CONTRIBUTION DE DESSALINES A LA GENESE ET A L

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CONTRIBUTION DE DESSALINES A LA GENESE ET A L
CONTRIBUTION DE DESSALINES
A LA GENESE ET A L’IMPLANTATION DES DROITS DE LA PERSONNE HUMAINE
A TRAVERS LE MONDE
Par Luc Rémy, auteur de Réflexions Stratégiques sur Haïti; [email protected]
Mesdemoiselles, Mesdames et Messieurs,
17 octobre 1806-17 octobre 2013, cela fait exactement 207 ans depuis que l’humanité a perdu
l’un des plus grands hommes que l’univers ait produits. Ce mercredi 17 octobre 1806, vers 9h du
matin, à l’entrée nord de la ville de Port-au-Prince, précisément au Pont Larnage, aujourd’hui
Pont Rouge, s’affaissa, criblé de balles et haché de coups de poignard, ce jeune homme pas
comme les autres.
Il ne lui manquait que trois ans pour franchir un demi-siècle, mais absolument rien quant à sa
puissance physique, mentale et morale, ses convictions révolutionnaires, sa bravoure, ses talents
militaires, son authenticité, sa force de libération collective et sa conscience élevée de la liberté
et des rapports de classe, de race, de couleur et d’intérêt en Haïti et à travers le monde. Il ne
venait pas de succomber au combat, car, sur le champ de bataille, il avait toujours su se défaire
même de ses ennemis les plus capables. En réalité, ce 17 là, il venait tout simplement de tomber
dans une embuscade, montée par ceux-là qui n’avaient jamais entendu l’accepter comme chef
d’État et qui restaient morbidement attachés à certains privilèges du statu quo ante.
Les bourreaux du défunt, tout pressés qu’ils étaient d’aller se partager les lambeaux de la
République ainsi déchirée, ne s’étaient pas rendu compte qu’ils venaient de sanctifier l’homme et
de consacrer son apothéose. Ils ne savaient pas, il ne comprenaient pas que leur victime
appartenait à la race des divinités tutélaires de l’Afrique et de l’Amérique. Ils ne pouvaient savoir
ni ne pouvaient comprendre que, par leur action criminelle, ils venaient tout simplement de lui
faire une faveur, et de lui ouvrir l’ascenseur, pour le laisser accéder, en pleine jeunesse, au plus
haut degré du panthéon universel.
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Cet homme extraordinaire, cette illustre victime, c’était, et c’est encore - vous l’avez déjà
compris, Mesdemoiselles, Mesdames et Messieurs- Jean Jacques Dessalines.
Dessalines a joué un rôle capital dans la révolution haïtienne de 1791-1804. Et il a aussi apporté
une contribution immense aux conquêtes humanistes de l’univers: il fut, en particulier, l’un des
principaux architectes des droits de la personne humaine tels que nous les connaissons, en
jouissons ou cherchons à en jouir aujourd’hui à travers le monde. En effet, avant lui, l’humanité
se tenait sur une échelle à deux échelons : en haut, les blancs proclamés supérieurs, en bas tous
les autres peuples. Dessalines vint, brisa l’échelle, fit mettre pied sur terre à tout le monde. Tout
le monde se tourna alors vers Haïti. Et alors tout le monde commençait à se sentir et se trouver
sur un pied d’égalité. Environ 140 ans plus tard, en 1945, sans faire référence à lui, sans lui
rendre le moindre hommage, les peuples de la Terre, je veux dire les Nations Unies, adoptèrent
et consacrèrent les conquêtes humanistes de Dessalines et de la Révolution haïtienne.
Rappeler l’avant, le pendant et l’après-Dessalines en matière de droits de la personne humaine,
signaler quelques-unes de ses contributions dans l’avènement de ces droits, plaider pour sa pleine
réhabilition face à Haïti, patrimoine universel aujourd’hui en grand péril, tel est le décor que
j’entends brièvement planter ici sous vos sens.
Commençons avec un bref coup d’œil rétrospectif sur au moins 300 ans de révolutions en
Occident. Partons de notre victoire à Vertières en novembre 1803. Arrêtons-nous aux grands
voyages d’exploration et à la conquête de l’Amérique vers la fin du 15ème siècle. Cette tranche
d’histoire a représenté la condensation, le raffinement et la quintessence de près de 6000 ans de
domination judéo-chrétienne, gréco-latine et blanche. Mais chose étonnante, elle a aussi repris,
prôné et renforcé les thèses de l’infériorité et de la barbarie des peuples non caucasiens et non
européens. Pire, cette période a marqué le plongeon de l’Occident lui-même dans la barbarie
d’un esclavagisme sans précédent.
Le Génie de Dessalines c’est d’avoir su affronter ces vieilles et puissantes institutions
plurimillénaires et ouvert la voie à l’égalité effective de tous les hommes.
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I.
LA PROBLÉMATIQUE DES DROITS DE LA PERSONNE HUMAINE FACE A
DESSALINES ET SON TEMPS
A. L’état de la question des droits de la personne humaine jusqu'à Dessalines
Entre la fin du 15ème siècle et la fin du 18ème (1490-1799), de puissantes vagues révolutionnaires
avaient remué et emporté, dans tous les domaines, et surtout en Europe, bien de structures
établies. Une large palette d’acteurs et de théoriciens étaient au cœur de ce long et profond
processus de changement. Pour les besoins de notre illustration signalons seulement, parmi ces
grands acteurs et révolutionnaires, quelques noms comme ceux de Christophe Colomb,
Ferdinand Magellan, Amerigo Vespucci, Martin Luther avec ses 95 Thèses (1517), Nicolas
Machiavel avec Le Prince (1532), Thomas Hobbes avec Le Léviathan (1651), John Locke avec
ses Deux Traités sur le Gouvernement ou Traité du Gouvernement Civil (1689),
Montesquieu avec De L’Esprit des Lois (1748), Rousseau avec son Discours Sur l’Origine et
les Fondements de l’Inégalité parmi les Hommes (1755), etc.
Au milieu de mille et une contradictions et guerres violentes et sanglantes, des écrits de
théoriciens et des interventions d’acteurs avaient contribué à séparer progressivement le divin du
terrestre, le religieux du temporel, les droits des souverains de ceux des sujets, les droits des
ecclésiastiques et pasteurs de ceux des fidèles. De nouvelles connaissances, techniques,
scientifiques, cartographiques et géographiques avaient pris place ; de nouveaux territoires
avaient été découverts par les Européens ; des peuples jusque là inconnus les uns des autres
étaient entrés en contact brutal; d’intenses activités commerciales s’étaient établies entre
l’Europe, l’Afrique et l’Amérique faisant de l’Océan Atlantique la plaque tournante du
commerce mondial.
L’État national s’était peu à peu constitué absorbant fiefs et seigneurs tout en se dotant d’un
ensemble d’attributs de souveraineté. Les puissances européennes s’étaient agrandies en empires
en s’appropriant des territoires ou colonies en Afrique, en Asie mais surtout en Amérique.
L’église catholique dut partager son empire chrétien avec des églises protestantes et cela avait
conduit au pluralisme de la foi chrétienne. Les rois aussi avaient contesté la toute-puissance du
pape comme suprême représentant de Dieu sur terre et s’étaient eux-mêmes proclamés
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monarques de droit divin. Mais ils furent bien vite contestés eux aussi dans leur absolutisme par
les défenseurs des théories des droits naturels appelés plus tard Droits de l’Homme. Devenus tout
simplement les premiers d’entre leurs égaux, les rois ne concentraient plus tous les pouvoirs
entre leurs mains mais les partageaient avec les tribunaux et représentants ou députés de la
nation. Les abus tels que les incarcérations fantaisistes et arbitraires, l’embastillement et les
répressions diverses contre les opposants politiques et les taxes excessives avaient diminué ;
l’application de la loi martiale en temps de paix était rendue illégale; l’intolérance religieuse et la
censure avaient reculé ; la propriété était devenue sacrée. Bien d’autres principes étaient aussi
établis tels que: la liberté d’expression et de communication, le secret de la correspondance,
l’accord du parlement pour les taxations aux dépens des administrés, la séparation des pouvoirs,
la liberté de débat et de procédure au parlement, etc.
Ces acquis constituent ce que l’on a appelé les droits de l’homme et du citoyen et se trouvent
consignés pour les occidentaux dans des documents comme: la Pétition des droits (mai 1628),
l’habeas Corpus de 1679 et le Bill of Rights ou Déclaration des droits anglais de 1689; la
Déclaration d’Indépendance de 1776, la Constitution de 1787 et le Bill of Rights de 1791 des
États-Unis d’Amérique ; la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen adopté par
l’Assemblée Constituante française le 26 août 1789 et la Constitution française du 3 septembre
1791. Ce n’était plus donc l’ère de l’individu astreint surtout à des devoirs comme au temps
féodal, mais c’était l’avènement de l’homme de droit et de devoir ou de l’homme citoyen.
B. Champ d’application des droits de l’homme à l’origine - Normes et valeurs
Ces conquêtes, quoique révolutionnaires, qu’elles fussent introduites par des laïcs ou des
religieux, des athées ou des croyants, n’inclurent pratiquement pas, dans le moule ou la machine
à hommes qu’ils venaient de fabriquer, tous les êtres humains de la Terre. Elles ne visaient que
les blancs, avec une préférence pour ceux là qui pouvaient payer le cens dans les élections ou
leur procès au tribunal, posséder quelques biens, faire du commerce et s’acheter ou se donner du
pouvoir.
Ainsi, les droits de l’homme, au sortir des révolutions américaine et française, jusqu’au temps de
Dessalines, c’étaient les droits de l’homme blanc possédant, à l’exclusion des océaniens, des
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africains, des asiatiques et des amérindiens. Tous ces derniers peuples, selon le canon européen
de l’époque, n’étaient pas véritablement des hommes. A preuve, il a fallu par exemple moins de
50 ans pour que les indiens d’Amérique fussent exterminés. Et il a fallu cette extermination pour
voir le pape Paul III, dans sa bulle Sublimis Deus du 29 mai 1537, déclarer qu’ils étaient
“ véritablement des hommes ”,
et l’Empereur Charles Quint, déclarer en 1542, que leur
esclavage était aboli.
Ce génocide, on le comprend bien, intervint dans le cadre de l’exercice de ce que les européens
considéraient comme leur supériorité. En revendiquant cette supériorité, ils se donnaient la
mission morale et chrétienne non seulement d’asservir les autres peuples qu’ils qualifiaient
“inférieurs” mais aussi de les convertir au christianisme tout en faisant main basse sur les terres
et autres richesses de ceux-ci.
Dans ces conditions, et selon cette même logique, l’autre cible privilégiée c’étaient alors les noirs
d’Afrique. Ils étaient déclarés objets, bien meubles, machines parlantes, propriétés de leurs
maîtres et pouvaient être vendus, achetés, volés, confisqués ou réclamés. Tous les hommes étant
libres et égaux, ils avaient tous donc alors le droit de posséder, d’acheter, de vendre et de
maltraiter leurs objets esclaves noirs car la propriété est inviolable et sacrée. Comme les muscles
de ces machines parlantes noires ne coûtaient pas aussi cher que les machines métalliques, ils
devaient constituer la force motrice de la production dans les colonies. D’ailleurs, les noirs
n’étaient-ils pas capables de toutes les activités et d’une production abondante et continue, à
toutes les heures du jour et parfois même de la nuit?
Assurer la puissance et l’hégémonie de la métropole à l’échelle internationale, telle était la
grande mission que les autorités de l’État mercantiliste ou de l’État libéral s’assignaient aux
dépens de leurs colonies à esclaves.
C. Le milieu naturel de Dessalines
Saint Domingue, c’est-à-dire Haïti, où vivait Dessalines, représentait l’essence du système
colonial et esclavagiste mondial à la fois sous le rapport du niveau élevé de la barbarie des
maîtres et des autorités métropolitaines et aussi de la production économique. Voici quelques5
unes des techniques qui faisaient de Saint-Domingue La Perle des Antilles et le fleuron de
l’empire colonial français aux dépens des esclaves: amputations de dents, d’oreilles, de bras, de
jambes, marquage au fer chaud (fleur de lys), gifles, crachat au visage, injures, inhumation tout
vivants et debout avec la tête enduite de sirop et exposée en plein air aux fournis et autres
insectes pour à la fois terroriser les autres esclaves et permettre aux torturés eux-mêmes de voir
et sentir leur fin cruelle, pendaison, noyade, fusillade, viol, pénitences longues, enterrement
obligatoire des esclaves non baptisés, non en terre sainte (c’est-à-dire au cimetière réservé aux
baptisés) mais dans un champ quelconque ou au bord de la route, interdiction aux esclaves de
tenir réunion, d’aller vendre des biens au marché sans l’autorisation de leurs maîtres, d’ester en
justice ou d’être témoins dans une affaire civile ou criminelle, d’avoir la propriété de biens,
d’apprendre à lire et à écrire, de transmettre ou de recevoir des succession (ou héritages), de
construire leurs cases près de la maison des maîtres blancs ou dans un emplacement d’où le vent
aurait pu charrier l’air de leurs cabanes vers les maisons des maîtres... Quant au fouet (verges,
cordes et autres), ont observé les historiens, il était la cloche, le haut-parleur de l’habitation. A
tout instant, on entendait ses volées carillonner pour activer les esclaves au travail, leur imposer
un arrêt, leur demander une explication, suspendre une conversation, rompre un silence, décider
de la reprise ou de la fin du travail, les réveiller le matin, etc.
D. La Silhouette de Dessalines
C’est au sein de ce système mondial et local que Dessalines est né en 1758, a grandi et évolué, au
milieu de privations, du racisme féroce et de toutes les pratiques zombifiantes ou aliénantes de
Saint-Domingue. Sur son corps, il portait de réelles cicatrices des coups reçus de ses maîtres ou
de ses commandeurs ; dans son cœur, tourmenté, il portait les souvenirs pénibles et torturants des
humiliations subies dans ses contacts avec les libres ; dans ses regards éclatait souvent sa colère
révoltée face aux souffrances, à la déshumanisation et aux sévices imposés à d’autres humains
autour de lui. Il n’a pas été à l’école formelle ; il n’a donc pas reçu l’éducation régulière ou
même privée d’un Jules César, d’un Napoléon, d’un Winston Churchill, d’un Francisco de
Miranda, d’un Simon Bolivar, d’un Bismarck, d’un Gandhi, d’un Kwame Nkrumah, d’un Fidel
Castro, d’un Martin Luther King, d’un Nelson Mandela, d’un Alexandre Pétion ni même d’un
Olivier Cromwell, d’un Abraham Lincoln ou d’un Garibaldi. A la vérité, en matière d’écriture et
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de lecture, Dessalines ne possédait que très peu de rudiments. Faute de pouvoir lire, il se faisait
lire les écrits. A la différence de la plupart de ces leaders susmentionnés, il n’a pas visité des
pays étrangers ; il n’a pas pu par exemple se frotter à des intellectuels libéraux ; il n’a pas pu
comme la plupart de ces autres révolutionnaires participer à des guerres révolutionnaires à
l’extérieur ; il n’a pas pu avoir sous les yeux des scènes et des décors différents de ceux de SaintDomingue. Son univers, c’était l’enfer colonial et esclavagiste.
Pourtant Dessalines trouva en lui-même des ressources morales et intellectuelles pour se révolter,
s’attaquer à ce système, le combattre en alliance avec d’autres, faire des retournements
d’alliance, revenir dans les bras de ses ennemis, résister à leurs pièges mortels, combattre à leurs
côtés, finalement se retourner contre eux pour les tailler en pièces et conduire son peuple à
l’autonomie de responsabilité et à l’indépendance. C’est que Dessalines s’était construit une
personnalité d’homme d’élite et était un excellent apprenant au contact de diverses cultures :
l’africaine qu’il portait dans son sang et dans sa naissance ; la française, l’anglaise, l’espagnole et
l’américaine qu’il a tour à tour embrassées, combattues ou tenues sous contrôle ; l’indienne qu’il
a chérie et cherché à réhabiliter ; et l’haïtienne qu’il a affirmée, consolidée et pour laquelle il a
décidé de se battre jusqu’au sacrifice suprême. C’est dire qu’il n’était pas sans référence
culturelle, ni sans éducation. Il n’était pas non plus dépourvu d’un idéal grandiose. Fin danseur,
il avait su probablement tirer de la danse non seulement le plaisir des sens mais aussi l’art
d’entraîner ses partenaires ou interlocuteurs, malgré eux, dans des pirouettes politiques et
militaires vertigineuses dont il sortait presque toujours le gagnant. Observateur très attentif, très
curieux et très sensible aux vibrations externes et internes, toujours à l’écoute des nouvelles du
monde et de son milieu, il était doté d’une intuition extraordinaire ; et cela lui donnait l’avantage
de pouvoir tirer leçon du moindre détail qui lui passait par les sens. De ses contacts avec les
hommes, les femmes, les bêtes et les choses de Saint Domingue ou à Saint-Domingue, et aussi
avec les forces espagnoles, françaises, anglaises qu’il combattait ou auxquelles il était allié, il
avait appris à se former énormément. Et il se révéla un fin connaisseur de la mentalité et du
colonisateur et du colonisé, et du noir pur et de l’homme à peau clair, et de l’homme libre et de
l’homme esclave, et du blanc et du noir, et de l’esclave créole et de l’esclave bossale. De ses
souffrances, des violences subies, il avait emporté cette passion de la liberté, de l’indépendance
pour lui et les siens, et pour tous les hommes de l’univers. Et voilà pourquoi il était si profond et
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si authentique dans sa carrière de libérateur de Peuple. S’étant dressé contre ce système mondial
d’oppression dont Saint Domingue était le cœur, Dessalines lui infligea des fissures irréparables.
Il finit par créer une espèce humaine nouvelle. Du coup, il changea le monde de son temps ; du
coup, il prépara le monde à changer profondément après lui. Ainsi Dessalines est-il et demeure le
père authentique de la Révolution des Droits de la personne humaine dont l’humanité se veut
si fière aujourd’hui.
A l’évidence, Jean Jacques Dessalines demeure une figure historique hors pair dans l’histoire
universelle.
Élevé dans la servitude jusqu’à 33 ans, privé du pain de l’instruction formelle, père d’une
douzaine d’enfants, meurtri dans sa chair et dans son moral par la violence aveugle du système
colonial esclavagiste, raciste et oppressif de la France, Dessalines semblait réunir toutes les
conditions pour passer et finir ses jours en abruti, impotent, résigné et anonyme. S’il devait
mourir à la fin du printemps de l’année 1802, il aurait été connu dans l’histoire très probablement
comme un vulgaire personnage, au mieux comme un simple brave guerrier d’abord au service de
la bonne cause aux côtés de Toussaint Louverture mais qui a finalement passé au service de
l’ennemi, le général Leclerc, le 6 juin 1802, un jour avant l’arrestation de Louverture par le
général Brunet. Eût-il été par exemple absent du système louverturien lors de l’Affaire Villate
(1796), de la guerre contre les Anglais (1794-1798), de la Guerre Civile ou Guerre du Sud (17991800), dans l’organisation du régime agraire que, en toute vraisemblance, Toussaint lui-même
serait resté un combattant ordinaire et Haïti une colonie à esclaves de la France
jusqu’aujourd’hui encore. Lui eût-il manqué la vision, la détermination, la flexibilité, l’énergie et
le leadership à toutes épreuves dont il faisait montre pour conduire Haïti à l’indépendance que,
très probablement, l’Amérique Latine aurait été privée d’un point de chute sûr pour ses
révolutionnaires, d’aides diverses et d’inspirations révolutionnaires claires et efficaces et aurait
raté sa libération, que Napoléon aurait imposé un puissant empire français en Amérique, que les
États-Unis d’Amérique n’auraient donc pas eu un avenir trop brillant, que la traite et l’esclavage
seraient aujourd’hui encore bien normaux et bien vivants à travers le monde, y compris aux
États-Unis d’Amérique même.
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Par un heureux accident historique ou peut-être par une sorte de prédestination, Dessalines, cet
homme encore mal connu jusque vers 1799, a pu trouver moins de six (6) années de sa vie pour
se propulser au premier plan de la scène historique mondiale. Il en a profité non seulement pour
faire éclater et briller toute sa gloire personnelle, mais surtout pour accomplir une œuvre
colossale au service d’Haïti et de l’humanité entière.
Je me contente ici de signaler, à la fois sur le plan théorique et pratique, seulement six (6) des
nombreuses facettes fondatrices remarquables de Dessalines relatives aux droits de la personne
humaine.
Certes, il n’est pas recommandé à l’historien ou au chercheur, travaillant sur Haïti ou n’importe
quel autre pays, d’accorder une foi aveugle et de manière exclusive aux textes de loi et aux
constitutions pour identifier l’orientation effective des leaders et gouvernements ; car il arrive
souvent que les actes de ceux-ci sont en nette contradiction avec l’esprit et la lettre de leurs lois
et constitutions. Mais dans le cas de Dessalines, cette option méthodologique est bien fondée et
se révèle fructueuse car nous l’assortissons de l’étude des faits. De plus, Dessalines liait la parole
à l’action ; et d’entrée de jeu il s’était mis à appliquer les lois que son gouvernement avait
adoptées. Et l’étude de son action gouvernementale, toutes choses considérées, montre bien que
Dessalines était un leader révolutionnaire capable et éminemment responsable qui savait faire et
qui savait faire faire individuellement et collectivement.
II.
QUELQUES-UNES DES CONTRIBUTIONS MAJEURES DE DESSALINES A
L’EMERGENCE ET A L’IMPLANTATION DES DROITS DE LA PERSONNE
HUMAINE
Venons-en maintenant aux 6 des facettes libératrices et humanistes que nous avons retenues
dans le cadre de la présente étude sur Dessalines .
1ère facette.- Dessalines, l’anti-esclavagiste et l’anticolonialiste intraitable
Jean Jacques Dessalines fut le premier révolutionnaire, le premier chef d’État de la Terre à offrir
en modèle à l’Humanité à la fois l’abolition de l’esclavage et le renoncement au colonialisme. Il
fit consacrer cette rupture d’abord dans l’Acte de l’Indépendance du 1er janvier 1804, ensuite
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dans la Constitution du 20 mai 1805 dont l’article 2 stipule, dans une formulation plutôt
universaliste, ce qui suit: “L'esclavage est à jamais aboli.” Et il entendait toujours faire assumer
et défendre la liberté et l’indépendance souveraine par tous les Haïtiens. A preuve, il choisit
pour lui-même et pour la Nation la devise éloquente suivante: Liberté ou La Mort. Cette devise,
inscrite sur le drapeau noir et rouge créé au congrès de l’Arcahaie du 18 mai 1803 et qui flottait à
la bataille de Vertières le 18 novembre 1803, devint devise nationale en son temps. On la
retrouve dans la plupart des actes administratifs de son gouvernement.
2ème facette.- Dessalines, le pourfendeur du racisme institutionnel et hégémonique, et
champion de l’égalité des races humaines
Dessalines s’opposait à tout ce qui visait à établir une hiérarchie entre les hommes sur la base de
la couleur de la peau et des idéologies qui proclamaient l’inégalité entre les races. Voilà pourquoi
sa Constitution fut proclamée, et je cite, “en présence de l’Etre-Suprême, devant qui les mortels
sont égaux ” et aussi, “ en face de la nature entière dont nous avons été si injustement et depuis si
longtemps considérés comme les enfants réprouvés”. Pareillement, il y fit introduire la clause
antiraciste suivante : ” les Haïtiens ne seront désormais connus que sous la dénomination
générique de Noirs ” (art. 14). Et pourtant, Dessalines savait pertinemment qu’il y avait aussi
alors des haitiennes et des haïtiens d’origine blanche, plus justement allemande, polonaise,
espagnole et même française…
3ème facette.- Dessalines, le forgeur de la coopération internationale pacifique, horizontale et
anti-hégémonique
Dessalines approchait les relations internationales dans une perspective fraternelle et égalitariste.
Pour lui tous les hommes persécutés, exploités et privés de leur liberté, de leur patrie et de leur
indépendance doivent être solidaires, si naturellement ils ont la conscience d’homme. Voilà
pourquoi aussi il les considérait tous comme des noirs faisant ainsi du concept ”noir” non
vraiment une couleur mais plutôt une idéologie de résistance à l’oppression organisée par des
blancs esclavagistes, colonialistes et racistes. Par ailleurs, tout en prônant une politique
internationale d’apaisement et de coexistence pacifique avec le reste du monde, il ne refusait
jamais, quand c’était possible, son aide aux opprimés de la Terre, nommément des indiens, des
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polonais, des allemands, des juifs, des espagnols et esclaves des colonies et d’autres
provenances. Pareillement, Dessalines repoussait toujours toutes propositions qui visaient à faire
d’Haïti un protectorat ou l’empêchaient de traiter en toute égalité souveraine avec d’autres États.
4ème facette.- Dessalines, le Fondateur du Panaméricanisme humaniste
Jean Jacques Dessalines s’est comporté en panaméricaniste humaniste et convaincu. Il est le tout
premier chef d’État du continent américain et du monde à concevoir et traiter l’Amérique comme
un espace continental différent de l’Europe et qui devait être entièrement libéré de la domination
de celle-ci et vivre dans la paix, la liberté et l’auto-détermination de chaque pays et de chaque
peuple. Dessalines fut, en fait, le fondateur du courant de pensée qui prône “l’Amérique aux
Américains” ; il concevait l’Amérique totalement libérée et débarrassée de la domination ou de
la tutelle externe ; il la concevait aussi non dans une perspective de domination d’un peuple
américain sur son ou ses voisins américains mais dans la solidarité, le respect mutuel et fraternel,
d’où ses attaques verbales anti-françaises et anti-européennes que l’on retrouve dans certaines de
ses formules telles que: “implacables ennemis des droits de l’homme”, “la politique infernale
des Européens”, “ tyran de l’innocence”, “ oppresseur du genre humain”, “tigres altérés de
sang”. D’ailleurs, toute la pensée politique de Dessalines semble profondément blessée et
traumatisée par le génocide infligé aux Indiens. C’est pourquoi, d’ailleurs, il considère ses
victoires sur les espagnols, les anglais et surtout sur la France comme des victoires contre toute
l’Europe esclavagiste et colonialiste coupable de ce génocide ; voilà pourquoi il a dédié de telles
victoires à la mémoire des Indiens en proclamant: «J’ai vengé l’Amérique.» C’est dans ce même
esprit que, au début de 1806, il a fraternellement reçu Francisco de Miranda et toute l’équipe qui
accompagnait celui-ci. Eut-il manqué confiance dans son propre leadership, eut-il été raciste et
blancophobe, eut-il été sous l’emprise du complexe d’infériorité, il n’eût pas reçu ce blanc,
d’ailleurs un aristocrate et qui parlait au nom de colons blancs de l’Amérique du sud. Mais,
homme de justice au jugement tranchant, Dessalines savait que Miranda n’avait fait aucun mal
au peuple haïtien; visionnaire, il savait que la consolidation de l’indépendance d’Haïti résidait
dans la solidarité continentale des peuples voisins. Voilà pourquoi il a sincèrement et de manière
directe enseigné à Miranda la logique, les méthodes et les règles garantissant le triomphe de la
révolution. L’enseignement de Dessalines à Miranda ne sera-t-il pas d’ailleurs étudié et appliqué
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par Simon Bolivar et ses camarades révolutionnaires jusqu’ à complète libération de l’Amérique
Latine?
5ème facette.- Dessalines, le promoteur du droit de la personne humaine à une nationalité et
à une patrie
Malgré ses précautions pour ne pas s’attirer la foudre conjuguée de toutes les puissances
colonialistes et esclavagistes de son temps, Dessalines n’a jamais laissé la peur le dominer ni le
contraindre à l’indécision et l’inaction. Il s’est plutôt toujours ouvertement comporté en leader
responsable, solidaire et internationaliste engagé dans ce que nous appellerions aujourd’hui
l’humanitaire. Il s’employait toujours activement à faire d’Haïti le soutien généreux, la patrie et
la terre d’accueil et de refuge de tous les persécutés et opprimés de la terre qui frappaient à nos
portes ou au secours de qui nous pouvions nous porter. A preuve, il s’est maintes fois prononcé
sur le sort de ceux qui étaient sous le joug servile. Il les encourageait même parfois à se révolter :
dans sa fameuse proclamation du 28 avril 1804, il s’est apitoyé par exemple sur “ le sort
déplorable de nos frères déportés en Europe ”. En l’absence d’un droit humanitaire comme
aujourd’hui, Dessalines se faisait le défenseur et protecteur des abandonnés et des opprimés. Par
exemple, il a pris le 14 janvier 1804 un décret incitatif pour encourager les capitaines de navires
à lui ramener en Haïti des Noirs et mulâtres haïtiens en difficulté aux États-Unis d’Amérique et
incapables de payer leur retour chez eux. Pour chaque individu ramené, Dessalines paya quarante
(40) piastres au capitaine. Il manifestait cette même attention pour des Haïtiens noirs et de
couleur faits prisonniers par les anglais à la Jamaïque. Par exemple lorsque le gouverneur anglais
de la Jamaïque voulait renouveler les accords commerciaux de l’Angleterre conclus avec
Toussaint Louverture, quel geste fit-il pour amadouer Dessalines ? Il lui envoya, nous dit
Thomas Madiou, “trente-quatre prisonniers noirs et de couleur, indigènes d'Haïti, qui avaient
été pris avant la proclamation de l'Indépendance, alors que le pays était encore français”.
Pourquoi un tel geste du gouverneur Nugent ? Parce que, très probablement, les anglais
connaissaient la haute importance accordée par Dessalines à la défense et à la protection des
haïtiens. Dans sa lettre du 19 janvier 1804 au gouverneur, via l’émissaire Corbet, Dessalines
répondit justement en des termes qui montrent bien sa grande sollicitude vis-à-vis des déshérités
du sort. “Cette marque de bienveillance, écrivit-il, m'a flatté bien agréablement, et ce serait
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mettre le comble à votre générosité que de me faire parvenir le reste des malheureux que vous
m’avez promis” (Madiou 1985: 138)1. Madiou nous relate encore la conduite patriotique,
humanitaire et fraternelle de Dessalines vis-à-vis d’un petit groupe de Polonais qui faisaient
partie de l’expédition de Leclerc. Les polonais de l’expédition, rappelons-le, avaient refusé de se
battre contre les haïtiens ; ils avaient fait défection et Dessalines leur avait reconnu la nationalité
haïtienne. 160 d’entre avaient décidé de quitter Haïti pour aller vivre à la Jamaïque; Dessalines
leur en donna facilement l’autorisation et fit des arrangements avec le capitaine anglais Perkins
qui les transporta à leur destination. “ Le gouverneur Nugent, moins généreux que Dessalines ”,
dit Madiou, leur exigea le service militaire dans les troupes anglaises comme contrepartie de leur
résidence à la Jamaïque. Vu leur refus, le gouverneur les renvoya en Haïti tout en demandant à
Dessalines de les chasser ensuite du territoire haïtien. “ Mais Dessalines lui répondit que ces
Polonais étaient devenus Haïtiens, qu'il était le chef d'un peuple libre, et qu'il ne pouvait par
conséquent, contraindre ses nationaux à quitter la terre de la patrie. ” (Madiou 1985 : 138)2.
Dessalines avait donc reconnu à ces hommes, des haïtiens naturalisés, le droit de quitter leur
pays et aussi celui d’y retourner et d’y vivre sous la protection de leur gouvernement.
6ème facette.- Dessalines : le créateur d’humanité
La mission la plus audacieuse, la plus belle et la plus élevée que Dessalines se soit donnée et ait
accomplie au service d’Haiti et de l’univers est celle de créateur d’humanité. Il a réalisé une telle
prouesse inégalable en tant que leader de la révolution haitienne et en tant que fondateur de l’État
haitien. Comme je l’ai écrit dans mon ouvrage Réflexions Stratégiques Sur Haïti, “ C’est à la
Révolution haïtienne que, au laboratoire de l’action guerrière, dans l’affrontement armé direct
des esprits et des corps des maîtres dits “supérieurs” et des esclaves dits “inférieurs” de
l’autre, reviennent l’impayable mérite et la gloire d’avoir détruit plusieurs millénaires de mythes
dominant concernant non seulement l’esclavage et l’infériorité de l’esclave en général mais
encore l’infériorité du Noir. Avec la guerre de l’indépendance d’Haïti, pour la première fois
dans l’histoire connue de l’humanité, des esclaves avaient définitivement triomphé à la fois de
leur métropole et de leurs maîtres blancs; pour la première fois, la métropole et les maîtres
vaincus et chassés, les esclaves vainqueurs se sont organisés en Etat indépendant et souverain.
Et aujourd’hui encore Haïti demeure le seul cas historique d’un Etat créé par des esclaves au
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terme d’une révolution et gouverné par ces anciens esclaves eux-mêmes. Pour la première fois
dans les Temps Modernes, des caucasiens ont été défaits par des noirs dans une guerre
internationale ”. (Rémy 2013 : 126)3
On comprend donc pourquoi la réhabilitation de Dessalines demeure une mission prioritaire non
seulement pour tous les haïtiens mais aussi pour tous les hommes de progrès de l’univers.
III.
POUR LA RÉHABILITATION PLEINE ET ENTIERE DE DESSALINES
Réhabiliter Jean-Jacques Dessalines s’impose en effet à nous pour plusieurs raisons
fondamentales.
A. Raisons d’ordre moral, éthique et intellectuel
A cela il y a tout d’abord des raisons d’ordre moral, éthique et intellectuel. Moralement nous
devons reconnaissance et gratitude à Dessalines pour sa grande contribution à nous autres êtres
humains. Sur le plan éthique, nous devons admettre que trop souvent nous concevons, disons
ou répétons trop d’idioties et de sottises historiques concernant Dessalines ; c’est par exemple le
cas quand nous qualifions Dessalines de sanguinaire et d’incapable et encensons un Jules César,
un Napoléon, un Abraham Lincoln, un Harry Truman, un Mitterrand ou un Bill Clinton ; c’est
aussi le cas quand nous fermons maladroitement l’œil sur le fait que de tels hommes d’État n’ont
pas eu ni les mains ni le cœur plus propres que ceux de Dessalines. Intellectuellement, l’objectif
de réhabilitation de Dessalines nous impose un triple devoir: premièrement un devoir de nous
former ou de nous éduquer en Histoire et en Culture civique et humaniste en vue d’éduquer
aussi les autres; ce premier devoir intellectuel nous oblige à aller au fond du puits pour en tirer la
vérité. Notre deuxième devoir intellectuel c’est de nous armer de la méthode de l’historien
laquelle veut que, en Histoire, la première démarche du chercheur soit de se poser des questions
justes et rigoureuses et de chercher à connaître et comprendre; connaître conduit à la
compréhension et vice versa. Comprendre et connaître garantissent ensuite la haute qualité
historique de l’explication. Et notre troisième devoir intellectuel dans cette mission, c’est de
nous armer de l’émotion ou de la sensibilité créatrice pour faire revivre Dessalines dans nos
divers champs de production littéraire, artistique, technique et scientifique.
B. Raisons d’ordre patriotique et humaniste
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Abordons maintenant les raisons d’ordre patriotique et humaniste qui militent en faveur de la
réhabilitation de Dessalines. Elles se ramènent à ceci : si nous continuons d’ignorer Dessalines et
les termes de référence qu’il a définis pour la liberté, l’indépendance, la dignité, le respect, la
prospérité et pour le bien-être du Peuple haïtien, la Nation haïtienne, sa culture et sa civilisation,
tout ce qui fait d’Haïti un Patrimoine universel de grande valeur va disparaitre. Et si Haïti
disparaît, comme cela semble être la voie dans laquelle on l’a engagée depuis quelques années,
cela aura un effet de domino. Et très probablement, les peuples de la terre retourneront à
l’Innommable. Je parle ici de cet innommable-là qui a fait le malheur de l’Amérique indienne et
de l’Afrique !
C. Raisons liées aux exigences de la cohérence et de la vérité historiques
En troisième lieu, il nous faut réhabiliter Dessalines pour ne pas continuer à sombrer dans
l’anachronisme et le révisionnisme face à l’histoire de l’évolution des idées et institutions
politiques et sociales. En effet, très souvent, trop souvent même, nous succombons à ces deux
pièges, ennemis dangereux de la vérité historique, dans notre conception et notre représentation
mentale et factuelle de certains des concepts clé qui constituent les points de repères et la fierté
suprême des sociétés actuelles, à savoir les libertés publiques, les droits de l’homme, les droits
humains, les élections, la démocratie libérale et représentative. A cet égard, il nous faut faire
remarquer que ces belles conquêtes que les démocraties occidentales et monsieur-tout-le-monde
claironnent aujourd’hui et que les jeunes et ceux qui n’ont pas lu l’histoire prennent comme des
valeurs courantes et de tous les temps sont récentes. Ensuite, elles sont sorties en Occident, et
comme partout ailleurs,- et nous ne faisons pas là de l’apologie mais le constat de ce faitdirectement de la matrice de mouvements sociaux violents et sanglants. Ces changements
proviennent de camps opposés qui se sont affrontés jusqu’au triomphe du camp qui possède,
comme dirait Ben Gourion, la “supériorité de volonté”. Et, généralement, il y a eu dans les
différents camps en affrontement de nombreuses victimes résultant non seulement des combats
armés mais aussi de répressions gouvernementales ou de leurs alliés, d’attaques armées par des
camps revendicatifs ou révolutionnaires, etc. Les moyens utilisés par tous ces camps étaient
divers : fusillades, massacres à l’arme blanche, exécutions et exils massifs, séquestre de biens,
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décapitations de souverains et de membres de leur gouvernement, déportations et assassinats de
révolutionnaires, etc. Tels que nous les connaissons aujourd’hui, les droits de l’homme, les droits
humains, les libertés publiques (en gros les droits de la personne humaine), les élections et la
démocratie sont passés, en prenant naissance, par ce chemin difficile des révolutions et des
guerres brutales qui les ont précédés, accompagnés ou suivis et qui ont garanti leur triomphe et
institutionnalisation.
CONCLUSION
Comme on le voit bien, il est fort injuste et improductif de faire le silence sur le nom d’un
révolutionnaire de l’envergure de Dessalines qui a joué un rôle si fondamental dans l’émergence
et l’implantation des valeurs humanistes à travers le monde. Il est même criminel de chercher à
ternir ou détruire sa mémoire. Ignorer Desssalines ou effacer sa mémoire, c’est contribuer à
détruire Haïti, la Nation haïtienne et la civilisation haïtienne en tant que Patrimoine Universel.
En s’érigeant en asile de régénération particulièrement réservé à ceux de l’Univers qui fuyaient
l’oppression, les persécutions, l’esclavage, le colonialisme, le racisme, l’exploitation et le
dénuement, Haïti s’est faite une Terre à part, un Lieu sacré. Entre la cérémonie du Bois-Caïman,
la Bataille de Vertières et la création officielle de l’État haïtien le 1er janvier 1804, c’est toute une
nouvelle humanité que les révolutionnaires haïtiens ont créée et proposée en prototype à la
Conscience universelle. Et l’univers entier doit savoir et célébrer le fait que, Dessalines, aux
côtés du grand Toussaint Louverture et après Toussaint, était toujours l’axe centrale de cette
inégalable épopée. Avec Dessalines, d’abord en second et ensuite aux commandes, la Révolution
haïtienne a donc forcé l’humanité à faire un bond qualitatif gigantesque et extraordinaire. Elle a
prouvé et consacré l’égalité d’aptitude de tous les hommes ; elle a créé le droit de tous les
hommes à la liberté et de tous les peuples à l’autodétermination. Dessalines a donné sens plein et
entier, c’est-à-dire universel, à la notion de Droits de l’Homme proclamée par les révolutions
occidentales. Il a aussi rendu possible l’avènement des Nations Unies et de leurs grandes
déclarations à allure universelle relatives aux droits de la personne humaine.
Et mieux,
Dessalines, en triomphant à Vertières (…) a très probablement préservé les générations
humaines postérieures d’au moins deux bons siècles de tragédies flétries, endolories et
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ensanglantées par l’esclavage de plusieurs millions de ressortissants des continents comme
l’Afrique, l’Asie, l’Océanie et l’Amérique (Rémy 2013: 128)4.
Il est donc évident que Dessalines, ses autres camarades révolutionnaires, le Peuple Haïtien et
Haïti avaient brillamment éclairé la voie du genre humain dans la réalisation de ses aspirations
supérieures. C’est dire qu’ils avaient bien mérité de l’humanité entière et qu’ils constituent
véritablement un Patrimoine universel de premier ordre. Or, comme cela se constate aujourd’hui
et comme nous l’avons montré dans notre récent ouvrage RÉFLEXIONS STRATÉGIQUES
SUR HAITI, ce patrimoine universel est aujourd’hui en grand péril. Les balises et les conquêtes
de Dessalines pour Haïti et l’humanité sont en train de périr, attaquées et mises à mal là où elles
ont pris naissance,c'est-à-dire sur le sol haïtien même!
Il est donc impératif de revenir à Dessalines, le reconnaitre et l’admettre dans la plénitude de sa
valeur et de sa grandeur; car si dans tout l’univers, malgré l’imperfection de tous les hommes, il
faut choisir un être humain et un seul être humain pour symboliser l’antiesclavagisme,
l’antiracisme, l’anti-colonisation, l’anti-hégémonie, l’anti-exploitation, l’anti-exclusion, l’anticolonialisme, l’anti-impérialisme, le panaméricanisme, la solidarité et la coopération
internationale horizontale, l’humanisme et l’égalité souveraine de tous les hommes, de tous les
peuples et de tous les États, et qu’il faille le faire en toute objectivité et en toute justice humaine,
cet homme a été, est et sera incontestablement et immanquablement Jean-Jacques Dessalines.
Joseph Luc Rémy
1
MADIOU: Histoire d’Haïti, Tome 3: 1804-1807, Les Éditions Fardin 1985, p. 138.
2
MADIOU : id, p.138
3
Luc REMY : Réflexions Stratégiques Sur Haïti, Sauvons un Patrimoine Universel en Péril, X-Libris, Edwards
Brothers Malloy, New Jersey, 2013, p. 126
4
REMY : id., p.128
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