Histoire des télécommunications - l-j libois

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Histoire des télécommunications - l-j libois
Association pour l’Histoire des
Télécommunications et de
l’Informatique
Cahiers d’histoire des
télécommunications
et de l’informatique
Numéro spécial en
Hommage à L.-J. Libois
N° 13 bis
Mai 2010
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Table des matières
Itinéraire de L-J. Libois
Editorial de B. Frappat dans La Croix
Réunion d’hommage de l’AHTI, de l’IREST et du Colidre
Extraits de « Génèse et croissance des télécommunications »
Oeuvres de L-J. Libois
Louis-Joseph Marie LIBOIS
(1921-2009)
Origine
Né le 22 juillet 1921 à Simandre-sur-Suran (Ain),
fils de Pierre Libois et de Mme, née Thérèse Tardy.
veuf de Mme, née Marie-Madeleine Gouère.
Etudes au Lycée Rouget-de-Lisle à Lons-le-Saunier, Lycée Henri-IV à
Paris et Lycée du Parc à Lyon, Ecole Polytechnique ( X1941 ), Ecole
Nationale Supérieure des
Télécommunications ( 1945 )
2
LJ. Libois, © la Jaune et la Rouge
Carrière dans les télécommunications
Ingénieur au SRCT (Service des recherches et du contrôle technique des
PTT) (1945) et au Centre National d´Etudes des Télécommunications
(CNET),
Chef du groupe de recherches sur les faisceaux hertziens (1947),
Chef du département RME (Recherches sur les machines électroniques)
(1957),
Directeur du Centre de recherches de Lannion (1962)
Directeur du CNET (1968-71),
Directeur général des télécommunications (1971-74),
Membre de la Cour des Comptes
Conseiller maître (1977-86)
Mandats associés:
Membre du conseil d´administration du Centre national d´études spatiales
(1968-72),
Président du conseil de gérance de SOTELEC (1971-74) et de SOCOTEL
(1972-75),
Président de la Caisse nationale des télécommunications (1971-90),
Administrateur de l´Office d´annonces (1972-87),
Président du Comité interministériel de l´informatique (1977-80),
Administrateur de la Banque de Bretagne (1982-89)
Administrateur d´Alcatel-CIT (1982-96 )
Vice-président du Comité interministériel de l´informatique et de la bureautique
dans
l´administration (1984-85),
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Membre des sociétés savantes:
Président (1970) de la Société française des électroniciens et radioélectriciens,
Membre de l´Institute of Electrical and Electronics Engineers (IEEE), et
Président de
la section française de l´IEEE (1981-83),
Membre (1987) puis Membre émérite du Conseil pour les applications de
l´Académie
des sciences (Cadas),
Membre fondateur (2000) de l'Académie nationale des technologies,
Membre et Président d'honneur de la Fondation Louis Leprince Ringuet.
Travaux et brevets
Systèmes de modulation et commutation électronique.
Distinctions
Prix du général Ferrié (1953),
Médaille d´or de l´industrie nationale (1968)
Commandeur de la Légion d´honneur
Officier de l´ordre national du Mérite
Chevalier des Palmes académiques
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Louis-Joseph Libois,
president d’honneur de France Télécom
Extraits d’un éditorial de Bruno Frappat durecteur de La Croix paru dans
le numéro du 1er novembre 2009.
Serviteur
[…] Un homme de bien est mort à la fin de la semaine dernière. Et l’on se dit
qu’il a bien droit à un hommage rendu à sa discrétion, à son œuvre, à la trace qu’il
laisse. Il avait quatre-vingt-huit ans. Il souffrait depuis de longs mois. Il avait été
polytechnicien, ingénieur des télécommunications. On lui devait, à d’autres aussi,
le formidable élan industriel des Trente glorieuses, de ce redressement de la
France après son abaissement.
Il fut l’un des pionniers de la commutation électronique qui permit enfin aux
Français de communiquer entre eux par téléphone, sans attendre la saint glin-glin
pour obtenir Asnières. Il fut patron du Centre national d’études des
télécommunications à Lannion, puis Directeur général des télécommunications,
avant d’être écarté par de plus opportunistes que lui aux temps du giscardisme. Il
n’avait pas de rancoeur. Le sens du devoir : il servait l’Etat et ne s’en servait pas.
Il n’a pas fait de bruit, pas de mousse. Il dévorait les journaux, s’intéressait à tout.
Il aura consacré les dernières années de sa vie à contempler l’océan et à creuser
les archives de sa famille, publiant des bibliographies à compte d’auteur qu’il
distribuait aux jeunes générations. Pour qu’elles sachent d’où ells venaient.
Il s’appelait Louis-Joseph Libois. Il repose désormais aux côtés de sa femme et
de son frère mort cet été, dans un cimetière paisible, sur une colline, à la limite de
la Bresse et du Bugey. Vous avez entendu la République lui rendre hommage ?
C’est sans doute mieux ainsi : un cortège sans gyrophares pour un trépassé qui
n’est pas passé en vain.
Bruno Frappat
5
Réunion d’hommage à L-J. Libois
.
Le 4 mai 2010 s’est tenue une réunion d’hommage à Louis-Joseph Libois à
l’initiative de l’AHTI, en commun avec le Colidre et l’IREST. La réunion a eu lieu
dans l’amphithéâtre Jacques Dondoux, dans les Jardins de l’innovation d’Orange
à Issy les Moulineaux. La séance était retransmise à Lannion. L’amphithéâtre
d’Issy était plein.
Un mot d’accueil a été prononcé par Thierry Bonhomme, de France Télécom
R&D, qui a souligné que L-J. Libois, dans un esprit de recherche continu, a été un
pionnier des télécoms numériques et de la transmission par fibres optiques.
Une courte vidéo a montré L-J. Libois en 1957 dans la commutation électronique,
en 1961-62 lors de la création du Centre de Lannion, en 1965 devant la maquette
du commutateur Platon auprès d’André Pinet.
Marcel Roulet, président d’honneur de France Télécom,, présidait la réunion. Il a
commencé par regretter l’indifférence des médias vis-à-vis des grands ingénieurs
créateurs de technologies. Il a remercié les organisateurs de la réunion, en
soulignant le rôle d’Estelle Berger du Colidre et celui des acteurs de FT R&D.
Les interventions concernant la carrière étaient organisées autour du CNET dans
un premier temps, de la DGT et des activités extérieures de Libois ensuite....
Le CNET (1945-1971)
François Tallégas, ancien du CNET-Lannion et d’Alcatel, a commencé en
parlant de l’ « inventeur » des réseaux numériques intégrés. Il a lu le texte écrit cidessous.
C'est avec une grande émotion que je prends la parole le premier pour vous parler
de Louis-Joseph Libois , que j'ai cotoyé de façon régulière pendant plus de 45 ans
Tout d'abord , comme jeune ingénieur au C.N.E.T à Lannion , dont il fut le
premier patron , et qu'il a évidemment marqué profondément de son empreinte .
Ensuite comme responsable du E10 à Alcatel , dont le moins que l'on puisse dire ,
est qu'après en avoir été l'instigateur , il en a suivi le développement avec la plus
grande bienveillance . Enfin ces dernières années sur la Côte de granit rose qu'il
aimait tant . L'été dernier , je lui ai téléphoné à plusieurs reprises , tentant de lui
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rendre visite , en vain malgré l'appui de ses infirmières qui essayaient de le
convaincre que cela lui ferait le plus grand bien de voir des amis ; mais il souffrait
trop . Comment rendre un hommage à Louis -Joseh Libois ? Comment parler de
sa brillante intelligence , de sa très grande clairvoyance , de son immense
curiosité intellectuelle , de son esprit de synthèse , de ses qualités humaines , sans
heurter sa mémoire , sans blesser sa modestie ? Comment surtout dire toute
l'admiration qu'on porte à Louis-Joseph Libois , après le très beau texte de Bruno
Frappat , dans son blog , écrit quelques heures après son décès ? Pour éviter de
trop le trahir , je vais donc lire des passages de ses oeuvres ; s'il n'était pas un
brillant orateur , il écrivait par contre facilement , et personnellement je l'ai
toujours lu avec plaisir et intérêt .
Je dois vous parler de l'inventeur des réseaux numériques intégrés ; aurait-il
accepté ce qualificatif d'inventeur ? Je n'en suis pas sûr . Par contre , on peut sans
aucun doute lui attribuer la pleine et entière responsabilité du fait que la France a
pris une avance de plusieurs années dans le développement de la commutation
numérique et des réseaux numériques intégrés , ce qui fait que essentiellement
grâce à lui , le retard pris dans les années 50 dans l'équipement téléphonique du
pays , s'est transformé en avance sur le plan technologique .Je vais donc vous lire
un premier texte de Louis-Joseph Libois qu'il intitule : « Rôle du CNET dans la
marche des télécommunications vers la numérisation des réseau . On a coutume
d'admettre que le CNET a joué un rôle significatif dans cette évolution technique
et , plus spécialement , par le biais de la commutation temporelle . Ce qui me
paraît le plus intéressant dans cette affaire , ce n'est pas tant de mesurer le rôle
plus ou moins important joué par le CNET que d'essayer de comprendre les
raisons qui ont conduit à des succès reconnus. Une première observation
concerne , à mon avis , le style de management de la recherche . P. Marzin a
toujours porté une grande attention au choix des hommes : compétence et
motivation des chercheurs , qualité des responsables de recherches , les chefs de
département notamment . En revanche , P. Marzin se contentait d'indiquer à ses
chefs de département les grandes lignes des recherches qu'il souhaitait voir
entreprendre , mais leur laissait ensuite une grande liberté de choix dans les
orientations techniques elles-mêmes . Autrement dit , les directives de recherches
issues de la hiérarchie étaient suffisamment ouvertes pour ne pas enfermer les
responsables de laboratoires dans des contraintes trop fortes qui auraient risqué
de freiner l'innovation . La réalité que j'ai connue était , à mon sens , plus subtile.
Je comparerais volontiers cette méthode de management de la recherche au
patinage artistique ! En patinage , il existe ce que l'on appelle les figures
imposées et les figures libres. Dans le cas qui nous occupe , la figure qui m'est
imposée , lorsque je débarque au SRCT , c'est le développement de nouveaux
moyens de transmission par faisceaux hertziens . En revanche quand j'engage
mon laboratoire dans la recherche sur les systèmes à répartition dans le temps et
sur la modulation par impulsions , cela relève de ma propre initiative . C'est en
somme une figure libre , même si j'en réfère à P. Marzin pour obtenir son accord
de principe sur mes propositions et sur ma façon d'envisager l'avenir des
recherches entreprises . Le même processus se reproduira, lorsque P. Marzin
décidera d'engager des recherches au CNET sur la commutation électronique. P.
Marzin me demande alors , en 1957 , de monter un nouveau département de
recherches entièrement consacré à cette opération . Dans l'esprit du Directeur du
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CNET , il s'agissait essentiellement de recherches sur la commutation
électronique de type spatial : c'était à cette époque , le choix fait par les Bell
Telephone Laboratories , qui étaient considérés comme les grands maîtres en
matière de recherche sur les télécommunications ; il paraissait inconcevable de
ne pas suivre leur exemple. Lorsque, quelques 5 ans plus tard, il m'apparaît que
nous nous essoufflerons à essayer de courir après nos collègues américains sur le
terrain qu'ils ont choisi , je propose que le CNET prenne une voie différente ,
celle de la commutation électronique temporelle et qu'il y consacre des moyens
importants tant au niveau de la recherche elle-même qu'à celui du développement
industriel. Il s'agit, là encore, suivant la terminologie précédente, d'une figure
libre. Ayant convaincu P. Marzin que la commutation électronique temporelle
serait la grande affaire du nouveau centre de recherches du CNET à Lannion , je
n'eus pas trop de mal à rassembler tous les moyens qui me semblaient nécessaires
pour le succès de l'opération « .
Je vais poursuivre en vous lisant des passages d'un texte non publié que LouisJoseph Libois avait préparé pour un Colloque en 1997 . Il avait intitulé ce texte :
« De Platon à la numérisation du réseau français de télécommunications , le
choix stratégique de la commutation électronique temporelle. Tout au début de
l'année 1962, P. Marzin me demande si j'accepte de diriger l'opération de
décentralisation du CNET à Lannion ; je lui réponds affirmativement, malgré, il
faut le dire, les sourires et le scepticisme que suscitent les projets de P. Marzin en
Bretagne. J'indique au Directeur du CNET que pour réussir cette décentralisation
assez téméraire, il faut, bien entendu, affecter à l'opération des moyens humains
et financiers importants, mais qu'il faut surtout pouvoir attirer à Lannion des
ingénieurs et des techniciens de grande valeur. Certes il y avait déjà les
télécommunications spatiales , avec Pleumeur-Bodou , ce qui était un élément
très important pourl'image du CNET En ce qui concerne plus spécialement les
laboratoires de recherche , il me paraissait indispensable d'engager le nouveau
centre dans des recherches de pointe , de high-tech comme on dirait aujourd'hui.
Je demande à P. Marzin , tout en étant responsable de l'opération Lannion, de
conserver la direction des recherches en commutation électronique pour
l'ensemble du CNET. Mais je propose en même temps de transférer et de
développer à Lannion les recherches de pointe dans cette discipline, c'est à dire,
en fait , les recherches en commutation électronique temporelle numérique
auxquelles nous avions commencé de réfléchir avec André Pinet. Cependant, pour
parvenir, dans ce domaine, au développement et à la mise au point de systèmes
vraiment opérationnels et susceptibles d'être ensuite fabriqués en série , j'estimais
qu'il était indispensable de transférer rapidement les résultats de nos études à une
entreprise chargée du développement industriel. Etant donné l'éloignement de
Lannion, il me paraissait nécessaire pour être efficace que cette unité soit située à
proximité même des laboratoires du CNET. P. Marzin en était également
persuadé : il demanda alors à Ambroise Roux d'installer une antenne
technique du groupe CGE. »
Ce sera en 1966 la SLE dont j'ai pris la direction technique , en quittant le
CNE.T. . Dans ces textes tout est dit du cheminement qui a conduit Louis-Joseph
Libois de la réalisation d'un premier système multiplex à 24 voies dans son
laboratoire de faisceaux hertziens , à la conception du projet Platon (Prototype
Lannionnais d'Autocommutateur à Organisation Numérique ), puis à l'équipement
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du réseau français par le système E10 Mais il était aussi tout fier des succès du
E10 à l'exportation et il ne manque pas de les mentionner en détail dans plusieurs
de ses textes . Je peux ici rappeler que c'est l'aventure du numérique avec le E10
qui a propulsé Alcatel du statut de petite société licenciée en commutation d'un
groupe suédois au premier rang mondial pendant quelques années .
Ce qui est particulièrement frappant dans cette aventure , c'est l'esprit
d'anticipation dont a constamment fait preuve Louis-Joseph Libois ; il a lancé ses
équipes sur le temporel et le numérique avant l'avènement des transistors, puis la
commutation temporelle avant l'avènement des circuits intégrés , qui seuls
permettaient la réalisation de tels projets .
Je ne serais évidemment pas complet si je ne parlais du long compagnonnage de
Louis-Joseph Libois et d'André Pinet . C'est en effet André Pinet qui était le
responsable de son premier laboratoire de faiscaux hertziens en 1946; c'est là que,
disent-ils, ils ont été initiés aux mérites dutemporel. Puis ils ont fait route
commune dans la commutation électronique, à Paris puis à Lannion, où André
Pinet a été l'architecte puis le maître d'oeuvre du projet Platon. (André Pinet m'a
demandé de vous dire combien il regrette de ne pouvoir être là aujourd'hui ,
et m'a prié de vous transmettre son bon souvenir )..
Avant de conclure, je voudrais dire deux mots du profond attachement de LouisJoseph à la Bretagne. Installé depuis ses années lannionaises à Trébeurden dans
une maison qu'il a fait construire dans les années 1960, avec une vu
exceptionnelle sur la mer et une partie de la côte, il s'était fait le défenseur du
littoral , et avait en particulier activement milité contre le nouveau port de
Trébeurden; ces dernières années il avait agrandi sa propriété en rachetant une
parcelle où il y avait un vieux four à pain dont il était très fier. Il était non
seulement membre des Cadres bretons de la Région parisienne, mais il faisait
aussi partie du bureau de l'Association .
Enfin je ne voudrais pas clore cet hommage sans y associer la mémoire de
Madame Libois. . Je la connaissais évidemment moins bien que je ne le
connaissais lui, mais je crois pouvoir dire que l'on retrouvait chez elle la même
intelligence, les mêmes qualités de coeur, la même modestie aussi que chez
Louis-Joseph..
Michel Tréheux, ancien du CNET-Lannion et de la DGT, a évoqué le créateur du
CNET-Lannion, dans une intervention préparée avec le concours d’autres anciens
du CNET-Lannion, M. Camus, M. Cartier, D. Hardy, E. Hollocou, J-N. Méreur, J.
Le Mézec et A. Nizery .
A l’époque des décentralisations, une volonté politique, celle de René Pléven et
de Pierre Marzin, a porté L-J. Libois aux commandes de la SNETE, comme
disaient les trégorois. En juin 1960 a été posée la première pierre du CNETLannion, en bordure d’un terrain d’aviation laissé à l’abandon par les Allemands.
Mais l’immobilier est lent et un petit centre provisoire, qui durera, est rapidement
installé.en mars 1962 et L-J. Libois accepte d’en être le directeur.
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Il y a peu de candidats pour Lannion. Plusieurs raisons y contribuent, dont les
salaires plus bas en province. Libois insiste sur les liaisons avec Paris et un avion
DC3 va assurer une liaison quotidienne sur le terrain rénové pendant qu’une
liaison de données est établie à 1200 bauds, ce qui est suffisant pour l’époque. En
outre le directeur développe les activité de loisir et de sport dans cette belle
campagne et sa mer. Il va montrer que, contrairement aux affirmations d’un
directeur à la DGT plus tard, on peut faire de la recherche au milieu des vaches
bretonnes.
Libois joue sur un recrutement de jeunes dont la fougue pallie l’inexpérience et il
favorise l’innovation débridée. Trois idées directrices visionnaires vont faire la
réputation du CNET-Lannion : le numérique en transmission, la commutation
temporelle, le soutien par la physique et les composants, et, en ‘danseuses ‘
l’optique, la parole.
En matière de personnel, l’objectif du directeur est un ‘ingénieur’ sur deux agents,
avec la nécessité de formation. Mais il se heurte à des problèmes logistiques
formidables : des locaux en retard, des logements où il faut faire pression sur les
autorités locales, de problèmes de télécommunication où les besoins en données
augmentent rapidement et où il faut relier deux centres de recherche éloignés.
‘L’autoroute de l’Ouest’, la visioconférence, les prémices des réseaux de données
apporteront des réponses.
Les grands domaines de recherche ont été les satellites et les composants associés,
notamment le maser à hydrogène ; la transmission numérique sur paires
symétriques à 2 et 8 Mbit/s, sur coaxial à 108 Mbit/s, pour la télévision à 108
Mbit/s, les faisceaux hertziens à 52 Mbit/s, et sur le guide d’ondes
millimétriques ; la commutation temporelle avec en 1963 le projet Platon et en
1970 sa mise en service à Perros-Guirec.
En parallèle se sont développées des visions du futur.En traitement de la parole, il
s’agissait initialement de réduire la bande passante et le ‘vocoder’ de Ferrieu a été
une réussite. Ensuite, les premières reconnaissances vocales sont apparues. En
communications optiques, Libois était favorable au calcul et au stockage optiques,
mais il ne crut aux fibres optiques qu’en septembre 1971 avec les premiers
résultats convaincants. Les autres innovations visionnaires de Libois concernaient
le rôle de l’informatique, le poids des composants et les problèmes d’énergie. Il
ne fit une erreur de pronostic que sur la supraconductivité.
Les activités mises en place à l’origine ont débouché sur la création d’une
industrie en transmission numérique et en commutation temporelle ; sur la
création de compétences qui ont débouché dans l’industrie dans les années 1980
en optique, en écrans plats et en traitement de la parole ; sur une priorité reconnue
ultérieurement en qualité et en fiabilité.
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Jean Duquesne, ancien du CNET, a parlé de L-J. Libois dans son rôle de
Directeur du CNET..
A l’automne 1968, P. Marzin est nommé DGT et L-J. Libois le remplace à la
direction du CNET. Il s’occupe d’abord de l’organisation du CNET où jusque là
tout remontait au Directeur. Il crée des Secteurs techniques : commutation,
transmission, distribution, composants et physique. Il regroupe les Départements
en Groupements homogènes impliquant Issy et Lannion. Il ajoute un Secrétariat
général, d’abord confié à René Cotten. Enfin il crée une Direction scientifique
confiée à Pierre Lapostolle.
Il s’occupe d’assurer un meilleur suivi des études. Il crée une comptabilité
analytique permettant de savoir et de prévoir le coût d’une action, aussi bien pour
une étude interne que pour un marché d’étude externe. Après l’ « affaire Jannès »
où l’ancien directeur met en cause le coût des matériels, il confie à des
administrateurs l’organisation d’un service de Contrôle des prix industriels, que
René Cotten puis Michel Deslandes ont animé.
Dans sa direction du CNET, L-J. Libois a introduit une gouvernance de la
recherche efficace et bien éloignée de la gouvernance bureaucratique trop souvent
à l’œuvre..Les premiers résultats de son action étaient visibles dès 1971...
Une discussion est ouverte par le président. Maurice Bernard présente les
remarques que Robert Chapuis, longtemps représentant des télécoms françaises
à l’IUT, lui a demandé de faire.sur l’intérêt de L-J. Libois pour les relations
internationales.. Il cite notamment un ouvrage de celui-ci sur « Les horlogers du
Roi « qui parle de ses ancêtres. La discussion sera reprise sur le forum de l’AHTI
([email protected])
Après le CNET (1971-2009)
Michel Dubos, qui fut à son cabinet, évoque le rôle de L-J. Libois comme
Directeur général des télécommunications, DGT, de 1971 à 1974.
M. Dubos retient quatre points forts de l’action de L-J. Libois comme DGT : sur
le financement des télécoms, sur l’écoulement du trafic, sur l’organisation du
réseau et sur la gestion du personnel. .
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Sur le premier point, le DGT est conscient du retard pris par la France au début
des années 1970 et, sous le ministère de Robert Galley et avec le soutien de
Jérome Rémy et de François Petit, il réussit à lancer les premières sociétés de
financement des télécoms qui apportent des moyens financiers, certes chers, mais
importants.
Sur le trafic, il se préoccupe particulièrement du télex, alors très utilisé, et des
données informatiques, qui commencent à prendre de l’importance. En fait sa
démarche est prémonitoire sur la transmission de paquets qui sera utilisée par
Transpac.
Sur l’organisation du réseau, il constate le découpage qui nuit à l’unité du réseau
général. Il commence par réunir dans la DTRN, Direction des télécoms
nationales, les LGD et quelques activités annexes, puis il réunit dans la DTRE, la
Direction des télécoms des réseaux extérieurs, les liaisons internationales par
câbles terriens et par câbles sous-marins, les liaisons par radio de la DSR et les
liaisons par satellites. Toutes ces fusions ont été conduites avec beaucoup de
concertation, mais aussi avec une volonté de décision.
Sur la gestion du personnel, une première mesure du DGT a été de clarifier le
rôle gestionnaire des administrateurs. Il s’est ensuite inquiété du manque de
techniciens et a engagé une action auprès de la Fonction publique pour la création,
chose peu facile, d’un nouveau corps d’Insti, inspecteurs sur titres, qui sera très
utile pendant la phase de croissance.. Il a encore insisté auprès des Régions pour
que les cadres soient mieux encadrés et mis à l’aise par des jeux collectifs.
Deux mots peuvent résumer son action pendant le court temps de quatre années
où il fut DGT : humanisme et intransigeance.
Le président ajoute la reconnaissance à L-J. Libois d’avoir donné la
responsabilité de tous leurs moyens aux directeurs régionaux, dans le cadre des
PTT. L-J. Libois était aussi bon comme chercheur que comme directeur. Il le
montra aussi à la direction de la Caisse des télécoms.
Bruno Brochier, Conseiller maître à la Cour des comptes, a évoqué la
nomination de L-J. Libois à la Cour et son rôle comme Conseiller maître de 1977
à 1986.dans le texte suivant.
La commémoration des grandes étapes du parcours professionnel de Louis-Joseph
Libois au sein de la sphère de la Direction générale des télécommunications nous
a donné la mesure de l’ampleur et de la diversité des actions et des talents qu’il a
su développer en terrain scientifique. Nous avons ainsi retrouvé tour à tour les
différentes facettes de sa personnalité :
- le visionnaire de l’avenir des réseaux numériques intégrés
- le pionnier créateur du pôle breton du CNET à Lannion avant d’être porté
à la tête de l’ensemble de notre grand centre de recherche et d’innovation de
renommée mondiale
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- enfin le responsable des télécommunications françaises dans la période où
s’est amorcé l’extraordinaire essor industriel et social des technologies de
l’information et l’émergence de la future entreprise France Télécom.
En août 1977, quittant l’univers de la Direction générale des télécommunications
qui avait été le sien pendant plus de 35 ans et dont il avait atteint les sommets,
c’est à la Cour des comptes, au cœur de l’Etat, que L-J. Libois est venu consacrer
une dernière décennie de vie professionnelle au service de ses concitoyens. Cette
phase ultime d’une carrière exemplaire a été unanimement reconnue comme
réussie par ses nouveaux collègues dont L-J. Libois a rapidement et pleinement
adopté la condition. Son intégration dans la communauté des magistrats financiers
a été favorisée par trois facteurs : le respect que la Cour a porté à l’homme de
science, l’utilité de son expérience au moment où le champ des contrôles de la
Cour devait être étendu aux entreprises publiques, son engagement à part entière
dans tous les travaux qui constituent le métier de conseiller maître.
Le respect de l'homme de science
En accueillant L-Jo. Libois, la Cour des comptes se trouvait hors des filières
classiques d’accès à sa maîtrise, qui ont le plus souvent leur origine parmi les
anciens ambassadeurs, les anciens préfets et autres hauts dignitaires de l’Etat, de
culture plus fréquemment littéraire que scientifique. La nomination de L-J. Libois
à la maîtrise de la Cour des comptes s'inscrivait en revanche dans la tradition
selon laquelle la République a besoin de savants.
Cette thèse héritée du siècle des lumières reste encore objet de controverses. Mais
la Cour des comptes l'a fait sienne de longue date, en accueillant bon nombre
d’ingénieurs dans ses rangs, et jusque dans les plus hauts niveaux de
responsabilité de la juridiction. Ainsi, c'est un polytechnicien qui assure
aujourd'hui les fonctions de Procureur général. C'est aussi un polytechnicien qui
fut Premier président dans les dernières années qui ont précédé la deuxième
guerre mondiale. Dans l’humilité et la discrétion qui le caractérisaient, L-J. Libois
fait partie de ces grands commis qui réussissent à la fois à faire progresser la
science et à organiser l'administration. Son destin rejoint ceux d’un Gaspard
Monge, d’un Lazare Carnot et d’autres éminents personnages de notre histoire.
La figure la plus proche de L-J. Libois pourrait être à cet égard celle de Joseph
Fourier que l’Empereur nomma préfet de l’Isère. J. Fourier, tout en assumant les
plus hautes fonctions administratives dans un département difficile, berceau de la
Révolution, et tout en assurant par ailleurs le parrainage des recherches du jeune
Champolion sur les hiéroglyphes, persévéra dans ses travaux mathématiques de
modélisation de la propagation de la chaleur au point d’être parfois considéré en
climatologie comme le « père » de l’effet de serre et dans les technologies de
l’information, comme l’un des « pères » du numérique. Sous certains de ces
aspects, tout spécialement l’intérêt pour le numérique, les affinités intellectuelles
entre Fourier et Libois sont manifestes.
Le respect de ses collègues de la Cour pour l'homme de science qu’était L-J.
Libois est sans doute la raison fondamentale du bon accueil qui a été réservé rue
Cambon au nouveau conseiller maître. Du reste, lorsque, à l'occasion de son
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départ à la retraite, le Procureur général a, selon la coutume, prononcé l'éloge du
magistrat qui s'éloignait de la Cour, il exprima avant tout son admiration pour le
savant qui fut pendant de nombreuses années le chef de file de la recherche
française en télécommunications. Comme L-J. Libois dans sa remarquable
modestie ne faisait jamais état de ses mérites scientifiques, la Cour découvrit avec
étonnement qu'un de ses membres avait réalisé en 1959 le premier calculateur
électronique français entièrement transistorisé, baptisé Antinéa. La Cour des
comptes savait gré au conseiller Libois d'avoir largement contribué au
rayonnement de la juridiction par ses participations actives aux nombreux comités
et sociétés savantes qu’il a animés et présidés dans les disciplines de
l'informatique et de l'électronique. Leur énumération serait trop longue, mais l'on
soulignera que certains de ces forums, comme la Conférence européenne des
ingénieurs électroniciens ou le bureau du Conseil mondial de l'informatique,
avaient une influence qui dépassait les frontières de l'hexagone,
L’utilité de son expérience industrielle
Au moment où L-J.Libois a rejoint la Cour, celle-ci était confrontée à une
question nouvelle et essentielle : l'extension récemment décidée du champ de ses
compétences au contrôle des entreprises publiques. Une forme de contrôle avait
bien été instituée en 1948 dans le cadre de la Commission de vérification des
comptes des entreprises publiques (CVCEP). Mais cet organisme satellite de la
Cour n’était plus adapté et, par un amendement parlementaire inséré dans une loi
du 22 juin 1976, la Cour avait absorbé la CVCEP. Certes, la création par la même
loi des « conseillers maîtres en service extraordinaire », recrutés parmi les
anciens dirigeants de ces entreprises ou leurs fonctionnaires de tutelle, tendait à
renforcer les capacités d’examen de leur gestion par la Cour. Mais ces nouveaux
conseillers étaient engagés pour une durée limitée à quatre années non
renouvelable et n’étaient pas membres de la Cour : ils coopéraient seulement à
l’exercice de ses fonctions non juridictionnelles.
Tandis que L-J. Libois, étant nommé magistrat financier à part entière, il a pu
apporter à la Cour dans la durée le bénéfice de son expérience industrielle. Il fut
affecté à la sixième chambre et chargé du secteur public de l'énergie, ce qui
couvrait notamment EDF-GDF et leurs filiales. Sans préjudice du principe de
collégialité qui s’applique à toutes les décisions de la Cour, L-J. Libois avait la
responsabilité principale des contrôles de ce secteur. Il a parallèlement beaucoup
contribué à une critique constructive et bien nécessaire de l’action de l’Etat dans
le domaine de l’informatique. Il prit une large part à l'établissement d'un bilan en
profondeur des politiques informatiques françaises qui se sont succédé. La
pertinence de cette étude conduisit la Cour à faire connaître aux citoyens ses
conclusions en les insérant dans son rapport public annuel.
Le magistrat financier de plein exercice
Le conseiller Libois a donc participé directement à l'accomplissement de la
mission de la Cour telle qu'elle ressort de la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen. Dans son article 15, magnifiquement rédigé, cette déclaration nous
rappelle en effet que « la société a le droit de demander compte à tout agent public
de son administration» ». La clarté des analyses de la Cour et la neutralité de ses
14
points de vue sont nécessaires pour concrétiser ce droit. Ces considérations sont le
fondement de la fière devise de notre juridiction, « dat ordinem lucendo ».
Le conseiller Libois a d'emblée pleinement adopté ces valeurs. La justesse et
l'intégrité de son jugement ont été remarquées et l’ont qualifié pour conduire ou
participer à des réflexions sur des questions sensibles telles que la « mission de La
Génière » sur l'analyse des coûts et délais du programme électronucléaire. De
façon moins spectaculaire, il s'attacha à ne négliger aucun des travaux classiques
de la Cour, parfois ingrats et toujours exigeants. Il prit en charge par exemple la
mise à jour du manuel de vérification par l'élaboration un chapitre sur le contrôle
des services informatiques qui faisait cruellement défaut. Il a même été associé à
l'instruction d'une « gestion de fait », l’infraction dont le jugement par la Cour
exige la plus grande virtuosité juridictionnelle. Point n'est besoin de s'étendre plus
longuement sur les nombreuses contributions de L-J. Libois pour comprendre
qu'il a été, comme l'a rappelé Marcel Roulet, un conseiller maître à la Cour des
comptes « remarqué » et qui a su très judicieusement apporter à cette institution
tout le bénéfice de son expérience antérieure.
Il est amusant d'évoquer pour terminer cette brève rétrospective des mérites de LJ. Libois celui d’avoir fait rénover l'installation téléphonique du palais Cambon.
Ce bâtiment admirable a, entre autres qualités, une architecture parfaitement
fonctionnelle mais d'une fonctionnalité datant de 1912, donc presque octogénaire
lorsque le conseiller Libois fut installé dans son cabinet de travail, bureau partagé
selon l'usage avec un autre conseiller. Quel ne fut pas son étonnement d'apprendre
que le téléphone, instrument pourtant parfaitement adapté au métier de magistrat
financier, n'avait été installé dans les bureaux de la Cour qu'après la deuxième
guerre, et non sans réticences puisque ce projet d'équipement avait dû être soumis
à une consultation et ne l'avait emporté que d'une voix. Quoi qu'il en soit en 1977
chaque cabinet ne comportait encore qu'un seul téléphone pour deux personnes, et
la Cour n’était pas équipée de PABX. L-J. Libois s'empressa de diligenter un
audit et de faire doter la Cour des perfectionnements les plus récents du téléphone.
Ce « delta LP » tardif de la rue Cambon n'est sans doute pas le moindre des
services rendus par cet éminent magistrat financier à sa nouvelle maison
d’adoption.
Comme ses collègues, L-J. Libois a dû, après sa nomination, prêter serment
devant tous les magistrats solennellement réunis dans la Grand Chambre pour être
admis à exercer ses fonctions en toute indépendance. Inamovible, il a pris trois
engagements :
- de servir « bien et fidèlement »,
- de « garder religieusement le secret des délibérations »
- et de « se conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. »
Nul doute que ses exceptionnelles qualités humaines, en particulier, comme l'a
souligné Jean Duquesne, l'attention qu'il a toujours donnée aux hommes avec qui
il a travaillé lui ont permis de conférer toute sa portée à ce serment.
Jacques Vincent-Carrefour, qui, ancien du CNET, accompagna la démarche de
L-J. Libois, raconte la création de l’Académie des technologies.
15
J’ai évidemment approché Libois lorsqu’il était directeur de Lannion, y étant moimême ingénieur chargé de l’informatique. Mais je l’ai revu plus tard et fréquenté
beaucoup plus étroitement lorsque nous étions tous les deux au CADAS, puis à
l’Académie des technologies. Je n’ai en fait que peu de traces écrites de cette
époque ; voici donc plutôt des souvenirs.
Quelques mots sur ce CADAS. Beaucoup de grands pays avaient créé depuis
longtemps des Académies d’ingénieurs, alors qu’en France il y avait beaucoup de
réticences à le faire pour des raisons difficiles à exprimer, je pense au moins
partiellement liées à la concurrence entre Universités et Ecoles d’ingénieurs. Quoi
qu’il en soit, c’est en 1982 que l’Académie des Sciences créait en son sein le
Comité académique des applications de la science, le CADAS, composé pour
moitié de membres de l’Académie des sciences et pour moitié de personnalités
extérieures. Parmi les huit personnalités choisies au départ on relève les noms de
Hubert Curien, président du CNES, et de Erich Spitz, directeur technique et de la
recherche de Thomson-CSF. Le CADAS devenait à la fin des années 1980 le
‘Comité des applications de l’Académie des sciences’ puis en 1992 le ‘Conseil
pour les applications de l’Académie des sciences’.’
L’un des premiers objectifs du CADAS fut d’élargir ses compétences à d’autres
disciplines, tout en restant très proche des milieux de la recherche. Cinq divisions
furent créées, dont une division ‘Informatique et Optique’ à laquelle
ressortissaient les télécommunications. Parmi les premiers nouveaux membres
cooptés, on relève les noms de Pierre Aigrain et Pierre Faurre en 1984, de
Jacques-Louis Lions en 1985. Elu en 1987, Louis-Joseph Libois fut le premier à
représenter pleinement les télécommunications.
Dès son arrivée, il s’est employé à mieux faire connaître cette discipline à ses
collègues. Pour ce faire, il voulu d’abord associer le CNET à son action. J’y étais
alors Directeur des programmes : il me proposa donc d’entrer au CADAS en tant
qu’Associé afin que je puisse participer aux séances et aux discussions, très
informelles à l’époque, et surtout aux travaux du Comité. Libois participait à
toutes les séances. Il avait un contact facile et la faible taille relative du CADAS
lui permettait d’en connaître tous les membres et d’en être lui-même bien connu.
Les échanges faciles en petits groupes lui permirent de convaincre beaucoup de
membres du rôle important des télécommunications dans l’économie. Assez
rapidement, nous avons pu faire un exposé en séance plénière, afin d’expliquer les
enjeux des télécommunications et les technologies sur lesquelles elles reposaient.
Je dois avouer que nous avons eu beaucoup de difficultés à convaincre nos
collègues de l’existence d’une spécificité « télécommunications ». Il ne faut pas
oublier que la moitié des membres du CADAS était issue de l’Académie des
sciences, donc très proches de la recherche scientigfique, que beaucoup des
personnalités extérieures recrutées venaient aussi de ces milieux, et que
l’informatique avait déjà pris une grande importance et était bien représentée au
CADAS. Sans que la chose soit explicitement formulée, le sentiment le plus
répandu parmi les membres était que les télécommunications s’appuyaient sur des
technologies très générales et pour le reste pouvaient être rattachées à
l’informatique.
16
Devant ce demi-échec, Libois changea un peu son fusil d’épaule – à moins qu’il y
ait aussi pensé dès le début. Il chercha à ce que les technologies les plus
nécessaires aux télécommunications soient mieux représentées au CADAS. C’est
ainsi que furent successivement élus membres Jean Jerphagnon en 1989 et JeanPierre Noblanc en 1990 – vous noterez qu’ils s’agissait de deux anciens du CNET
-, puis Laurent Citti en 1992.
Le 11 octobre 1994, Jean Jerphagnon animait un exposé sur les autoroutes de
l’information lors duquel ont été successivement évoqués les mutations
techniques sous-jacentes, les aspects économiques et industriels (Alain Vallée),
les services rendus et l’apprentissage social (Nicolas Curien). Cette présentation,
très écoutée, donna lieu à une discussion animée. Elle permit aux membres du
CADAS de bien saisir les enjeux des télécommunications et l’intérêt essentiel de
ce domaine pour le développement de l’économie et de la société et donc la
nécessité de l’intégrer dans les réflexions du CADAS. Le 12 décembre 1995,
Jean-Pierre Noblanc présentait la microélectronique silicium en France, séance
qui sera complétée un an plus tard, en février 1997, par un exposé sur les
composants microélectronique.
Durant toute cette période, Libois et moi nous rencontrions très régulièrement aux
séances mensuelles du CADAS. Nous étions souvent assis côte à côte
et commentions ensemble les sujets évoqués : recherche, formation, liens avec
l’industrie, bien d’autres évidemment qui tous le passionnaient. Il restait très
proche de la recherche et des télécommunications, avec l’inquiétude de voir se
réduire les résultats obtenus dans ce domaine, ne serait-ce que parce que l’avance
acquise conduisait tout naturellement les membres du CADAS, et pas seulement
eux, à porter leurs réflexions vers des domaines où le pays avait pris du retard. En
fait, il voyait bien que les bouleversements des télécommunications devaient
continuer encore longtemps et qu’il ne fallait donc pas diminuer l’effort.
A cette époque, France Télécom se détachait progressivement de l’Etat., Libois
s’inquiétait tout naturellement du devenir de la recherche en télécommunications.
Il fût certainement pour beaucoup dans la création par le CADAS d’un groupe de
réflexion sur le sujet, groupe confié à Jean Jerphagnon et à moi-même. Dans une
première étape, cette mission nous conduisit à organiser, le 14 janvier 1997, une
séance consacrée au devenir de la recherche publique en télécommunications,
avec la participation de Jean-Pierre Poitevin alors Directeur du CNET. Il faut
rappeler qu’à peu près au même moment le ministre chargé des PTT confiait à
Didier Lombard et Gilles Kahn une mission sur la recherche et le développement
en télécommunications. Ils devaient rendre leur rapport le 27 février 1997.
Peu de temps après, le Président de la République demandait à Jacques-Louis
Lions, alors Président du CADAS, de conduire une large réflexion pour « orienter
un développement harmonieux de la société à l’aube du XXIème siècle ». Très
rapidement, Lions m’écrivait pour me demander d’interrompre mon groupe de
travail dont l’activité serait reprise au sein du Comité 2000 mis en place pour
répondre à la demande du Président de la République.
Dans ce contexte bouillonnant, les techniques elles-mêmes connaissaient une
évolution importante avec l’apparition ou plutôt la concrétisation de ce que l’on
17
appelait déjà les TIC, Technologies de l’information et de la communication,
intégrant informatique et télécommunications. Un groupe de travail permanent du
CADAS leur sera consacré. C’est dans ce cadre que les différents aspects des
télécommunications seront désormais traités – et le sont encore aujourd’hui. En
2000, le CADAS devenait l’Académie des technologies, sortant de l’Institut et
acquérant une pleine indépendance. Libois continua à y paraître et j’avais de
temps à autre plaisir à bavarder avec lui. Puis nous nous sommes éloignés, lui vers
la Bretagne, moi vers le Midi.
Je ne pense pas exagéré de dire que, là encore sans avoir l’air d’y toucher, il aura
été un pionnier. Il a su convaincre de l’importance des télécommunications pour
l’économie et trouver les mécanismes qui permettent encore aujourd’hui à
l’Académie des technologies de les intégrer en permanence dans ses réflexions.
D’autres ont repris maintenant le flambeau à l’Académie : Jean-Pierre Coudreuse
et Pascal Viginier notamment.
A ces exposés sur le parcours professionnel de l-J. Libois, s’est ajouté un exposé
de son neveu Jean-Marc Libois portant sur la vie familiale de son oncle, ce qui
servira de conclusion à la réunion.
J-M. Libois vante les qualités de L-J. Libois, sa générosité, sa discrétion, son
intelligence, son esprit critique. Il raconte que L-J. Libois a écrit un ouvrage
intitulé « Terra incognita » où il. parle de son intérêt pour le nombre d’or, des
peintres qu’il apprécie, des poètes qu’il aime, comme Valéry ou Baudelaire. J-M.
Libois cite quelques cers du « Cimetière marin ».et d’un poème de Baudelaire.
Le président clôt la séance en remerciant les hommages rendus à Louis-Joseph
Libois qui restera un modèle bien au-delà des télécommunications.
Genèse et croissance
des télécommunications
par Louis-Joseph Libois
éd. Masson, 1983
(extraits)
L-J. Libois n’a pas seulement été un remarquable ingénieur, un grand
directeur et un haut fonctionnaire juridique, il s’est aussi livré à un travail
d’historien, en reprenant, à partir de données de base, l’histoire des
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télécommunications de l’origine au XIXème siècle jusqu’aux années 1980.
son travail est particulièrement intéressant dans les domaines où il apporte
son expérience personnelle, comme dans la naissance des techniques
numériques, et dans les périodes qui ont été peu examinées par les historiens.
Les Cahiers ayant déjà publié son important article sue « La commutation
électronique » dans les premiers numéros des Cahiers en mars 2004, c’est à
son livre d’histoire que s’intéresse ce n° spécial consacré à sa mémoire.
L’extrait qui a été choisie et qui est repris avec quelques coupures ci-dessous
concerne la période de l’Entre-deux-guerres.
Extraits du § 5, pp . 69-85
Heurs et malheurs du téléphone en France entre les
deux Guerres mondiales.
On trouve encore des arriérés qui veulent nous faire
honte d’un petit nombre d’appels téléphoniques par tête
d’habitant
Alain
Le téléphone n’est vraiment utile qu’aux hommes qui
font de grosses affaires ou aux femmes qui ont quelque
chose à dissimuler.
Colette
Le problème du téléphone à Paris était l’une des préoccupations majeures
de l’administration française au lendemain de Première Guerre
mondiale.L’une des questions essentielles avait été le choix d’un système de
commutation pour la capitale. Mais la Région parisienne, quelle que soit son
importance, ne doit pas faire oublier la Province.
Toutefois, avant d’examiner l’évolution du réseau téléphonique en
province, il nous paraît utile de rappeler quelle était la situation du téléphine
en France à la fin de la Guerre.
Insuffisances et déficiences de l’équipement téléphonique
Un programme quinquennal avait été établi et même déposé à la Chambre
des députés le 12 juillet 1914, à la veille des hostilités. En 1916,
l’administration des PTT insista à nouveau pour obtenir le vote du projet,
mais le ministre des Finances demanda l’ajournement ; les travaux ne purent
commencer avant la fin de la guerre.
Le concert de lamentations sur l’état du téléphone en France reprit donc
allègrement au début des années 1920.
« Il y a une crise du téléphone en France, il serait vain de le nier ou d’en contester la
gravité », écrit en 1022 dans L’Illustration économique et financière Paul
Lafont, sous-secrétaire d’Etat aux PTT, qui ajoute : « Trop souvent l’abonné
19
impatient incrimine le personnelet, d’échelon en échelon, remonte la hiérarchie jusqu’au
gouvernement […]. Volontiers il résume son mécontentement dans cette invective : Si l’Etat
est incapable d’exploiter le téléphone, qu’il passe la main à l’industrie privée. »
Les propos de Paul Lafont rejoignent ceux tenus par Henry Fayol, à qui un
rapport avat été demandé sur l’organisation des PTT. Fayol remet le 5 février
1921 les conclusions de son étude, dans un document intitulé L’incapacité
industrielle de l’Etat : les PTT. Ce rapport de 80 pages mériterait une analyse
détaillée, nous nous contenterons d’un extrait de la conclusion :
« Une puissante organisation téléphonique est aujourd’hui indispensable aux nations
industrielles. Or, de l’avis des ingénieurs compétents, .nous sommes en retard de plus de dix
ans sur les Etats-Unis, tant au point de vue du développement qu’à celui des méthodes et de
l’outillage […].Pendant que nous nous enlisons, l’Allemagne vaincue couvre son territoire
d’un réseau téléphonique plus puissant que celui dont nos projets les plus ambitieux nous
doteront. La gestion directe de l’Etat ne pouvant nous mettre en bonne situation, il faut
évidemment recourir à l’industrie privée. »
Le verdict est sans appel. L’opinion des Français sur leur téléphone est
d’ailleurs confortée par celle exprimée par des visiteurs étrangers. Ainsi, en
1923, on lit dans La revue du téléphone, télégraphe et TSF :
« Une haute personnalité américaine […}confiait récemment à l’industriel Gaston
Meunier, sénateur : J’ai vu en France des choses qui m’ont émerveillé. La culture de votre sol
confine au jardinage, la reconstruction de vos provinces est un tour de force sans précédent.
La France est vraiment un grand peuple et , parce que je l’ai jugée ainsi, je reste confondu
devant la défectuosité de votre téléphone. »
Elaboration d’un plan de redressement
On pourrait multiplier les citations de ce genre.Les doléances exprimées par
les usagers ne laissent indifférents ni le gouvernement, ni le Parlement ; tous
deux étaient bien conscients de l’état du réseau téléphonique français à la fin
de la Guerre et estimaient qu’il y avait lieu de procéder à des réformes. Ainsi,
en 1921, la Chambre des députés, réunie en séance extraordinaire le 22
décembre de cette année, examina deux projets de loi : l’un sur
« l’amélioration et l’extension du réseau et de l’outillage téléphonique à Paris
et dans les départements », l’autre sur « la réforme financière du Service des
postes et télégraphe .»
L’exposé des motifs du premier projet,présenté par Yves Le Troquer,
ministre des Travaux publics, et Paul Doumer, ministre des Finances,
commençait ainsi :
« L’infériorité de la France au point de vue du service téléphonique, souvent affirmée à la
tribune du Parlement, […] est due à trois causes principales ; l’insuffisance du nombre de
grands circuits interurbains, le développement insuffisant des réseaux urbains, l’insuffisance
et la vétusté d’une grande partie des installations . »
Le jugement est catégorique et le diagnostique est clair. On relève encore
dans l’exposé des motifs cette comparaison :.
« Le nombre des postes téléphoniques par 100 habitantsest en France de 0,77, alors qu’il
est de 4,9 en Suède, 4,7 au Danemark, 3,7 en Norvège, 2,è en Suisse, 1 ;1 en Angleterre. ? »
L’exposé des motifs comporte un examen détaillé des insuffisances
énumérées, propose des solutions et évalue de manière précise le montant des
dépenses correspondantes. On note également de nombreuses références au
20
système des « avances remboursables. » Il est constaté que ces avances ont
été utilisées pour la réalisation de circuits interurbains ;
« L’Administration n’ayant disposé que de crédits budgétaires trop exigüs et certaines
années même d’aucun crédit pour la construction de nouveaux circuits téléphoniques, la
construction et l’extension du réseau interurbain ont été poursuivis sous le régime des
avances remboursables, régime prévu par la loi des 16 juillet 1889 et 10 mai 1890. »
Mais les rapporteurs constatent que l’utilisation des avances remboursables
pour la réalisation du réseau interurbain présente de nombreux inconvénients
et exige la réalisation d’un plan d’ensemble. Ils proposent en conséquence de
limiter l’appel à cette source de financement, en ce qui concerne tout au
moins le réseau interurbain. Pour les réseaux ruraux, au contraire, ils
préconisent un recours systématique aux avances remboursables. :
« Etant donné la lourde charge qui va incomber à l’Etat,du fait du développement
nécessaire du réseau général et des améliorations à à réaliser dans les réseaux
départementaux existants, les nouvelles installations dans les communes rurales seront
exclusivement poursuivie à l’aide d’avances, suivant le régime constitué par les lois de 1889
et 1890. L’Administration n’a d’ailleurs rencontré jusqu’ici aucune difficulté sérieuse dans la
constitution de ces avances. »
Quant au projet de loi lui-même, il mentionne :
« Est autorisé jusqu’à concurrence de 1 675 millions de francs l’engagement des dépenses
relatives aux travaux d’extension et d’amélioration du réseau et de l’outillage téléphonique à
Paris et dans les départements, les dépenses correspondantes ne pouvant être engagées qu’en
vertu de décisions prises en accord avec le ministre des Finances. »
Il était prévu que la dépense totale serait répartie sur huit exercices,
correspondant ainsi à une dépense moyenne de 200 millions environ par
exercice. Il s’agissait donc d’un véritable plan pluriannuel : les dépenses
inscrites au projet de loi étaient réparties en un certain nombre de rubriques
bien définies, les deux principales étant les circuits du « réseau intérieur »
(561 millions) et les « commutateurs automatique » (475 millions).
Mise en place d’une nouvelle structure financière des P et T
Dans la même séance du 21 décembre 1921, fut examiné le projet de loi
concernant « la réforme financière du Service des postes et télégraphes ».
L’exposé des motifs mérite également d’être rappelé. Il débute ainsi :
« Les services postaux, télégraphiques et téléphoniques étant un organisme essentiel à la
vie sociale, leur fonctionnement a une influence considérable sur les intérêts généraux du
pays.Aussi la question d’un nouveau régime d’exploitation devant procurer une meilleure
gestion du monopole postal s’est posée depuis longtemps. »
On notera encore, quelques alinéas plus loin :
« La conception d’une exploitation du monopole de l’Administration des P et T dans un
sens beaucoup plus industriel que fiscal ne rencontre aujourd’hui que des partisans. Or le
régime financier des P et T n’est compatible ni avec les charges immédiates qu’entraîne la
réalisation d’un programme de travaux de quelqu’importance, ni avec les principes d’une
gestion iondustrielle. »
Le projet de loi proprement dit comportait 124 articles, l’article 1er étant :
« Article 1er- Les recettes et les dépenses de l’Administration des P et T feront l’objet d’un
budget annexe rattaché pour ordre au budget général de l’Etat.. Ce budget comprendra deux
21
sections ; à la première figureront les recettes et les dépenses de l’exploitation ; la deuxième
sera affectée uniquement à des dépenses de premier établissement (installations nouvelles,
travaux complémentaires d’agrandissement ou d’extension) autorisés par la loi des Finances
ou par des lois spéciales et aux recettes prévues par ces mêmeslois pour couvrir ces
dépenses. »
Cependant, à la suite de divers avatars, renvois en commissions
notamment, il faudra attendre le vote de la loi des Finances du 30 juin 1923,
pour que le budget annexe des Pet T soit définitivement établi.
Quelle était la situation après l’adoption de la loi de 1923 ? Depuis 1913, le
téléphone n’avait plus fait l’objet de véritables programmes.Le « Plan de
1923 » apportait un espoir nouveau. Il comportait des « tranches » - on
parlerait aujourd’hui de « plan glissant » - afin que l’administration puise le
remettre au point « au moment de la préparation du budget de chaque
exercice .»
Les dispositions techniques envisagées pour établir le « service
téléphonique universel » portaient sur quatre points principaux :
« - Fournir aux abonnés des postes téléphoniques nets et puissants de types aussi unifiés
que possible et veiller à ce que leurs lignez soient en bon état d’entretien ;
- Construire des lignes qui assurent un minimum de qualité de transmission et y installer
des postes d’amplification ou ‘répéteurs’ pour pallier l’affaiblissement du signal électrique
sur de longues distances ;
- Réorganiser le réseau interurbain, dont l’insuffisance, déjà reconnue en 1914, s’était
révélée d’une manière beaucoup plus criante lors de l’essor économique consécutif à la
Guerre ;
- Poursuivre l’automatisation, afin de diminuer le nombre des opératrices.intervenant
dans l’établisseùent d’une communication à grande distance et de se passer même tout à fait
d’elles dans l’établissement d’une communication locale. »
Le vote de la loi de 1923 marque un tournant important dans l’histoire des P
et T en France. Allait-on profiter de toutes le possibilités que semblait offrir
cette réforme ? Ce fut le cas au début, comme on a pu s’en rendre compte
avec l’effort considérable de rénovation et d’expansion entrepris à Paris.Mais,
ainsi que déjà mentionné, la politique de déflation qui intervint à partir de
1934, puis la Seconde Guerre mondiale, et aussi l’absence de plan pour les
télécommunications après la fin de cette Guerre allaient freiner brutalement le
redressement entrepris vers 1930.
Développement de la commutation automatique en province
Dans le paragraphe suivant, l’auteur raconte la volonté de l’Administration
de s’affranchie de la technique étrangère, en faisant développer un central
automatique de conception française, qui s’appellera le R6, sera installé à
Paris et en province et sera enrichi d’enregistreurs. Mais le coup de frein aux
investissements interrompit cet effort de modernisation.
La longue péripétie de l’ « automatique rural »
Le troisième volet de l’équipement téléphonique français concernait les
zones à faible densité de population, notamment les zones rurales. Quelles
solutions convenait-il d’adopter ?
Lorsque le téléphone prit naissance dans les campagnes, on se contenta
d’installer dans le bureau de poste de la commune |…] un commutateur
22
manuel. […]. Un ou plusieurs circuits locaux le reliaient à un bureau plus
important et ainsi jusqu’à une localité assez importante pour être dotée d’un
central téléphonique disposant de circuits interurbains. Cette exploitation des
« tableaux manuels » par les employés de la poste était loin de donner une
bonne qualité de service. […]
Les procédés automatiques apparurent vite en mesure d’apporter des
solutions. La solution mise à l’essai autour de Rouen et Le Havre, vers
19125, .consistait à utiliser des autocommutateurs semblables à ceux des
grands réseaus, mais de petite capacité (50 lignes), qui permettaient aux
abonnés locaux de s’appeler au cadran. En outre quelques numéros
correspondaient à des circuits vers un centre important […]..Mais les
dépenses correspondant à la transformation des postes d’abonnés et à la
création de circuits nécessaires n’apparurent justifiées que pour les zones
peuplées, comme les banlieues des grandes villes.
Pour les campagnes à population dispersée et moins de 5 abonnés, un cahier
des charges fut soumis par l’Administration à divers constructeurs en 1925. Il
prévoyait de remplacer les commutateurs manuels des bureaux de poste par
de simples armoires contenant un « semi-commutateur. » robuste et
d’entretien facile, pour concentrer l’exploitation manuelle dans des « centres
de groupement » disposant d’un effectif spécialisé assurant la permanence du
service. Les postes téléphoniques étaient seulement dotés d’une « magnéto
d’appel ».[…]. Huit matériels différents furent expérimentés et le système dit
« automatique rural » fut retenu par Georges Mandel, ministre, en 1935. […].
L’équipement des réseaux ruraux fut entrepris dans toute la France à partir de
1936.
Le système semli-automatique répondait aux espoirs dans les zones à faible
densité, desservies par lignes aériennes et reliées à des centres de groupement
manuels. Mais à partir du moment où un centre de groupement était doté d’un
autocommutateur établissant des communications interurbaines et où la
densité et le trafic atteignaient un certain volume, le système rural n’était plus
justifié.
En 1938 on comptait 28 000 points de commutation […], en 1968 il en
restait 25 000 pour 3,6 millions d’abonnés. Pour passer du service semiautomatique au service automatique intégral, il fallut reprendre entièrement la
constitution des réseaux ruraux et diminuer notablement le nombre de points
de commutation.
La généralisation
de l’automatique rural a rendu moins urgente
l’automatisation des campagnes, mais en revanche elle a retardé notablement
l’automatisation intégrale du territoire. Que penser de cette solution adoptée
en 1935, au moment où l’essentiel semblait être de réduire les coûts de
premier établissement, même au risque de difficultés à long terme ? Une
opinion que l’on peut juger objective a été émise à ce sujet par la
Commission de contrôle de la gestion du service public du téléphone dans un
rapport déposé le 18 février 1974 à l’Assemblée nationale .
« Ce système présentait des avantages qu’il ne saurait être question de nier. Il assurait de
façon satisfaisante le service permanent des abonnés ; il s’installait facilement dans les
bureaux de postes sans nécessiter de gros moyens financiers ; les lignes d’abonné
continuaient à être construites en fils nus. Tout au plus procéda-t-on à quelques
aménagements, telsla suppression des petites capacités ou celle des centraux en troisième
23
position. En fait, l’automatique rural donna satisfaction tant que le trafic resta faible, les
abonnés ne se servant du téléphone que comme moyen de liaison exceptionnel.. »
Cependant, ajoute la Commission :
« L’insuffisance des moyens financiers conduisit non seulement à différer le passage à
l’automatisation intégrale, mais même à poursuivre jusqu’en 1967 la réalisation
d’installations périmées.. Un matériel vétuste et notoirement insuffisant fut donc acheté et
installé jusqu’à cette date. »
Développement des techniques de transmission
Dans ce paragraphe, l’auteur souligne l’importance des systèmes de
transmission en complément des systèmes de commutation. Il rappelle les
« bobines chargées » de Pupin en 1900, l’invention de la triode par Lee de
Forest en 1900, les premiers câbles souterrains en 1926.
Essor des systèmes a courants porteurs
L’auteur rappelle l’invention formelle des « courants porteurs » par E.
Colpitts et O. Blackwell eut lieu en 1921, faisant suite aux travaux de
Mercatier en 1889 puis de J. Stone en 1903. mais le premier essai d’un
système à courants porteurs a été expérimenté par l’ATT en 1914. Le
répéteur « à contre-réaction » de H. Black en 1927 améliore le système.
En France, le premier système « à 12 voies » date de 1937, domaine où P.
Marzin a fait ses premières armes.
En 1939, le réseau français comprenait environ 10 000 km de câbles à
grande distance, à base de « quartes à paires torsadées », et une centaine de
centres d’amplification.
Position de la France à la veille de la Seconde Guerre mondiale
Nous venons de voir quelle avait été l’évolution technique du téléphone
jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et quels étaient les principaux
événements qui avaient marqué l’histoire du téléphone en France jusqu’à
cette date. Pour faire le point, à la veille de la Guerre, c’est-à-dire à la fin de
1938, essayons de situer la position de la France par rapport aux autres pays à
la même époque.
Les critères de comparaison les plus courants sont d’une part la densité
téléphonique, mesurée en nombre d’abonnements principaux pour 100
habitants et en nombre de postes téléphoniques de toute nature (postes
principaux, postes supplémentaires, postes publics, postes de service, sous
réserve que ces postes puissent être reliés au réseau général), et d’autre part le
taux d’automatisation, c’est-à-dire le rapport entre le nombre d’abonnements
principaux desservis en automatique et le nombre total d’abonnements.
La densité téléphonique permet de mesurer le degré d’équipement
téléphonique d’un pays. La densité téléphonique, exprimée en postes de toute
nature, donne sans doute une meilleure appréciation du degré d’équipement
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téléphonique, vu sous un angle économique. Quant au taux d’automatisation,
il a été considéré, jusqu’au milieu du XXème siècle, comme le paramètre
permettant le mieux d’évaluer le degré de « modernité » d’un réseau
téléphonique.
Le tableau résumé ci-dessous donne la situation dans quelques pays à la fin
de 1938.
Pays
Densité d’abt.
d’automatisation
Allemagne
Etats-Unis
France
Grande-Bretagne
Japon
Suède
Densité de postes
2,97
5,20
15,27
3,79
6,74
1,90
12,47
2,38
4,30
1,39
10,38
Taux
88,18
40,91
45,55
54,59
34,89
40,61
On constate dans ce tableau une grande dispersion dans les densités
téléphoniques […] et un taux d’automatisation sans rapport direct avec les
densités téléphoniques..[…]. En France l’automatisation ne sera achevée que
tardivement en 1979.
Un autre critère de comparaison mérite d’être examiné : la vitesse à laquelle
s »est développé l’équipement téléphonique.
Le tableau résumé ci-dessous l’indice d’évolution des parcs de postes
téléphoniques dans l’Entre-deux-guerres, en prenant pour base 100 l’an
1921.
Pays
1923
1930
1938
Allemagne
115,2
Etats-Unis
110,7
France
118,4
Grande-Bretagne 116,4
Japon
106,4
Suède
103,2
159,1
145,5
229,0
196,0
211,7
140,0
217,7
143,8
316,5
322,0
337,3
211,7
On s’aperçoit que les dispersions dans les vitesses de croissance sont très
importantes.[…] En France, cette vitesse est moyenne et insuffisante pour
combler le retard. […]
En conclusion que constatons-nous en France durant cette période qui va
des lendemains de la Première Guerre mondiale à la fin des années 1930 ?
Tout d’abord une prise de conscience des déficiences de l’équipement
téléphonique français qui incite les pouvoirs publics à engager un important
plan de redressement et de rénovation, particulièrement efficace à
Paris.Ensuite, à partir du milieu des années 1930, les conséquences indirectes
de la grande crise économique se font sentir. : l’effort d’équipement se
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ralentit et l’insuffisance des moyens financiers conduit à l’adoption de
solutions, certes peu coûteuses dans l’immédiat, mais dont les effets pervers
se manifestent à long terme. Le développement excessif de « l’automatique
rural » est à cet égard très significatif.
De 1880 à 1920, le parc téléphonique français a représenté une fraction
comprise entre 7 et 8% du parc européen. Les actions entreprises après la
Première Guerre mondiale ont permis de porter cette proportion à 11%. Mais
ce ratio baissera à nouveau au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et
même au cours de la période d’expansion des années 1960. Il faudra attendre
le vigoureux effort de redressement des années 1970 pour que le réseau
téléphonique français retrouve enfin un rang honorable en Europe.
Les œuvres de L-J. Libois
Si elles n’ont pas été très nombreuses, les œuvres écrites de L-J. Libois ont, au
moins pour plusieurs, apporté une information riche et originale
L-J. Libois, Faisceaux hertziens et systèmes de modulation,
éd. Chiron, 1958.
C’est en travaillant comme jeune chercheur sur les systèmes de modulation que
l’auteur a pris conscience de l’importance de la numérisation et de sa portée
pour les réseaux intégrés du futur.
L-J. Libois, Genèse et croissance des télécommunications,
éd. Masson, 1983
Il s’agit d’un travail historique original, corrigeant certaines assertions
formulées alors et ajoutant divers événements passés sous silence jusqu’ici
L-J. Libois montre une même agilité dans ce travail historique que dans son
activité de recherche technique.
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L-J. Libois, Les télécommunications, technologies,
réseaux, services, éd. Eyrolles, 1994
L_J. Libois fait le point, en décrivant l’état des télécommunications à l’essor
desquelles il a tant contribué, sous ses divers aspects, réseaux, services et
technologies de base, sur la période 1970-90.
L-J. Libois, La commutation électronique, in Cahiers
d’histoire des télécommunications et de l’informatique, 1998
Dans cet ultime article reproduit ci-dessus, L-J. Libois raconte la fantastique
histoire qui lui a fait concevoir au CNET le premier commutateur numérique (on
disait alors temporel par opposition à spatial) qui sera réalisé au monde.
L-J. Libois, Histoire d’une famille de l’Ain, les Tardy-Mannet, éd.
Memodoc, 2004
Un ouvrage lié à la famille Libois.
L-J. Libois, Les horlogers du Roi
Une œuvre privée qui raconte les ancêtres de la famille Libois
L-J. Libois, Terra incognita
Une œuvre privée qui parle de ce qu’aimait L-J. Libois : le Nombre d’or, les
peintres, les poètes.
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Association pour l’Histoire des Télécommunications et de l’Informatique
AHTI 46 rue Barrault – 75013 Paris
 : 01 45 81 81 26 e-mail : [email protected]
Site web : www.ahti.fr
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