RENE FREGNI textes

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RENE FREGNI textes
RENE FREGNI
8 juillet 1947
naissance à Marseille
1953, il jette ses lunettes, acte fondateur de sa vie
1969 : déserteur, il est condamné par défaut à 3 mois
ferme, il part encavale
1973 : le tribunal le condamne à douze mois avec sursis
1985 : son premier roman "Les chemins noirs" est vendu à
15 000exemplaires
RENE FREGNI
L’enfant, hypermétrope, était raillé, l’adulte fut jugé,
l’homme mûr est devenu écrivain reconnu. La révolte n’est
soluble que dans l’amour Quatre-Œeils.
Ses potes des Baumettes ne lui pardonneraient pas de ne
pas être un homme à femmes. Adorateur des icônes de la
Femme. La mère qui laisse à sa mort un trou à jamais béant.
"Quand maman est décédée, pendant un an je n’ai rien
écrit". Jusqu’au jour où une phrase est venue d’ailleurs :
"Depuis que ma mère est morte, je ne tue plus les mouches",
mots lançant son roman intimiste, Elle danse dans le noir. Sa
fille ensuite, chair de sa chair, Marilou, 9 ans. "C’est là que
vit le sentiment. Le bonheur est dans les petites vallées, ma
fille est ma petite vallée".
Et puis les autres femmes, bouts de route aux paysages
variés. "Celles qu’on baise avec délectation, celles qui
deviennent des confidentes, celles qu’on aime écouter".
René Frégni est un homme à femmes. Un dealer d’Eros
depuis dix ans pour prisonniers en douloureux état de
manque. "A une époque, je recevais des lettres très
érotiques, porno même, je les lisais à mes potes de la prison
et ils riaient. Cette dame était notre maîtresse à tous".
Blagues salaces de comptoir. "Je vais aux Baumettes comme
d’autres vont au bistrot". Depuis dix ans, chaque semaine,
il anime un atelier d’écriture au bâtiment D de la prison
marseillaise pour une dizaine de taulards. 17 grilles à
franchir. Odeur de désinfectant. Murs qui dégueulent.
"Entre eux, il existe une ambiance forte et simple, faite de
fascination réciproque et de sentiment" dit le réalisateur
Gabriel Julien-Laferrière qui a acheté 250 000 francs les
droits d’un roman de Frégni pour le transformer en film à
tourner en fin d’année. "Ce groupe n’est pas vraiment
représentatif de la prison".
Des quadras avec, au bas mot, une dizaine d’années au
compteur carcéral. François qui s’enfuit dans le silence.
Jean-Jacques, le fiévreux, l’âme forte, le boulimique de
l’expression "qui écrit de la musique et des
textes toute la nuit. On aime René parce qu’il est comme
nous, rejeté, écrivant avec ses tripes".
Chez Frégni, la révolte a toujours été comme une
seconde nature. Précoce. Les sarcasmes d’enfants,
dévastateurs sur une nature trop sensible, parce qu’il était
hypermétrope, chaussé de lunettes énormes, qui lui
donnaient l’air d’un poisson seul dans son bocal. "A six ans,
je les ai jetées dans le caniveau. Je ne voyais que des
ombres, j’étais bien dans mon univers".
Premier roman à 38 ans. Révolte institutionnalisée ensuite,
dans l’air du temps de mai 68. Il déserte "parce que je
n’avais tout simplement pas envie d’aller à l’armée".
Cavale pendant 4 ans. Petits casses "de villas pour piquer
des meubles, il fallait bien vivre". Traîne-savates en
Grèce, à Istanbul. Cent métiers, cent misères, barman,
ouvrier des chantiers navals de La Ciotat. Rattrapé par
son destin, il connaît "la planche inclinée d’une taule
militaire à Verdun, la tinette pour faire les besoins. J’ai
remis mes lunettes en taule. J’ai perdu la liberté, j’ai
retrouvé la vue. J’ai commencé à lire et écrire".
L’écriture comme moyen d’évasion, truisme d’intello, filon
inépuisable pour les simples. "J’ai dû attendre l’âge de 38 ans
pour publier mon premier roman. J’ai toujours été snobé par
les intellocrates parisiens, Giono n’a jamais eu de grand prix
littéraire, moi non plus, je suis l’autodidacte, le provincial". Le
bouseux vaut pourtant son pesant de bouquins. "15 000
environ pour chacun des sept romans publiés chez nous" dit-on
chez Denoël. Le plouc a désormais son morceau du gâteau.
France 2 a acheté les droits du roman "On ne s’endort jamais
seul" pour en faire un téléfilm tourné par Yves Boisset et
avec Richard Bohringer comme acteur principal. Cette
semaine, Frégni recevra le prix Antigone, décerné par la ville
de Montpellier et, en juin, le Prix des lycéens de Marseille,
petit par la notoriété, grand pour le symbole. "Les mots de
Frégni rencontrent un écho important chez les jeunes" dit
Claude de Peretti, organisatrice.
C’est sans doute un curieux sentiment, la reconnaissance, chez
un révolté. "Non, ne soyons pas hypocrites. La vie me comble
actuellement.Ecrivain est un métier qui sort de moi". Relaisétape, apaisement. "Le contraste est grand avec le Frégni
d’antan qui interprétait Ionesco ou écrivait des pièces
grinçantes, burlesque douloureux avec un slip kangourou
comme seul costume" raconte, amusé, Maurice Vinçon,
directeur du théâtre de Lenche.
Les idées se sont fanées. "J’ai changé cent fois de vérité". Il
ne reste que les émotions simples. Les petites vallées. Le
sentiment d’être un privilégié quand il quitte les Baumettes
le lundi à 17 heures. "C’est un déchirement, eux, vont
dans leur trou, moi, je revois la lumière. On s’est livré, on
s’est délivré mais l’atelier d’écriture reste une goutte
d’eau. Je suis toujours en révolte contre la prison et son
injustice même si j’ai conscience de la faute à payer à la
société. Où sont les hommes politiques impliqués dans toutes
les affaires ? En prison, tu apprends que la moralité n’existe
pas. Il y a les forts et les faibles.
Pour les jeunes, la seule valeur, c’est de réussir un bon coup,
le mal c’est de se faire prendre".
A 53 ans, René Frégni, écrivain reconnu, a tout élagué, tout
dépouillé, tout simplifié. "Quand on n’a plus envie d’aimer, on
meurt".
PHILIPPE WALLEZ "MARSEILLE L'HEBDO" du 17/5/01
DES ATELIERS D'ECRITURE DANS LES PRISONS
LA LIBERTE ENTRE LES LIGNES
A Salon-de-Provence ou à Marseille, des détenus ont choisi
l'évasion par le verbe. Sous la houlette de l'écrivain René
Frégni, ils livrent sur le papier leurs rêves et leur douleur.
Devant nos reporters, ils ont su trouver les mots.
Où se perdent les hommes ? Dans le désamour, la violence.
Puis dans la solitude bruyante d'une prison. A la rencontre
de ces hommes perdus, René Frégni, un écrivain à la
prose noire comme la vie. Depuis six ans, tous les lundis,
il anime des ateliers d'écriture, le matin au centre de
détention de Salon-de-Provence, l'après-midi à la
maison d'arrêt des Baumettes de Marseille. Son dernier
roman, Où se perdent les hommes, est une histoire tendre
et sauvage, candide et bouleversante, où il mêle à la fiction
pas mal de sa propre expérience (lire page 14). Un lundi de
novembre où René s'en va rejoindre derrière les barreaux
ses complices en écriture, deux femmes (une photographe,
une journaliste) lui emboîtent le pas.
Salon-de-Provence, 9 heures. Le centre de détention ne se
distingue des autres bâtiments neufs de la zone industrielle
que par son mur où courent des barbelés. Un entrepôt
d'hommes parmi les entrepôts de marchandises. Ici, les six
cents prisonniers sont calmes, patients. Ils sont en fin de
peine. Sortie prévue vers l'an 2000. Si prêts du but, ils ne
prennent pas le risque d'une cavale. Les gardiens sont
détendus, blaguent : " Vous êtes de L'Huma ? " Pas de
fouille, nous montrons simplement patte blanche. Dédale de
couloirs clairs et pimpants. On se croirait - presque - dans
un collège... Voilà la classe, une petite salle où s'entassent
une dizaine d'élèves, tous rasés de près, en tenue de ville
soignée. Ils font honneur aux dames puis nous tendent la
main, gauchement. On s'embrouille dans les bonjours. On se
bouscule pour s'asseoir. On est tous un peu gênés. Max la
Clef (1) envoie à la cantonade un dernier sourire de
connivence et referme la porte sur nous. Instant
symbolique et émouvant. Désormais, pour quelques
heures, nous tournons, nous aussi, le dos au monde libre.
Pour les détenus, cette porte close signifie qu'ils sont
libres... de parler. Et ils foncent : " C'est comment à
l'extérieur ? ", " C'est vrai qu'il y a des téléphones à cartes
? " Ça fuse de partout et de façon inattendue : " Vous avez
des enfants ? ", " Qu'est-ce que ça fait d'être une femme
et d'entrer ici ? ", " La presse est trop centralisée. Ce qui
se passe à Paris, c'est pas la France ", " Moi, j'aime bien
Libé ", " Paris, ce n'est pas vivable. On y va juste pour faire
carrière. Nous aussi, c'est là que les banques sont les plus
riches ! " On éclate tous de rire.Déjà, on oublie les murs.
Ces hommes joyeux ont entre 20 et 60 ans. Ils essaient
de se reconstruire. Et prennent lentement le chemin de
la liberté en apprivoisant l'écriture. La veille au soir,
autour d'un gratin de courge maison, René a longuement
parlé de son respect, de sa tendresse aussi, pour ces
hors-la-loi de la société comme de l'orthographe, qui
puisent dans l'écriture une force, une rédemption que
d'autres vont chercher dans la religion. Le principe de
l'atelier est simple. En fin de séance, René distribue les
devoirs, propose une phrase (" La vie est un fruit ; notre but
est de le manger ; vivre n'a pas d'autre sens que cela ") ou
des mots (" passion " ; " résistance " ; " révolte ", etc.). Le
lundi suivant, chacun lit à voix haute son texte puis écoute les
critiques des copains. René pousse les débats, encourage les
apprentis, les nourrit avec des textes d'auteurs. Cette
semaine, Philippe le Bavard a planché sur " les vertiges de
l'interdit ". Il lit son texte d'une voix assurée puis s'emballe,
la réclusion n'a pas tué la griserie de l'inaccessible : " La
liberté, c'est l'Amérique sans les Américains ! " Il a des
images-chocs, à la démesure de ses espoirs. Georges, en vieux
sage à la chevelure blanche, rétorque : " L'interdit, c'est une
tentation depuis la Genèse. Une histoire de pomme ! " René
provoque : " Pour être là, mes cocos, vous avez dû goûter aux
fruits défendus ! - Nous sommes tous des bouffeurs de
pommes ! " Raymond se lance, sa voix tremble : " Un seul
endroit où passion, violence, révolte s'éteignent : le cimetière
ou la fosse commune. Un lieu de liberté par excellence. "
Grave, il ôte ses lunettes et commente son propre texte : "
C'est paradoxal, on ne peut pas s'évader de la mort. " Seul le
silence lui répond. René se risque : " Céline dit que, dès
l'ovule, on est mort. " Charles : " Céline, il était plutôt ambigu
comme bonhomme. D'ailleurs, il a piqué le prénom de sa grandmère ! " Le " bébé " de la classe ouvre la bouche pour la
première fois : " Si on est oublié de tous, on est mort bien
avant de mourir. " Ses yeux se sont embués. Tous l'ont
remarqué. Charles le réconforte comme un homme,
brusquement : " L'espoir fait vivre, c'est ça le pire.
L'espoir te mine, te tue. J'ai relevé cette phrase sur les
murs d'une cellule. " Nouvel effroi, balayé par notre prof : "
C'est magnifique cette phrase. Redis-la... " Certains sont
méticuleux, manipulent, fiers, un beau classeur. Le " bébé ",
lui, a étalé son écriture enfantine au dos d'un vieux bordereau
de cantine. La prison, c'est le manque, la démerde. Il lit en
suivant les mots un à un avec son doigt : " La prison, c'est ma
maison, dit le détenu no 2941 Z... Il avait peur de sortir, car
dehors, il n'avait plus rien. A l'appel du matin, on le retrouva
pendu dans sa cellule. Il était libre. " Plus douloureux que la
solitude, il y a le vide, le rien. La mort est une camarade
arrogante, ricanante, qui les nargue, les tente sans cesse.
Etienne, le papy, ouvre un cahier de brouillon et déclame,
solennel : " Je suis la passion, je force les volontés et la
raison... - Qu'est-ce que tu fous ici, tu devrais être à
l'Académie française ! Vous voyez, Madame, la langue
française n'est pas morte. C'est en prison qu'elle existe ! "
Jeannot, dix-huit ans de réclusion, passe son tour.
Ils affrontent tous, un jour ou l'autre, l'angoisse de la feuille
blanche. René écoute les tourments de chacun, dédramatise,
cite des oeuvres de Proust, Genet, Camus, d'autres écorchés
de la vie épanouis dans l'écriture. Ou leur lit des polars, des
livres davantage accessibles et proches de leur expérience :
la violence, le racisme. Ils ont alors plongé sans réticences
dans le Marseille foutraque de Total Khéhops ou de Chourmo
et se sont laissé bercer par la formidable humanité de
l'auteur, Jean-Claude Izzo (2). Charles le Corse, avec
l'aisance de la quarantaine, se souvient de la primaire, où on
lui interdisait de parler sa langue. Il trouve dans cet atelier
un écho à ses racines déchirées, sa famille disloquée. Et fait
resurgir dans l'allitération des rêves enfouis : " Liberté,
écrire ta recherche ou ta perte n'a plus d'effet, mais sache
que tu ne pâlis pas à force d'être écrite... Tu es le plus beau
souvenir de mon existence, liberté... " René : " Tu nous fais un
remake d'Eluard ! " Personne ne connaît. " J'ai une bricole là.
" Remi tend un papier chiffonné à son voisin. Trop timide pour
lire lui-même : " Avec un stylo / Sur une feuille blanche / J'ai
refait le monde / Il n'était plus rond / J'ai besoin de coin /
Où me réfugier... " " Bravo ! " Quand l'un lit, les autres ont
un air grave qu'ils abandonnent vite pour jubiler,
s'enflammer avec bruit, comme pour chasser une trop
lourde émotion. Midi approche, l'heure de la sortie, pour
nous. René propose un texte qu'une ancienne détenue lui a
offert lors d'un débat à la Fnac. Cette jeune femme a
couché en phrases sensuelles et violentes sa première
rencontre avec l'amour après des années d'isolement. Un
texte provocant, dans cet univers clos où les hommes sont
sans répit confrontés au désamour, au remords. Ils sont
concentrés, tendus, partent, chacun, très loin dans leurs
souvenirs. On se sent de trop. Un ovni casse la rêverie.
C'est Max la Clef. Il débarque, inopportun, et commente les
dernières frasques de l'OM. On dégringole de la Lune. La
prison reprend ses droits. On s'évade de Salon par la
grande porte, comme des voleurs de vies. Un peu abasourdis.
Direction, Marseille. La maison d'arrêt des Baumettes "
héberge " des prévenus. Ils attendent leur jugement dans
une promiscuité sans nom. Coupables ou non coupables ? Eux
seuls le savent. Ils peaufinent leur défense ou, peut-être,
organisent leur cavale. Pas seulement dans la tête.
Récemment, des armes ont été découvertes dans les
canalisations. Le personnel est sur les dents. L'énorme
bâtisse tout entière résonne d'une tension effrayante,
insoutenable. On a tout entendu sur cette forteresse
surpeuplée et ses deux mille cinq cents locataires.
Pourtant, la réalité dépasse l'appréhension. Ici, ce ne
sont que bruits, odeurs, saletés, cris, escaliers décatis,
murs écaillés, couloirs sombres, gardiens méfiants.
Nous traversons comme des aveugles cet immense
labyrinthe des douleurs. René fait le guide : " Là-bas, c'est
l'ancien bâtiment des con- damnés à mort... " Section D,
enfin l'atelier d'écriture. Dérisoire réflexe : ouvrir les
fenêtres de cette pièce grise, happer un peu d'air du
dehors... " Vaut mieux fermer, ils font trop de bruit dans la
cour ! Ça joue au foot, ça se chamaille, nous, on aime le
calme. " Cette voix de détenu se veut rassurante. Alors, on
surmonte l'angoisse et on se blottit avec les autres autour
de la table. Les hommes d'ici ont l'insolence de ceux qui ont
tout à perdre ou tout à gagner. Machos et peut-être pire, ils
se font prévenants : café, chocolat. Ils nous accueillent avec
bienveillance et humour : " Dites à votre patron qu'il vous
faut beaucoup de pages pour ce reportage. Sinon, on vient le
braquer ! " Le fumeur de pipe, un grand costaud, "
positivise " : " Moi, je dis merci à la prison, je m'y suis
découvert ! " Il cumule toutes sortes d'activités : atelier
d'écriture, multimédia, cours d'anglais et de philo. Il
consacre 80 % de son temps à l'étude, 20 % au sport.
Exigeant, dur avec lui-même pour ne pas sombrer dans
le chaos : " J'étais un volcan, je me dompte. Mais les
gardiens n'apprécient pas les détenus cultivés... " Une
injustice qu'ils reprennent tous de volée : " Ils veulent nous
niveler par le bas ! - On est suspect quand on devient trop
intelligent. Quand tu es abruti, on te mate comme un animal
dangereux. Mais quand t'es intelligent, tu fais peur. - Celui
qui perd son temps devant la télé ne fait pas peur. "
Dominique sort les douze volumes de son journal. 3 600
pages de mots ronds et bleus. Depuis trois ans, il épanche là
sa douleur : " Quelle folie, la confiance... C'est se faire
injustice que de vivre les yeux bandés... " Il ressasse sa vie
entière jusqu'aux larmes. Ici, la pudeur n'a plus sa place.
René enchaîne : " Comme au bistrot, chacun sa tournée ! "
Georges récite un poème mélancolique : " Adieu, mon idéal,
adieu mes amis... - On dirait Le Dormeur du val, de Rimbaud ! "
Henri, lui, s'amuse de métaphores écolos : " Des cafards, il
n'en manque pas dans la décharge : dealers vendeurs de
morts, julots casse-croûte, assassins crapuleux, violeurs
sournois, faussaires [...].
Décharge, tu entasses en couche ce ramassis, mélangeant le
meilleur avec le pire en litières suintantes. " Impossible
d'entendre les commentaires, un vacarme couvre les voix.
Train ou tremblement de terre ? " Ne vous inquiétez pas. Ils
sondent les barreaux. S'ils sont sciés, ils sonnent faux. Ils
font ça régulièrement. " Un ange passe, les cigarettes
circulent. Ces élèves insolites, au bagage scolaire pour
certains très correct, ont de l'envergure. Ils ne suivent pas
un cours, ils tiennent un salon philosophique. Ils commentent
leurs lectures (Elisabeth Badinter, Alfred de Vigny, Gilles
Perrault, Balzac, Hemingway), critiquent politique et société,
argumentent autour de leur production personnelle. Ni la télé
ni la presse ne leur donnent une telle ouverture sur le monde.
Le parloir, c'est une épreuve : un instant de pauvres échanges
qu'ils désirent et redoutent à la fois tant, il est dérisoire, tant il
les confronte à leur solitude, à l'abandon des leurs. Les enfants
pleurent et les épouses se lassent. Alors, ils se réfugient dans
leurs cahiers. Ils sont les " complices du lundi " et ébauchent
ensemble des plans d'évasion : " Ecrire, c'est se retrouver ", "
C'est aller au-delà de soi, c'est témoigner ", " C'est une relation
intime, douloureuse, nécessaire ", " On va peut-être en prendre
pour vingt ans. Alors, écrire, c'est s'évader. C'est un cliché
pour les autres, dehors, pas pour nous... " Il fait désormais
sombre dans cette salle surchauffée. Personne ne se résout aux
néons. Sans la nommer, on prolonge une intimité qui s'est tissée
doucement. Jean baisse la voix : " Les amants ont pris le temps de
mourir un peu... " C'est beau et triste. L'atelier s'achève sur un
silence. Escortées par un gardien, nous raccompagnons Henri à sa
cellule, " sa chambre ". " Parmi nous, il n'y a pas de crapules. "
Nous restons interdites. Que répondre à cela ? Il comprend
notre embarras : " Pas de violeurs, pas de proxénètes, pas de
pédophiles... " Il assume son incarcération et revendique avec une
belle arrogance une dignité hors norme. Il nous confie un texte
écrit à notre attention. Le voici, tel quel : " Mesdames,
permettez-moi, au nom de tous les miens, de vous accueillir
sur cet îlot paisible et de vous remercier de votre audace aux
fins de partager ce temps fort hebdomadaire, animé par
notre romanesque ami. Je devine votre angoisse, devant la
porte monumentale de ces hauts murs... Passé cette bouche
monstrueuse, qui orne la face de ce monstre de pierre, vous
êtes aspirées à l'intérieur de ce corps de géant et vous
cheminez à travers de longs boyaux d'où se dégagent des
effluves de souffrance et de solitude. Peut-être avez-vous
songé à tourner les talons, par crainte d'être digérées par
cette hideuse machine à broyer les hommes. Mais, si nos
corps sont disloqués, ont-ils pour cela perdu leurs essences
spirituelles ? Pénétrez dans le sanctuaire littéraire dans
lequel nous cultivons cette obstination à survivre dans un
milieu... féroce, et qui renforce nos espérances de sauver nos
esprits, aussi sombres soient-ils... Bien que nos âmes soient
déchirées par de multiples accrocs d'une vie chaotique, un
ultime espoir subsiste : les ravauder avec le fil de
l'écriture... Bienvenue, Mesdames, parmi les écorchés de la
société carcérale. " Ils ont rejoint leurs cellules, nous ont
laissées seules, désoeuvrées dans ce grand couloir tout noir. On
cherche la sortie ·
Martine Laval
http://site.voila.fr/renefregni/biographie.htm
Frégni par Frégni !
A
"
l'âge de 19 ans, comme tous les jeunes
gens, je fus appelé sous les drapeaux, je m'y rendis
mais sans trop me presser. J'arrivai à la caserne
souriant, bronzé et on me mit au trou. Mi-figue
Mirador j'y croupis quelques mois en compagnie
du silence et des puces .
U
n beau matin le désir me vint d'être amoureux.
Je m'évadai de ce cachot. Déserteur. Muni de faux
papiers je franchis le frontière, courus l'Europe, me
livrai aux menus travaux et misères de la route,
séjournai à Istanbul. Je revins deux ans plus tard
caresser ma langue maternelle.
A
Marseille on m'embaucha dans un Hôpital
Psychiatrique comme auxilliaire puis infirmier.
Pendant 7 ans j'observai les étranges contorsions de
la folie. Ayant un peu perdu là toute notion du bien
et du mal j'écrivis deux pièces de théâtre que je
jouai dans le Sud de la France. Sans m'en rendre
compte je glissai du théâtre à l'écriture romanesque
et là tout me servit: ce que j'avais vu dans les
prisons militaires, sur les routes, à l'asile. j'entamai
alors le grand voyage immobile.
J
e savais qu'un jour Rimbaud avait dit: "En avant,
Route!" Il ne me restai plus qu'à faire le plein de
mon stylo."
René Frégni
Quelques vers de
“L’heure traversière”,, de Jean Claude Izzo
Extrait du recueil de poèmes « Loin de tous rivages »
"S’il y a une chance pour le silence, c’est
dans le fracas de l’heure chue.
Mais faudra-t-il s’agenouiller devant la
blancheur nue et, les yeux intimement
fermés sur la nuit profonde de nos
origines, prier ?
Voyageur dans l’immobile.
La chaleur dévore mon corps.
Le sel imprègne mon sang.
Avec persévérance.
Héros de Midi dans l’intensité de ce
silence de l’homme -tragique parce
qu’historique- le soleil consume ma chair
dérisoire, et désormais sans révolte.
Tous mes voeux sont pour la cendre."
Réné Frégni, dos au mur…. L’acte d’écrire ???? (©©© le village des facteurs d’images)
Jean-Claude Izzo, par Catherine Bouretz-Izzo, Dublin, juillet 1998.
Marseille, la lumière et la mer
Jean-Claude Izzo, in Méditerranées, anthologie présentée par Michel Le Bris et Jean-Claude
Izzo (Librio, 1998) - extrait
Marseille s'offrait juillet en septembre. Le bel été durait.
Dans les rues, bruyantes, exubérantes comme toutes les villes du Sud, on avait oublié les incendies,
violents, du mois d'août à Septème-les-Vallons, au Rove et à Allauch, et la sourde peur de voir les
feux embraser la ville.
L'Olympique de Marseille, ce soir-là, jouait contre Bordeaux. A Bordeaux. Dès vingt heures, des bars
de quartier allaient se remplir de supporters. Ici, on aime bien suivre les matches dans un bar. Une ou
deux télés, selon les bars. Parfois même, certains y viennent avec femme et enfants. Une part de
pizza, une bière, et quatre-vingt-dix minutes à espérer la victoire du club, toujours. Chaque bar recrée
un microcosme du stade et, exception faite du Paris-Saint-Germain, on peut, si l'on est originaire
d'ailleurs ou simplement de passage dans la ville, manifester son soutien à l'équipe adversaire. Avec
quelques limites à ne pas franchir, bien évidemment. On a son honneur, quand même!
Pour l'heure, sur le Vieux-Port, à la terrasse de la Samaritaine, on boit jusqu'à la dernière minute, et
avec insouciance comme toujours, cette superbe lumière d'automne qui coule du ciel dès cinq heures du
soir.
On ne comprend rien à cette ville si l'on est indifférent à sa lumière. Elle est palpable, même aux
heures les plus brûlantes. Quand elle oblige à baisser les yeux. Marseille est ville de lumière. Et de
vent. Ce fameux mistral qui s'engouffre dans le haut de ses ruelles et balaie tout jusqu'à la mer.
Jusqu'au large de Pomègues et Ratonneau, les îles du Frioul. Jusqu'après Plannier, le phare,
aujourd'hui éteint, reconverti en école de plongée, qui indiquait à tous les marins du monde que
Marseille était à portée de main, et que ses femmes, putes ou pas, leur feraient oublier la passion des
mers et des îles lointaines.
Marseille, à dire vrai, on ne peut l'aimer qu'ainsi, en arrivant par la mer. Au petit matin. A cette
heure où le soleil, surgissant derrière le massif de Marseilleveyre, embrase ses collines et redonne du
rose à ses vieilles pierres.
On voit alors Marseille comme Protis le Phocéen la découvrit il y a deux mille six cents ans. Et
qu'importe si c'est exagéré de dire ça. Marseille exagère toujours. C'est son fond. Et, dans le fond, rien
n'a changé depuis ce jour-là. Il suffit simplement d'arriver de Corse, en ferry, pour renouer avec cette
histoire. Ou, plus simplement encore, de revenir d'une nuit de pêche au large de l'Estaque. Quand la
rade vous ouvre ses bras, alors, alors seulement, on découvre le sens, éternel, de cette ville. L'accueil.
Car Marseille est faite d'ailleurs, d'exils, et elle se donne sans résistance à ceux qui savent la prendre,
l'aimer.
Ici, on est chez soi. D'où que l'on vienne. Et personne, jamais, ne vous demandera d'où vous arrivez,
exception faite des flics, la nuit, sur le cours Belsunce où l'on rénove à tour de bras, dans les rues
autour de la place de l'Opéra, et sur le cours Julien où s'est déplacée la vie nocturne.
Marseille est un mythe. C'est ça seulement qu'il y a à voir. A épouser. Le reste peut y être aussi futile,
ou vaniteux, qu'ailleurs. On pourrait même dire que la ville est à l'image de ces fausses blondes que
l'on croise dans ses rues. Elles ne donnent à voir que ce qu'elles ne sont pas.
Marseille et la Mafia :
Un couple explosif, dans les romans comme dans le rap…
Eclairage :
La mafia, selon Akhenaton, chanteur du groupe I am
Loin de l’éloge de la mafia, généralement de
mise dans les textes rap, qui souvent jouent
la provoc ou cultivent le culte du criminel
(Pacino et Scarface sont des icônes
récurrentes du rap), Akhenaton nous invite à
réfléchir sur la voie sans issue que
représente cette organisation… Un propos
d’autant plus intéressant que AKH est luimême issu d'une famille italienne...
Je ne vous présente pas Akhenaton, membre
du groupe de rap IAM, qui mène en parallèle
une carrière solo plutôt réussie comme en
témoigne l'album Métèque et Mat sorti en
1996 dont est issu ce titre. Akhenaton nous
raconte la vie d'un membre de la Mafia. En le
suivant, nous découvrons l'histoire de cette
organisation.
Akhenaton - La Cosca
(album "Métèque Et Mat", 1996 )
Ma famille est sept fois séculaire, ancienne et insulaire
Entourée de mystères, et comme le Saint-Suaire
A l'aube de troisième millénaire encore on dit
La légende des trois cavaliers espagnols qui débarquèrent
Au large de Trapani, les usages d'une secte
Dans leurs têtes et leurs bagages amenés de Tolède
Et tout ceci n'est pas mythe, fou l'ignores-tu?
Le jour où mon sang a coulé sur un fil, je fus perdu
[…]
[voilà donc des années de passées]
Je suis resté discret et n'ai jamais balancé
J'ai quatre-vingt dix piges et des nouveaux changements politiques
Me font comprendre que mon âge est critique
Dehors, cette moto m'inquiète
Ce soi-disant postier porte des lettres. Il guette
Ils ont encore moins de respect que je pensais
Peut-être des nouveaux gars de l'organisation appelée Stidde [organisation
criminelle du Sud de la Sicile]
C'est terminé, alors pourquoi ne pas en rire
Sortir cette tête qui vaut 600.000 lires
C'est dérisoire, à dix mètres se tapit
Une armée de Guappi [caïds], tout ça afin d'éliminer un papi
Dernier mot, dernière lueur dans mes yeux
Je me suis trompé, je n'ai jamais été heureux, je dois sortir…
http://www.sans-pitie.com/cuisine03-02.htm