La femme arabe dans l criture

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La femme arabe dans l criture
La femme arabe dans l’écriture
Le mythe de Shéhérazade traduit la position de la femme dans la culture arabe depuis le texte de
Mille et une nuits. La parole de Shéhérazade se déploie sur un fond de drame social où l’enjeu est
celui de l’extermination du genre féminin. Shéhérazade tisse des histoires extraordinaires pour se
sauver et sauver la cité. Le goût de raconter des histoires s’est transmis de générations en
générations dans le monde clos et codifié des femmes de différents pays arabes : Machrek et
Maghreb. La majorité de ces femmes appartient au monde arabo-musulman. Protégées par le voile,
cachées par les moucharabiehs, elles se retrouvent entre femmes pour se raconter des histoires. Le
goût inné pour la narration trouvera son expression ultime dans le choix du roman (produit occidental)
comme moyen d’expression de ces femmes orientales. L’écriture romanesque s’accorde donc avec
leur nature de femme démarquée par la gestation et la procréation. Je n’ai qu’à m’interroger Le
roman est-il chose femelle ?
C’est dans l’espace textuel que les femmes arabes s’expriment en « sujet parlant » symbolisant leur
vécu, leurs émotions et leurs plaisirs en une écriture le plus souvent poétique. Elles retracent leur
parcours singulier en quête d’une réalisation de soi. Je dirai même une écriture « contestataire » qui
transgresse les codes du langage et des lois sociales. Le goût se forme à l’interprétation entre les
lignes et à la dégustation des mots et en tire de « subtiles dégustations ». Le plaisir du texte opère
ainsi une intime relation entre corporéité et érotisme.
L’écriture de la fiction devient une vraie aventure qui dit le je et dévoile l’intime. Ceci n’était pas
possible, il y a quelques décennies où les Maghrébins et les Egyptiens relèguent la femme dans
l’espace domestique et dans les harems pour la soustraire au regard de l’Autre. Cet état de faits crée
dans les écrits des femmes arabes deux tendances : celle qui cherche à scandaliser par une mise à
nu de soi et celle qui s’écrit sous la dialectique du voilé-dévoilé. Ce goût de cacher, use de
pseudonyme pour ne pas compromettre la famille dans l’aventure de l’écriture. En 1968 Layla
Baalbaky (Libanaise) écrit Ana Ahia « Je vis » en arabe criant son désir de vivre qu’on retrouve à la
même époque chez Assia Djebar (Algérienne) dans son livre francophone La soif. Ces deux romans
ouvrent la voie à une littérature qui soulève le problème du corps et de la sexualité. Ces romans
créent un certain désordre dans l’expression du refoulé dans une société qui considère le désir
féminin comme maléfique. Le Je engage le corps qui se fait parlant. Dans Femmes d’Alger dans leur
appartement (1980) Assia Djebar délivre la femme du rapport d’ombre qu’elle a entretenu des siècles
durant avec son propre corps. Le fait de dire Je dans l’écriture et de se dévoiler dans la rue n’est pas
uniquement signe d’émancipation, mais fait renaître ces femmes à leur corps. .
Ces œuvres arabes francophones retracent le parcours du corps aux prises avec les signes, corps
multiples qui se recoupent sur le plan de l’expression verbale et non verbale. Le corps redouble ses
signes dans une panoplie illimitée : libération du corps/soumission du corps, tatouage du
corps/séduction du corps, corps maternel/corps aimant et aimé… Cette sémantique corporelle est
vécue du point de vue d’un imaginaire féminin qui se déploie dans les romans et les nouvelles. Ces
formes narratives s’appuient sur l’écriture et la vie loin des codes et des théorisations. Leur forme ne
s’achève pas, elle est indéfinie et s’accorde avec le féminin.
Le corps est mis en regard. Il se donne à lire comme un rébus que l’on doit déchiffrer. Cette lecture du
corps féminin transforme les rapports homme/femme en créant une psychologie du corps. Le dit du
corps devient un des lieux névralgiques du texte requérant une lecture de ses opérations de
simulation, de dissimulation et de représentation.
Chez Andrée Chedid parler « des yeux du corps » ou de « l’âme du corps » est une façon de
mythifier le corps. Dans Les corps et le temps (1979), le corps d’Eva est une mise en scène du double
corporel qui s’éloigne du corps endormi pour être plus libre de ses mouvements. Il s’agit d’une
expérience du corps. Eva descend dans son corps et va jusqu’au fond des âges : « elle se fit corps de
toutes les femmes. Elle rebroussa les siècles et visita d’autres lieux. Elle se fit torpeur, elle se fit
orient, se fit misère, ignorance et puits » 1
Le pouvoir mystérieux attribué au corps féminin se retrouve aussi dans la rhétorique du corps
souffrant de Marie dans Le message de Chedid, appelant une interprétation iconique et verbale qui
dépasse le corps et sa souffrance. Chedid décrit une femme atteinte par la balle d’un franc-tireur,
1
Andrée Chedid, Les corps et le temps, Flammarion, 1979, p.27
1
alors qu’elle se rendait à un rendez-vous d’amour, A travers les plaintes de ce corps, Marie passe
par l’expression de tous les sentiments, des plus tendres au plus instinctifs, venus du désir
Abla Farhoud dans Splendide solitude traite de la solitude du corps sous l’effet du temps. « Ce que
j’appelle maintenant solitude est un délabrement des sens, un démembrement du corps, un
éclatement du cerveau, une désorientation des organes, une appartenance perdue »2. Vénus Khoury–
Ghata dans 7 pierres pour la femme adultère (2007) brosse les traits des femmes au destin tragique,
déchirées entre le respect des traditions et l’aspiration à la liberté. Des femmes soumises dans leur
corps et à leur corps habitué à l’humiliation et à la lapidation.
Cette importance accordée au corps vient de l’Orient, comme une syntaxe commune de
l’enseignement de la vieille Egypte de la kabbale et de l’hindouisme.
Le roman francophone traduit aussi une réalité sociale abordant la condition de la femme, même si le
récit exprime par moment le rapport au corps. Nous n’avons qu’à mentionner Out-El-Kouloub qui veut
libérer la femme égyptienne du joug de l’esclavage dans Ramza et dans le Harem. Mona LatifGhattas, dans Les Lunes de miel traite de l’ancrage de la tradition chez les gens de Haute Egypte
qui ne plaisantent pas avec l’honneur souvent lié à l’hymen de leur femme. Ils vont jusqu’à tuer les
jeunes qui consomment avant le mariage. Paula Jacques dans Les femmes avec leur amour (1997)
laisse peser sur les femmes les contraintes de la tradition, bien qu’elles forment avec leur compagnon
un couple à l’occidental.
Dans Zeida de nulle part (1985) de Leila Houari, l’héroïne Zeida se rebelle contre les mœurs de sa
culture maghrébine qui accorde une place d’honneur à la virginité. Zeida réalise l’écart qui s’établit
entre elle et sa mère dans la conception de l’amour.
Dans L’interdite (1994) de Malika Mokeddem, Sultana, l’héroïne du roman qui avait quitté l’Algérie
pour s’installer à Montpellier rentre au pays natal à l’occasion de l’enterrement de son ancien amant.
Le retour au pays est dominé par l’angoisse et la confrontation avec une réalité algérienne qui lui
semble plus insupportable que « mille nostalgies »3. L’angoisse d’être étrangère est perçue dans son
corps comme une richesse tourmentée : « cette peau d’étrangère partout, elle n’en est pas moins une
inestimable liberté. Je ne l’échangerai pour rien au monde »4. Dans l’écriture frémissante de passion
de ce roman, Mokeddem a tiré son texte d’une société déchirée entre préjugés et progrès.
Ces jeunes femmes vivent l’ordre amoureux dans le désordre des tensions des traditions. Elles
souhaitent aimer pour pouvoir se réaliser. Dans ces cultures où l’amour est tabou, les jeunes femmes
réagissent par la transgression dans l’écriture. Elles abordent l’amour non dans son aventure mais
dans l’accomplissement de soi pour l’appropriation de leur corps et de leur parole. Le regard devient
inopérant en amour ou rejeté tout simplement. L’importance sera accordée au toucher, au corps.
Liana Badr, soucieuse d’écrire, l’histoire de son peuple et du rôle que les femmes palestiniennes ont
joué, témoigne de la tragédie quotidienne des Palestiniens dans Une boussole pour un soleil (1992).
Elle se révolte contre une double oppression : celle de son peuple et celle de sa condition de femme.
Nous trouvons cette révolte chez la Libanaise Dominique Eddé dans Le Cerf-volant (2003) qui traite
de la mort de Beyrouth avec la guerre dans un Moyen –Orient mort depuis longtemps. Eddé écrit en
français, alors que Badr est traduite de l’arabe au français. Dans ce Moyen-Orient meurtri par les
guerres, les femmes qui écrivent font entendre leur voix pour réclamer la paix et l’arrêt des combats.
Les exemples abondent chez Vénus-khoury Ghata, Abla Frahoud, Andrée Chedid, Dominique Eddé
(Liban), Sahar Khalifa, Liana Badr (Palestine)
L’écriture prend son importance majeure chez ses femmes qui écrivent. « Ecrire c’est vivre
doublement » précise Assia Djebar. Ces femmes sont conscientes qu’écrire en français rend possible
l’expression d’une chair linguistique Ecrire pour faire parler le corps que les coutumes te les normes
répriment. Ecrire pour réagir contre une vie tracée, un ordre établi. Ecrire la condition de la femme et
sa libération. Ecrire contre la violence et les guerres. L’écriture s’impose comme urgence et comme
besoin existenciel. Elle est pour la femme arabe un moyen de sortir du silence et de s’affirmer dans la
sphère du public.
Ces femmes sont heureuses d’écrire dans la langue française devenue un espace identitaire pour les
écrivaines chrétiennes libanaises après la perte de leur syriaque, pour les Syro-libanaises d’Egypte
« deux fois exilées » et qui s’identifient aussi dans la langue française. Dans l’ensemble, les femmes
du Machrek ont une fascination pour la langue française, alors que chez les femmes du Maghreb, le
recours à la langue du colonisateur est paradoxalement vécu comme un espace de liberté : « mon
2
Abla Farhoud, Splendide solitude, L’Hexagone, 2001, p.195
Malika Mokkedem, L’interdite, Paris, Grasset & Fasquelle, 1993 p.24
4
Ibd.p ;91
3
2
corps s’est trouvé en mouvement dès la pratique de l’écriture étrangère »5 . Il y a une sorte
d’envoûtement du français que ces femmes s’approprient loin des traditions de leur propre culture.
Ecrire en français est maintenu chez les femmes du Maghreb. Il est devenu plus insistant au Machrek
(Liban). Bien qu’il ait perdu du terrain en Egypte, il continue son chemin chez les femmes migrantes
en Europe et au Québec et trouve de l’intérêt chez les arabophones qui cherchent à être traduites en
français.
Le déplacement des femmes arabes vers la langue de culture facilite leur pouvoir à la parole.
.L’écriture devient le lieu privilégié où vie, histoire, gender et genre convergent. Les femmes écrivent,
lisent et s’inventent. « En voleuses de langues, elles font un travail sur le langage, sur les
caractéristiques récurrentes de l’oralité et sur les métaphores spécifiques. La parole jaillit coulante et
hésitante avec un « grain de voix » qui représente le sens et la personne »6.
Carmen Boustani
5
Assia Djebar, L’amour la fantasia, Albin Michel, 1995, p.204
Carmen Boustani, Effets du féminin : variations narratives francophones, Paris, Karthala, 2003, prix
France/Liban hors concours 2004. p.7
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