BP, et aPrès nous le déluge
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BP, et aPrès nous le déluge
before present | 4 juin - 19 sept. 2010 | _ Edith Dekyndt, Jimmie Durham, Liam Gillick, Dominique Gonzalez-Foerster, Nicole Hassler, Katharina Hohmann, Véronique Joumard, Renaud Layrac, Didier Marcel, Dan Perjovschi, Dan Peterman > Fabienne Radi BP, et après nous le déluge Si vous êtes normalement constitué, quand on vous dit BP vous pensez très vite à une station service arborant le sigle célèbre d’une grande entreprise du Royaume-Uni spécialisée dans l’extraction d’énergie fossile. Mais les lettres B et P peuvent également désigner plein de choses hétéroclites telles que Brevet Professionnel, Boîte Postale, Bon Point, Black Power, Banque Populaire ou encore Brad Pitt. Pour les spécialistes du Cénozoïque, BP possède cependant une signification très particulière : c’est une échelle de temps permettant de situer avec précision dans le quaternaire récent n’importe quelle écaille de sequoia ou de rotule de tricératops grâce au fameux Carbone 14. BP veut dire Before Present et le présent en question a été fixé précisément et scientifiquement à l’année 1950 après JC. En 2010, Before Present a été choisi comme titre d’une exposition à la Villa du Parc à Annemasse, ville dans laquelle aucun champ pétrolifère n’a été découvert à ce jour mais où celui de l’art contemporain se porte plutôt pas mal. Voyons plutôt. 1_Jimmie Durham_Humanity is not a completed project_posters, re-prod. VdP 2008-10 (sol) 1_Dan Perjovschi_I Am Trashing You_wall drawing, prod. VdP 2010 (mur) Réflexion et décoration sur la porte du frigo La visite commence frontalement avec les dessins de Dan Perjovschi, poil à gratter roumain plutôt efficace jeté sur les murs extérieur de la véranda : ça fait mouche aussi bien qu’un missile Pershing II. Le marché de l’art, la globalisation du capital, le secret bancaire comme le système de climatisation de la Villa en prennent chacun pour leur grade. Au pied du mur, une pile de posters de Jimmie Durham énonçant Humanity is not a completed project. Le spectateur habitué à l’art contemporain sait depuis belle lurette - la lurette étant les expos de Felix Gonzales Torres - qu’il peut se servir et emmener une affiche chez lui, ce qui lui donnera l’occasion de superposer réflexion sur l’humanité et décoration sur la porte du frigo, Art is not a project without paradox. La face cachée des salles d’attente Après cette mise en train street art, on pénètre dans ce qui pourrait être la salle d’attente du cabinet d’un pédiatre chic-bio-zen. Une atmosphère tout à fait troublante dûe à l’association particulièrement réussie des œuvres de Dan Peterman et de Liam Gillick. Posés au sol, les Accessories to an Event (1996-2010) de Peterman sont des éléments de palettes agencés ici comme des tables de pic-nic pour enfants. En y regardant de plus près, on découvre que les éléments ne sont pas en bois mais en plastique recyclé, d’où leur couleur vert-bleu pastel (Perrier-Badoit-Vittel des beaux quartiers ?). Le tout donne un assemblage qui tient à la fois d’Ikea, de Lego et d’USM. Modularité, minimalisme, ergonomie et conscience environnementale. Les salles d’attente des cabinets médicaux sont souvent décorées de séries d’aquarelles ou de gravures soigneusement encadrées, généralement des motifs abstraits et des couleurs discrètes pour ne pas heurter la sensibilité du patient et fournir à ce dernier un environnement apaisant, histoire de lui faire oublier qu’il va bientôt se retrouver à poil sur la table médicale. Des tableaux de salle d’attente comme il y a de la musique d’ascenseur. La plupart du temps, les diplômes mis sous verre des médecins viennent s’ajouter à la ligne des images et amènent une récréation textuelle bienvenue à ceux qui commencent à se tourner nerveusement les pouces. Savoir que son praticien a pondu une thèse sur L’intérêt de l’association de l’urapidil à l’isoflurane dans l’hypotension contrôlée en chirurgie de l’oreille moyenne à l’Université de Toulouse III en 1986 offre à la fois réconfort et diversion au patient qui n’a plus d’ongle à se ronger. Dans ce même esprit et en écho aux pièces de Peterman, la série des posters Public Information (2008) de Liam Gillick contribue à développer cette atmosphère toute d’harmonie faux-cul. On y voit des motifs stylisés aux couleurs pastel qui font penser aux publicités institutionnelles des grands groupes industriels, une esthétique hyper stéréotypée accompagnée généralement de slogans aussi creux que S’ouvrir au Monde ou Creative Solutions for better return quand ce n’est pas En tout temps, nous sommes à vos côtés. Sauf qu’ici en s’approchant des images on lit plutôt RECLAMEZ LES BENEFICES. Liam Gillick sait parfaitement doser le curseur entre reconnaissance de codes aseptisés et instillation de petites phrases assassines pour provoquer un malaise subtil et tenace qui ne se dissout pas à coups d’Ibuprofène. Tombe les bombes et tais-toi Il ne faut pas compter sur la projection d’Atomic Park (2004) de Dominique Gonzales-Foerster pour se remettre d’aplomb. Nimbé d’une mélancolie somptueusement déprimante, accompagné d’une bande-son qui sécrète tous les degrés d’angoisse, le film mêle des images du désert de White Sands, où a explosé la première bombe atomique en 1945, et les cris désespérés de Marilyn Monroe à la fin des Misfits. Prise en son milieu et sans en connaître le propos, la projection évoque aussi l’idée d’un tsunami : on y voit une dune gigantesque telle une vague immobile qui semble n’attendre qu’un coup de feu pour s’écraser sur des familles insouciantes jouant au ballon à côté d’aires de pic-nic au design tout droit sorti d’un film de Jacques Tati. On décide alors de prendre une grande respiration et l’escalier par la même occasion. 1_Liam Gillick_Public Information Posters_série de 16 affiches, 2008 (mur) 2_Dan Peterman_Accessories to an Event_installation modulable, 1996-2010 (sol) 3_Dominique Gonzalez-Foerster_Atomic Parc_projection, 2004 Minimalisme revisité et érotisme forestier - A quoi servent ces 30 néons UV bien alignés, Mère-grand ? - C’est pour mieux te griller, mon enfant ! Au sommet de l’escalier, l’installation Soleil Public (2008) de Edith Dekynot se déploie sur le mur comme un gigantesque tue-mouche électrique, grésillement compris. Oui d’accord, Dan Flavin, le minimalisme, la dématérialisation, la distorsion de la perception et tout ça. Oui mais bon, La Mouche, Cronenberg, la téléportation, Jeff Goldblum en mutation dans son caisson, on ne peut rien contre ces images-là. Il ne reste plus qu’à filer entre les fameux Arbres (2008) de Didier Marcel, certes un peu maigrichons pour nous abriter des rayons malfaisants mais tout à fait alléchants par leurs troncs qu’on dirait recouverts de sucre glace. Tiens, il y en a quelques-uns avec des traces de rose fluo : est-ce une émule de la Folle au rouge-à-lèvre ayant embrassé un tableau de Cy Twombly en 2007 qui aurait succombé à l’érotisme forestier ambiant ? A moins que celle-ci n’ait emprunté l’un des 470 vernis à ongle exposés dans la pièce d’à côté par Nicole Hassler (Vie de vernis, 2010) pour violer l’intégrité artistique de l’installation… 1_Edith Dekynndt_Public Sun_installation, 2008 2_Didier Marcel_Arbres_sculptures, 2008 (premier plan) + Nicole Hassler_Vie de vernis_installation, coproduction VdP, 2010 Essuyez vos pieds mazoutés avant d’entrer En pivotant de 180 degrés, on se retrouve nez à nez avec la Fontaine pour deux oiseaux (1997) de Jimmie Durham, esthétique Brico-Loisir associant arrosoir, jerrycan, morceaux de chenaux, bouteille et cuvette en plastique. Sauf qu’ici pas d’oiseaux, pas d’eau (pour reprendre le schème d’une blague à 2 balles), tout le reste en revanche a été méticuleusement choisi au niveau des couleurs comme des formes et parfaitement agencé sur le mur pour donner une pièce impeccable. Thirst is not a completed project ? La gorge sèche, on pénètre dans une grande pièce jonchée de rallonges électriques disposées symétriquement dans un dispositif qu’on juge un poil trop esthétisant (Sans titre. Prolongateurs électriques et multiprises, 2010, Véronique Joumard). Du coup on s’engouffre dans la dernière salle dont le sol est recouvert d’un immense tapis constitué de dalles de caoutchouc issu de pneus recyclés et sur lequel est inscrit Before Present (2010, Renaud Layrac). Une sorte de paillasson géant pour essuyer les petons d’un Gulliver qui voterait pour les Verts. On pose les siens (de petons) sur le paillasson et on découvre alors la série des Gowanus (2009, Edith Dekyndt) sur le mur d’en face. On dirait des images d’OVNI prises dans les années 50. Et bien on a tout faux : l’artiste a photographié le canal le plus pollué 3_Jimmie Durham_Fontaine pour deux oiseaux_installation, coll. Frac PACA, 1997 de Manhattan (le Gowanus) et les taches sont des bulles de pétrole éclatant à la surface de l’eau. La grâce cachée dans le caniveau. En cherchant la sortie, on se retrouve soudain face à deux cerbères casqués qui répondent aux doux noms de Start & Finish (BP, 2007) et gardent des passages statistiques (BP, 2008) peints à l’huile de vidange. Juste à côté Katharina Hohmann tente de nous dire qu’un autre monde est possible (2010), mais comme elle a décampé sans prendre le temps de ranger son bordel - pochoir, peinture et échelle -, on a un peu de peine à la croire. Effet de contamination Pour résumer la sensation dans une formule prosaïque, disons qu’on ne sait pas si l’on va désormais fermer le robinet du lavabo lorsqu’on se brosse les dents (ça, ce serait l’effet pédagogique de l’exposition) mais qu’on a pas mal de chances de regarder dorénavant les poils de sa brosse à dents avec suspicion, comme s’ils étaient subitement imprégnés d’une inquiétante étrangeté. Un effet de contamination mentale en somme. > Fabienne Radi Artiste, enseignante et auteur de textes sur l’art qui mêlent critique et fiction. Elle a suivi successivement des études de géographie, géologie, paléontologie, bibliothéconomie, publicité et arts plastiques. Elle fabrique des objets, des installations, des conférences, le plus souvent en relation avec le cinéma, Roland Barthes et la géologie. Avec Carla Demierre et Izet Sheshivari, elle dirige la revue Tissu. Elle donne un cours sur la pop culture aux étudiants du master Trans à la HEAD de Genève. 2_BP_Finish_sculpture, 2007 + Stats_dessin à l’huile de vidange, 2008 3_Renaud Layrac_Before Present_installation, prod. VdP, 2010 (sol) _Edith Dekyndt_Gowanus_Parker’s box, New York, 2008 (mur) _Véronique Joumard_Sans Titre_installation, re-production VdP, 1990-2010 (arrière plan) 1_Katharina hohmann_Un autre monde est possible_ installation, prod.VdP, 2010 Le périple BP achevé, on se dit finalement que la Villa du Parc a plutôt bien réussi son coup. D’une part en évitant de nous assommer avec un discours pédagogique téléphoné et dégoulinant de bonnes intentions (ce qui est souvent le cas lorsqu’on se frotte à ce genre de thématique). Mais surtout en arrivant à nous faire dériver vers d’autres dimensions grâce à un cheminement formel singulier et propice à une prolifération narrative entre des œuvres de factures, de qualités et de registres différents.