La personne entre pression sociale et liberté individuelle au Moyen

Transcription

La personne entre pression sociale et liberté individuelle au Moyen
Université de Limoges / IUF – Institut historique allemand de Paris
La personne
entre pression sociale et liberté individuelle
au Moyen Âge
Projet de recherche coordonné par
Philippe DEPREUX (Limoges, IUF) & Daniel KÖNIG (IHA)
« Mieux vaut s’attacher à des actes qu’à des écrits, à des faits qu’à des
théories, à des dépositions involontaires qu’à des témoignages délibérés. Le
geste d’un marchand de bestiaux qui frappe la main d’un partenaire pour
conclure l’affaire peut être plus révélateur qu’un développement sur la
liberté »1.
L’appréhension de la personne au Moyen Âge constitue un défi particulièrement grand car,
d’une part, il y a débat à propos de l’existence même de la notion d’individu au Moyen Âge
et, d’autre part, l’analyse historiographique a tendance à privilégier les notions d’ordre
collectif et de groupe. On considère ainsi généralement que l’individu est absorbé par le
groupe, qu’il fait corps avec lui au point de disparaître derrière lui. C’est pourquoi, alors
même que la thèse de l’invention de la notion d’individu au Moyen Âge central2 est
sérieusement remise en cause3, on fait toujours preuve de prudence dans la présentation des
exemples d’affirmation de l’individu avant la Modernité4. Il semble par conséquent nécessaire
de revisiter à nouveaux frais le rapport de l’individu au groupe, car le positionnement du
premier par rapport au second est plus complexe que ne le laisse supposer l’opposition entre
ces deux entités (comme l’illustre, par exemple, l’usage assez fréquent aux IXe – XIe siècles
consistant à insérer des témoignages personnels dans des documents relatifs à l’histoire et aux
1
L. GENICOT, « Valeur de la personne ou sens du concret. À la base de la société du haut Moyen Âge », dans : Miscellanea
Mediaevalia in memoriam Jan Frederik Niermeyer, Groningen 1967, p. 1-8 (citation : p. 1).
2
Cf. C. MORRIS, The Discovery of the Individual, 1050-1200, London 1972.
3
C’est, par exemple, le cas de la part de B. ROSENWEIN, « Y avait-il un ‘moi’ au haut Moyen Âge ? », Revue historique 307
(2005), p. 31-51.
4
B. M. BEDOS-REZAK & D. IOGNA-PRAT (dir.), L’individu au Moyen Âge. Individuation et individualisation avant la
modernité, Paris 2005.
pratiques commémoratives d’une collectivité5 – l’individu brouillant de la sorte l’ordre du
groupe en y mêlant son destin propre à une époque pourtant réputée avoir encore largement
ignoré la notion d’ego).
Pour étudier sous un jour nouveau les rapports de l’individu au groupe, on voudrait
s’interroger sur les notions de pression sociale et de liberté au Moyen Âge en étudiant l’action
de personnes en situation de tension entre le poids de la majorité ou du groupe (familial,
économique, religieux) et leurs aspirations, choix ou actions propres (en termes de projet de
vie, de stratégies sociales, religieuses ou économiques). Il s’ensuit de nombreuses questions,
dont la liste n’est pas exhaustive : Qu’est-ce qui motive la conversion ou le changement de
mode de vie ? En quoi l’individu sert-il (automatiquement) le groupe ? En quoi l’érudit sert-il
ou reflète-t-il les intérêts de sa communauté ? En quoi la force des liens familiaux sont-ils
favorables à la poursuite d’une carrière ou, au contraire, oppressants ou encombrants ? En
quoi l’individu est-il (vraiment) prédestiné au Moyen Âge ? Pour ce faire, on voudrait offrir
un espace de réflexion fondé sur des études de cas : ce genre d’enquête semble le plus
approprié pour observer le comportement des personnes, leurs choix – plus ou moins libres –
et leurs réalisations en prenant en compte la pression sociale qui s’exerce sur elles et les
contingences matérielles qui s’imposent à elles. Nous sommes dans une « société des
individus »6 dont le sens de la cohésion sociale est pour le moins ambivalent, voire
contradictoire ; il vaut aussi la peine de se demander ce qu’il en est du Moyen Âge dans toute
son ampleur millénaire et sa diversité géographique et culturelle, en Europe et dans le bassin
méditerranéen (Chrétientés d’Orient et d’Occident, Islam, Judaïsme).
Pour mener à bien cette enquête collective programmée sur deux ans (les années universitaires
2008-2010), un appel à contributions est lancé. Le projet est conçu sous la forme d’un atelier
ouvert à tout médiéviste intéressé : chaque séance permettra l’exposé d’une étude de cas
fondée sur l’examen d’un dossier documentaire envoyé par courrier électronique aux
personnes s’étant préalablement inscrites (l’assiduité est certes souhaitable, mais ne
conditionne nullement la participation à telle ou telle rencontre). Chaque communication sera
suivie d’une discussion, que l’on voudrait centrée sur le commentaire des documents
distribués. Ce projet de recherche fournira la matière d’une publication.
Les rencontres, qui auront lieu le lundi de 14h à 17h à l’Institut historique allemand de Paris,
sont prévues aux dates suivantes pour la prochaine année universitaire : 27 octobre 2008, 15
décembre 2008, 2 février 2009, 30 mars 2009 et 8 juin 2008.
Pour toute demande de renseignements complémentaires, manifestation d’intérêt ou
proposition d’intervention, merci de s’adresser à
[email protected]
ou
[email protected]
5
À ce sujet, cf. H. WELLMER, Persönliches Memento im deutschen Mittelalter, Stuttgart 1973 (Monographien zur Geschichte
des Mittelalters, 5).
6
N. ELIAS, Die Gesellschaft der Individuen, Stockholm 1983 (texte de 1939).