En quoi consiste une opération Mister Big?

Transcription

En quoi consiste une opération Mister Big?
En quoi consiste une opération Mister
Big?
PHILIPPE TEISCEIRA-LESSARD
La Presse Publié le 01 août 2014 à 07h29 | Mis à jour le 01 août 2014 à 07h29
Une opération Mister Big est une méthode d'enquête sophistiquée
visant à faire croire à un suspect qu'il est en voie de se joindre à un
groupe criminel, le tout afin de lui soutirer une confession. Des agents
doubles mettent en confiance l'individu visé en le faisant participer à
quelques dizaines de délits avant de le présenter au recruteur et patron
de l'organisation, lui aussi un agent double. À la clé: une intégration en
bonne et due forme dans le groupe criminel. Pendant l'entrevue
d'embauche, le patron demande au suspect de lui avouer tout son
passé criminel afin de pouvoir le protéger de la police. Enregistrée à
l'aide d'une caméra cachée, cette confession servira à accuser
l'individu.
Des cas célèbres
Sebastian Burns et Atif Rafay
L'une des premières opérations Mister Big mises sur pied par la Gendarmerie
royale du Canada (GRC) visait deux jeunes hommes - Sebastian Burns et Atif
Rafay - soupçonnés d'avoir massacré trois membres de la famille de ce dernier, en
1994. La confession de Burns à un policier interprétant un caïd a mené à leur
condamnation pour meurtre, dix ans plus tard. Encore aujourd'hui, ils continuent à
clamer leur innocence et à faire valoir que leur confession n'était qu'une invention
pour impressionner un individu qui les intimidait.
Procès d'Alain Perreault
Les images d'Alain Perreault qui raconte avoir «étranglé» Lyne Massicotte dans
son logement de Québec après avoir fumé du cannabis avec elle ont fait le tour
des ondes en 2011. L'homme était demeuré le suspect principal depuis la
disparition de la femme, en juillet 2003. Au tournant de la décennie, des agents
doubles l'ont fait passer à travers plusieurs dizaines de scénarios avant de lui
demander une confession sur le meurtre de Lyne Massicotte. M. Perreault a été
condamné à la prison à vie, avant que la Cour d'appel ne confirme le verdict.
Procès d'Éric Daudelin
En mars dernier, Éric Daudelin a été condamné à la prison à vie pour le meurtre de
la petite Joleil Campeau, survenu 19 ans plus tôt. Ce dossier insoluble est remonté
à la surface en 2009, alors que la police déclenchait une opération Mister Big pour
piéger Daudelin, soupçonné depuis le début. Après 45 missions accomplies pour le
groupe criminel fictif, il est finalement passé aux aveux devant le patron de
l'organisation, un agent double déguisé en gangster.
Procès de Gilles Chagnon
«Je lui ai mis trois balles dans la tête», a confié Gilles Chagnon à un policier
déguisé en patron d'une prospère organisation criminelle. C'était en 2006, 13 ans
après le meurtre de Danielle Boucher. Dans une chambre de l'hôtel Reine
Elizabeth, Chagnon croyait devoir confesser son passé afin de permettre d'effacer
toute trace de ses crimes. Dans les mois précédents, il avait accompli diverses
tâches, dont le transport de valises remplies d'argent. Au final, Chagnon a avoué
avoir pris part à trois meurtres, mais n'a été condamné que pour celui de Danielle
Boucher.
Des opposants
Des avocats qui ont dû se battre contre des opérations Mister Big:
«Ça reprend les inquiétudes que les avocats de la défense émettent depuis 10 à
15 ans. La Cour suprême constate que la méthode d'enquête comporte des
dangers: il peut y avoir des débordements qui font que les confessions qu'on
obtient le sont dans des conditions qui ne sont pas acceptables au chapitre des
règles qu'on s'est données au Canada quant aux relations entre policiers et
citoyens.»
- Marc Labelle
«J'ai des dossiers pendants de Mister Big, alors vous vous doutez que j'avais des
clients qui étaient assez excités de voir ce que serait la suite des événements.
Pour moi, c'est une très bonne nouvelle. C'est assez majeur [...]. Le ministre
fédéral de la Justice [qui a le pouvoir d'ordonner de nouveaux procès] doit prendre
acte de ce qui a été décidé par la Cour suprême aujourd'hui [hier].»
- Martin Latour
Une opération Mister Big «fait plus que teinter l'image de l'accusé. Ça la peinture à
trois couches avec une peinture à l'huile indélébile. Même avec un puissant
décapant, tu ne peux pas enlever ça de l'esprit du jury. [...] Je suis content de la
décision. Évidemment, j'aurais aimé ça qu'on dise simplement "non"» à ces
opérations.
- Marcel Guérin