Pascale MARTIN "Fais moi une place. D`objet opérationnel à acteur

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Pascale MARTIN "Fais moi une place. D`objet opérationnel à acteur
http://www.uhb.fr/ccb/forumpith.htm
FORUM NATIONAL DUPITH - RENNES 10 OCTOBRE 2001
Pascale MARTIN
"Fais moi une place. D'objet opérationnel à acteur politique"
Je suis chargée du suivi du recrutement des travailleurs handicapés à la RATP.
Par ailleurs je suis Présidente-Fondatrice de l'association FAIS MOI UNE
PLACE et c'est plus particulièrement à ce titre que je témoigne aujourd'hui.
De janvier 1998 à juin 1999, j'ai préparé un mémoire DUPITH sur le temps libre
de la personne handicapée.
Mon intervention porte sur deux thèmes :
1er : Comment s'opère le passage d'une strate opérationnelle à une strate
politique, ou comment d'un poste de travail on crée une institution, j'entends par
là une institution innovante ! ?
2ème thème : la problématique du temps pour la personne handicapée
En ce qui concerne le premier thème de l'opérationnel au politique, j'ai cumulé
plusieurs années d'expériences d'accompagnement de personnes en difficultés
(chômeurs longue durée, allocataires du revenu minimum d'insertion, personnes
sans domicile fixe, malades graves, personnes en situation de handicap). Ces
expériences m'ont conduit à m'interroger sur le rôle du temps, des temps dans
l'histoire de vie de ces personnes. J'étais alors dans un rôle opérationnel. Une des
définitions du terme opérationnel est "qui est prêt à entrer en activité". En
activité, certes, j'y étais, parfois trop ! genre intervenante "pompier", comme on
l'entend parfois dire dans ce secteur. Je rencontrais la personne à un moment X de
sa vie et l'accompagnais jusqu'à un moment Y avec un objectif précis qui la
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plupart du temps se nommait insertion professionnelle. Cet objectif m'est apparu,
quelque soit le public concerné très réducteur. Une personne est une entité avec
un avant, un pendant, un après. Comment sont pris en compte les temps hors
temps professionnel : l'hébergement, les soins, la vie sociale, le temps libre... ? Et
a fortiori pour les personnes en situation de handicap, de l'enfance à l'âge adulte,
leur temps libre n'est-il pas trop souvent synonyme d'errance, d'ennui... L'objectif
premier des familles et des professionnels n'est-il pas essentiellement l'insertion
scolaire ou professionnelle ?
Or vous le savez, même si la loi de 1975 affiche le droit au temps libre, les
ressources
humaines
et
financières
sont
concentrées
sur
l'insertion
professionnelle.
Convaincue qu'il était possible d'innover dans ce domaine et de répondre ainsi à
la demande des personnes et de leurs familles, j'ai entrepris de créer une
association FAIS MOI UNE PLACE qui a pour but de lutter contre l'exclusion en
proposant notamment des séjours d'accueil temporaire. La personne est accueillie
pour ce qu'elle est, et non pas par rapport à un symptôme. C'est une lutte
quotidienne pour convaincre les tutelles de l'utilité sociale de telles pratiques.
FAIS MOI UNE PLACE est hors cadre, voir hors loi. Pourtant les personnes et
leurs familles trouvent dans ce type d'accueil une réponse à leurs préoccupations.
Parallèlement à cette création, j'ai dans le cadre d'un Congé Individuel de
Formation mené ma première recherche-action, parce qu'il ne me semblait pas
concevable de stopper l'action pour chercher, les deux devaient cheminer
ensemble. L'action, si elle est moteur, manque parfois de méthode, voir de
rigueur. La recherche donne, entre autre, de la méthode et de la rigueur. De mon
point de vue, la recherche et l'action en aller-retour permanent permettent "une
manière concertée d'agir", ce qui est une des définitions du mot politique. Pendant
toute cette période de recherche-action j'étais chercheure certes et aussi tellement
acteure construisant pas à pas FAIS MOI UNE PLACE.
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C'est pourquoi aujourd'hui je considère mener une action politique. Avant ce
parcours de recherche-action, si quelqu'un m'avait dit que je serai partie prenante
un jour d'une action politique, je ne l'aurai sans doute pas cru. Or tous ici
aujourd'hui, nous pouvons être ces acteurs politiques car ce qui nous réunit ce
sont bien les multiples constats que nos pratiques sociales en matière d'insertion
des travailleurs handicapés sont encore largement en deçà de ce qu'exprime les
personnes handicapées sur leur bien-être. Dans le second mémoire pour le
DHEPS j'ai questionné l'autonomie de la personne de son point de vue et du point
de vue de sa famille. Un des points de conclusion de l'enquête est que le temps de
travail n'est pas celui qui favorise la plus grande autonomie.
J'en arrive au deuxième temps de mon intervention. Ce deuxième thème pour
vous inviter à réfléchir sur la problématique du temps, non pas la durée
d'accompagnement de la personne, ni le temps linéaire mais le temps de vie d'une
personne, là où se croisent, se mêlent différents temps. Nous tous ici présents
avons réfléchi sur notre autobiographie, ainsi nous avons balayé les différentes
étapes de notre vie professionnelle, mais aussi personnelle. Le temps de vie
professionnelle diminue et laisse donc une place plus grande aux autres temps .
Qu'en est-il pour la personne en situation de handicap ? N'y-a-t-il pas alors un
paradoxe à centrer nos actions sur l'insertion professionnelle alors même que le
temps professionnel se réduit ? Notre travail ne serait-il pas d'accompagner le
croisement de ces différents temps ? Ne serions-nous pas à la manière de
Desroches, le passeur de frontières, des passeurs de temps, au sens où nous
accompagnerions le passage d'un temps à un autre.
A FAIS MOI UNE PLACE, l'action a d'abord consisté à défendre le droit au
temps libre pour la personne en situation de handicap en proposant des temps
d'accueil temporaire (week-end, vacances, événements ponctuels). Aujourd'hui, si
cette action se poursuit, elle se développe aussi dans un contexte de lien avec les
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autres temps. Assez paradoxalement se trouvent mêlés lien et temps.
Paradoxalement car TEMPS signifie couper par sa racine indo-européenne TEM.
Le temps divise et exclut mais il unit et rassemble aussi ; la succession des
différents temps constituent une vie. L'analyse des données recueillies dans le
cadre du DHEPS montre que les familles de personnes handicapées s'évertuent à
combler les interstices entre les temps. Elles déclarent une autonomie que j'ai
qualifiée de "limitée" car elle fait de la personnes handicapée un OBJET
DEDANS. Alors qu'une autonomie "libérée" est possible si la personne est
ACTEUR DEHORS.
En conclusion, chaque fois qu'un obstacle survient, l'inertie, l'impossible n'ont
plus de place dans mes pratiques. Nous sommes acteurs de changement, et
comme moi vous vous direz (peut-être est-ce déjà fait ?) que nous sommes par la
recherche-action passés d'un rôle opérationnel à un rôle d'acteur politique. C'est
une question de temps !
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