expo eau Dieppe moyenne def

Transcription

expo eau Dieppe moyenne def
1. La distribution
d’eau potable
Dieppe et
l’eau des villes.
Des porteurs d’eau à la distribution d’eau potable à
domicile, du simple puits au robinet en passant par
les gracieux jeux d’eau d’une fontaine, la conquête
de l’eau par l’homme fut riche et complexe. Dès
l’antiquité thermes et aqueducs attestent d’une
connaissance approfondie de certaines techniques
hydrauliques en matière de distribution d’eau,
d’hygiène ou de loisirs. Au moyen-âge, les moines, en
particulier les cisterciens, maîtrisent parfaitement
l’adduction d’eau par le biais de canaux et retenues,
d’aqueducs, de puits et de fontaines, de viviers, aussi
bien pour l’irrigation, la meunerie que pour les
besoins alimentaires quotidiens.
L’essor urbain entraîne un ravitaillement en eau plus
difficile pour les villes, tant pour la consommation
que pour les besoins de certaines activités artisanales
(teintureries, mégisseries, tanneries, boucheries…).
Ainsi, dès la fin du moyen-âge, l’accroissement des
populations citadines, les risques d’incendie et d’épidémies incitent les pouvoirs publics à augmenter
l’approvisionnement en eau des villes, et à tenter de
résoudre les problèmes d’insalubrité engendrés par
le rejet des eaux usées, par simple ruissellement.
La conception d’un réseau de distribution d’eau
potable à l’échelle d’une ville émerge lentement
comme à Laval (1485) mais surtout à Rouen ;
l’adduction d’eau au début du 16e siècle y est
remarquable par son étendue et la beauté de ses
fontaines. Désormais de nouvelles sources sont
recherchées et captées, des aqueducs sont bâtis,
reliant et alimentant les points d’eau disponibles, fontaines ou puits, et des réservoirs sont créés.
Parallèlement s’épanouit un usage plus esthétique
de l’eau dans le cadre d’un véritable art des jardins.
Cette exposition a été réalisée par la
Direction régionale des Affaires culturelles de
Haute-Normandie (DRAC), Service régional
de l’Inventaire général, en collaboration avec
les services de la Ville de Dieppe et le Service
Fontaine de la Barre en 1838, tableau de W. C. Stanfield. Cette fontaine dieppoise était en réalité le réservoir d’arrivée de l’aqueduc qui menait l’eau
de la source du Gouffre jusqu’à la ville (emplacement de l’actuelle rue Toustain). (Collection Musée de Dieppe) cl. H. C. Boniface.
régional de l’Archéologie (DRAC). © 2004.
Textes : Viviane Manase, Service régional
de l’Inventaire général, avec la collaboration
de Christelle Morin, Ville d’Art et d’Histoire
de la ville de Dieppe et de Philippe Fajon,
Service régional de l’Archéologie.
Photographies : Yvon Miossec,
Christophe Kollmann, Denis Couchaux.
Mise en page : Denis Couchaux
Remerciements : B. Billiotte, P. Ickowicz,
C. Féron, D. Anfray, la Générale des Eaux
Vue cavalière de Dieppe, vers 1682, dit “plan d’Asseline”, avec localisation des fontaines. (Collection Musée de Dieppe).
2. La distribution
d’eau potable
Aux 17e et 18e siècles, l’implantation de
pompes sur les rivières optimise l’alimentation en eau des villes ; à Paris en 1608
les quatre pompes de la Samaritaine
constituent la première machine élévatrice
d’eau de Seine, avant celles du pont
Notre-Dame (1671) et de Marly. À la
même période “l’aqueduc Médicis” (1628)
desser t le Palais du Luxembourg et
quatorze fontaines publiques. Mais c’est
véritablement à partir du 18e siècle que
se développe la mise en place de réseaux
urbains des eaux ; ils sont indissociables
des notions d’hygiène publique et d’urbanisme qui s’enracinent alors. L’apparition
des machines à vapeur pour actionner les
pompes élévatrices à partir de la fin du
18e siècle en Angleterre puis en France,
et celle des conduites en fonte au milieu
du 19e siècle, vont encore améliorer le
fonctionnement des réseaux d’eau. Dans
la seconde moitié du 19e siècle, une distribution plus rationnelle et plus étendue
de l’eau se généralise, desservant de plus
en plus de particuliers.
Au 16e siècle, la prospère cité dieppoise
s’accommode mal des quelques points
d’eau disponibles, d’autant que l’eau y est
souvent saumâtre. La crainte des épidémies de peste et les travaux d’adduction
d’eau entrepris à Rouen (à l’initiative du
Cardinal Georges d’Amboise), et au
Havre, incitent les bourgeois dieppois à
réclamer une eau saine et abondante
pour leur ville. Aussi est-il décidé de
recourir aux services d’un fontainier
rouennais, Pierre Toustain, pour capter et
conduire l’eau d’une source située au
lieu-dit Le Gouffre, à Saint-Aubin-surScie, jusqu’à la fontaine du Puits Salé, par
le biais d’un aqueduc souterrain. C’est le
point de départ d’une longue et difficile
entreprise destinée à faciliter l’accès à
l’eau potable.
Dieppe en 1695, après le bombardement de 1694, plan gravé par H. Van Loon, avec localisation des fontaines. (Médiathèque de Dieppe).
Le réseau d’eau à la fin du 18e siècle à Dieppe est d’une densité remarquable pour l’époque, même si le village du Pollet ne bénéficie
que de deux branchements. (Bibliothèque Municipale de Rouen).
Maison ancienne au Pollet à Dieppe, avec son puits. Dessin et lithographie par Tirpenne, milieu 19e siècle. (Collection Musée de Dieppe).
Ci-contre : Fontaine du Marché aux Veaux à Dieppe (place L. Vitet), lithographie par V. Adam, milieu 19e siècle. Fontaine construite
en 1579, refaite en 1681 puis en 1783, maintenant détruite. (Médiathèque de Dieppe).
Si la ville intra-muros profite dès 1558 de l’eau potable amenée par l’aqueduc Toustain, le village du Pollet situé au delà du port
se contente de l’eau souvent saumâtre des puits jusqu’à la mise en place de fontaines en 1834.
3. L’aqueduc Toustain
Pendant la guerre de cent ans, sous l’occupation anglaise, un projet d’adduction
d’eau douce, resté sans suite, est déjà
envisagé à Dieppe (1434), à la demande
des manants, bourgeois et habitants de la
cité. Il s’agissait de détourner une partie
de la Varenne, et de conduire l’eau jusqu’à
la ville par le biais d’un canal à ciel ouvert,
prenant naissance près le “Pont aux
Vacques” à Arques-la-Bataille. Fondamental
pour l’épanouissement de la ville, ce
projet est repris dès 1454 par le roi
Charles VII, mais abandonné, la région
étant exsangue.
Ce n’est qu’au début des années 1530,
alors que la ville ne cesse de s’étendre et
de prospérer, qu’un nouveau projet d’adduction d’eau voit le jour. Le 15 janvier
1532, l’amiral Chabot accorde aux dieppois le droit de capter une source située
à Saint-Aubin-sur-Scie. Il importe que ces
travaux ne retardent pas les ouvrages et
réparations en cours au château et dans la
ville et que les propriétaires des terrains
soient correctement dédommagés. En avril
la commune achète la source et les
terrains nécessaires pour 200 livres tournois ; deux ans plus tard, le 11 novembre
1535, elle engage le fontainier Pierre
Toustain pour réaliser l’aqueduc gravitaire
chargé de transporter l’eau douce dans la
ville. Bourgeois de Rouen, Pierre Toustain
a travaillé dans sa ville à la réalisation de
la fontaine de l’archevêché. À Dieppe, il
s’attèle à une entreprise colossale : l’eau
doit être acheminée grâce à deux
conduites enterrées depuis Saint-Aubinsur-Scie (situé à 6 kms), en passant sous
la rivière de La Scie, puis sous la montaigne,
entre Petit-Appeville et Dieppe. Secondé
par deux hommes qualifiés, il obtient de
la Ville matières et ouvriers qu’il conviendra
à faire ledict ouvraige. Difficultés et retards
s’accumulent, et quand enfin, en mai
1553, l’eau douce arrive dans le fossé de
la ville, le débit est jugé insuffisant, et le
fontainier est traîné en justice puis emprisonné. L’ouvrage est finalement achevé
en 1558 par les Le Mestre père et fils,
fontainiers du Roi, le père Pierre ayant
œuvré au Havre mais aussi au château
d’Anet et à Fontainebleau. En 1553 ils
avaient obtenu la libération de Pierre
Toustain en confirmant la justesse des calculs
de pente effectués par leur confrère...
malgré quelques erreurs.
Vue cavalière de la ville, estampe extraite de la Cosmographie de François Belleforest, 1575.
Marché entre Pierre Toustain et la Ville pour la construction de l’aqueduc, 11 novembre 1535. (Médiathèque de Dieppe).
Canalisations en terre cuite de l’aqueduc, d’un diamètre de 6 ou 19 cm, enrobées dans un lit de ciment dit romain. Cl. B. Billiotte.
4. L’aqueduc Toustain
L’aqueduc Toustain consiste en deux
conduites de terre cuite enterrées, enrobées dans un lit de ciment romain, abritées
par une galerie souterraine à partir du
Petit-Appeville. Il comporte des évents
pour l’évacuation de l’air, dix-neuf puits
d’extraction, des “regards” pour faciliter
l’entretien, deux cuves “coupées” pour le
dépôt des boues, et plusieurs salles. La
salle dite “de la Duchesse de Berry” est
remarquable ; elle présente une table
semi-circulaire autrefois pourvue de jets
d’eau, un banc en pierre et une paroi très
originale, ornée de coraux et de
coquillages, bien dans l’esprit des grottes
rustiques à mécanismes et effets d’eau
appréciées dans les années 1570-1630. À
l’origine, l’eau arrivait dans un réservoir
(château d’eau) servant de fontaine
(place la Barre actuelle), puis aboutissait à
la fontaine du Puits Salé. Un branchement
secondaire alimentait la place du Port
d’Ouest (place C. Saint Saëns), puis la rue
de la Halle au Blé ; un autre longeait la
rue d’Ecosse.
Outre les puits et fontaines en place en
1558, cet ouvrage pourvoyait en eau
nombre de fontaines publiques et privées, élevées au cours des âges. Ce
réseau sera régulièrement restauré,
rallongé et remanié, les besoins et les
branchements privés croissant au rythme
de la démographie. En 1785, la ville se
trouve être l’une de celles du royaume qui
ait de l’eau douce et légère en la plus grande abondance, puisqu’outre un grand
nombre de fontaines publiques (…) il n’y a
point dans Dieppe de maison particulière
d’une grandeur passable qui n’ait sa fontaine.
Mais cette densité exceptionnelle du
réseau d’eau cache une réalité moins idyllique : l’aqueduc Toustain, surtout aux 18e
et 19e siècles, est régulièrement bouché
et altéré par l’infiltration de racines
d’arbres. D’importantes fuites d’eau sont
constatées, au point d’inonder certaines
caves, avec pour conséquence de fréquentes et parfois longues interruptions
de distribution. Après la guerre de 18701871, le constat est alarmant : les conduites
présentent des portions réparées de
façon inégale, avec des matériaux différents, et le réseau fonctionne mal. La
réfection totale de l’adduction d’eau
devient une nécessité absolue, d’autant
qu’émergent de nouveaux quartiers : ce
sera chose faite en 1882, à partir de la
même source.
Accès d’origine de la galerie, au Petit-Appeville.
Puits d’extraction permettant le déblaiement de la terre et des pierres lors
du creusement de la galerie, et le renouvellement de l’air.
Un évent est un tuyau vertical branché sur une conduite enterrée afin d’évacuer l’air accumulé, protégé par une enveloppe en pierre (16e siècle)
ou en ciment romain (vers 1793). Cl. de droite B. Billiotte.
Salle dite “de la duchesse de Berry” ou “de la Source”, état en 1991.
5. Puits et fontaines
Face à l’accroissement des besoins en
eau potable, les autorités doivent mettre
à la disposition de la population des fontaines publiques toujours plus nombreuses, plus performantes, mais aussi
plus belles. Parce que leur usage quotidien en fait naturellement des lieux de
convivialité et d’échanges, les villes manifestent souvent leur prestige à travers le
nombre et la richesse ornementale et
iconographique de leurs fontaines.
Techniquement, leurs eaux jaillissent de
puits artésiens, ou, en vertu du principe
des vases communicants, de conduites
souterraines en provenance de sources
captées en des lieux plus élevés, souvent
situés en dehors de la ville. Les canalisations, en bois, terre cuite, maçonnerie,
plomb, cuivre, fer puis en fonte à partir
du milieu du 19e siècle, mènent l’eau des
sources jusqu’à des réservoirs situés sous
les fontaines grâce au seul dénivelé, avant
l’apparition de pompes élévatrices.
L’édification de ces aqueducs gravitaires
exigent alors des travaux considérables
et un entretien régulier facilité par la présence de “regards”. La clarté de l’eau est
également maintenue par des cuves de
décantation (cuve “coupée”) où les boues
se déposent.
Si aux 15e et 16e siècles l’obtention par des
particuliers (communautés religieuses ou
édiles) d’un branchement privé est un
véritable privilège, d’un coût élevé, la
distribution de l’eau se démocratisera par
la suite et deviendra individuelle.
Puits de l’hôtel de M. de Sauqueville, daté 1631, 77 Grande Rue.
Fontaines près de l’église Saint Jacques, édifiées en 1568, refaites en 1678.
Lithographie par Benoit, figures par Gaildrau, dans La Normandie Illustrée, 1857.
Fontaine de la Bourse (1736), sur le quai, gravure par Rouargue frères. (Médiathèque de Dieppe).
Fontaine de la Barre, dessin, plume et lavis par anonyme anglais, 1862.
(Collection Musée de Dieppe).
Fontaine de l’immeuble Frosmont, élevée en 1881 par Louis Lorrain,
architecte, à la demande d’Eugène Frosmont, fabricant de statues en fonte.
L’édifice est une banque depuis le début du siècle. (Médiathèque de Dieppe).
Fontaine de La Barre, dessin aquarellé par William Callow, 19e siècle.
(Collection Musée de Dieppe).
6. Puits et fontaines
À Dieppe, au moins quatre puits d’eau
potable sont recensés au 14e siècle, mais
l’eau douce se mêle parfois aux infiltrations d’eau de mer. L’aqueduc Toustain, en
faisant bénéficier les dieppois d’une eau
abondante et d’excellente qualité dès
1558 constitue donc une étape très
importante dans l’histoire de l’adduction
d’eau de la ville.
Aux fontaines déjà en place (du Port
d’Ouest, de la Halle au Blé, de l’Ancienne
Poissonnerie, du Puits Salé), s’ajoutent
pour le plus grand confort des habitants
les fontaines de La Barre (réservoir d’arrivée de l’aqueduc), du Marché (place
Nationale) en 1563, ornée de nymphes
et figurines ciselées dans la pierre, de la
Vase, de la Vicomté, du Trou Moisson et
de la place du Moulin à vent, de la rue
d’Ecosse (1575), de la Porte du Pont (1579),
et quatre autres autour du cimetière de
l’église Saint-Jacques (1568)... Les “fontaines”
particulières ou branchements privés se
multiplient : 167 en 1730, 292 en 1788 en
comptant les fontaines publiques, ce qui
est tout à fait remarquable. En 1813, il y a
à Dieppe 98 fontaines publiques, et 280
fontaines particulières ; en 1874, 47 fontaines publiques, 31 fontaines d’établissements communaux et 433 concessions
privées. La demande en points d’eau
potable allant croissant, la ville implante
de nombreuses bornes-fontaines qui,
munies de clapets, évitent le gaspillage.
Hormis la fontaine privée de M. de
Sauqueville (1631) et celle du Puits Salée
(1930) qui n’est plus reliée au réseau,
aucune fontaine ne subsiste de nos jours.
Carte postale vers 1910. (Collection particulière).
Le puits installé en 1930 place du Puits Salé par l’architecte Fernand
Miellot, remplace la fontaine la plus célèbre de Dieppe, devant l’ancien
Hôtel de Ville. C’est là qu’en 1558 jaillit pour la première fois l’eau de
l’aqueduc Toustain, lors d’une fastueuse cérémonie. Elle changea régulièrement d’aspect, notamment au 19e siècle : une statue vers 1850, une urne en
1862, puis une pyramide et enfin vers 1880 un curieux candélabre à gaz
servant également de fontaine.
Lithographie d’A. Féret vers 1850. (Médiathèque de Dieppe).
Borne-fontaine modèle “Bayard”.
Dessin par anonyme anglais en 1862. (Collection Musée de Dieppe).
Puits installé en 1930, par l’architecte Fernand Miellot.
Lithographie d’A. Féret. (Médiathèque de Dieppe).
7. Deux fontaines
disparues
LA FONTAINE DU PORT D’OUEST
Au port de ouest ou Porduet, il existe une
fontaine à cuve en forme de tombeau et
pavée de plusieurs pierres (Asseline, 1682).
Vraisemblablement construite en 1563,
soit cinq ans après celle du Puits Salé,
cette fontaine a été redécouverte en
2001, lors de fouilles archéologiques
effectuées place Camille Saint-Saëns.
L’ouvrage hydraulique comporte deux
parties distinctes. Un caveau cubique en
calcaire et grès de 2m sur 1m70 de haut,
accessible par un escalier de cinq à sept
degrés (nord-ouest), est couvert par
deux dalles d’autel, et pavé par des dalles
calcaires (deux au moins sont des pierres
tombales, sans doute de l’ancien cimetière Saint Rémy). Le second élément est un
puisard circulaire de 90cm de diamètre
relié à la salle par un étroit passage. Ces
vestiges correspondent à une ancienne
description citant deux tampons, l’un pour
laisser s’écouler l’eau pour la conduite qui
va à l’abreuvoir, et l’autre pour faire sortir
l’eau des tuyaux et la faire couler dans le
puisard ou perte qui est à côté, ce qui se
pratique quand on travaille à toutes les fontaines (Médiathèque de Dieppe). On peut
également les rapprocher de deux projets
des années 1795, dus au fontainier
Dupont.
LA FONTAINE D’ISAAC DE C AUS
En l’honneur de l’entrée royale de Louis
XIII à Dieppe en 1617, la Ville organisa de
fastueux divertissements, dont le spectacle d’une étonnante fontaine, créée par
Isaac de Caus, à l’emplacement de l’actuelle place Nationale. Les descriptions
qui nous sont seules parvenues en font la
brillante illustration d’un art mécanique
très prisé à l’époque, art dont le célèbre
ingénieur dieppois Salomon de Caus
(1576-1626), père d’Isaac, était l’un des
plus illustres spécialistes. Son ouvrage Les
raisons des forces mouvantes (1615)
propose une série de modèles de fontaines animées par des automates et des
machines hydrauliques, véritables curiosités, parfois musicales, mêlant esthétisme
et ingéniosité, égayant jardins et grottes.
Ces techniques hydrauliques sophistiquées, avec oiseaux artificiels chantants,
flûtistes mécaniques, nymphes, dragons et
satyres animés prolongent en fait les jeux
d’eaux des jardins et grottes créés à la
Renaissance en Italie ou en France (grotte
rustique du Jardin des Tuileries (vers
1567), grottes ornées de Saint Germainen-Laye (1598)…).
Le puisard lors de sa découverte.
La voûte a malheureusement été
éventrée. Cl. Ph. Fajon.
Intérieur du “caveau” avec arrivée
d’une canalisation postérieure au
17e siècle, dotée d’un siphon
anti-refoulement. Cl. Ph. Fajon.
Projet A43.
Projet A42.
Deux projets de travaux concernant la fontaine du Port d’Ouest, avec plans
et profils. Le premier (1er mai 1795, signé Dupont) présente un puisard et une
conduite vers l’abreuvoir, et le second un édifice de surface cubique, éléments
relativement proches des vestiges retrouvées. (Médiathèque de Dieppe).
Projet A43.
Projet A42.
...Un rocher devant l’Hôtel de Ville estoit des plus beaux que
l’on puisse s’imaginer, estant composé d’une quantité de rares
pourcelaines, de très précieux vignots et d’un très grand
nombre de rocailles très bien choisies et très bien appliquées.
Un mémoire porte qu’il enfermoit une fonteine artificielle que
le sieur Isaac de Caux, Dieppois et ingénieur, avoit si bien
inventée, que l’eau qui couloit d’une cuve placée au haut de la
Maison de Ville, et tomboit, par certains canaux, dans le corps
de plusieurs oyseaux de terre, non seulement leur faisoit chanter un ramage tout à fait surprenant, mais même que par le
moyen d’un autre tuyau, elle eslevoit admirablement une
pomme et une couronne en l’air jusqu’à ce que venant à manModèles de fontaines proches de la fontaine d’Isaac de Caus, extraits de l’ouvrage
de Salomon de Caus Les raisons des forces mouvantes, 1615. Clichés du Conservatoire
national des arts et métiers, Conservatoire numérique http://cnum.cnam.fr.
quer, l’une et l’autre qui avoient esté suspenduë descendoient
alors au lieu d’où elles avoient été transportées...
Extrait de Les Antiquitez et chroniques de la ville de Dieppe,
par David Asseline, 1682, réédition 1874.
8. L’eau pour tous ?
Certains gros utilisateurs d’eau situés dans
la ville intra-muros profitent largement
des ressources de l’aqueduc Toustain :
c’est le cas de l’hospice, exempté du
paiement du “droit de fontaine” à la Ville,
mais aussi des auberges et des industries
(Manufacture des Tabacs, brasseries,
nombreuses au 17e siècle…).
Quelques sites sont pourtant relativement
écartés de la distribution.
Ainsi, en raison de la situation dominante
de la forteresse, la garnison stationnée au
château (avec les chevaux) et le gouverneur ne peuvent profiter des bienfaits de
l’aqueduc. Ils se contentent d’un puits
profond et de réservoirs situés sous la
cour basse. En 1618 et 1619, la découverte de deux sources d’eau claire, l’une
à Caude-Côte, l’autre (la Source Bleue)
située dans la salle dite “de la duchesse
de Berry” de la galerie de Pierre Toustain,
procurent de l’eau pure aux habitants du
château et du faubourg de la Barre. Les
travaux d’adduction sont réalisés par le
fontainier Moyse Planquais (1619).
Le village de pêcheurs du Pollet ne dispose
que de l’eau de citerne et de puits,
presque partout saumâtre. Seuls les couvents des Capucins (en 1620) et des
Sœurs de la Visitation de Sainte Marie (en
1653) bénéficient du réseau d’eau de la
ville grâce à une canalisation souterraine
en plomb (privée) qui traverse la rivière.
Après plusieurs projets avortés (fontaine
publique en 1733, puits artésien en
1829), trois fontaines publiques, inaugurées
en 1834, puis deux autres, ravitaillent
enfin en eau potable ce faubourg à la
population défavorisée.
Le puits du château de Dieppe.
La rue des trois Marmots, photographie par J. Contadzian, 1884. (Médiathèque de Dieppe).
Grande rue du Pollet, angle de la rue des
Matelots, photographie attribuée à A. Marais
vers 1880. (Médiathèque de Dieppe).
Le Pollet : la place Bourdin en 1884
avec son point d’eau, avant sa destruction,
photographie par J. Contadzian.
(Médiathèque de Dieppe).
9. L’aqueduc du
Gouffre (1882)
Au 19e siècle, le mauvais état des canalisations de l’aqueduc Toustain, l’extension
de la ville et l’implantation d’industries
exigent une distribution plus performante
de l’eau. En 1875 l’ingénieur des Ponts et
Chaussées Edouard Lavoinne propose un
nouveau projet de réseau urbain des
eaux avec mise en place de pompes élévatrices ; les nouveaux quartiers qui se
développent sur les hauteurs (Caude-Côte,
Janval, La Barre) seront ainsi alimentés.
L’eau, captée à la source dite “du Gouffre”
- d’où par tait également l’aqueduc
Toustain - arrive dans un réservoir souterrain rue Chanzy par le biais d’un aqueduc gravitaire de forme ovoïde, réalisé en
briques. Une quinzaine d’accès ou
“regards”, régulièrement disposés, facilitent
la surveillance et l’entretien de la conduite
principale. Un siphon placé dans la vallée
de la Scie accélère le débit. Une usine des
eaux distribue ensuite l’eau vers le réseau
bas (ville basse) par des tuyaux en fonte,
ou vers deux réservoirs hauts grâce à
deux machines à vapeur “Windsor” avec
pompes élévatoires. Chacun de ces
réservoirs dessert une partie de la cité
en fonction de son altitude. Leur présence
en divers endroits et hauteurs de la ville
améliore nettement la distribution en
régulant le débit, et en diffusant plus équitablement l’eau dans tous les quartiers.
La source du Gouffre, déjà utilisée par Pierre Toustain au 16e siècle, délivre une eau abondante et
pure qui, à partir de 1882, s’écoule dans un nouvel aqueduc en briques, d’une hauteur de 1,40m.
Le “regard” du Petit-Appeville.
Départ et arrivée de l’aqueduc.
Réservoir d’arrivée (rue Chanzy), d’une capacité de 1440 m3. Le petit édifice en terrasse abrite l’arrivée de l’aqueduc.
Plan et coupes du réservoir d’arrivée
(rue de Chanzy) prévu par E. Lavoinne,
le 15 octobre 1875. (Médiathèque de Dieppe).
10. Le réseau urbain
des eaux aux
19e et 20e siècles
Les travaux de l’aqueduc du Gouffre ne
seront finalement achevés qu’en 1882,
après deux ans d’efforts. Sous la conduite
de Paul Alexandre, successeur d’Edouard
Lavoinne, l’entreprise Tessier et Gauguier
(Société métallurgique du Périgord) édifie
l’aqueduc lui-même, mais aussi les réservoirs et le bâtiment prévu pour abriter
les pompes élévatrices. En 1883, les ingénieurs anglais Edwin Nicolas Windsor et
son fils Edwin Wells installent les
machines à vapeur élévatrices, soit deux
ans après Rouen ; le rendement, très
satisfaisant, est de 13 litres 88 par seconde.
Parallèlement les bornes-fontaines sont
renouvelées et presque doublées ; 64
assurent à tous un point d’eau potable de
proximité. De nos jours, une vingtaine
(modèle Bayard) sont encore en fonction.
Au début du siècle suivant quelques travaux optimisent encore la distribution
d’eau : débit renforcé grâce au doublement du siphon (1913), réédification en
1934 de l’usine des eaux (désormais
électrifiée) par l’ingénieur Marcel Caseau,
construction de deux nouveaux réservoirs, ajout de chlore garant d’une parfaite
qualité d’eau. Dans les années 1970 les
châteaux d’eaux du Belvédère (1971, dit
“Vasarely”) et d’Euro-Channel ainsi qu’un
forage à Etran (Martin-Eglise) élargiront
encore la zone d’action du réseau d’eau
dieppois.
L’excellente qualité de l’eau de la source
du Gouffre et son abondance justifient
aujourd’hui son utilisation, sans station de
filtrage, pour répondre à la plus grande
partie des besoins en eau de la ville.
L’usine des eaux de Dieppe en 1890, avec la cheminée nécessaire pour les machines à vapeur Windsor. (Médiathèque de Dieppe).
Usine des eaux de la Jatte à Rouen, salle des machines à
vapeur, 1881,Windsor et fils (les chaudières sont détruites).
Ces pompes élévatrices à vapeur sont semblables à celles
qui existaient à Dieppe.
Château d’eau de Caude-Côte, élevé en 1935.
Les deux cuves sont portées par une ossature
ouverte, en poutres de béton armé,
caractéristique des années 1930.
Château d’eau du Belvédère, édifié en 1971
par l’architecte Herbelin. Le décor géométrique
aux couleurs vives est dû au peintre Vasarely.
Salle des machines de l’usine des eaux (rue Chanzy). Cette usine utilise depuis 1934
des pompes électrifiées qui refoulent une partie de l’eau vers les réservoirs
de la Caserne (réseau moyen) et du Belvédère (réseau haut).
11. L’eau ailleurs...
Un regard non exhaustif sur d’autres
réseaux normands nous apporte un
éclairage diversifié sur cette grave question
d’utilité publique.
La ville du Havre, créée en 1517 selon les
désirs de François 1er, a dès l’origine une
fontaine publique, dont l’eau provient de
la source de Vitanval. L’aqueduc qui dessert
aussi deux autres fontaines ressemble à
l’aqueduc Toustain : doubles tuyaux en
terre cuite noyés dans une maçonnerie
de ciment recouverte d’une enveloppe
de pierre. L’eau est conservée dans deux
réservoirs, l’un d’eux qualifié de château
d’eau et lavoir. En 1542 deux nouvelles
sources captées par Pierre Le Mestre
augmentent les ressources en eau et alimentent deux autres fontaines. Au cours
des 17e et 18e siècles le réseau s’étend,
d’autres sources sont exploitées, les fontaines publiques et privées se multiplient,
des citernes sont mises en place.
D’importants travaux sont ainsi effectués
en 1745 par l’ingénieur dieppois Le
Cloustier, complétés en 1780 et 1793. En
1854 et 1881 un nouveau réseau est établi : aménagement des sources de SaintLaurent-de-Brévedent, station du Câtillon
regroupant les eaux captées, usine-relais
aux Hallattes disposant de deux machines
élévatoires... Enfin trois châteaux d’eau
sont bâtis entre 1919 et 1939, avant la
destruction du Havre lors de la Seconde
Guerre mondiale.
Dès le 16e siècle, la ville d’Harfleur bénéficie
elle-aussi d’une distribution d’eau ; si un
aqueduc est finalement édifié en 1546
par Michel et Pierre Vigor, les sources
d’archives attestent de contacts entre les
échevins et Pierre Toustain. L’aménagement d’un réseau à l’échelle de la ville
ne sera effectif que bien plus tard, en
1909, avec notamment l’édification de
pompes-fontaines et de bornes-fontaines
(15 en 1911).
Après l’incendie de Bolbec en 1765, l’adduction d’eau est réalisée par le biais
d’une canalisation en terre cuite reliant le
vivier de Fontaine à une fontaine
publique. En 1794 fonctionne un nouveau
réseau dû à l’ingénieur havrais Fréminville,
avec château-d’eau, conduite en bois de
hêtre, trois fontaines publiques, quatre
“regards”, des cuvettes en plomb et des
robinets en cuivre. En 1886-1887 la distribution d’eau est renouvelée : canalisations,
pompes élévatrices à vapeur et trois
réservoirs fournissent en eau les fontaines
monumentales, douze bornes-fontaines et
soixante-cinq bouches d’arrosage.
Le Havre. Fontaine de l’ancienne place des Pilotes,
érigée en 1684, avec une statue de Louis XIV, et les
représentations des Vertus. Dessin de Dolimar, dans
Lemale, Le Havre Autrefois, 1883.
Le Havre. L’une des fontaines autrefois situées
rue Masurier, élevées en 1780 à l’initiative de
J. B. Oursel, subdélégué de l’intendant, lorsqu’il
fait édifier son hôtel particulier et remplacée
par une borne-fontaine au 19e siècle.
Harfleur en 1857, quai de la douane, dessin par Benoist, lithographie par Cicéri et Benoist, dans La Normandie illustrée.
Station de captage de la ville du Havre ; station des Grandes Sources à Saint-Laurent-de-Brevedent :
bassin d’arrivée.
Bolbec. Borne-fontaine mise en place en
1885 par la compagnie parisienne Dubuc,
chargée de moderniser le réseau urbain
des eaux.
Vernon, borne-fontaine rue de la Marne.
Le Livre des Fontaines, 1524-1525, par
Jacques Le Lieur, publié par Victor Sanson
en 1911. (Bibliothèque Municipale de Rouen).
12. L’eau potable
à Rouen
Quelques éléments de l’alimentation en
eau de la ville avant le 15e siècle sont
connus : vestiges archéologiques d’une
majestueuse et rare fontaine publique
Gallo-romaine, mentions dès 1257 d’un
aqueduc depuis la source Gaalor, d’une
source Saint-Nicaise citée au 13e siècle,
d’un aqueduc par tant de la source
Notre-Dame, utilisé au 14e siècle comme
égout souterrain, et de sept fontaines au
15e siècle. La distribution de l’eau potable
à Rouen s’intensifie sensiblement à la
Renaissance sous l’impulsion du Cardinal
Georges d’Amboise, et sous la conduite
du fameux maître-d’œuvre Rouland
Leroux. Rouen devient l’une des villes du
royaume les mieux pourvues dans ce
domaine, et se couvre d’un réseau de
superbes fontaines dont certaines reflètent
très tôt l’influence italienne. Trois sources
approvisionnent plus de vingt-cinq
fontaines soigneusement ornées, les
conduites souterraines sont mieux
dimensionnées et désormais pourvues
de “regards”... L’adduction d’eau en 1525
est connue grâce à un document technique exceptionnel offert à la Ville par le
Conseiller Jacques Le Lieur : le Livre des
fontaines nous révèle l’histoire de la captation des trois principales sources
(Gaalor, Darnétal et Yonville), la représentation détaillée des trois aqueducs au sein
de la cité, de leurs fontaines, leurs cuves
de décantation, leurs évents, leurs branchements... Jusqu’au milieu du 19e siècle,
le réseau est modernisé et repris ;
tuyaux en plomb, création et utilisation
de ventouses destinées à évacuer l’air des
canalisations (18e siècle), réfection de certaines fontaines. En 1860 Rouen compte
118 fontaines, dont plus de la moitié sont
privées. De profondes modifications vont
alors, jusqu’à la fin du siècle, transformer
l’ensemble du réseau pour en faire un
outil de distribution moderne et cohérent, de grande ampleur, tourné vers une
diffusion individuelle de l’eau. Les ressources en eau sont augmentées et
regroupées, distribuées par des conduites
en fonte (1864), de nouveaux réservoirs
sont mis en place. En 1871-73 un aqueduc gravitaire achemine les eaux du
Robec captées à Fontaine-sous-Préaux et
dessert quatre réservoirs (1872-1884).
En 1881, deux pompes élévatrices à
vapeur de marque Windsor sont installées
dans l’usine des eaux de la Jatte.
Aujourd’hui, l’électricité a remplacé les
machines à vapeur, et une station de filtration améliore la qualité des eaux.
L’aménagement de fontaines publiques ne
répond plus aux besoins de la vie quotidienne, mais participe à l’embellissement
de la ville, et chaque logement dispose
désormais de l’eau courante.
La fontaine de l’archevêché (détruite) était
destinée à l’ornement du jardin du palais
épiscopal. Elle illustre par sa structure
en vasques superposées l’influence italienne
introduite à Gaillon par Georges d’Amboise.
Pierre Toustain participe à son édification.
La fontaine Sainte-Croix (détruite, rue des
Boucheries Saint Ouen) est conçue selon
un modèle gothique, à l’image des fontaines
Massacre et de la Croix de Pierre.
Fontaine à lanternon dite de la “Pucelle”,
édifiée vers 1530. Lithographie de T. de Jolimont,
dans Monumens de la Normandie, 1822.
Fontaine de la Croix de Pierre (1500),
dessin par Villeneuve, 1824, lithographie par
G. Engelmann, dans Taylor et Nodier, Voyages
pittoresques et romantiques de l’ancienne
France. Cette fontaine gothique, timbrée aux
armes de France, de Normandie et de Rouen,
a été reconstruite en 1870.
Réservoir souterrain de la fontaine Sainte Marie achevée en 1874, d’une contenance de 6000 m3.
Usine des eaux de la Jatte à Rouen,
machines à vapeur (pompes élévatrices),
1881, de marque Windsor, qui permettaient
de conduire et d’élever l’eau de la source
de Forges-les-Eaux jusqu’aux sept réservoirs
situés sur les hauteurs de Rouen.