A Velas, sur la
côte sud, nous découvrons un incroyable petit
bassin blotti au pied d’une falaise concave
envahie par les broussailles et le lichen qui
lui donne une belle couleur verte. Ce vert,
ces multiples nuances de vert que déclinent
les Açores sur ses palettes de basalte, c’est leur
particularité graphique, presque leur marque
de fabrique. « Des verts de toutes les couleurs »
dira Jean-Paul, mon compagnon de croisière,
sans même chercher à faire de l’esprit…
Nous entrons, moteur au ralenti, dans ce
minuscule cirque minéral et végétal. Réflexe
conditionné : on ne peut s’empêcher de garder
un œil sur le sondeur en allant vers le fond
du bassin, mais il y a de l’eau, quatre mètres
et plus… pas étonnant si on considère
la topographie alentour. En revanche,
endes en escale à Horta...
Rainbow, Ranger, Velsheda : des lég
ntures sur le fameux quai.
Les équipages rafraîchissent les pei
J’ai rencontré Peter,
il s’appelle José !
José Henrique, troisième de la dynastie
Azevedo, à la barre du célèbre Peter Cafe
Sport d’Horta, reçoit toujours le courrier
des bateaux de passage.
Tout le monde connaît le Peter Cafe
Sport, mais qui connaît son histoire ?
José Henrique Azevedo, troisième
patron de l’établissement à la suite
de son père et de son grand-père, nous
l’a racontée. Tout a commencé en 1918,
quand son grand-père, qui faisait
commerce de l’artisanat local et
notamment des scrimshaws, ces dents
de cachalot gravées, ouvrit également
un café bientôt baptisé Café Sport.
Pourquoi Sport ? Au début du XXe siècle,
Horta était une ville très internationale,
qui accueillait notamment le personnel
de ces compagnies opérant
les télécommunications par câble
d’une côte de l’Atlantique à l’autre.
Ces expatriés jouaient au football et
se passionnaient pour différents sports,
et le Café Sport devint rapidement leur
repère. Bien avant de devenir celui des
marins de passage… C’est sous le règne
de José Azevedo, deuxième patron
du café, que les premiers solitaires de
l’Atlantique commencèrent à s’arrêter
au Café Sport. Les marins étaient tenus
d’attendre en rade la visite du docteur
et des officiels. Longue, trop longue
attente pour José qui prenait un canot
et allait les accueillir, éventuellement
prendre leurs papiers pour les apporter
aux officiels, réveiller le docteur…
Une fois à terre, les marins allaient
naturellement dans son café où l’on prit
l’habitude de célébrer dignement leur
escale. Tabarly, Chichester… des liens
se tissèrent, des amitiés naquirent,
et le Peter Café Sport devint peu à peu
ce bistrot mythique au carrefour de
l’Atlantique. Aujourd’hui, il comporte
l’inévitable boutique de tee-shirts
et autres marinières siglés du fameux
cachalot, mais aussi à l’étage un très joli
musée du scrimshaw qui perpétue
la vocation première du lieu, à savoir
la promotion de l’artisanat local.
A voir impérativement !
Rens. : www.petercafesport.com
A terre (ici à Sao Jorge), il faut marcher un peu pour profiter de la splendeur bucolique des îles.
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En mer, pas question de se contenter de sandwiches ! Viande rouge au menu pour Jean-Paul.
Elle n’est pas très bien pavée, l’entrée de Lajès do Pico, et en plus une partie des blocs de la jetée
a dégringolé dans le chenal cet hiver… Mieux vaut serrer les balises rouges.
les catways sont courts. La marina étant à peu
près vide, nous pallions cet inconvénient
en allant nous amarrer le long d’un ponton.
A peine arrivés, nous nous lions avec un
retraité local qui rentre de la pêche. Il prend
nos amarres, nous accueille et, ravi de
pratiquer son français, nous entretient de ses
déboires de pêcheur amateur. Les habitants
des Açores sont à son image, aussi avenants et
accueillants que leurs îles sont rudes. Première
impression confirmée quand nous rencontrons
Josè, le capitaine du port, qui se met
littéralement à notre service. En règle
générale, il semble qu’aux Açores, plus l’île
est isolée, plus l’habitant est sympathique.
Sa gentillesse atteint des sommets
à Florès, par exemple, où les gens rendent
spontanément toutes sortes de services
aux équipages des bateaux de passage.
Saõ Jorge, elle, n’est pas si isolée que cela,
c’est même la plus centrale. Les habitants
la qualifient orgueilleusement d’épicentre des
Açores et se réjouissent de ne jamais se sentir
seuls puisque de leurs côtes, ils peuvent voir
Faial, Graciosa, Pico et Terceira – du moins
par beau temps. Situation qu’aucune autre île
ne peut revendiquer ! Troquant nos bottes
pour une paire de baskets, nous partons
sur les chemins de l’île vérifier l’étendue
des panoramas. Engagés sur la grande route
110 juillet 2013 • Voile Magazine
de l’île, nous avons d’abord du mal à trouver
des chemins de traverse et réalisons
tardivement qu’un plan ne serait pas inutile.
Nous trouvons finalement les sentiers de
nos rêves, même s’ils sont parfois raides, et
nous offrons une belle partie de campagne
sur cette terre très agricole. Saõ Jorge
est notamment réputée, à juste titre même
si la production manque un peu de diversité,
pour ses fromages de vache et de chèvre.
l’art de se perdre
dans les chemins creux
Marchant autour de l’un des sommets
volcaniques de l’île, nous parvenons
à regagner Velas sans revenir sur nos pas
et nous offrons une arrivée spectaculaire par
les hauts du village, empruntant des venelles
et des escaliers qui disparaissent parfois
sous une végétation luxuriante.
De retour à la marina, nous avons bien mérité
une douche dans des sanitaires spacieux, très
propres, et pour tout dire dignes d’un hôtel
quatre étoiles… Mazette, quel luxe pour
une escale à 10 euros ! Et que dire du village
lui-même ? Il a un charme fou avec son église
de style colonial-baroque, ses maisons
blanches et ses places pavées de pierre noire.
A mesure que la nuit gagne, les sternes
qui nichent dans la falaise s’excitent et font
résonner dans le port leurs curieux waako-waks évoquant vaguement la pédale
wha-wha d’un Hendrix fatigué. Le lendemain,
nous sommes cueillis à froid par une bruine
pernicieuse et peu encourageante.
Qu’importe : nous partons de bonne heure
pour Terceira et nous faisons bien, car cette
nébulosité vaporeuse nous gratifie de lumières
irréelles tout le long des falaises de Saõ Jorge.
Nous les suivons avec bonheur jusqu’à la
pointe occidentale de l’île. Des chutes d’eau
surgies de la brume tombent directement dans
la mer ou sur les roches noires, non loin de
groupes de dauphins qui chassent, suivis avec
intérêt par des centaines de pétrels… Puis tout
se découvre et un soleil intense nous réchauffe
jusqu’au prochain nuage. Géologie extrême,
faune marine omniprésente, le spectacle
semble extrait d’un documentaire à grand
spectacle type Océans de Jacques Perrin.
Mémorable ! Parvenus à la pointe, il nous faut
serrer le vent de nord-est pour faire route
sur Terceira. Musclé ce vent, dès lors que l’on
quitte l’abri de l’île. L’effet de pointe se fait
sentir également sur la mer dans cette zone
où se rencontrent les vagues de la côte au
vent et celles de la côte sous le vent, soumises
à des vents différents. Le tout, mélangé
il ne se cache pas derrière
On le voit de très loin, le Pico, quand
pel et l’emblème de l’île.
les nuages. C’est le sommet de l’archi
à la grande houle du large qui n’a rencontré
aucun obstacle depuis Terre-Neuve, forme
une sorte de shaker qui peut se révéler
« casse-bateau »… A environ 2 milles au large,
heureusement tout s’arrange et se range,
à commencer par la houle. Dans ces 25 nœuds
établis, nous faisons route dans de bonnes
conditions au bon plein sous deux ris et génois
roulé d’un tiers. Notre Dufour 375 se comporte
d’ailleurs remarquablement bien, il reste
docile, ne passe pas sur sa barre et tape peu
dans les vagues. Nous maintenons une
moyenne proche de 8 nœuds jusqu’au dévent
de l’île de Terceira, qui s’étend assez loin au
large. Du coup l’arrivée semble longue, comme
c’est souvent le cas à l’approche de ces îles
très hautes, d’autant que le rocher qui marque
l’atterrage du port d’Angra do Heroismo
n’en finit pas de grossir, c’est un fait une vraie
petite montagne !
Au final, nous sommes quand même contents
de notre journée, avec 53 milles au loch
parcourus à la moyenne honorable de 7 nœuds.
Nous sommes moins contents de l’horreur
architecturale qui nous attend face à l’entrée
du port d’Angra. Comment Angra do
Heroismo, cette ville dont tous les guides
touristiques vantent à juste titre les façades
colorées, les ruelles charmantes et le caractère
historique attesté par son classement au
Etonnant, le petit bassin de Vela (Sao Jorge), où nos voix résonnent sous la falaise moussue,
relayées la nuit par les cris rauques des sternes en période de nidification.
Voile Magazine • juillet 2013 111
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LOUEZ ET DECOUVREZ
Patrimoine mondial de l’UNESCO, comment
cette perle de l’Atlantique a-t-elle pu être
affublée d’une telle verrue ? Cet énorme
immeuble de forme vaguement trapézoïdale
abrite ou abritera, paraît-il, un hôtel-spa
haut de gamme. Projet peu crédible
sous ces latitudes, à moins que le personnel
de l’importante base aérienne américaine
installée sur l’île ne consacre l’essentiel de ses
revenus aux massages et autres bains turcs,
et surtout incroyable hérésie architecturale qui
nous laisse pantois. Il suffit heureusement de
lui tourner le dos et d’aller flâner dans les rues
d’Angra pour retrouver l’agrément de cette
vieille cité qui s’anime en juin d’une feria haute
en couleur, avec trompettes, bandas et lâchers
de vachettes en ville. Parmi les habitants
des Açores, ceux de Terceira ont la réputation
d’être de sacrés fêtards. Nous n’aurons pas
vraiment l’occasion de le vérifier, tout au plus
tâterons-nous l’ambiance d’une taverne
où quelques habitués sirotent des bières en
gardant un œil sur une mystérieuse émission
de télé-réalité. Le temps nous est compté,
nous laissons à regret Terceira, ses trois
volcans, ses caldeiras et ses six parcs naturels
pour gagner la côte sud de Pico.
escortes par des
dauphins acrobates
Le vent est si perturbé sous Terceira, et ce
pendant presque 10 milles, que nous finissons
par croire que la météo a complètement
changé… Il n’en est rien. L’anticyclone des
Açores, positionné très à l’ouest, nous envoie
toujours cette brise de secteur nord que nous
finissons par recevoir sur le travers. Dans ces
conditions, notre Dufour cavale et régale son
barreur, escorté par des dauphins acrobates.
Pico, on la voit de loin avec sa sommité
volcanique façon Puy-de-Dôme qui culmine
quand même à 2 350 m, généralement
dissimulée dans des écharpes nuageuses. C’est
le cas aujourd’hui, elle ne se découvre qu’à la
fin de notre approche, alors que nous croisons
la route d’un couple de cachalots qui dressent
fièrement leur caudale avant de sonder.
Nous sommes chanceux ! La côte sous le vent
de Pico est très spectaculaire, surtout aux
alentours de la pointe orientale. Des blocs de
roche rouge tranchent sur les courtes falaises
noires qui elles-mêmes cèdent la place à des
Sail Azores : un loueur au top
La location n’existait pas aux Açores, ils se
sont lancés. Aujourd’hui, Joao et Nicolau
proposent trois Dufour Grand Large,
deux 375 et un 410. Trois bateaux
remarquablement équipés, que ce soit
côté navigation ou côté confort. On voit
rarement sur les bateaux de location
un tel assortiment de casseroles, poêles et
cocottes, de Tupperware de toutes tailles,
thermos, etc. Les bateaux sont basés à
Horta, à peu près au centre de l’archipel.
En une semaine, vous pouvez comme nous
faire le tour du groupe central. En deux
semaines, vous pouvez aussi aller visiter
soit Sao Miguel à l’est, soit Florès à l’est.
A choisir, c’est elle la plus belle selon nous,
mais la météo choisira peut-être pour
vous ! A partir de trois semaines, vous
pouvez vous offrir un grand tour dans tout
l’archipel, mais les distances sont assez
importantes. L’idéal est d’avoir un mois
112 juillet 2013 • Voile Magazine
entier à passer sur place pour avoir
le temps de crapahuter sur les îles.
Au départ de Paris, les vols TAP (la
principale compagnie portugaise) passent
par Lisbonne. Il y a deux heures de vol
pour Lisbonne, puis deux heures de plus
pour Horta. Pour le bateau (Dufour 375),
il faut compter entre 2 150 et 2 950 €
la semaine (2 450 à 3 450 € pour
le Dufour 410, qui a également trois
cabines). Rens. : www.sailazores.pt.
pentes boisées. Des pentes qui se font de plus
en plus douces, tout comme les teintes
aux multiples nuances de vert, alors que
nous abordons les zones cultivées. Le vent
est complètement tombé… jusqu’à la dernière
pointe avant Lajès où des rafales violentes
tombées des reliefs nous cueillent presque
par surprise. C’est du brutal ! Il faudra
se méfier pour les manœuvres de port. En fait,
même sans vent, on peut se méfier de cette
entrée étroite et pas très bien pavée. D’autant
que le brise-lames a souffert cet hiver,
dans la tempête une partie des blocs de béton
qui le constituent ont été roulés dans
le chenal… Dans ces conditions, mieux vaut
serrer à gauche, le long des balises rouges.
Les habitants de Lajès sont un peu habitués
à ce genre de déconvenue. Le village fait face
à l’ouest et il est bâti à moins de deux mètres
au-dessus du niveau de la mer. C’est le genre
d’endroit, un peu comme Saint-Guénolé
(Finistère), près de la pointe de Penmarch,
où on peut passer une partie de l’hiver la tête
dans l’écume et les pieds dans l’eau salée.
Dans le village, chaque porte a ses panneaux
de protection qu’on met en place en cas
de coup de vent. La plupart des maisons sont
d’ailleurs elles-mêmes en bois, ce qui nous
change de la pierre volcanique et des façades
blanchies et donne au bourg un faux air
de Nouvelle-Angleterre.
En entrant dans le port, nous sommes passés
devant deux grandes cales. La première était
pour les baleines, qu’on hissait grâce à un
treuil à vapeur jusqu’à l’usine de dépeçage,
la seconde pour les baleinières qu’il fallait
pouvoir mettre à l’eau sans perdre
une seconde, un peu comme des canots
de sauvetage. L’extrait du film « The last
Parmi les merveilles du Musée des baleiniers de Lajès do Pico, ces maquettes de baleinières,
dont certaines très rares, sont entièrement réalisées en ivoire. Un vrai travail d’orfèvre.
Sur la cale de Lajes do Pico,
on profite du soleil entre
deux couches de peinture
sur les baleinières.
whalers », réalisé par le Britannique William
Neufeld en 1969 et projeté dans une salle
du merveilleux Musée des baleiniers, montre
parfaitement ce qui se passait ici à chaque
passage de baleines. La vigie, installée
dans sa guérite sur les hauteurs de la côte sud,
aperçoit les souffles et allume aussitôt une
fusée explosive avec son mégot. Dans l’instant,
le laboureur lâche sa charrue, le barbier plante
là son client barbouillé de savon, le boulanger
abandonne son pétrin et court comme tous
les autres jusqu’à la cale. Les baleinières sont
prêtes, les lignes soigneusement lovées. On
part à l’aviron puis, des canots motorisés, dont
les patrons sont en liaison radio avec la vigie,
les prennent en remorque si les animaux sont
au large, ce qui est généralement le cas. Mais
pour l’approche finale, les baleiniers préfèrent
mettre à la voile, si le temps le permet. C’est
ensuite la chasse, pas si épique que cela si l’on
en juge par le film, dans lequel les cachalots
se font massacrer sans opposer la moindre
résistance… Ne nous fions pas trop à ces
images, cette chasse était une réelle prouesse
technique et humaine. La visite du musée
de Lajès le montre bien et même un peu trop,
élevant volontiers chacun de ces chasseurs
de l’ancien temps au rang de héros national.
Les vrais héros du patrimoine baleinier seraient
plutôt ces passionnés qui font toujours naviguer
les canots. Ils sont là, sur la cale, reprenant
comme chaque année les peintures entre deux
entraînements en vue de la saison de régate.
Une institution ces régates, qui opposent
les différentes îles dans des compétitions pour
le moins viriles. On se mesure à l’aviron et à
la voile, voire les deux, avec parfois un départ
donné sur la cale, comme quand on partait
piquer la baleine. Et si tous les comptes
Le marin en escale à Angra do Heroismo sera avisé de jeter l’ancre quelques minutes dans
cette minuscule taverne où quelques habitués lèvent le coude devant le zinc. Couleur locale garantie.
A Velas comme ailleurs, les pavements
ont des allures de mosaïques en noir et blanc.
Les îles se couvrent de fleurs à la belle saison,
au point que l’une d’elle a été baptisée… Florès.
Voile Magazine • juillet 2013 113
croisière
LOUEZ ET DECOUVREZ
s joli port de l’archipel
Angra do Heroismo, à Terceira, le plu
ndial de l’UNESCO.
et une ville classée au patrimopine mo
ne sont pas réglés sur l’eau, les débats
se prolongent à terre dans une ambiance
qui tourne facilement à l’orage… Les bateaux,
effilés et très toilés, sont magnifiques.
Pour passer de l’aviron à la voile, mâtage
et haubanage compris, un équipage bien
entraîné ne met qu’une minute vingt sur l’eau !
Mais pour voir cela, il faudra revenir au mois
de juin, quand les régates battront leur plein.
Elles sont vraiment importantes ces courses,
parce qu’elles perpétuent les techniques nées
de la pêche à la baleine. L’interdiction de
la chasse, en 1987, a été un vrai choc social
et économique pour des populations comme
celle de Pico. Ces régates traditionnelles
contribuent à amortir ce choc.
ne leur parlez pas
des japonais !
Au plan économique, le tourisme baleinier
offre une réelle compensation, voire des
perspectives plus prometteuses encore… Pour
autant, ne vous risquez pas trop à évoquer
la chasse « raisonnée » pratiquée par les
Norvégiens ou, pire, la chasse « scientifique »
des Japonais : aussitôt votre interlocuteur voit
rouge, et on peut le comprendre. Pour notre
part, nous voyons encore et toujours vert,
on ne s’en lasse pas ! Et on rentre à Horta
à contrecœur, en essayant d’imprimer dans
nos mémoires tout ce que les Açores ont
à offrir, ce cocktail de rusticité et de douceur,
la gentillesse d’un peuple qui a toujours
su accueillir les marins. Comme destination
de location, les Açores ne seront jamais les
Antilles. Tant mieux. Qu’elles restent un trésor
réservé à ceux qui sauront les apprécier !
114 juillet 2013 • Voile Magazine
Serge Viallelle, l’ecolo-baleinier
Natif de Villefranche-sur-Saône, Serge est
français, mais c’est quand même une figure
locale à Lajès du Pico. Parce qu’il est
là depuis plus de vingt ans, mais aussi et
surtout parce qu’il a le premier développé
cette activité d’observation des baleines
(« whale watching »). Une nouvelle activité
baleinière qui a permis de surmonter
le choc économique lié à l’arrêt de la chasse.
Skipper débarqué aux Açores, au beau
milieu d’un convoyage qui se passait plutôt
mal, il y a rencontré sa future épouse et a
monté une école de croisière qui l’a occupé
quelques années dans l’archipel à la barre
d’un Roc (plan Auzépy-Brenneur). Un jour
de 1992, à Lajès do Pico, il prend la mer
avec Joao « Vigia », l’ancien guetteur
de baleines, sur un tout petit pneumatique,
et rencontre son premier cachalot. Sa
nouvelle vocation est née, et Joao « Vigia »
travaillera avec lui pendant quinze ans.
Grâce à un partenariat avec Bombard,
il peut rapidement développer une activité
qui rencontre un succès grandissant à Pico,
puis aussi à Faial et à Saõ Miguel.
Il se recentre ensuite sur Pico, son port
Il y a vingt ans, Serge fut le premier à lancer
d’attache, où il ouvre aussi un joli petit
le « whale watching » aux Açores. Il a fait école.
hôtel sur les quais de Lajès, juste à côté de
son établissement Espaço Talassa. Il propose d’ailleurs des forfaits hôteliers comprenant cinq sorties
d’observation des baleines (650 €/semaine), ce qui laisse le temps d’aller découvrir l’île, par exemple
en utilisant les vélos tout-terrain mis à la disposition des résidents. Les sorties d’observation se font
sur de grands semi-rigides, avec un skipper et un biologiste, dans le respect de règles très strictes
de respect des cétacés. Rorquals et baleines bleues à la belle saison, cachalots et dauphins de toutes
sortes toute l’année : les journées sans baleine sont très rares à Pico. Et Serge embarque
quand même jusqu’à 7 000 personnes par an à leur rencontre. Rens. : www.espacotalassa.com.

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