L`EXPLORATION CORONARIENNE DU DIABÉTIQUE : QUELS

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L`EXPLORATION CORONARIENNE DU DIABÉTIQUE : QUELS
A. FREDENRICH
L'EXPLORATION CORONARIENNE DU DIABÉTIQUE :
QUELS PATIENTS EXPLORER ?
A. FREDENRICH
Service de Diabétologie - Endocrinologie - Hôpital Pasteur
- Nice -
Le diabète est un facteur de risque indépendant de maladie cardio-vasculaire, car il est responsable d'une athérosclérose plus fréquente, plus précoce et plus grave (1). En
effet, la fréquence de l'atteinte coronaire est multipliée par
2 chez l'homme et par 3 chez la femme, le diabète supprimant d'ailleurs, en termes d'épidémiologie, la protection
dont bénéficie la femme vis-à-vis des maladies cardio-vasculaires. Par ailleurs, 20 à 25 % des patients hospitalisés
pour infarctus du myocarde (IDM) sont diabétiques, ainsi
que plus d'un tiers des patients ayant une maladie coronarienne avant 40 ans. Les diabétiques ayant fait un IDM ont
un taux de mortalité précoce et à distance 2 fois plus élevé
que les non diabétiques. Enfin, la maladie coronaire chez le
diabétique est volontiers latente et se révèle fréquemment
par une manifestation clinique grave, qu'il s'agisse d'un
IDM ou d'une mort subite.
· l'âge,
· le sexe masculin,
· les antécédents familiaux de décès cardio-vasculaires
précoces,
· la durée d'évolution du diabète,
· l'HTA,
· le tabagisme actif,
· la présence d'une atteinte artérielle périphérique objectivée par des éléments cliniques et échographiques (épaisseur intima-média),
· une dyslipidémie,
· la présence d'une microalbuminurie.
L'Association de Langue Française pour l'Etude du Diabète et des Maladies Métaboliques (ALFEDIAM) a publié
en 1995 des recommandations sur la stratégie à adopter
pour dépister la coronaropathie diabétique silencieuse (2).
Cette démarche repose sur des examens non vulnérants,
épreuve d'effort et scintigraphie myocardique, qui ont pour
but d'authentifier une ischémie myocardique silencieuse,
afin de poser in fine l'indication d'une coronarographie,
cette stratégie d'exploration sera exposée par ailleurs à ce
congrès.
On comprend donc aisément que le principal intérêt de
lister ces FDR (physiologiques ou pathologiques) est d'attirer l'attention sur le risque coronaire, mais qu'ils ne sont
pas discriminants, puisque plusieurs d'entre eux sont présents chez une large majorité de diabétiques. La question
est donc de pouvoir éatblir une hiérarchie parmi eux, afin
de pouvoir déterminer un "score d'athérogénicité", individuel, prédictif à un moment donné de la prévalence d'une
atteinte des principaux axes artériels et notamment des artères coronaires.
La question qui nous préoccupe ici est de savoir, parmi les
diabétiques asymptomatiques sur le plan coronarien, à qui
proposer cette stratégie d'exploration. Il est clair en effet
qu'un dépistage systématique de l'insuffisance coronaire
selon les recommandations de l'ALFEDIAM ne peut être
appliqué à l'ensemble de la population diabétique pour
des raisons économiques et pratiques évidentes. Il apparaît donc que ce sont les patients qui présentent, en plus
donc de leur diabète, un certain nombre de facteurs de
risque (FDR) de la maladie coronaire qui doivent être la
cible prioritaire de ce dépistage. Ces FDR, dont le recueil
doit être simple, le nombre limité, qui doivent être reproductibles, avoir une bonne sensibilité et spécificité, et avoir
été validés au travers d'études épidémiologiques méthologiquement satisfaisantes, sont les suivantes :
Un certain nombre d'équations et de tables de risque cardiovasculaires sont actuellement disponibles, certaines même
sur Internet, permettant de prédire le risque cardio-vasculaire individuel d'un patient selon ses FDR (4). Il faut toutefois savoir que les populations de référence qui ont servi
de base à la mise au point de ces tables sont souvent
différentes de la population française, à l'exception du
modèle de Laurier (5), adaptation hexagonale du modèle
de Framingham. Par ailleurs, ces tables sont faites pour la
population générale, pour laquelle le diabète n'est qu'un
FDR parmi d'autres, et non pour une population diabétique spécifique, qui reconnait elle-même des FDR particuliers. Enfin ces équations établissent un risque à moyen
ou long terme (en général à 10 ans), alors que notre démarche consiste plutôt à estimer un risque immédiat, afin de
L'existence d'une HVG ainsi que celle d'une neuropathie
autonome cardiaque (3) a été également incriminée dans la
génèse de l'ischémie myocardique silencieuse (IMS).
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Revue de l'ACOMEN, 1999, vol.5, n°4
L'exploration coronarienne du diabétique : quels patients explorer ?
savoir si une exploration vulnérante (coronarographie) est
actuellement indiquée ou non.
Parmi les différentes études visant à identifier et à pondérer les FDR impliqués, trois travaux récents reflètent la complexité de la question et l'hétérogénéité des résultats.
L'étude de Charpentier et al. (6) visant à établir un modèle
prédictif d'insuffisance coronaire chez plus de 3 000 patients diabétiques de type 2 a permis de définir 12 variables associées de manière indépendante à l'insuffisance
coronaire. Ce sont, par ordre décroissant d'importance, la
présence d'une artériopathie des membres inférieurs, l'âge,
une PAS > 160 mm Hg, le sexe masculin, un taux de cholestérol-LDI > 1,60 g/l, un taux de triglycérides > 2 g/l, l'existence d'un traitement par insuline, le tabagisme, la durée
du diabète, l'existence d'une macroalbuminurie, et enfin
l'existence d'antécédents familiaux cardio-vasculaires. Un
taux d'ApoA1 > 1,45 g/l apporte le même coefficient, mais
protecteur, que l'existence d'un traitement par l'insuline. Il
a été alors possible de définir pour chaque patient un score
global, et de déterminer pour un patient donné son risque
d'insuffisance coronaire.
Dans un travail marseillais récent (7), étudiant les facteurs
prédictifs de l'IMS chez 203 patients diabétiques, le sexe
masculin, l'existence d'une rétinopathie, d'une macroangiopathie et d'antécédents familiaux cardio-vasculaires, ainsi
qu'un nombre de FDR supérieur ou égal à 3 apparaissent
comme significatifs.
Enfin, dans notre étude (8) menée chez 136 patients diabétiques, nous retrouvons chez les patients avec IMS l'existence d'une microalbuminurie, d'un nombre de FDR supérieur à 4, d'une HTA, d'une rétinopathie et d'une durée
d'évolution du diabète supérieure à 20 ans.
Que peut-on conclure de ces données ? Il est sûr que plus
un patient diabétique cumule de FDR, plus est grande la
probabilité qu'il souffre d'un accident coronarien ultérieur.
Mais quels FDR ? Nous avons vu que les résultats sont
pour le moins discordants. Cela dit, la durée d'évolution
du diabète, une artériopathie périphérique, une HTA, une
atteinte rénale (bien que l'existence d'une microalbuminurie
soit discutée, considérée initialement comme un bon marqueur, il semble qu'elle soit surtout actuellement le témoin
d'une dysfonction endothéliale globale chez le diabétique),
semblent avoir un poids important, parmi les FDR habituellement rencontrés. La notion de score est vraisemblablement à retenir, afin de répartir éventuellement les patients en trois groupes : patients avec score élevé, indi-
quant d'emblée une exploration angiographique, patients
avec score faible n'indiquant pas de bilan complémentaire
dans l'immédiat, enfin patients à score intermédiaire indiquant une stratégie d'explorations non vulnérantes, comme
celle recommandée par l'ALFEDIAM, par exemple.
Néanmoins, il faut garder présent à l'esprit qu'il existe des
obstacles de taille à la validation d'une telle stratégie. Cette
validation supposerait pour chaque patient la confrontation systématique des résultats du dépistage à une coronarographie, que le dépistage soit positif ou non, ce qui
pose bien sûr un problème éthique ; par ailleurs les impératifs épidémiologiques d'une telle validation nécessiteraient
l'inclusion d'un nombre important de patients (2 à 3 000),
ce qui se heurte à des difficultés méthodologiques considérables. Enfin, la question finale, qui est de savoir si le
dépistage et le traitement actifs voire agressifs de la
coronaropathie silencieuse du diabétique offriront des résultats en terme de morbi-mortalité supérieurs à l'application optimale des mesures de correction et de contrôle des
FDR (qui est loin d'être la règle actuellement), n'est sûrement pas résolue.
Bibliographie
1. Stamler J., Vaccaro O., Neaton J.D., Wenworth D. Diabetes,
other risk factors and 1-yr cardio-vascular mortality for men screened
in the multiple risk factor intervention trial. Diabetes Care 1993 ;
16 : 434-44.
2. Passa P., Drouin P., Issa-Sayegh M. et al. Coronaires et diabète.
Diabetes Metab 1995 ; 21 : 46-51.
3. Valensi P., Sachs R.N., Lormeau B. et al. Silent myocardial ischemia
and left ventricle hypertrophy in diabetic patients. Diabetes Metab
1997 ; 23 : 409-16.
4. Chatellier G., Tchenio P., Daniel J.F. et al. Internet et maladies
cardiovasculaires. Diabétologie et Facteurs de Risque 1997 ; 3 :
211-7.
5. Laurier D., Chau N.P. Identification des sujets à risque élevé de
morbidité coronarienne dans une population active française à l'aide
d'un modèle de prédiction. Arch. Mal. Coeur Vaiss. 1995 ; 88 :
1569-75.
6. Charpentier G., Varroud-Vial M., Retel O. et al. Diabète de type
3 et risque de cardiopathie ischémique, qui explorer ? Diabétologie
et Facteurs de Risque 1998 ; 4 : 45-50.
7. Janand-Delenne B., Savin B., Habib G. et al. Silent myocardial
ischémia in patients with diabetes. Diabetes Care 1999 ; 22 : 13961400.
8. Castillo-Ros S., Frendenrich A., Hieronimus S. et al. Les recommandations de l'ALFEDIAM "coronaires et diabète" de la théorie à
la pratique. Diabetes Metab. 1999 ; 25 (suppl.1) X.
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Revue de l'ACOMEN, 1999, vol.5, n°4
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