Un retour de 20 ans en arrière
Transcription
Un retour de 20 ans en arrière
20 actuel Un retour de 20 ans en arrière ? L’Initiative pour la sécurité alimentaire est une tentative de l’Union suisse des paysans pour reprendre en main les rênes de la politique agricole. Mais les citoyens et le Parlement ont déjà décidé d’une autre orientation. Le 12 mars 1995, les électeurs suisses ont et les eaux suisses affichent encore une substances. Comme le souligne le bu- refusé pour la première fois de suivre le charge en azote et en pesticides qui reste reau de conseil et de recherche Infras Conseil fédéral ainsi que l’Union suisse élevée. L’exemple du lac de Baldegg, dans une étude récente, les coûts écono- des paysans (USP) en matière de poli- avec ses eaux saturées en phosphate, est miques de l’utilisation de pesticides en tique agricole en rejetant les trois ob- bien connu. Une étude de l’Institut de Suisse se chiffrent entre 50 et 100 mil- jets soumis au vote. Pour l’USP, la dé- recherche de l’EPF Eawag a montré l’an lions par an. La principale responsable faite fut historique, comparable à celle dernier que 4,5 tonnes de phosphate pro- de cette pollution est l’agriculture. essuyée dernièrement par l’armée avec venant de l’élevage porcin aboutissent le non aux Gripen. En 1995, le souverain chaque année dans le lac ; seule une pol- Elevages de bétail surdimensionnés faisait ainsi savoir qu’il souhaitait une lution de 2,3 tonnes serait tolérable. De- Ces nombreux déficits écologiques nouvelle agriculture, proche de la na- puis 1982, le lac est doté d’un système de semblent peu intéresser l’USP qui a com- ture, plus respectueuse de l’environne- « respiration articielle » pour éviter qu’il battu l’an dernier la nouvelle politique ment et des animaux. Un an plus tard, la n’étouffe. agricole PA 2014–2017, laquelle encou- voix. Celle-ci associait pour la première « Un cocktail de pesticides » adaptée aux conditions locales. Dans la fois les subventions agricoles à des pres- A cela s’ajoute la pollution due aux PA 2014–2017, il n’y a plus de contribu- réforme agraire fut adoptée par 78 % des rage une agriculture moins intensive et tations écologiques. Depuis lors, l’article pesticides. « Les cours d’eau suisses tions liées au nombre d’animaux. On sup- 104 de la Constitution stipule que l’écolo- contiennent tout un cocktail de pes- prime ainsi une forte incitation, tout à fait gie et la production sont pondérées équi- ticides », déclarent Michael Winzeler néfaste, à détenir des exploitations sur- tablement dans l’agriculture. et Gérard Gaillard, de l’Institut de re- dimensionnées et à nourrir les animaux Selon Urs Niggli, les citoyens suisses cherche Agroscope, citant un rapport avec du fourrage importé d’Amérique du ont pris une sage décision qui a no- de l’Institut Eawag. Les valeurs limites Sud et d’Asie, une pratique largement tamment ouvert la voie à la promotion de l’Ordonnance sur la protection des répandue jusqu’ici. Désormais, les paie- de l’agriculture biologique. « L’agri- eaux étaient même dépassées pour 31 ments directs sont essentiellement liés culture biologique représente un bon équilibre entre production et protec- Keystone/Bally tion », déclare le directeur de l’Institut suisse de recherche de l’agriculture biologique (FiBL). L’agriculture biologique consomme beaucoup moins de ressources non renouvelables et prend aussi en compte des questions éthiques telles que le bien-être des animaux et le revenu agricole. Elle offre aussi une bonne productivité par rapport à l’agriculture intensive, souligne Urs Niggli. Cela étant, des déficits écologiques subsistent dans l’agriculture conventionnelle. Certes depuis 2003, presque 100 % des terres agricoles répondent aux critères des prestations écologiques requises (PER). Néanmoins, l’air, les sols L’agriculture suisse importe chaque année un million de tonnes d’aliments concentrés. Leur production utilise dans l’hémisphère Sud autant de terres arables que toute la surface cultivée en Suisse, souvent à la place d’anciennes forêts pluviales. Pro Natura Magazine 5/2014 21 Keystone/Lehmann actuel L’USP et ses représentants lors du dépôt de son initiative. Pour l’USP, la sécurité alimentaire passe par une agriculture encore plus intensive avec davantage d’importations de moyens de production. aux prestations d’intérêt général fournies Mais ce serait une erreur, comme l’ex- ciables. La très grande majorité des agri- par l’agriculture. plique le directeur du FiBL, Urs Niggli : cultrices et des agriculteurs le savent. Ce La suppression des contributions liées « Le degré d’autosuffisance d’un pays est serait une bonne chose que l’Union suisse aux animaux et l’introduction des contri- une notion peu pertinente. La production des paysans puisse défendre cette position. butions à la qualité du paysage ont préci- à grande échelle de viande, de lait et de sément été contestées par l’USP, qui es- fromage repose de plus en plus sur l’im- « Epreuve de force inutile » timait que cette réforme entraînerait des portation de produits alimentaires en pro- Silva Semadeni, conseillère nationale pertes de revenu importantes pour de venance de pays en développement ou socialiste et présidente de Pro Natura, nombreux agriculteurs. Mais cette fois, le émergents. » Une production agricole ac- abonde dans ce sens : « Si l’USP se pré- lobby agricole n’a pas convaincu la majo- crue nécessiterait donc davantage de occupait vraiment de sécurité alimentaire, rité et a subi à nouveau une sévère défaite. fourrage importé, ainsi que plus de pes- elle devrait s’engager pour qu’il y ait plus Outre les politiciens soucieux de l’envi- ticides, de carburant et d’autres matières d’exploitations agricoles gérées de ma- ronnement, des représentants des milieux auxiliaires, pour lesquelles nous dépen- nière durable et pour que les atouts de économiques ont aussi soutenu la nou- dons également de l’étranger. Cette op- la PA 2014–2017 soient mis en œuvre. » velle politique agricole, convaincus que tion aggraverait notre dépendance vis-à- Au lieu de cela, une nouvelle épreuve de le fort protectionnisme agricole en Suisse vis de l’étranger et des grands groupes force s’engage autour de cette initiative. bloque l’ouverture de nouveaux marchés agroalimentaires. dans d’autres secteurs économiques. sures écologiques comme la délimitation Ce qui devrait être décisif, c’est la va- L’USP préfère combattre certaines me- leur ajoutée créée par l’agriculture suisse, d’espace pour les cours d’eau plutôt que Une dépendance accrue fait valoir Urs Niggli. « C’est ce qu’elle la cause principale de la perte de terres L’Initiative pour la sécurité alimentaire est fait le mieux en misant sur les produits cultivées, la prolifération désordonnée de la réponse de l’USP qui souhaite reprendre de première qualité, l’écologie et la pro- l’habitat. « C’est bien dommage », conclut en main les rênes de la politique agricole tection de la nature et sur d’autres fonc- Silva Semadeni. et faire inscrire dans la Constitution l’obli- tions sociales comme le tourisme. » Une gation pour la Confédération de renforcer position partagée par Christof Dietler, di- la production indigène. Le degré d’auto- recteur de l’Alliance Agraire, qui regroupe suffisance est déterminant pour de nom- 18 organisations, dont Pro Natura : « La breux représentants des intérêts agricoles. production et l’écologie sont indisso- Pro Natura Magazine 5/2014 ROLF ZENKLUSEN est journaliste indépendant à Bâle. www.pronatura.ch/agriculture xxxxxxxxXXX