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croisière LOUEZ ET DECOUVREZ 106 juillet 2013 • Voile Magazine croisiere aux açores Les perles vertes de l’Atlantique Les Açores, c’est l’escale traditionnelle des voyageurs de retour des Antilles. C’est aussi un archipel hors du temps, à la fois rude et accueillant, que l’on peut aujourd’hui découvrir en location. Une expérience extraordinaire. Texte et photos : François-Xavier de Crécy. Voile Magazine • juillet 2013 107 croisière LOUEZ ET DECOUVREZ Ils parlent fort, ils boivent sec. Ils sont britanniques, suédois, australiens, suisses, belges, français… Qu’importe ? Ils ne sont pas là par hasard, et ils le savent. Au Peter Café Sport, à Horta, les marins sont en famille, quelles que soient leur provenance et leur destination. Pour eux, cet endroit est plus qu’un simple café, moins guindé qu’un yacht-club, plus vivant qu’un musée : c’est leur maison, tout simplement. Tous ont parcouru au moins 900 milles pour venir boire une Super Bock chez Peter. Et nous qui sommes venus en avion, nous nous accrochons à l’idée que notre goût prononcé pour l’eau salée suffit à légitimer notre place au bar ! C’est vrai qu’aujourd’hui, même si on vient aux Açores pour faire du bateau, ce n’est pas forcément à la voile. Surtout si on l’a déjà fait, depuis la France ou à l’occasion d’un retour des Antilles. On a aimé, on n’a pas oublié, mais on a manqué de temps sur place, comme toujours… enfin des bateaux a louer aux açores La bonne nouvelle, c’est qu’il existe depuis bientôt deux ans une flotte de location, encore modeste mais bien tenue, armée par la société Sail Azores. C’est à l’invitation de ses responsables, Nicolao Faria et Joao Portela, que nous sommes venus redécouvrir ces terres portugaises exilées en plein Atlantique. Ils sont gonflés, les deux beaux-frères, de lancer cette activité de location sans skipper (on dit « bare boat ») dans une région réputée pour ses conditions de navigation viriles. Réputation un peu surfaite, en saison du moins, car l’été on peut aussi manquer de vent aux Açores si l’anticyclone éponyme est correctement positionné. N’empêche que la saison est plutôt courte, de mai à septembre, idéalement de juin à août, que les bons mouillages sont rares et l’archipel très étendu. Pourtant, pour cette deuxième saison d’exploitation, le planning de location des trois Dufour de Sail Azores est plein. Preuve que les plaisanciers sont demandeurs de ces destinations authentiques et préservées, signe aussi que l’archipel est plus accueillant Filipe, skipper de l’une des baleinières de Pico, prépare avec passion la saison des régates. 108 juillet 2013 • Voile Magazine que jamais avec ses marinas installées ces dernières années à Florès, à Velas do Sao Jorge ou encore à Lajès do Pico. Attention, pas des parkings à bateaux de deux mille places, des petits bassins à la fois pittoresques, sûrs et bien équipés qui font d’excellentes bases de départ pour découvrir l’île. Car aux Açores, il ne faut pas chercher à naviguer comme en Bretagne ou en Corse, en collectionnant les petits mouillages de rêve. On l’a dit, ils sont rares et généralement peu sûrs sur ces côtes volcaniques accores. Il existe un projet d’équipement de différents sites avec des corps-morts, mais il a encore pas mal de chemin à faire dans les méandres de l’administration lusitanienne… Aux Açores, l’idée est plutôt de se poser dans un port le temps de découvrir l’île de l’intérieur, en voiture (les taxis ne sont pas chers), à vélo et surtout à pied. Elles en valent la peine, ces hautes terres souvent cultivées en terrasses, parcourues de milliers de kilomètres de murets de pierres sèches et dominées par des reliefs volcaniques moussus. Un vrai paradis de verdure qui se couvre de fleurs en juin, avec ses caldeiras (anciens cratères) souvent occupés par des lacs cristallins, ses torrents et ses chutes d’eau. Entre deux îles, les étapes peuvent être longues, surtout si on veut quitter le groupe central (Faial, Saõ Jorge, Pico, Graciosa et Terceira) pour gagner soit les îles occidentales (Florès et la petite Corvo), soit les orientales (Saõ Miguel et Santa Maria). Ces distances et la rareté des mouillages déterminent le rythme d’une croisière aux Açores : pas des sauts de puce quotidiens d’un mouillage à l’autre, mais plutôt une vraie navigation tous les deux ou trois jours. Pour notre part, nous n’avons qu’une semaine et resterons donc dans le groupe central. Graciosa nous attire, on dit qu’elle porte bien son nom, mais le vent de nord-est nous en rend l’accès difficile. Dans un premier temps, nous mettons donc le cap sur l’île de Saõ Jorge toute proche d’Horta, notre base de départ, ce qui nous permet de rester dans des eaux abritées et de nous amariner en douceur. Il n’y a qu’une vingtaine de milles à vol d’oiseau, mais en tirant des bords dans ce nordet perturbé par les reliefs de l’île, il nous faudra six heures. A Velas, sur la côte sud, nous découvrons un incroyable petit bassin blotti au pied d’une falaise concave envahie par les broussailles et le lichen qui lui donne une belle couleur verte. Ce vert, ces multiples nuances de vert que déclinent les Açores sur ses palettes de basalte, c’est leur particularité graphique, presque leur marque de fabrique. « Des verts de toutes les couleurs » dira Jean-Paul, mon compagnon de croisière, sans même chercher à faire de l’esprit… Nous entrons, moteur au ralenti, dans ce minuscule cirque minéral et végétal. Réflexe conditionné : on ne peut s’empêcher de garder un œil sur le sondeur en allant vers le fond du bassin, mais il y a de l’eau, quatre mètres et plus… pas étonnant si on considère la topographie alentour. En revanche, endes en escale à Horta... Rainbow, Ranger, Velsheda : des lég ntures sur le fameux quai. Les équipages rafraîchissent les pei J’ai rencontré Peter, il s’appelle José ! José Henrique, troisième de la dynastie Azevedo, à la barre du célèbre Peter Cafe Sport d’Horta, reçoit toujours le courrier des bateaux de passage. Tout le monde connaît le Peter Cafe Sport, mais qui connaît son histoire ? José Henrique Azevedo, troisième patron de l’établissement à la suite de son père et de son grand-père, nous l’a racontée. Tout a commencé en 1918, quand son grand-père, qui faisait commerce de l’artisanat local et notamment des scrimshaws, ces dents de cachalot gravées, ouvrit également un café bientôt baptisé Café Sport. Pourquoi Sport ? Au début du XXe siècle, Horta était une ville très internationale, qui accueillait notamment le personnel de ces compagnies opérant les télécommunications par câble d’une côte de l’Atlantique à l’autre. Ces expatriés jouaient au football et se passionnaient pour différents sports, et le Café Sport devint rapidement leur repère. Bien avant de devenir celui des marins de passage… C’est sous le règne de José Azevedo, deuxième patron du café, que les premiers solitaires de l’Atlantique commencèrent à s’arrêter au Café Sport. Les marins étaient tenus d’attendre en rade la visite du docteur et des officiels. Longue, trop longue attente pour José qui prenait un canot et allait les accueillir, éventuellement prendre leurs papiers pour les apporter aux officiels, réveiller le docteur… Une fois à terre, les marins allaient naturellement dans son café où l’on prit l’habitude de célébrer dignement leur escale. Tabarly, Chichester… des liens se tissèrent, des amitiés naquirent, et le Peter Café Sport devint peu à peu ce bistrot mythique au carrefour de l’Atlantique. Aujourd’hui, il comporte l’inévitable boutique de tee-shirts et autres marinières siglés du fameux cachalot, mais aussi à l’étage un très joli musée du scrimshaw qui perpétue la vocation première du lieu, à savoir la promotion de l’artisanat local. A voir impérativement ! Rens. : www.petercafesport.com A terre (ici à Sao Jorge), il faut marcher un peu pour profiter de la splendeur bucolique des îles. Voile Magazine • juillet 2013 109 croisière LOUEZ ET DECOUVREZ En mer, pas question de se contenter de sandwiches ! Viande rouge au menu pour Jean-Paul. Elle n’est pas très bien pavée, l’entrée de Lajès do Pico, et en plus une partie des blocs de la jetée a dégringolé dans le chenal cet hiver… Mieux vaut serrer les balises rouges. les catways sont courts. La marina étant à peu près vide, nous pallions cet inconvénient en allant nous amarrer le long d’un ponton. A peine arrivés, nous nous lions avec un retraité local qui rentre de la pêche. Il prend nos amarres, nous accueille et, ravi de pratiquer son français, nous entretient de ses déboires de pêcheur amateur. Les habitants des Açores sont à son image, aussi avenants et accueillants que leurs îles sont rudes. Première impression confirmée quand nous rencontrons Josè, le capitaine du port, qui se met littéralement à notre service. En règle générale, il semble qu’aux Açores, plus l’île est isolée, plus l’habitant est sympathique. Sa gentillesse atteint des sommets à Florès, par exemple, où les gens rendent spontanément toutes sortes de services aux équipages des bateaux de passage. Saõ Jorge, elle, n’est pas si isolée que cela, c’est même la plus centrale. Les habitants la qualifient orgueilleusement d’épicentre des Açores et se réjouissent de ne jamais se sentir seuls puisque de leurs côtes, ils peuvent voir Faial, Graciosa, Pico et Terceira – du moins par beau temps. Situation qu’aucune autre île ne peut revendiquer ! Troquant nos bottes pour une paire de baskets, nous partons sur les chemins de l’île vérifier l’étendue des panoramas. Engagés sur la grande route 110 juillet 2013 • Voile Magazine de l’île, nous avons d’abord du mal à trouver des chemins de traverse et réalisons tardivement qu’un plan ne serait pas inutile. Nous trouvons finalement les sentiers de nos rêves, même s’ils sont parfois raides, et nous offrons une belle partie de campagne sur cette terre très agricole. Saõ Jorge est notamment réputée, à juste titre même si la production manque un peu de diversité, pour ses fromages de vache et de chèvre. l’art de se perdre dans les chemins creux Marchant autour de l’un des sommets volcaniques de l’île, nous parvenons à regagner Velas sans revenir sur nos pas et nous offrons une arrivée spectaculaire par les hauts du village, empruntant des venelles et des escaliers qui disparaissent parfois sous une végétation luxuriante. De retour à la marina, nous avons bien mérité une douche dans des sanitaires spacieux, très propres, et pour tout dire dignes d’un hôtel quatre étoiles… Mazette, quel luxe pour une escale à 10 euros ! Et que dire du village lui-même ? Il a un charme fou avec son église de style colonial-baroque, ses maisons blanches et ses places pavées de pierre noire. A mesure que la nuit gagne, les sternes qui nichent dans la falaise s’excitent et font résonner dans le port leurs curieux waako-waks évoquant vaguement la pédale wha-wha d’un Hendrix fatigué. Le lendemain, nous sommes cueillis à froid par une bruine pernicieuse et peu encourageante. Qu’importe : nous partons de bonne heure pour Terceira et nous faisons bien, car cette nébulosité vaporeuse nous gratifie de lumières irréelles tout le long des falaises de Saõ Jorge. Nous les suivons avec bonheur jusqu’à la pointe occidentale de l’île. Des chutes d’eau surgies de la brume tombent directement dans la mer ou sur les roches noires, non loin de groupes de dauphins qui chassent, suivis avec intérêt par des centaines de pétrels… Puis tout se découvre et un soleil intense nous réchauffe jusqu’au prochain nuage. Géologie extrême, faune marine omniprésente, le spectacle semble extrait d’un documentaire à grand spectacle type Océans de Jacques Perrin. Mémorable ! Parvenus à la pointe, il nous faut serrer le vent de nord-est pour faire route sur Terceira. Musclé ce vent, dès lors que l’on quitte l’abri de l’île. L’effet de pointe se fait sentir également sur la mer dans cette zone où se rencontrent les vagues de la côte au vent et celles de la côte sous le vent, soumises à des vents différents. Le tout, mélangé il ne se cache pas derrière On le voit de très loin, le Pico, quand pel et l’emblème de l’île. les nuages. C’est le sommet de l’archi à la grande houle du large qui n’a rencontré aucun obstacle depuis Terre-Neuve, forme une sorte de shaker qui peut se révéler « casse-bateau »… A environ 2 milles au large, heureusement tout s’arrange et se range, à commencer par la houle. Dans ces 25 nœuds établis, nous faisons route dans de bonnes conditions au bon plein sous deux ris et génois roulé d’un tiers. Notre Dufour 375 se comporte d’ailleurs remarquablement bien, il reste docile, ne passe pas sur sa barre et tape peu dans les vagues. Nous maintenons une moyenne proche de 8 nœuds jusqu’au dévent de l’île de Terceira, qui s’étend assez loin au large. Du coup l’arrivée semble longue, comme c’est souvent le cas à l’approche de ces îles très hautes, d’autant que le rocher qui marque l’atterrage du port d’Angra do Heroismo n’en finit pas de grossir, c’est un fait une vraie petite montagne ! Au final, nous sommes quand même contents de notre journée, avec 53 milles au loch parcourus à la moyenne honorable de 7 nœuds. Nous sommes moins contents de l’horreur architecturale qui nous attend face à l’entrée du port d’Angra. Comment Angra do Heroismo, cette ville dont tous les guides touristiques vantent à juste titre les façades colorées, les ruelles charmantes et le caractère historique attesté par son classement au Etonnant, le petit bassin de Vela (Sao Jorge), où nos voix résonnent sous la falaise moussue, relayées la nuit par les cris rauques des sternes en période de nidification. Voile Magazine • juillet 2013 111 croisière LOUEZ ET DECOUVREZ Patrimoine mondial de l’UNESCO, comment cette perle de l’Atlantique a-t-elle pu être affublée d’une telle verrue ? Cet énorme immeuble de forme vaguement trapézoïdale abrite ou abritera, paraît-il, un hôtel-spa haut de gamme. Projet peu crédible sous ces latitudes, à moins que le personnel de l’importante base aérienne américaine installée sur l’île ne consacre l’essentiel de ses revenus aux massages et autres bains turcs, et surtout incroyable hérésie architecturale qui nous laisse pantois. Il suffit heureusement de lui tourner le dos et d’aller flâner dans les rues d’Angra pour retrouver l’agrément de cette vieille cité qui s’anime en juin d’une feria haute en couleur, avec trompettes, bandas et lâchers de vachettes en ville. Parmi les habitants des Açores, ceux de Terceira ont la réputation d’être de sacrés fêtards. Nous n’aurons pas vraiment l’occasion de le vérifier, tout au plus tâterons-nous l’ambiance d’une taverne où quelques habitués sirotent des bières en gardant un œil sur une mystérieuse émission de télé-réalité. Le temps nous est compté, nous laissons à regret Terceira, ses trois volcans, ses caldeiras et ses six parcs naturels pour gagner la côte sud de Pico. escortes par des dauphins acrobates Le vent est si perturbé sous Terceira, et ce pendant presque 10 milles, que nous finissons par croire que la météo a complètement changé… Il n’en est rien. L’anticyclone des Açores, positionné très à l’ouest, nous envoie toujours cette brise de secteur nord que nous finissons par recevoir sur le travers. Dans ces conditions, notre Dufour cavale et régale son barreur, escorté par des dauphins acrobates. Pico, on la voit de loin avec sa sommité volcanique façon Puy-de-Dôme qui culmine quand même à 2 350 m, généralement dissimulée dans des écharpes nuageuses. C’est le cas aujourd’hui, elle ne se découvre qu’à la fin de notre approche, alors que nous croisons la route d’un couple de cachalots qui dressent fièrement leur caudale avant de sonder. Nous sommes chanceux ! La côte sous le vent de Pico est très spectaculaire, surtout aux alentours de la pointe orientale. Des blocs de roche rouge tranchent sur les courtes falaises noires qui elles-mêmes cèdent la place à des Sail Azores : un loueur au top La location n’existait pas aux Açores, ils se sont lancés. Aujourd’hui, Joao et Nicolau proposent trois Dufour Grand Large, deux 375 et un 410. Trois bateaux remarquablement équipés, que ce soit côté navigation ou côté confort. On voit rarement sur les bateaux de location un tel assortiment de casseroles, poêles et cocottes, de Tupperware de toutes tailles, thermos, etc. Les bateaux sont basés à Horta, à peu près au centre de l’archipel. En une semaine, vous pouvez comme nous faire le tour du groupe central. En deux semaines, vous pouvez aussi aller visiter soit Sao Miguel à l’est, soit Florès à l’est. A choisir, c’est elle la plus belle selon nous, mais la météo choisira peut-être pour vous ! A partir de trois semaines, vous pouvez vous offrir un grand tour dans tout l’archipel, mais les distances sont assez importantes. L’idéal est d’avoir un mois 112 juillet 2013 • Voile Magazine entier à passer sur place pour avoir le temps de crapahuter sur les îles. Au départ de Paris, les vols TAP (la principale compagnie portugaise) passent par Lisbonne. Il y a deux heures de vol pour Lisbonne, puis deux heures de plus pour Horta. Pour le bateau (Dufour 375), il faut compter entre 2 150 et 2 950 € la semaine (2 450 à 3 450 € pour le Dufour 410, qui a également trois cabines). Rens. : www.sailazores.pt. pentes boisées. Des pentes qui se font de plus en plus douces, tout comme les teintes aux multiples nuances de vert, alors que nous abordons les zones cultivées. Le vent est complètement tombé… jusqu’à la dernière pointe avant Lajès où des rafales violentes tombées des reliefs nous cueillent presque par surprise. C’est du brutal ! Il faudra se méfier pour les manœuvres de port. En fait, même sans vent, on peut se méfier de cette entrée étroite et pas très bien pavée. D’autant que le brise-lames a souffert cet hiver, dans la tempête une partie des blocs de béton qui le constituent ont été roulés dans le chenal… Dans ces conditions, mieux vaut serrer à gauche, le long des balises rouges. Les habitants de Lajès sont un peu habitués à ce genre de déconvenue. Le village fait face à l’ouest et il est bâti à moins de deux mètres au-dessus du niveau de la mer. C’est le genre d’endroit, un peu comme Saint-Guénolé (Finistère), près de la pointe de Penmarch, où on peut passer une partie de l’hiver la tête dans l’écume et les pieds dans l’eau salée. Dans le village, chaque porte a ses panneaux de protection qu’on met en place en cas de coup de vent. La plupart des maisons sont d’ailleurs elles-mêmes en bois, ce qui nous change de la pierre volcanique et des façades blanchies et donne au bourg un faux air de Nouvelle-Angleterre. En entrant dans le port, nous sommes passés devant deux grandes cales. La première était pour les baleines, qu’on hissait grâce à un treuil à vapeur jusqu’à l’usine de dépeçage, la seconde pour les baleinières qu’il fallait pouvoir mettre à l’eau sans perdre une seconde, un peu comme des canots de sauvetage. L’extrait du film « The last Parmi les merveilles du Musée des baleiniers de Lajès do Pico, ces maquettes de baleinières, dont certaines très rares, sont entièrement réalisées en ivoire. Un vrai travail d’orfèvre. Sur la cale de Lajes do Pico, on profite du soleil entre deux couches de peinture sur les baleinières. whalers », réalisé par le Britannique William Neufeld en 1969 et projeté dans une salle du merveilleux Musée des baleiniers, montre parfaitement ce qui se passait ici à chaque passage de baleines. La vigie, installée dans sa guérite sur les hauteurs de la côte sud, aperçoit les souffles et allume aussitôt une fusée explosive avec son mégot. Dans l’instant, le laboureur lâche sa charrue, le barbier plante là son client barbouillé de savon, le boulanger abandonne son pétrin et court comme tous les autres jusqu’à la cale. Les baleinières sont prêtes, les lignes soigneusement lovées. On part à l’aviron puis, des canots motorisés, dont les patrons sont en liaison radio avec la vigie, les prennent en remorque si les animaux sont au large, ce qui est généralement le cas. Mais pour l’approche finale, les baleiniers préfèrent mettre à la voile, si le temps le permet. C’est ensuite la chasse, pas si épique que cela si l’on en juge par le film, dans lequel les cachalots se font massacrer sans opposer la moindre résistance… Ne nous fions pas trop à ces images, cette chasse était une réelle prouesse technique et humaine. La visite du musée de Lajès le montre bien et même un peu trop, élevant volontiers chacun de ces chasseurs de l’ancien temps au rang de héros national. Les vrais héros du patrimoine baleinier seraient plutôt ces passionnés qui font toujours naviguer les canots. Ils sont là, sur la cale, reprenant comme chaque année les peintures entre deux entraînements en vue de la saison de régate. Une institution ces régates, qui opposent les différentes îles dans des compétitions pour le moins viriles. On se mesure à l’aviron et à la voile, voire les deux, avec parfois un départ donné sur la cale, comme quand on partait piquer la baleine. Et si tous les comptes Le marin en escale à Angra do Heroismo sera avisé de jeter l’ancre quelques minutes dans cette minuscule taverne où quelques habitués lèvent le coude devant le zinc. Couleur locale garantie. A Velas comme ailleurs, les pavements ont des allures de mosaïques en noir et blanc. Les îles se couvrent de fleurs à la belle saison, au point que l’une d’elle a été baptisée… Florès. Voile Magazine • juillet 2013 113 croisière LOUEZ ET DECOUVREZ s joli port de l’archipel Angra do Heroismo, à Terceira, le plu ndial de l’UNESCO. et une ville classée au patrimopine mo ne sont pas réglés sur l’eau, les débats se prolongent à terre dans une ambiance qui tourne facilement à l’orage… Les bateaux, effilés et très toilés, sont magnifiques. Pour passer de l’aviron à la voile, mâtage et haubanage compris, un équipage bien entraîné ne met qu’une minute vingt sur l’eau ! Mais pour voir cela, il faudra revenir au mois de juin, quand les régates battront leur plein. Elles sont vraiment importantes ces courses, parce qu’elles perpétuent les techniques nées de la pêche à la baleine. L’interdiction de la chasse, en 1987, a été un vrai choc social et économique pour des populations comme celle de Pico. Ces régates traditionnelles contribuent à amortir ce choc. ne leur parlez pas des japonais ! Au plan économique, le tourisme baleinier offre une réelle compensation, voire des perspectives plus prometteuses encore… Pour autant, ne vous risquez pas trop à évoquer la chasse « raisonnée » pratiquée par les Norvégiens ou, pire, la chasse « scientifique » des Japonais : aussitôt votre interlocuteur voit rouge, et on peut le comprendre. Pour notre part, nous voyons encore et toujours vert, on ne s’en lasse pas ! Et on rentre à Horta à contrecœur, en essayant d’imprimer dans nos mémoires tout ce que les Açores ont à offrir, ce cocktail de rusticité et de douceur, la gentillesse d’un peuple qui a toujours su accueillir les marins. Comme destination de location, les Açores ne seront jamais les Antilles. Tant mieux. Qu’elles restent un trésor réservé à ceux qui sauront les apprécier ! 114 juillet 2013 • Voile Magazine Serge Viallelle, l’ecolo-baleinier Natif de Villefranche-sur-Saône, Serge est français, mais c’est quand même une figure locale à Lajès du Pico. Parce qu’il est là depuis plus de vingt ans, mais aussi et surtout parce qu’il a le premier développé cette activité d’observation des baleines (« whale watching »). Une nouvelle activité baleinière qui a permis de surmonter le choc économique lié à l’arrêt de la chasse. Skipper débarqué aux Açores, au beau milieu d’un convoyage qui se passait plutôt mal, il y a rencontré sa future épouse et a monté une école de croisière qui l’a occupé quelques années dans l’archipel à la barre d’un Roc (plan Auzépy-Brenneur). Un jour de 1992, à Lajès do Pico, il prend la mer avec Joao « Vigia », l’ancien guetteur de baleines, sur un tout petit pneumatique, et rencontre son premier cachalot. Sa nouvelle vocation est née, et Joao « Vigia » travaillera avec lui pendant quinze ans. Grâce à un partenariat avec Bombard, il peut rapidement développer une activité qui rencontre un succès grandissant à Pico, puis aussi à Faial et à Saõ Miguel. Il se recentre ensuite sur Pico, son port Il y a vingt ans, Serge fut le premier à lancer d’attache, où il ouvre aussi un joli petit le « whale watching » aux Açores. Il a fait école. hôtel sur les quais de Lajès, juste à côté de son établissement Espaço Talassa. Il propose d’ailleurs des forfaits hôteliers comprenant cinq sorties d’observation des baleines (650 €/semaine), ce qui laisse le temps d’aller découvrir l’île, par exemple en utilisant les vélos tout-terrain mis à la disposition des résidents. Les sorties d’observation se font sur de grands semi-rigides, avec un skipper et un biologiste, dans le respect de règles très strictes de respect des cétacés. Rorquals et baleines bleues à la belle saison, cachalots et dauphins de toutes sortes toute l’année : les journées sans baleine sont très rares à Pico. Et Serge embarque quand même jusqu’à 7 000 personnes par an à leur rencontre. Rens. : www.espacotalassa.com.