Rencontre avec le Réseau Arts Numériques Rhône-Alpes

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Rencontre avec le Réseau Arts Numériques Rhône-Alpes
Rencontre avec
le Réseau Arts Numériques Rhône-Alpes
Rencontre avec Merryl Messaoudi et Pierre Amoudruz.
La NACRe a rencontré ce mois-ci deux représentants de l’ANRA, le réseau des Arts Numériques
Rhône-Alpes. Il s’agit de présenter cette nouvelle fédération d’acteurs professionnels dédiée à la
création numérique. Merryl Messaoudi et Pierre Amoudruz évoquent avec nous la genèse et le
fonctionnement du réseau et nous rappellent les enjeux propres aux arts et cultures numériques
qui connaissent aujourd’hui un fort développement en région Rhône-Alpes.
Le projet
Nom : Réseau ANRA
Nature : Réseau Arts Numériques Rhône-Alpes
Activité : Fédérer les acteurs professionnels du numérique en Rhône-Alpes
Année de création : septembre 2010
Conseil d’administration : AADN, Aimez-vous Brahms, Collectif Coin, XLR Project, Compagnie
Organic Orchestra, Métalab, Studio CreArtCom, SMAC Les Abattoirs, Projet Bizarre
Vous avez participé activement à la création
du réseau ANRA, pouvez-vous vous
présenter ?
Merryl Messaoudi : Je suis secrétaire de
l’association ANRA. J’ai participé à la création
du réseau en tant que co-directrice de
« Aimez-Vous Brahms ? » qui est une structure
de production musiques actuelles et arts
numériques. Je travaille depuis 10 ans dans la
culture, toujours sur des métiers liés à la
coordination, avec un important parcours
dans le cinéma, mais aussi dans le théâtre,
notamment sur des festivals. Et je travaille
maintenant dans la musique depuis 2 ans.
Pierre Amoudruz : Je suis actuellement
président de l’association ANRA. Par ailleurs je
dirige l'AADN qui est un des acteurs Lyonnais
des Arts et Cultures Numériques. J’ai un
master en urbanisme (politiques publiques) et
en
direction
de
projets
culturels.
Parallèlement je me suis formé en musique au
CNR et je me développe comme artiste,
vidéaste notamment. J'étais impliqué à la
Friche RVI d’où a émergé le collectif d’artistes
qui a constitué l'AADN, il y a 8 ans.
Comment le réseau ANRA s’est-il formé ?
M.M. : Le réseau ANRA s’est formé en
septembre 2010 à l’occasion des Assises
Culturelles Numériques organisées par la
Région Rhône-Alpes. Il est fondé en
association depuis le mois de mars 2012. Les
statuts viennent d’être déposés.
P.A. : L’organisation des assises a été
fondamentale pour la naissance du réseau
ANRA. Cela s’est fait dans un moment où l’on
était dans un désert en termes d’arts
numériques, non pas au niveau des acteurs
mais plutôt au niveau de l’écho qu’ils
pouvaient avoir. On était chacun isolé dans la
défense et la promotion que l’on faisait de ces
formes, et face à un mur d’incompréhension.
En 2010, il s’est passé deux choses
fondamentales : la Gaité Lyrique a posé le
terme « arts numériques » au niveau national
et a donc initié le référencement de ce
domaine. Puis en région est apparu la volonté
de développer une politique spécifique
« culture et numérique » qui s’est pensé
d’abord à travers un processus de
concertation. Il s’agissait ici de ne pas oublier
de parler de création et d’art numérique mais
aussi des cultures que cela impliquent et qui
sont fondamentalement retravaillées par la
révolution numérique qui nous entoure. Nous
nous sommes donc retrouvés avec une
douzaine d’acteurs des arts numériques, tous
dans cette problématique d’exister, à se dire
que nous devions défendre ce que nous
faisons, être en mesure de mettre des mots
justes sur nos pratiques, de se faire entendre
et de dire quels étaient nos enjeux et les
enjeux de ces formes artistiques. Et pour
référence on avait aussi l’étranger, avec le
Canada par exemple, ou d’autres régions pour
lesquelles les acteurs sont structurés depuis
longtemps.
M.M. : Et nous avions besoin du coup de se
fédérer autour de cette forme de création qui
n’était pas comprise, ni vue, ni entendue.
Cette démarche nous a permis d’ouvrir le
dialogue avec les pouvoirs publics.
P.A. : Le fait de devoir porter une parole
commune nous a obligé à confronter nos
vocabulaires ou nos différentes façons
d’appréhender les choses. Nous sommes dans
des formes très récentes qui remontent à une
trentaine d’année, il n’y a donc pas tout un
corpus théorique autour, c’était donc aussi à
nous à un moment de trouver les mots,
formuler les choses et de se mettre
d’accord sur ce dont nous parlons, comment
nous en parlons, quels sont les enjeux à faire
ressortir… Je crois d’ailleurs que nous ne
sommes pas tombés « complètement à côté
de la plaque » puisque la région a rapidement
développé le SCAN, le fond de soutien à la
création numérique, il y a donc eu une vrai
écoute du discours que l’on a pu porter à ce
sujet.
Quels sont les objectifs du réseau ANRA ?
M.M. : Le but de l’association et du réseau est
d’être
une
fédération
des
acteurs
professionnels du secteur numérique en
Rhône-Alpes.
P.A. : Il y a un objectif qui pourrait être notre
fer-de-lance : comment est-ce que ensemble
on structure et dynamise un tissu économique
spécifique aux arts et cultures en RhôneAlpes ? Travaillant tous dans le champ
artistique, ce qui nous rassemble c’est aussi la
façon dont nous pensons les modèles
économiques qui nous encadrent plus
globalement.
M.M. :
Le
côté
économique
vient
effectivement très rapidement. En tant qu’art
émergeant, on travaille avec des artistes et
des technologies très innovantes et il n’y a pas
de dispositifs créés par rapport à ça, du coup
on se retrouve rapidement avec des projets
qui ne rentrent dans aucune catégorie et pour
lesquelles il n’y a aucune ligne de financement
dédiées. On est donc obligé tout de suite de
penser différemment, de penser la viabilité
économique et cela nous amène à concevoir
économiquement les projets d’une manière
vraiment différente.
P.A. : Il existe aujourd’hui une zone de flou
entre des pratiques de création numérique qui
se développent énormément parce qu’il y a
une démocratisation de l’outil, et d’un autre
côté des pratiques de création qui elles sont
professionnelles. Nous sommes ici dans un
réseau professionnel qui défend cette notion
de tissu économique, un ensemble de petits
acteurs proche des nouvelles technologies,
une forme d’écosystème complexe en
interaction avec des chercheurs, des
ingénieurs, des entreprises, mais aussi des
acteurs du secteur éducatif, social…
M.M. : Et quand tu veux créer et que tu n’en a
pas les moyens, tu es encore plus obligé de
fonctionner en réseau. Cela va vraiment avec
le côté « économie sociale et solidaire » qui
caractérise de plus en plus les arts
numériques. Le principe du réseau est donc de
structurer ces activités en Rhône-Alpes mais
aussi de travailler avec les autres régions ou
avec l’étranger. Ainsi il y a des rencontres
interrégionales qui se font depuis le début
avec par exemple les réseaux ARPAN en PACA
et ACNLR en Languedoc-Roussillon.
P.A. : Pour revenir sur les objectifs du réseau,
il y a trois rôles que nous souhaitons nous
donner : un rôle politique, pour faire du
lobbying auprès des pouvoirs publics et
partager les enjeux au niveau régional, tout en
étant en lien avec la dynamique interrégionale
que l’on citait tout à l’heure. Ensuite nous
souhaitons développer un rôle de ressource,
aujourd'hui inexistant en région : savoir qui on
est, ce que l’on représente, combien on pèse,
qu’est-ce que l’on produit, quelles sont nos
compétences, comment se rendre visible …
mais aussi disposer d’une sorte de « thinktank » pour publier, produire un discours
autour de ces formes, mais aussi définir les
besoins
en
terme
d’acquisition
de
compétences. Le troisième rôle du réseau
concerne la mutualisation de l’information, la
mise en réseau des savoirs et des
expériences. Au-delà d'ouvrir des espaces de
discussion, nous avons par exemple un agenda
partagé qui présente les actions, les temps de
festival, les rendus de travaux, les tables
rondes… Il sera consultable sur le site du
réseau très prochainement. De la même
manière, dans l’idée que « l’union fait la
force », le réseau peut donner caution à un
acteur isolé qui se débat avec sa municipalité
en venant les rencontrer et soutenir leur
action locale.
Quels sont aujourd’hui les structures et les
personnes qui constituent le réseau ?
M.M. : Il y a 9 structures qui sont membres du
conseil d’administration : AADN, Aimez-vous
Brahms ?, Collectif Coin, XLR Project, Le Bionic
Orchestra, Métalab, Studio CreArtCom, SMAC
Les Abattoirs, Projet Bizarre.
P.A. : Ce sont aujourd’hui les principaux
moteurs de la dynamique de réseau. Sinon, le
réseau représente aujourd’hui une trentaine
d’acteurs informels qui suivent l'évolution ou
ont été présents sur des temps de réunion. Il
est important de préciser que ce sont à la fois
des acteurs professionnels et des artistes
professionnels, ce sont différents rôles que
nous souhaitons mettre en dialogue, qu’ils
fassent de la médiation, de la diffusion, de la
production ou de la création.
Parlez-nous des actions et des projets à venir
pour le réseau ANRA.
M.M. : Continuer à structurer le réseau avec
notamment la présentation de l’ANRA sur
différents temps forts, cela représente pour
nous du temps de présence afin de se faire
connaitre.
P.A. : Aujourd’hui on se rend compte que l’on
est représentatif surtout sur un axe LyonGrenoble, ce qui se recoupe apparemment
avec les demandes de financement SCAN.
Mais nous savons aussi qu’il existe d’autres
artistes ou structures à Annecy, Saint-Etienne
ou Valence et il est important pour nous
d’aller à leur rencontre et d’être donc
géographiquement plus représentatifs.
M.M. : Un des prochains grands événements
auxquels le réseau participera sera le festival
Désert Numérique, les 28 et 29 juin prochain,
avec deux jours d’ateliers, de rencontres
professionnelles, de table-rondes et de
présentations de projets. Ce sera aussi pour
nous la troisième rencontre interrégionale
avec les réseaux de PACA et de LanguedocRoussillon.
P.A. : La rencontre est découpée en quatre
temps. La première matinée fait la « mise à
jour » des situations régionales de chacun, les
problématiques, les avancées, … Ensuite on
bascule sur du temps de travail avec une
bourse aux projets : c’est un mini-marché où
chaque acteur a « 3 minutes et 3 slides » pour
parler d’un projet. Cela permet aux autres
acteurs de détecter des problématiques, de
générer des logiques de co-production, d’avoir
le retour de professionnels… Le troisième
temps sera consacré à un atelier d’écriture
pour rédiger un manifeste des arts et cultures
numériques au niveau national.
M.M. : Nous avions déjà présenté une lettre
ouverte lors de notre dernière rencontre à la
Gaité Lyrique. La lettre était portée par les
trois réseaux à l’attention des candidats à
l’élection présidentielle. Nous avions eu près
de 400 signatures d'acteurs et structures ; fort
de ça nous souhaitons aller plus loin et écrire
un nouveau texte plus détaillé à l’occasion de
cette prochaine rencontre.
P.A. : Le troisième temps de travail sera dédié
à la question de la production des arts
numériques. C’est une activité pratiquée
depuis seulement quelques années et pour
laquelle chacun fait à sa manière. Il s'agira
donc de mettre en commun les interrogations
suivantes : Comment fait-on ? Sur quel
schéma ? Selon quelle économie ? Avec quels
outils ? Enfin, un dernier temps est prévu avec
les institutions et les représentants d’autres
régions pour partager avec eux les bilans et les
perspectives... Et pourquoi pas, lancer
également une dynamique interrégionale au
niveau institutionnel.
Quelles sont les tendances actuelles pour les
arts numériques en Rhône-Alpes ? Quels
nouveaux
besoins
ou
nouvelles
problématiques avez-vous repéré depuis ?
P.A. : Il y a une vraie dynamique, tout le
monde avance. Et en même temps il y a
également un effet de mode qui peut
représenter un risque : le numérique devient
une forme d’étiquette que l’on placarde
partout … mais sait-on de quoi on parle ? C’est
à nous d’être attentifs à défendre des choses
qui relèvent bien des arts et cultures
numériques et que l’usage de ce terme n’est
pas seulement destiné à capter de nouveaux
financements ou de participer de cet effet de
mode généralisé. Globalement, la tendance
est de se dire que l’avenir est devant nous,
qu’il y a énormément de choses à faire, à
inventer et à découvrir. C’est une vraie
dynamique qui avance et qui se construit dans
tous les sens.
M.M. : La création du réseau ANRA est
symptomatique de cette tendance. A un
moment, nous atteignons une masse critique
d’acteurs, ce qui nous pousse à se fédérer et à
basculer sur un fonctionnement en réseau.
Cela permet également à de nouveaux acteurs
de se manifester ou de provoquer des
vocations, notamment dans le cadre des
ateliers ou des temps de formation que le
réseau organise : on constate qu’il y a de plus
en plus de monde qui vient, à la fois des
« geeks » mais aussi un public qui vient
simplement par curiosité.
P.A. : Dans les besoins que nous identifions en
Rhône-Alpes, il y a la question de la diffusion.
Il est nécessaire de soutenir la création et la
production mais pour que tout ça soit
structuré il faut qu’il y ait des lieux. Ce n’est
pas forcément dans le schéma du lieu
institutionnel mais plutôt des lieux qui
fabriquent, qui accueillent, qui montrent et
impliquent des gens. On pourrait prendre le
modèle des Ateliers Frappaz pour les arts de la
rue, c’est une structure implantée sur un
territoire et qui ouvre régulièrement ses
portes et ses « cuisines ». On est aussi assez
proches d’autres dynamiques comme celles
des « fab-labs » ou des « hackerspaces » qui
ne sont pas forcément sur la production
artistique mais clairement sur la production et
le partage, et c’est aussi là que se fabrique la
culture.
M.M. : Actuellement il y a des structures qui
composent le réseau ANRA qui sont en
recherche ou en structuration pour disposer
d’un lieu de création numérique. Il s’agirait de
réinvestir ou de réaménager des lieux déjà
existants ou simplement vacants. En tant que
réseau d’acteurs professionnels nous savons
de quoi nos artistes ont besoin, et le fait de
travailler en réseau nous permet d’être plus
fort et de cumuler ces besoins pour la
recherche d’un lieu dédié. Nous souhaitons
disposer à la fois de lieux identifiés « arts
numériques » mais aussi d’un réaménagement
de scènes déjà existantes, justement pour
aller chercher un autre public dans des lieux
programmant déjà des musiques actuelles, du
cinéma… Ce qui est aussi en cohérence avec le
côté transdisciplinaire des installations
numériques.
P.A. : Sur la diffusion de ces formes, ce qui me
plait c’est le côté « tout-terrain ». Parce qu’il
n’y a pas de lieux pour la diffusion, on va
s’adapter et rentrer dans tous les endroits. On
est encore aujourd’hui dans cette dynamique !
C’est aussi une chance de pouvoir venir par
exemple dans le champ de la danse ou du
théâtre, on peut ainsi être montré dans ces
endroits-là. Et est-ce vraiment important de
savoir si ce que nous faisons relève de l’art
numérique ou du théâtre ? On a tendance à
vouloir tout mettre dans des cases…
Pourriez-vous préciser les distinctions à faire
entre les pratiques grand-public en matière
d’art
numérique
et
l’approche
professionnelle que vous défendez au sein du
réseau ANRA ?
P.A. : La question est de savoir comment on
produit de la culture, comment on produit de
l’art et est-ce qu’il y a une différence ? A l’ère
d’Internet, il y a par exemple une perte de la
limite entre le journaliste et le bloggeur, on
peut se demander ainsi qui est légitime dans
les domaines de l’art, de la santé, des
médias… La question se pose partout ! Là où
nous pourrions éventuellement faire une
distinction, ce serait sur l’envie et sur le fait de
se donner les moyens de vivre de cette
création. Les personnes qui font ce choix-là
ont également plus de temps pour nourrir les
pratiques amateurs (au sens des loisirs et des
références culturelles), mais aussi pour poser
une réflexion, mettre ça au regard d’un
discours scientifique ou philosophique. Enfin,
il y a évidemment l’exigence artistique … d’où
vient-elle ? Comment continuer à défendre
cette approche ?
M.M. : Et puis il faut avoir une pratique
amateur pour avoir un jour une pratique
professionnelle. Les deux se nourrissent aussi,
il y a des artistes qui peuvent avoir un projet
professionnel et à côté faire de la « bidouille »
parce que ça leur permet d’expérimenter et
de tester d’autres choses, et pour venir plus
tard sur un terrain plus professionnel.
P.A. : Il y a un vrai « feedback » sur cette
question, sur ce qu’est le statut de l’artiste par
rapport au statut du public. On ne s’adresse
pas seulement à un public mais à des gens qui
sont participants. Pour toutes les installations
interactives, l’artiste réfléchi avant tout au
comportement du public, ce qui décale
complètement nos schémas de réflexion :
comment partager le processus de création,
comment penser la place du public dans
l’œuvre, voire même comment baser une
production d’amateurs pour essayer d’en tirer
quelque chose, de le reformuler… Je trouve
que l’on est plus dans les mêmes rapports, on
s’éloigne de plus en plus de l’image du
concepteur, de l’artiste dans sa tour d’ivoire…
M.M. : Il est vrai que les installations
numériques viennent clairement questionner
la place de l’artiste par rapport aux
spectateurs. Dans la musique tu as une scène
avec un public en face, parfois séparés de
plusieurs mètres par des barrières, alors que,
de manière générale, les installations
numériques sont plus proches et au même
niveau que le public. Certaines, par exemple,
fonctionnent avec des capteurs de
mouvement : s’il n’y a pas de mouvements, il
ne se passe rien. Cela bouleverse le rapport
traditionnel entre l’artiste et le public et
repose aussi la question du lieu : nous disions
tout à l’heure que l’on avait besoin de deux
types de lieux, une scène de théâtre par
exemple ne peut pas accueillir ce type
d’installation, elle n’a généralement pas
d’espace adapté pour ça.
P.A. : Un dernier mot pour finir, le réseau
ANRA est ouvert… N’hésitez pas à nous
contacter ou à nous rejoindre ! A bon
entendeur…
Propos recueillis par Régis Heindryckx (NACRe
Rhône-Alpes) – Mai 2012