Intervention de Céline Cantat

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Intervention de Céline Cantat
Womeninwarzonesandrefugeecamps
SyrianrefugeewomeninLebanonandtheirroleinfightingpoverty
CélineCantat,OMEP
Introduction
I.
LeMoyenOrientestperçuenoccidentcommeunerégioncaractériséeparlapersistancede
conflits,depauvreté,dedespotismeetparuneabsencededroitsdelafemme.Souvent,ces
situationspolitiquessontanalyséesauprismedesdangerspotentielsqu’ellesreprésentent
pourlasécuritédel’occident,oubliantainsiquecesontlespopulationslocalesquienpaient
leprixlepluslourd.
Si, en temps de guerre, ce sont d’abord les hommes qui figurent parmi les blessés, les
emprisonnésetlesmorts,cesconflitsontégalementunimpactextrêmementnégatifsurla
vie des femmes, qui doivent lutter pour maintenir leur foyer et assurer protection et
sécuritéàleursenfantsdansdescontextesmarquésparunaccèslimitéauxservicesdebase
etàl’emploiainsiqueledémantèlementdesréseauxsociauxetfamiliauxhabituels.
En2000,leConseildeSécuritéaadoptélarésolutionnuméro1325portantsurlesfemmes
etlapaixetaainsiattirél’attentionnonseulementsurl’impactparticulierdesconflitsetdes
guerressurlesfemmes,maisaussisurlerôledecelles-cidanslapréventionetlarésolution
des conflits. Les approches classiques ont eu tendance à oublier les femmes, dissimulées
derrière les figures typiquement masculines du combattant, du résistant ou du décideur
politique. Il s’agit donc de ‘genrifier’ notre analyse, c’est à dire de prendre en compte les
rapports sociaux caractérisant le masculin du féminin et les distinguant, pour comprendre
comment ils participent à créer des formes de violence et des difficultés particulières aux
femmesenpériodedeconflit.Ceciappelleàsituernotreapprochedanssoncontextesocial,
culturel, économique et politique propre, afin entre autres d’éviter les écueils d’une
approche«madeinoccident»dansnotretravaildesolidaritéinternationaleetdesoutien
auxfemmes.
II.
AperçudelasituationdesréfugiésdeSyrieauLiban
Plusdelamoitiédelapopulationsyrienneaétédéplacéeparleconflit.Ilestestiméqu’ilya
9 millions de déplacés internes alors que le Haut Commissariat aux Réfugiés a enregistré
prèsde4millionsderéfugiésuniquementdanslespayslimitrophesàlaSyrie(leLiban,le
Jordanie,laTurquieetl’Iraq).Ceschiffresneprennentencomptequeceuxetcelless’étant
adressé.e.sàl’agenceetsontdoncdesestimationsàlabaisse.
AuLiban,unpaysd’environ4millionsd’habitants,1,2millionsdeSyriensontétéenregistrés
par le HCR. Sur demande du gouvernement, le HCR a cessé d’enregistrer les nouveaux
arrivants début 2015. Il est estimé que le chiffre réel de réfugiés syriens dans le pays
dépasse les 2 millions, soit plus d’un tiers de la population totale. Selon les chiffres des
Nations Unies, près de la moitié des foyers syriens en exil sont désormais tenus par des
femmesseules.
III.
Lesfemmesréfugiéesseules
La plupart de ces femmes se sont retrouvées à la tête de leur famille suite à des
changementsrapidesetbrutaux,etdécouvrentenunmêmetempslaguerre,l’exiletlavie
sansleurcompagnon.Lasurviequotidienne,ycompristrouverdel’argentpourunloyer,de
la nourriture et des produits de base, ainsi qu’assurer l’accès aux soins de santé et à
l’éducationpourleursenfants,estuncombatdechaqueinstant.
Lapremièredifficultélorsdel’arrivéeauLibanestdetrouverunlogementpourleurfamille,
dans un pays déjà marqué par de graves problèmes d’habitat. En l’absence de camps de
réfugiés officiels, gérés par le gouvernement ou les organisations internationales, de
nombreusesfamillesviventdansdesabriscollectifsainsiquedansdescampsinformels,ce
quirendladistributiond’aidehumanitaired’autantplusdifficile.
Dans ces camps informels, les femmes se trouvent dans des situations particulièrement
précairesetdangereuses.Plusieursd’entreellesm’ontexpliquéparexemple,qu’unefoisla
nuit tombée, elles évitaient de se rendre aux toilettes et douches, lesquelles manquent
souventdeverrou,depeurd’êtrevictimesdeharcèlementoudeviolencesexuelle.Unefois
ceproblèmereconnu,desONGontfournideslampesdepochesauxfemmesetjeunesfilles
ducampetdesgroupesontétéorganiséspourquelesfemmesneserendentplusseules
auxdouchesettoilettes.
Cellesquipeuventlouerdeslogementsencontexteurbainsignalentfréquemmentdesabus,
y compris du chantage sexuel, de la part de leur propriétaire. D’une manière générale,
l’habitatdesréfugiéssyriensauLibanmanquedesserviceslesplusbasiques,telsquel’eau
couranteoul’électricité.LeHCRauLibandéclarequeplusde40%desfoyerstenuspardes
femmesviventdansdesconditionsinsalubres.
Aux difficultés d’ordre matériel s’ajoutent des traumatismes psychologiques qui viennent
affecterlesfemmesetleursenfants,dansuncontexteoùleurvulnérabilitéréduitlesliens
interpersonnelsquecesfemmessontenmesurededévelopperetleurcapacitéàparticiper
àlaviedelacommunauté.
Dansunesituationoùmêmel’accèsauxproduitsdebaseestincertain,lesviolencescontre
lesfemmesfigurentsouventausecondplandanslesprogrammesd’actiondesorganisations
internationales et locales. Le stigma social qui perdure face aux épisodes de violence
sexuelle empêche également les femmes de chercher de l’aide et de se rapprocher de
servicesdesoutien,lesquelssontparailleursraresàcaused’unmanqued’expertiselocale.
Un autre problème important à cet égard est lié aux difficultés que les réfugiés syriens
rencontrentpourrégulariserleurprésenceauLiban.Ceciempêchelesfemmesdes’adresser
aux autorités officielles ou à la police lorsqu’elles sont victimes de harcèlement ou de
violence.
IV.
Impactsurlesenfants
1. L’éducation
Il y a 400,000 enfants syriens (âgés de 5 à 17 ans) enregistrés auprès du HCR au Liban et
moins de 30% d’entre eux sont inscrits à l‘école. La population d’enfants réfugiés en âge
d’alleràl’écoleestsupérieureàcelledesenfantslibanais.Audelàdumanquedeplaceset
de financement, les enfants syriens rencontrent d’autres difficultés lorsqu’ils tentent
d’intégrer les écoles libanaises, telles que des différences entre les programmes scolaires
syriens et libanais, le fait que dans beaucoup d’écoles libanaises une partie de
l’enseignement se fait en français ou en anglais, les difficultés géographiques d’accès aux
écolesmaisaussidesincidentsd’agressionetd’hostilitéenverslesnouveauxvenus.
Parfois,desprogrammesinternationauxdesoutienauxenfantssyrienssuscitentlajalousie
desfamilleslibanaiseslocales,égalementtrèspauvres.Detellessituationsontétésignalées
danslavalléedelaBekaaparexemple,oùsetrouvelamajoritédescampementsinformels
syriensetquiestunedesrégionslespluspaupériséesdupays.
2. Letravaildesenfants
Dans cette situation d’extrême fragilité, certaines femmes doivent choisir parmi leurs
enfantslesquelspeuventalleràl’école.Fatmeh1,mèredesixenfantsdontlemariestmort
enSyrie,m’aexpliquéqu’ellepréféraitquesesfillesaillentàl’écoleparceque«lesfillesne
peuvent pas survivre sans éducation. Les garçons peuventtoujourstrouverdutravail mais
pourunefemmesanséducation,ilyapeudesolutions».
Les enfants gagnent entre 1 et 4 dollars pour une journée complète de travail dans le
secteur agricole, dans des garages et petits commerces, ou souvent en mendiant dans les
rues.Plusalarmantencore,danslesrégionsfrontalières,desadolescentsparfoistrèsjeunes
peuventêtretentésderejoindredesgroupesarmésenéchangedesalaire.
V.
Stratégiedesurvieetd’accèsàl’éducationpourlesenfants
1. Lerôlechangeantdesfemmes
Dans cette situation, les femmes syriennes deviennent souvent des personnes clés dans
l’organisationdelaviequotidiennedescampementsinformelsauLiban.
Dans la vallée de la Bekaa, Umm Sameer est devenue, d’abord par nécessité, chef de
campement et le principal intermédiaire entre les organisations internationales et les
résidentslocaux.OriginairedelavilledeHoms,UmmSameer,41ans,quinetravaillaitpas
enSyrie,étaitloind’imaginerendosserdetellesresponsabilitésunefoisauLiban.Mais,elle
m’explique que «nous, les femmes, sommes plus à même de tenir ses fonctions, nous
savons ce dont les gens ont besoin, nous comprenons nos voisins. Les hommes partent le
matin, pour essayer de trouver du travail. Nous, nous sommes ici toute la journée, nous
connaissons les problèmes, nous connaissons les besoins, nous savons ce qu’il faut aux
enfants».
Ainsi, un employé d’une ONG internationale me confiait que les campements où les
interlocuteurs étaient féminins étaient souvent mieux pourvus en produits de première
nécessité et que les listes de besoins remontant jusqu’aux ONG répondaient mieux aux
attentesdelapopulationdanssonensemble.
2. L’emploi
Au niveau individuel, le premier facteur de prévention du travail des enfants est l’accès à
une source de revenus stable de leur mère. Au Liban (comme en Jordanie et en Turquie)
d’importantes restrictions existent quant à l’emploi des réfugiés, diminuant les possibilités
de trouver du travail et poussant les réfugiés vers le secteur informel et une plus grande
précarisation.
1
Lesnomsontétéchangésparsoucideconfidentialité.
Cependant,lesfemmesauxquellesj’aiparléfaisaientpreuved’ingéniositéafindetrouverun
emploi. Nombre d’entre elles se sont tournées vers le secteur du travail domestique –
femme de ménage, garde d’enfants à domicile – mais certaines ont également ouvert de
petitscommercestelsquedessalonsdecoiffure,desateliersdecoutureoudescrèchesà
domicile. Malheureusement, de nombreux incidents d’harcèlement sexuel dans le secteur
domestique sont à déplorer. Ainsi, les femmes préfèrent trouver des sources de revenu
alternatives. Une des clés à cet égard est de développer des compétences susceptibles
d’êtrerémunératrices.
3. Laformationprofessionnelle
Avec l’aide des organisations internationales, 32 centres locaux de développement2et
centresderessourcespourlesfemmes3ontétéétablisauLiban.
Ces centres fournissent des formations dans différents domaines tels que la coiffure ou la
cuisine. Plusieurs ONG internationales organisent des activités de formation dans les
campementsinformels,oùellesenseignentauxfemmesréfugiéeslesrudimentsdemétiers
quelesfemmespeuventexercerdemanièreinformelle.Ainsi,endehorsdusecteuragricole
où les hommes demeurent plus convoités, les femmes réfugiées au Liban se retrouvent
fréquemmentdansdessituationsplusemployablesqueleshommes.
Certainsdecescentresproposentégalementunsuividanslarecherched’emploiainsique
des micro-prêts pour les femmes en grande difficulté. Les organisations locales et
internationales insistent pour impliquer (et, là où cela est possible, employer) des réfugiés
syriens dans leurs programmes et projets. Ainsi, la cafétéria du HCR à Beyrouth est en
majoritéaniméepardesfemmesréfugiéessyriennesayantsuividesformationsencuisine
ethygiènealimentairedansl’undecescentres.
4. Initiativeslocalesetautonomes
Au delà des initiatives des organisations internationales, des nombreux réseaux informels
formés par des femmes syriennes au Liban se sont développés. Dans une banlieue
paupériséedeBeyrouth,j’aiparexemplerencontréungroupedefemmesâgéesde17à62
ans s’étant organisées de manière autonome et se réunissant trois fois par semaine dans
unesalleprêtéeparuneassociationlocale.Lorsdecesrencontres,lesfemmesdiscutentde
leursdifficultésquotidiennes,s’échangentdesconseilsenmatièred’hygièneetdesanté,et
seréserventainsidesmomentsdepartageetd’entraide.
Elles organisent également des ateliers où chacune enseigne les compétences étant les
siennes–ainsi,descoursd’informatique,d’anglaisetdecouturesontproposés.Deuxdeses
femmes travaillent comme gardes d’enfants, libérant ainsi d’autres femmes ayant trouvé
desemplois.Unepartiedessalairesestmiseencommunafind’acheterdesproduitsdebase
engrossesquantitésetdebénéficierainsideprixplusavantageux.Layla,32ans,meconfie
«nous les femmes, sommes capables de faire ça, de coopérer pour utiliser au mieux nos
ressources.Cen’estpastoujourslescasparmileshommes!»
VI.
Conclusion
2
3
Communitydevelopmentcentres
Women’sresourcecentres
Comme le dit Layla, les femmes en temps de conflit démontrent leur capacité à travailler
ensembleetàmutualiserlesressourcesdansleurcombatcontrelapauvretéetlesformes
deviolencegenréesdontellessontvictimes.
Il est ainsi impératif que les initiatives de solidarité internationale et les ONG incluent les
expériences et les témoignages féminins lorsqu’elles conçoivent leurs projets et que les
difficultés propres aux femmes soient prises en compte. Ceci permettra aux femmes
réfugiées de réaliser leur potentiel d’actrices de premier plan dans la lutte contre la
pauvretéetl’accèsàl’éducationetàlasantédesfuturesgénérations.

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