Septembre 1941 Feu vert pour Le Monde

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Septembre 1941 Feu vert pour Le Monde
Septembre 1941
6 – La bataille de l’information
Feu vert pour Le Monde
4 septembre
Radio noire contre Luftwaffe
Londres – Der Chef, très en verve, s’en prend à la Luftwaffe en général – mais en particulier
à Göring et à Kesselring, qui essuie au dessus de la Grèce des pertes terribles sans parvenir à
obtenir des résultats décisifs. Décidé plus que jamais à attiser “la discorde chez l’ennemi”,
Sefton Delmer affirme que le Führer est « sehr enttäuscht »1 par ses aviateurs, pour lesquels il
a tant fait depuis l’avènement du régime en 1933. Puis il ajoute : « Glücklicherweise gibt es
aber für Deutschland die Kriegsmarine, besonders die U-Boote, die Ihr, heute sowie gestern,
nie enttäuscht haben. »2
6 septembre
Censure sur censure
Paris – Havas-OFI diffuse dans la matinée les huit feuillets du reportage de Jean Fontenoy
sur la Grèce et le “front de Méditerranée”. La Propaganda Staffel a exigé la suppression de
tous ses paragraphes sur la Luftwaffe. On a estimé que Fontenoy, très informé de ce qui
touche à l’aviation3, donnait, sans le vouloir peut-être, des informations précieuses à l’ennemi.
22 septembre
Vu de Sirius
Alger – Sollicité officieusement par Jean Zay au mois de juillet, Hubert Beuve-Méry lui
remet un projet de création d’un quotidien “de référence”. Ce texte très détaillé comporte un
schéma rédactionnel, y compris une esquisse de mise en pages et un chemin de fer, un
calendrier de lancement, un budget prévisionnel sur deux années et des propositions pour les
principaux postes de la rédaction et pour les correspondants à l’Étranger. Beuve-Méry
souligne, non sans un sourire, qu’il suggère de passer de la catégorie de la durée, qui était
celle du Temps, à celle de l’espace : il prévoit que ce nouveau journal devrait adopter pour
titre Le Monde. Il n’en est pas moins vrai qu’il y aura, par la volonté même de Beuve-Méry et
pour répondre au souhait du gouvernement, plus d’une ressemblance entre l’ancien et le
nouveau.
A la surprise de Beuve-Méry, Jean Zay lui déclare que la décision du gouvernement est déjà
prise et les crédits nécessaires ordonnancés par le ministère des Finances sur un compte
ouvert à son nom à la Banque de France. Il peut donc se considérer, à dater du 1er octobre,
comme le directeur en titre du Monde et entreprendre ses recrutements. À charge pour lui de
se mettre en mesure de sortir le premier numéro dès la deuxième semaine de janvier 1942 !
« C’est entre nous, bien entendu, précise Jean Zay, et cela doit rester entre nous jusqu’à la
mi-octobre au moins. » Beuve-Méry, qui n’a rien d’un naïf, feint de s’étonner : « Pourquoi
1
« Très déçu » ou « trahi sur toute la ligne ». L’imprécision parfois grandiose de la langue allemande fait ici
tout son charme…
2
« Mais heureusement, l’Allemagne possède sa Kriegsmarine, en particulier ses sous-marins, qui, aujourd’hui
comme hier, ne l’ont jamais déçue » (ou « trahie »).
3
Fontenoy avait épousé une aviatrice de records, Madeleine Charnaux, qui l’avait cependant quitté pour
rejoindre Alger et les groupes de transport de l’Armée de l’Air.
cela, Monsieur le ministre ? » Le sourire de Zay pourrait le dispenser de répondre, mais il
tient à mettre les points sur les i : « Mon cher, disons qu’il y a, au sein même du
Gouvernement, des personnalités… même entre nous, inutile de les nommer… qui pourraient
prendre ombrage de la nomination d’un antimunichois aussi ardent que vous à un poste à la
fois prestigieux et stratégique. Ne les excitons pas trop tôt. »
30 septembre
Des parasites entre Rome et Paris
Paris – Le service international de l’agence Stefani est enfin reçu place de la Bourse.
Malgré la bonne volonté des Italiens, à laquelle peu de gens s’attendaient, il a été difficile
d’installer une liaison directe Rome-Paris, en raison des nombreuses coupures dues à la
guerre, qui sont loin d’avoir été toutes réparées. Les PTT français n’ont pas manqué de faire
valoir qu’obéissant aux consignes du gouvernement du NEF, ils se sont préoccupés d’abord
de rétablir les réseaux de communication télégraphiques et téléphoniques intérieurs (nul n’a
jugé bon d’ajouter que les ingénieurs, techniciens et ouvriers, obéissant aux consignes du
gouvernement d’Alger, se sont consacrés à leur tâche avec une sage lenteur). Finalement, il a
fallu obtenir des PTT helvétiques l’autorisation de brancher en Suisse une bretelle BerneBâle-Mulhouse-Nancy-Reims-Paris sur la ligne Rome-Berne via Florence, Milan,
Domodossola, Lugano, Andermatt et Interlaken4.
Le passage par l’Alsace annexée a satisfait les Allemands, qui se réservent in petto le droit de
censurer à la volée les nouvelles émises par leurs alliés : l’Axe, affirme-t-on sans ambages à
Berlin, sera d’autant plus solide que l’on veillera, du côté allemand, à protéger les Italiens de
la tentation d’un coup de canif dans le contrat. Mais une liaison aussi complexe, utilisant
autant de relais, est comme une invitation à la panne, si bien qu’Havas-OFI devra en règle
générale demander à Stefani la répétition d’une dépêche sur quatre.
4
Pour bien démontrer la perfection de sa neutralité, l’Agence Télégraphique Suisse ATS reçoit et utilise, selon
un équilibre maintenu avec la précision des horlogers de Bienne, les services internationaux du DNB, de Stefani,
d’Havas Libre, de Reuters et d’AP – sans se priver, pour autant, de citer les correspondants à l’Étranger de la
radio helvétique et des journaux des trois grandes langues nationales.