grand format entretien

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grand format entretien
G R A N D F O R MAT ENTRETIEN
MIKE HORN
« J’ai souvent peur car la
en vie »
Dans l’entrée de L’Équipe, même le tourniquet, trop lent à son goût,
subit son impatience. Mike Horn pousse tout ce qui se met sur son
chemin, va à cent à l’heure, même à trois cents parfois, sauf quand
la police française, qu’il tente de semer, l’arrête à un péage. L’anecdote a valu à l’aventurier sud-africain, résidant en Suisse depuis
vingt ans, une grosse amende et une suspension d’un an de permis,
mais aujourd’hui elle le fait marrer. Finalement, à ses yeux, rien n’a
d’importance. Très vite confronté à la mort, marqué par l’exemple
de son père décédé à seulement quanrante-deux ans, il mène un
combat perdu d’avance contre un décompte inexorable : « On a en
moyenne trente mille jours à vivre. Et ça défile vite. » L’homme qui
a parcouru la Terre presque dans ses moindres recoins comme on
prend le métro chaque matin est une bourrasque qui vous broie les
phalanges, vous déplace (ou replace) les vertèbres à coup de grandes ruades dans le dos. Sa manière de partager son enthousiasme
pour la vie, les rencontres et l’aventure. Même si, à bientôt quarante-sept ans, il n’est dupe de rien. Moins explorateur qu’aventurier, il
regrette le temps des deux explorateurs portugais Fernand de Magellan (1480-1521) et Vasco de Gama (1460 ou 1469-1524) quand,
avec leur boussole et leur couteau, ils filaient droit devant eux, sans
se retourner. Quand il n’aura plus la force, ni les jambes de descendre l’Amazone à la nage ou de réaliser le tour du monde en suivant
l’équateur, Mike Horn pourra penser à sa reconversion. Au coin
d’un feu, auprès de jeunes générations, avec ses histoires d’ours, de
rebelles armés ou de pôle Nord, il fera un carton. En attendant, à
L’Équipe, il a captivé l’auditoire…
« C’EST QUOI votre emploi du
temps, la semaine prochaine ?
– Le K 2 au Pakistan (un des quatre
sommets de la région à plus de
8 000 mètres). Ensuite, je vais essayer
de redescendre en parapente à partir
du sommet. Cela n’a jamais été fait !
Normalement, à pied, ça prend dixhuit à vingt heures, là, tu peux le faire
en quatre minutes. Je suis déjà allé
deux fois là-bas. La première, je voulais
faire les quatre 8 000 l’un après l’autre.
On a monté les deux premiers mais on
s’est arrêtés à deux cents mètres du
troisième, il y avait du mauvais temps.
Il y a deux ans, quand j’ai voulu y retourner, on est parvenus au Broad
Peak, le troisième 8 000 mais le passage vers le K 2 était plein de neige.
La montagne me disait : “Cette année,
ce n’est pas pour toi.” Alors j’y retourne car le K 2, c’est la montagne des
montagnes.
– Vous y retournez parce qu’elle
se refuse à vous ?
– Oui, elle me nargue un peu (rires).
Tout le monde me dit de faire l’Everest
(8 848 mètres), comme ça j’aurai fait
les trois grands pôles de notre Terre
(Nord, Sud et Everest), mais cela ne
m’intéresse pas.
– Pour quelle raison ?
– La commercialisation du lieu. Le K 2,
lui, reste une montagne grâce à ses difficultés, c’est un plus grand challenge,
il n’y a pas de touristes. Et c’est une
montagne qui ne pardonne pas. Au
sommet de l’Everest, des hélicos se posent. Cela enlève quelque chose que je
cherche en moi.
– Justement que cherchez-vous ?
– J’aime bien me sentir vivant. Je ne regarde pas la télévision, je ne vais pas
au cinéma. Ce n’est pas que je n’aime
pas, c’est juste que ma vie est plus réelle, plus intense que ce que je vois sur
un écran. Je ne veux pas avoir une vie
facile ! C’est une espèce de drogue.
Sinon, la vie est fade.
– Est-il vrai qu’à huit ans vous
aviez envisagé de parcourir trois
cents kilomètres en une journée
à vélo ?
– Mon père m’a donné deux choses :
une bonne éducation et ma liberté. De
six à huit ans, il me disait : ”Tu peux
aller où tu veux mais, à 6 heures du
soir, tu es de retour à la maison.” Alors
je marchais pendant quelques heures
puis je revenais chez nous à 18 heures.
J’ai commencé comme ça à explorer,
par tous les temps. Je m’en foutais
du moment que j’étais dehors. Avec le
vélo, je pouvais pousser encore plus
loin. Un jour, j’ai dit à mon père que
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j’allais visiter son frère. Comme je ne
voulais pas lui mentir, je ne lui ai pas dit
lequel. J’avais un oncle à dix kilomètres de notre maison, un autre à trois
cents kilomètres. Sauf qu’à 18 heures,
évidemment, je n’étais pas rentré.
Trois cents kilomètres en un jour,
c’était impossible !
– Vous arrive-t-il de partir en
vacances tranquillement, à la
plage ?
– Jamais ! Ou alors avec mes filles au
pôle Nord. Une fois, on est allés au
Groenland, on a aussi fait de la plongée dans le Pacifique à la recherche de
porte-avions (japonais) coulés par les
Américains. Ça, ce sont des vacances,
de vraies aventures !
– Vos absences prolongées ne
doivent pas être évidentes pour
vos deux filles !
– J’ai souvent été critiqué là-dessus.
Un bon père, ce n’est pas forcément
celui qui rentre tous les soirs, fatigué
par son travail, qui ne voit pas ses enfants mais leur achète un ordinateur.
N’importe qui peut le faire. Un père
donne quelque chose d’unique à ses
enfants, ses émotions, ses propres expériences. Je pars, non pas parce que je
n’aime pas ! Je rentre parce que j’aime.
Je ne veux pas mourir, putain ! Parce
que j’ai quelque chose à la maison !
– N’est-ce pas une façon de vivre
égoïste ?
– Si, 100 % égoïste. Il faut l’être, pas
dans le sens où il faut ne vivre que pour
soi. Mais dans l’idée de partager ensuite son expérience. Ça, contrairement à
l’argent, tu ne peux pas la perdre.
Quand je rencontre des banquiers lors
de conférences, ils sont quelqu’un parce que c’est écrit sur une carte de visite
mais, pour moi, cela n’a aucune valeur,
c’est zéro. La valeur est là (il pointe du
doigt son cœur).
– Êtes-vous un ”fou furieux”
comme le dit votre ami, le skip-
peur suisse Laurent Bourgnon,
un sportif ou un aventurier ?
– La base est sportive. Ensuite, il faut
avoir de la folie dans la manière de
penser le voyage puis il faut être JeanBaptiste Charcot (explorateur français
des zones polaires, 1867-1936) pour
se lancer. Récemment, je suis rentré
du pôle Sud, ce qui, à l’époque de
Charcot, était la plus grande aventure
du monde. J’y ai fait un tour, je suis rentré avec les kite-surfs en faisant cinq
cents kilomètres par jour. Mais c’était
nul comme expérience, cela n’avait
aucune valeur. L’homme reste l’homme, la nature reste la nature mais ce
qui change, c’est qu’on est assistés.
J’ai toujours ajouté des complications,
contre le vent, les courants, pour que
ce soit plus difficile.
– Et pourtant, sur chaque expédition, vous avez une assistance
technique, un staff qui vous suit
et vous rejoint à certaines étapes. Comme si vous aviez un filet…
– Aujourd’hui, on prend un téléphone
et on appelle. J’ai des sponsors et donc
l’obligation de faire des interviews et
cela enlève de l’aventure, c’est vrai, je
suis à 200 % d’accord. Pourtant, ne
pas communiquer, c’est la meilleure
communication ! Mais on a tellement
besoin des sponsors. Qui va financièrement m’aider ? Heureusement, dans
l’exploration, on est moins dans la
commercialisation que les autres
sportifs. Tu ne peux pas mentir car, à
l’autre bout du monde, tu es seul. Si tu
n’as pas de valeurs, tu n’iras pas loin
car tu ne joues pas un match, tu joues
ta vie. Et moi, je ne veux pas la perdre.
– En ce moment, vous êtes dans
la performance sportive, moins
dans l’exploration. N’existe-t-il
plus d’endroit à découvrir ?
– Sauf sous l’eau. C’est là que se passeront mes prochaines expéditions.
Aujourd’hui, on découvre les choses
via les écrans. Google prend une photo
et on sait où l’on va. Des gars comme
Charcot, Paul-Émile Victor (explorateur et écrivain français, 19071995)… j’ai rêvé de vivre à leur époque. Petit, mon père m’amenait là où
se trouvent les croix de Vasco de Gama, au cap de Bonne-Espérance (Afrique du Sud). Je visualisais les bateaux
en bois qui arrivaient, les gars qui
criaient : ”C’est le bout de l’Afrique !”
Les explorateurs disaient : ”On construit un bateau et on va où il n’y a personne !” Ça, c’est l’aventure ! Aujourd’hui, on n’a plus ça. On n’est plus
dans l’exploration mais dans le dépassement de soi. Il y a quelques années,
une boîte de production m’a proposé
de participer à une émission de survivor pour une télévision américaine. J’ai
dit : ”Vous avez réuni les meilleurs survivors mais est-ce que l’on peut mourir ?” Il y a eu un silence et on m’a répondu : ”Mais non, c’est pour la télé
voyons ! On ne veut pas que les gens
meurent.” Alors, par provocation, j’ai
demandé : ”Mais est-ce que je peux
tuer les autres participants ?” (Rires.)
Le gars m’a dit que j’étais fou et il a raccroché.
– Et le Vendée Globe, avec ses
« En 2007, pour mon premier 8000,
je ne savais plus où j’étais. Je m’avance
vers la combinaison rouge devant moi,
j’ouvre la capuche, la gueule était
noire, brûlée par le soleil, sans yeux.
En fait, c’était un gars qui était là
depuis trois ans. J’ai pris un coup
dans la gueule, ça m’a réveillé
et je suis parti. »
GPS, ses radars, ses interviews,
cela vous plaît ? On assiste quasiment à la course en direct.
– C’est une manière de partager
l’aventure. J’aimerais bien faire le Vendée mais quand j’aurai quatre-vingtdix ans et que je ne saurai plus marcher. Tu poses tes fesses sur le bateau
et tu mènes tes voiles, ce n’est pas physique. Il faut arrêter de dire que c’est
fatiguant. Si tu sais gérer le sommeil,
c’est facile.
– Félix Baumgartner, premier
homme à franchir le mur du son
après une chute de 39 045 mètres
en octobre dernier, c’est un
aventurier ?
– (Gêné.) Je dois faire gaffe à ce que je
dis, je marche sur une glace très mince
(sourire). C’est l’aventure moderne,
il a réalisé un rêve de gosse et ça,
je respecte.
– Vous n’avez pas l’air emballé…
– J’ai beaucoup plus de respect pour
celui qui a fait la même chose que lui
dans les années 1950 (Joseph Kittinger
avait sauté de 31 300 mètres en 1960).
Félix, avec Redbull qui a fait une énorme publicité, a su créer la fascination
chez les gens. Mais, demain matin, si
j’ai l’occasion, je fais la même chose.
– Sans peur ?
– Sans peur. J’ai été dans les forces
spéciales sud-africaines, j’ai fait du parachutisme. Avec la pression, le parachute s’ouvre quoi qu’il arrive. Et l’apnée n’est pas un problème, tu as de
l’oxygène. Tu as zéro risque ! Si tu demandes à Félix d’aller au pôle demain
matin, c’est une autre histoire.
– Ne craignez-vous jamais de
mourir ?
– Paradoxalement, plus d’aventuriers
meurent maintenant qu’au temps de
Charcot car on fait trop confiance au
matériel, on vise la performance.
Quand je suis allé au pôle Sud, un
Américain a voulu entrer en compétition avec moi. Il a pris une luge de
soixante kilos, la mienne en faisait
cent quatre-vingt. Mais il ne savait pas
que je voulais faire l’aller-retour. Lui,
c’était juste un aller. Il avait pris une semaine d’avance, il courait mais il a fini
par ralentir et, petit à petit, je me rapprochais… À deux jours du pôle, il a
décidé de larguer sa tente car il avait
peur que je le rattrape. Il a gagné. Mais
c’était une journée extrêmement froide et il ne pouvait plus s’abriter. Les
médecins ont coupé ses mains et ses
pieds. Je suis arrivé au pôle, j’en ai fait
deux fois le tour et puis je suis rentré en
parcourant trois mille kilomètres. Oui,
il a gagné. Mais est-ce que l’aventure,
c’est d’y aller plus vite ? De perdre
tes jambes et tes mains ? Vous savez,
il n’y a rien entre la vie et la mort.
J’ai souvent peur car la peur me garde
en vie.
– Votre formation paramilitaire
vous aide-t-elle dans ces cas ?
– Oui. À l’époque, l’Afrique du Sud
était boycottée par les autres pays (en
raison de l’apartheid, en vigueur de
1948 à 1991), elle luttait aussi contre
l’infiltration du communisme (en Namibie notamment). On nous sélection-
nait à seize ans, on passait des tests
psychologiques et physiques, puis la
sélection se faisait : de 4 000 jeunes à
1 000, puis 400… Après deux ans de
guerre, il n’y a plus personne.
– Vous avez perdu des amis. Et
vous, avez-vous tué des hommes ?
– On ne sait jamais. J’étais plutôt dans
le renseignement, moins dans le combat. Mais c’est sûr que parfois tu es
avec deux ou trois hommes, tout le
monde tire dans tous les sens… Oui,
j’ai perdu des hommes ; oui, on a tué
des gens. C’est là que tu réalises que la
guerre, c’est des conneries. Il n’y a que
des perdants.
– Lors de vos expéditions, vous
parlez d’étude sur soi, de “voyage intérieur“. Repensez-vous
alors à cette période ?
– Pas forcément. Parfois, on fait des
conneries et on ne se demande pas
pourquoi, la vie va trop vite. Quand tu
es seul dans la tente, tu reviens sur tout
ça, ce qui est connu, car cela te rassure.
On se demande : “Est-ce que tu es vraiment le type que tu veux être ?“
– Et alors ?
– Tu n’as jamais vraiment la réponse,
c’est pour cela que tu repars à nouveau. J’ai beaucoup appris sur moi, je
n’ai pas toujours été un type… (Il hésite) J’ai longtemps été en guerre pour
arriver le premier, j’étais très compétitif. Alors que le plus important, c’est
d’avoir des gens qui t’aident à avancer
plutôt que de leur marcher dessus.
– Ce que vous faisiez ?
– Oui, à un moment, j’avais peur que
quelqu’un s’entraîne plus que moi,
arrive plus vite avant moi. C’est grave !
– Seul pendant des mois, on devient fou...
– C’est important de parler à voix haute. Dans les moments un peu
durs, quand ma vie ne tenait à rien,
je me parlais. Tu peux facilement basculer. En 2007, je réalise mon premier
8 000, avec Jean Troillet, un de mes
copains, un des meilleurs himalayistes.
Il me conseille, une fois en haut, de ne
LUNDI 10 JUIN 2013
SES DATES
1966 : il naît le 16 juillet (46 ans) à Johannesburg (Afrique du Sud).
1984 : durant deux années, il fait partie des forces spéciales sud-africaines, en Namibie.
1990 : après avoir obtenu un diplôme de sciences du mouvement, puis travaillé dans l’import-export de
légumes, il quitte tout et rejoint, au hasard, la Suisse. Il y deviendra moniteur de ski et guide de rafting.
1991 : sa première aventure le mène dans les Andes péruviennes, qu’il descend en parapente.
1997 : il devient l’unique homme à descendre l’Amazone sur hydrospeed (une flotteur protecteur), parcourant 6 700 kilomètres en 171 jours. Pour parvenir à la source, il aura marché 6 000 kilomètres en six
mois.
1999 : son projet « Latitude zéro » lui permet de faire, en dix-huit mois, le tour du monde sans dévier de
l’équateur, à pied, à vélo ou en trimaran. En République démocratique du Congo, capturé par des rebelles
qui veulent l’exécuter, il insulte leur chef, s’attirant la sympathie des villageois.
peur me garde
2002
Depuis 1997, l’aventurier sud-africain repousse à chaque
fois un peu plus ses limites en parcourant la Terre. Les pôles
Nord et Sud, le fleuve Amazone, les plus hauts sommets du
monde, la Sibérie, l’Afrique… il a tout fait ou presque. Sans
être rassasié.
jamais m’asseoir. “Tu prends tes photos, tu regardes autour, tu fermes les
yeux deux secondes et tu les ouvres.“
Une fois au sommet, je fais tout ça.
Mon copain, lui, s’assoit et s’endort.
Je veux le réveiller, il ouvre ses yeux et
me dit : “Laisse-moi là. Tu as vu ce que
les gens font, il y a un parking avec des
Chinois qui font du shopping.“ Là, il
était parti, il hallucinait. Il m’a dit de
partir, qu’il arrivait. Je le laisse, j’avance sur la crête et, là, je vois Jean devant
moi ! Alors que je l’avais laissé derrière. À mon tour, je commençais à partir !
Je ne savais plus où j’étais. Je m’avance vers la combinaison rouge devant
moi, j’ouvre la capuche, la gueule était
noire, brûlée par le soleil, sans yeux.
En fait, c’était un gars qui était là
depuis trois ans. J’ai pris un coup dans
la gueule, ça m’a réveillé et je suis
parti.
– Sans votre ami ?
– Oui, sans aucun sentiment, comme
s’il n’existait pas alors que c’est mon
plus grand copain ! C’est plus bas,
au camp de base, que tu réalises. Ton
cerveau est presque mou là-haut.
Finalement, à 7 000 mètres, alors que
je redescends, je sens de la neige qui
tombe, je pense à une avalanche.
C’était Jean. Je ne sais pas comment,
mais il était là.
– Racontez-vous toutes vos histoires à votre femme Cathy ?
– Je lui raconte tout ce que je vis pendant mes expéditions mais dix ans
après (rires). Chaque fois que je pars,
c’est peut-être la dernière fois qu’on se
voie. On ne se cache pas la vérité. Si je
suis sûr de rentrer, je ne pars pas ! Ce
n’est pas intéressant. L’inconnu, c’est
la plus belle des choses.
– Vous avez beaucoup voyagé
ces deux dernières décennies.
Avez-vous vu la Terre évoluer ?
– Est-ce que la planète se réchauffe ou
se refroidit ? Je m’en fous complètement ! L’important, c’est de conserver
sa beauté, pas de savoir si la température monte ou descend. Mais quand je
vois l’impact direct de l’homme, là, je
veux lutter. L’homme est devenu faible,
moi inclus. On n’a plus besoin de chasser pour rester vivant, on a moins de
contact avec la nature. Tout est devenu
facile. Lors de ma dernière expédition,
l’an passé, j’ai remonté l’Amazone (il
l’avait descendue en hydrospeed en
1997). Je pensais avoir tout mémorisé
lors de mon premier passage mais, en
fait, je n’étais plus sûr de rien. L’Amazone a complètement changé, les arbres ont été coupés, on a mis des vaches partout. Pareil sur les pôles. Il n’y
a plus de glace, des vagues se forment,
les ours se les prennent dans la gueule
et ils se noient.
– Et c’est irréversible ?
– On peut rester assis sur ses fesses et
pleurer que la vie est difficile. Mais elle
ne deviendra pas plus facile si tu pleures. Je reste optimiste, il ne faut pas
tout lâcher. On a pris l’habitude de dire
que tout est foutu. Al Gore a fait un
film sur les effets du réchauffement climatique (Une Vérité qui dérange), j’ai
arrêté de le regarder après dix minutes
car, pour moi, tout n’est pas foutu. J’ai
vu la Terre comme très peu d’hommes
l’ont vue et il y a encore des coins extraordinaires !
– N’a-t-on pas trop tapé dans les
réserves ?
– Si, mais la Terre est incroyable. Pendant le tsunami au Japon (le 11 mars
2011), j’étais en mer. Quelques heures
avant que cela n’arrive, je trouvais la
mer morte : pas de poissons, pas
d’oiseaux. Une tension se créait. Et ensuite, les vagues ont déferlé. Aujourd’hui, je ressens cette tension de nouveau. On ne traite pas la nature correctement en ce moment. J’étais dans
le golfe du Mexique où BP a eu sa marée noire (la plateforme louée par BP a
explosé le 20 avril 2010, déversant
plus de 800 000 litres de pétrole).
Ils d isent que tout a disparu. Mon cul,
oui ! J’ai plongé avec les gamins,
tout est au fond de la mer. Je ne comprends pas, on est tellement naïfs de
les croire.
– Pour réaliser vos aventures,
vous devez, vous aussi, utiliser,
pour la logistique, des avions,
des hélicoptères…
– Toutes mes expéditions sont non motorisées. Mais, pour aller à un point de
départ, je prends l’avion, oui. Je n’ai
pas d’autre alternative ! J’essaie de
faire plus attention. La vraie question
est : “Que fait-on de notre vie de tous
les jours pour avoir un réel impact ?“
Doit-on acheter et manger du poisson
tous les jours par exemple ? Quand je
pars en expédition, je ne consomme
rien, je vis avec ma tente. Mon empreinte carbone est proche de zéro.
– Et les expéditions, combien
coûtent-elles ?
– La dernière, entre 750 000 et 1 million d’euros chaque année sur cinq
ans. Pour le Pakistan et le K 2, la semaine prochaine, ce sera 20 000 euros.
Pour l’expédition Pangaea, j’ai vendu
mon nom, Mike Horn. L’investisseur
m’a demandé combien je voulais. Moi,
j’ai demandé juste ce qu’il me fallait
pour acheter mon bateau, 3,5 millions
d’euros. Lui pensait me donner plus
mais je n’en ai pas besoin.
– Il peut en faire une mauvaise
utilisation.
– Oui, mais heureusement, je le connais. Et s’il met un pied à droite, je le
remettrai sur le chemin (sourire). C’est
un type qui voulait être aventurier
mais qui, lui, ne pouvait pas. »
CALO
ORIIES.
YOHANN HAUTBOIS
[email protected]
2002 : pour la première fois, il se lance à l’assaut des pôles. En solitaire, il s’engage dans une boucle
autour du cercle polaire arctique avec un traîneau de 180 kilos (notre photo). Il y laissera trois morceaux
de phalanges et abandonnera, avant de repartir quelque temps plus tard, bouclant 20 000 kilomètres à
pied, à ski, en canoë, en vingt-sept mois.
2005 : il emmène sa femme et ses deux filles au pôle Nord depuis Barneo (base temporaire russe) à ski.
Ses enfants sont les plus jeunes à y être parvenus.
2006 : avec le Norvégien Börge Ousland, il rallie le pôle Nord, sans assistance, en pleine nuit glaciale
polaire, dans l’obscurité totale. Ils mettront soixante jours.
2008 : pour l’expédition Pangaea, il embarque sur un bateau de 35 mètres une douzaine d’enfants à
chacune de ses étapes. Un projet d’une durée de quatre ans.
(Photos Jérôme Prévost/L’Équipe,
Éric Dulière/Nice-Matin/PQR,
Laurent Gillieron/Keystone/AFP)
SUCRES.
G R A N D F O R M AT
D E M A I N
AUTOMOBILE
RED BULL.
Red Bull France SASU, RCS Paris 502 914 658
« J’aimerais bien faire le Vendée Globe
mais quand j’aurai quatre-vingt-dix
ans et que je ne saurai plus marcher.
Tu poses tes fesses sur le bateau
et tu mènes tes voiles, ce n’est
pas physique. Il faut arrêter de dire
que c’est fatiguant. »
Un solitaire bien entouré
À FORCE DE JOUER LES LOUPS SOLITAIRES, Mike
Horn a fini par s’ennuyer. D’où son idée, en 2008, de lancer l’expédition Pangaea, du nom du dernier continent
réunifié sur la Terre (au début du jurassique). Durant
quatre ans, il va parcourir le monde, embarquant sur son
bateau deux cents enfants en près de vingt-cinq étapes
(notre photo, prise à Monaco, à la fin du périple). « Mes
cinq dernières années, je les ai consacrées à des gamins,
ils n’ont rien payé ! Petit, mon rêve, c’était de rencontrer
Jacques-Yves Cousteau, je lui ai écrit une lettre. Tous les
jours, j’allais à la boîte mais il n’a jamais répondu. Je
voulais montrer à ces enfants comment la Terre est belle
et qu’il faut la préserver. »
Et comment ils doivent utiliser leurs connaissances. « Je
LUNDI 10 JUIN 2013
vois bien que les jeunes connaissent les plantes ou les
animaux mieux que moi, mais ils ne savent pas les attraper, ni comment les manger. L’éducation, c’est bien, cela
coûte cher, mais il faut l’utiliser. Quand, en Afrique, je
voyais le singe manger des feuilles, je savais que je pouvais les manger ! Au pôle Nord, les GPS gèlent, les boussoles tournent en rond à cause du pôle magnétique.
Alors, la nuit, tu te diriges avec les étoiles, les congères,
la forme des cristaux dessinés par le vent. Tout ça, ce
sont les esquimaux qui me l’ont appris. »
Depuis le retour de l’expédition, en décembre dernier, et
après plus de cent mille kilomètres, Horn a lancé « quatre cents projets environnementaux menés par des jeunes dans le monde et cela me donne de l’espoir. » – Y. H.
RED BULL ZERO CALORIES.
Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé. Rendez-vous sur www.mangerbouger.fr
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