La responsabilité du vérificateur à l`égard de la fraude

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La responsabilité du vérificateur à l`égard de la fraude
Jean-Guy Rousseau FCA,
Professeur titulaire honoraire
HEC Montréal.
LA RESPONSABILITÉ DU VÉRIFICATEUR À L'ÉGARD DE LA FRAUDE.
Depuis quelques années et, particulièrement, depuis les récents scandales financiers, la
responsabilité du vérificateur en ce qui concerne la fraude dans une vérification d’états financiers
a fait l'objet de préoccupation, tant de la part du public que de celle de la profession comptable.
Dans une perspective plus étendue, celle de savoir jusqu'à quel point le rôle du vérificateur est
bien compris, l’Institut Canadien des Comptables Agréés (ICCA) a invité Kroll Associates à
mener une enquête indépendante à ce sujet. Cette étude a donné lieu à un document intitulé La
protection del’intérêt public - Rôle de la profession de CA - Rapport préparé par Kroll
Associates pour l'Institut Canadien des Comptables Agréés.
Selon ce rapport, l'enquête, qui reflète le point de vue de plus de 2000 parties prenantes, serait la
plus complète qui ait jamais porté sur l'attitude envers la profession de CA et la façon dont celleci est perçue au Canada.
L'étude révèle qu'il y a, de la part du public, confusion sur la signification de l'opinion « sans
réserve », dans le rapport du vérificateur. En effet, si, dans l'ensemble, « la plupart des gens
d'affaires (84 %) comprennent qu'une opinion de vérification "sans réserve" signifie que les états
financiers vérifiés sont "raisonnablement fiables», il n'en est pas de même pour les gens d'affaires
non-CA dont les avis sont plus partagés: « une minorité significative (23 %) croient qu'une
opinion de vérification sans réserve atteste que « toutes les données des états financiers sont tout
à fait exactes. » Et le rapport d'ajouter: « La confusion entourant la signification de l'opinion sans
réserve a de quoi préoccuper les autorités de réglementation et les autres organismes chargés de
sensibiliser les investisseurs. Dans la mesure où les personnes qui s'attendent à ce que les
données soient "tout à fait exactes" ont des attentes élevées et déraisonnables, leur
méconnaissance peut également comporter un risque pour la réputation des CA . »
Le chapitre suivant du rapport est très significatif quant au sujet qui nous préoccupe, la fraude.
En effet, intitulé Méconnaissance des limites de la responsabilité en matière de détection des
fraudes, il souligne qu'une minorité significative de non-CA (23 %) « croient que les vérificateurs
ont la responsabilité de détecter toutes (le souligné est de l'auteur) les fraudes chez les sociétés
qu'ils vérifient. » De plus « la moitié (49 %) des investisseurs individuels du Canada croient que
les vérificateurs ont l'obligation professionnelle de détecter toutes les fraudes chez les sociétés
qu'ils vérifient. Les investisseurs qui croient que les vérificateurs ont cette pleine responsabilité
de détection des fraudes risquent d'éprouver un faux sentiment de sécurité et de prendre à la
légère leur propre obligation de diligence raisonnable. »
Il est donc normal que la profession, au cours d'un cheminement qui s'est inspiré des normes
américaines et surtout internationales, ait émis les chapitres suivants du Manuel : 5130,
IMPORTANCE RELATIVE ET RISQUE DE MISSION DE VÉRIFICATION, où elle définit les
notions d'importance relative et de risque de mission et fournit des directives au sujet de
l'évaluation des inexactitudes et des mesures à prendre à leur égard; le chapitre 5135 qui fournit
des directives relativement à la prise en compte des fraudes et des erreurs dans une vérification
d'états financiers; le chapitre 5136, qui fournit des directives supplémentaires aux vérificateurs au
sujet des inexactitudes importantes découlant des conséquences des illégalités.
En ce qui concerne spécifiquement le chapitre 5135, il tire son origine de la norme internationale
d'audit (ISA) 240, publiée par l'International Auditing Practices Committee (IAPC) de la
Fédération internationale des comptables (IFAC) sous le titre The Auditor's Responsability to
Consider Fraud and Error in an Audit of Financial Statements.
Au paragraphe .02, on lit « Lors de la planification et de la mise en œuvre des procédés de
vérification, ainsi que de l'évaluation et de la communication de ses conclusions, le vérificateur
doit prendre en compte le risque que des états financiers contiennent des inexactitudes
importantes résultant d'une fraude ou d'une erreur. » Cela constitue un accroissement de la
responsabilité du vérificateur. En effet, alors qu'auparavant la découverte de la fraude dépendait
de l'utilisation des procédés normaux de vérification et de la connaissance générale des affaires
du client, situation presque passive, on parle maintenant de « prendre en compte le risque que les
états financiers contiennent des inexactitudes importantes résultant d'une fraude ou d'une erreur »,
attitude plus proactive. Cela ne signifie pas pour autant que le vérificateur est responsable de
toute inexactitude importante. Il faut tenir compte des facteurs de diligence, de formation,
d’expérience, ainsi que de la nature du travail de vérification qui implique une part d'incertitude
due à l'utilisation de sondages, à la possibilité de fraude administrative, à l'aspect coût-bénéfice,
etc.
C'est en raison de cette plus grande responsabilité du vérificateur qu'on a senti le besoin de se
pencher aussi sur « les responsabilités des responsables de la gouvernance et de la direction ».
(Le chapitre 5090, Vérification des états financiers - introduction définit au paragraphe .03 les
expressions Direction, Responsables de la gouvernance et Responsables de la surveillance du
processus d'information financière). On rappelle que la responsabilité première quant à la
prévention et à la détection des fraudes et des erreurs incombe à la fois aux responsables de la
gouvernance et à la direction de l'entité. On précise qu'il est nécessaire que, sous la survillance
des responsables de la gouvernance, la direction crée un environnement qui favorise l'honnêteté,
le respect de valeurs morales élevées et la mise en place de contrôles qui permettront de prévenir
et de détecter les erreurs et les fraudes. En somme, tout ce qui concerne la conduite ordonnée et
efficiente des affaires de l'entité, incluant l'instauration et le bon fonctionnement des contrôles
internes, relève de la direction.
Quant au vérificateur, il a pour mission d'exprimer une opinion sur la question de savoir si les
états financiers donnent, à tous les égards importants, une image fidèle . . . On précise que
l'assurance que fournit le vérificateur au sujet des inexactitudes résultant de fraudes est
nécessairement d'un niveau inférieur à celle fournie dans le cas des inexactitudes résultant
d'erreurs. De plus, il ne saurait être question que le vérificateur donne un niveau d'assurance
absolu que les inexactitudes importantes contenues dans les états financiers seront détectées, à
cause de la nature même du travail de vérification. De plus, le vérificateur pourra, dans sa lettre
de mission, informer la direction que la vérification sera effectuée conformément aux normes de
vérification généralement reconnues, et qu'il est possible que les procédés qu'il appliquera pour se
conformer à ces normes ne permettent pas de détecter une erreur ou une fraude.
Le chapitre 5135 insiste sur la notion de scepticisme professionnel qu'il juge nécessaire pour
identifier et évaluer adéquatement les faits, les indices et les preuves qui peuvent dénoter
l'existence d'inexactitudes importantes ou faire douter de la fiabilité des déclarations de la
direction. Toutefois, à moins de preuve du contraire, le vérificateur est justifié de considérer que
les comptes et pièces sont authentiques. D'ailleurs, le vérificateur n'est pas formé pour agir à titre
d'expert en la matière et l'on n'attend pas de lui qu'il le soit.
Les quelques paragraphes suivants apportent quelques éléments nouveaux. Ainsi, le paragraphe
.20 stipule: « Lors de la planification de la vérification, le vérificateur doit discuter avec les
autres membres de l'équipe de vérification du risque que les états financiers de l'entité comportent
des inexactitudes importantes résultant de fraudes ou d'erreurs. » Quant au paragraphe .22, au
lieu de simplement dire que le vérificateur doit avoir une connaissance générale des affaires du
client, il impose au vérificateur l'obligation de se renseigner auprès de la direction pour :
a) acquérir une compréhension de l'appréciation que fait la direction du risque d'inexactitudes
importantes résultant de fraudes et des contrôles internes mis en place pour y faire face;
b) prendre connaissance de la compréhension que possède la direction des contrôles internes mis
en place pour prévenir et détecter les erreurs;
c) déterminer si la direction est au courant de cas connus de fraudes ou de cas soupçonnés de
fraude;
d) déterminer si la direction a découvert des erreurs importantes.
Le chapitre insiste aussi sur l'importance du rôle d'un bon comité de vérification indépendant et
sur la nécessité pour le vérificateur de bien connaître la nature des responsabilités, qui peuvent
varier d'une entité à l'autre et d'un espace juridique à l'autre, afin de s'assurer que les prises de
renseignements et les communications nécessaires soient faites auprès des bonnes personnes.
Dans la détermination du risque de mission de vérification, le vérificateur, en évaluant le risque
inhérent et le risque de non-contrôle, doit se demander dans quelle mesure les états financiers
peuvent contenir des inexactitudes importantes résultant de fraudes ou d'erreurs. Dans le cas de
possibilité de fraudes, il doit de plus se demander s'il se trouve en présence de facteurs de risque
de fraudes indiquant la possibilité d'informations financières frauduleuses ou d'un détournement
d'actifs. L'Annexe B fournit des exemples de mesures que peut prendre la vérificateur par suite de
son appréciation du risque d'inexactitudes importantes résultant d'informations financières
frauduleuses et du détournement d'actifs.
Le chapitre 5135 fournit de plus des explications sur les facteurs de risque de fraudes et l'Annexe
A en fournit des exemples. Cela conduit, à exiger du vérificateur qu'il conçoive des procédés de
corroboration pour ramener à un niveau suffisamment faible le risque que ne soient pas détectées
des inexactitudes résultant de fraudes ou d'erreurs et ayant une incidence importante sur les états
financiers pris dans leur ensemble.
Encore une fois, le vérificateur ne doit pas se contenter de constater ce que son travail lui a
apporté, mais lorsqu'il se trouve en présence d'indices relatifs à une inexactitude importante
contenue dans les états financiers, il doit mettre en œuvre des procédés pour déterminer si les
états financiers contiennent une inexactitude. L'Annexe C présente des exemples de ces indices.
Le paragraphe .47 aborde le problème d'une fraude qui impliquerait un membre de la direction
doté d'un pouvoir décisionnel élevé et qui pourrait indiquer l'existence d'un problème plus large.
Dans de telles circonstances, le vérificateur doit remettre en question la fiabilité des éléments
probants préalablement obtenus, étant donnée qu'il peut y avoir des doutes quant à la qualité des
déclarations reçues et quant à l'authenticité des comptes et pièces comptables. Cela pourrait
mettre en cause la possibilité d'achever la vérification et de produire un rapport sur les états
financiers. Dans le cas d'une fraude commise par la direction ou l'un de ses membres importants,
le vérificateur doit remettre en cause son évaluation des risques constituant le risque de mission.
Au sujet de la documentation, le vérificateur doit consigner en dossier les informations relatives
aux facteurs de risque de fraudes relevés et les mesures qu'il juge appropriées à l'égard de ces
facteurs.
Le paragraphe .51 insiste sur les déclarations écrites que le vérificateur doit obtenir de la
direction et dans lesquelles elle reconnaît sa responsabilité quant aux contrôles internes, qu'elle
est d'avis que les incidences des inexactitudes non corrigées sont négligeables, qu'elle a informé
le vérificateur de tous les faits importants concernant des fraudes réelles ou soupçonnées et
qu'elle a informé le vérificateur des résultats de son appréciation du risque que les états financiers
puissent contenir des inexactitudes importantes résultants de fraudes et d'erreurs.
Sur le sujet des communications, le paragraphe .56 souligne : « Lorsque le vérificateur relève une
inexactitude résultant d'une fraude réelle ou soupçonnée, ou d'une erreur, il doit s'interroger sur
son obligation de communiquer cette information à la direction, au comité de vérification ou à
son équivalent et, dans certaines circonstances, aux autorités de réglementation et aux autorités
responsables de l'application de la loi. » Le paragraphe .58, de son côté, donne des exemples
d'informations qui doivent être communiquées, notamment, au comité de vérification. Pour plus
d'informations à ce sujet, on nous réfère aux chapitres : 5750, COMMUNICATION À LA
DIRECTION DE CONSTATATIONS FAITES LORS DE LA VÉRIFICATION DES ÉTATS
FINANCIERS, et 5751, COMMUNICATIONS AVEC LES RESPONSABLES DE LA
SURVEILLANCE DU PROCESSUS D'INFORMATION FINANCIÈRE.
Enfin, le chapitre 5135 traite de l'incapacité du vérificateur de mener la mission à terme à cause
d'une fraude réelle ou soupçonnée et des mesures qu'il doit envisager dans ces circonstances.
Cela inclut le recours à un conseiller juridique afin d'être en mesure de déterminer ses obligations
professionnelles et légales. Il ajoute quelques renseignements sur les communications entre le
vérificateur et un vérificateur pressenti pour lui succéder.
Les chapitres 5135 et 5090 (modifié en même temps que le chapitre 5135) s'appliquent aux
vérifications d'états financiers et d'autres informations financières ayant trait aux périodes se
terminant le 15 décembre 2002 ou après.