RENE FREGNI textes
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RENE FREGNI textes
RENE FREGNI 8 juillet 1947 naissance à Marseille 1953, il jette ses lunettes, acte fondateur de sa vie 1969 : déserteur, il est condamné par défaut à 3 mois ferme, il part encavale 1973 : le tribunal le condamne à douze mois avec sursis 1985 : son premier roman "Les chemins noirs" est vendu à 15 000exemplaires RENE FREGNI L’enfant, hypermétrope, était raillé, l’adulte fut jugé, l’homme mûr est devenu écrivain reconnu. La révolte n’est soluble que dans l’amour Quatre-Œeils. Ses potes des Baumettes ne lui pardonneraient pas de ne pas être un homme à femmes. Adorateur des icônes de la Femme. La mère qui laisse à sa mort un trou à jamais béant. "Quand maman est décédée, pendant un an je n’ai rien écrit". Jusqu’au jour où une phrase est venue d’ailleurs : "Depuis que ma mère est morte, je ne tue plus les mouches", mots lançant son roman intimiste, Elle danse dans le noir. Sa fille ensuite, chair de sa chair, Marilou, 9 ans. "C’est là que vit le sentiment. Le bonheur est dans les petites vallées, ma fille est ma petite vallée". Et puis les autres femmes, bouts de route aux paysages variés. "Celles qu’on baise avec délectation, celles qui deviennent des confidentes, celles qu’on aime écouter". René Frégni est un homme à femmes. Un dealer d’Eros depuis dix ans pour prisonniers en douloureux état de manque. "A une époque, je recevais des lettres très érotiques, porno même, je les lisais à mes potes de la prison et ils riaient. Cette dame était notre maîtresse à tous". Blagues salaces de comptoir. "Je vais aux Baumettes comme d’autres vont au bistrot". Depuis dix ans, chaque semaine, il anime un atelier d’écriture au bâtiment D de la prison marseillaise pour une dizaine de taulards. 17 grilles à franchir. Odeur de désinfectant. Murs qui dégueulent. "Entre eux, il existe une ambiance forte et simple, faite de fascination réciproque et de sentiment" dit le réalisateur Gabriel Julien-Laferrière qui a acheté 250 000 francs les droits d’un roman de Frégni pour le transformer en film à tourner en fin d’année. "Ce groupe n’est pas vraiment représentatif de la prison". Des quadras avec, au bas mot, une dizaine d’années au compteur carcéral. François qui s’enfuit dans le silence. Jean-Jacques, le fiévreux, l’âme forte, le boulimique de l’expression "qui écrit de la musique et des textes toute la nuit. On aime René parce qu’il est comme nous, rejeté, écrivant avec ses tripes". Chez Frégni, la révolte a toujours été comme une seconde nature. Précoce. Les sarcasmes d’enfants, dévastateurs sur une nature trop sensible, parce qu’il était hypermétrope, chaussé de lunettes énormes, qui lui donnaient l’air d’un poisson seul dans son bocal. "A six ans, je les ai jetées dans le caniveau. Je ne voyais que des ombres, j’étais bien dans mon univers". Premier roman à 38 ans. Révolte institutionnalisée ensuite, dans l’air du temps de mai 68. Il déserte "parce que je n’avais tout simplement pas envie d’aller à l’armée". Cavale pendant 4 ans. Petits casses "de villas pour piquer des meubles, il fallait bien vivre". Traîne-savates en Grèce, à Istanbul. Cent métiers, cent misères, barman, ouvrier des chantiers navals de La Ciotat. Rattrapé par son destin, il connaît "la planche inclinée d’une taule militaire à Verdun, la tinette pour faire les besoins. J’ai remis mes lunettes en taule. J’ai perdu la liberté, j’ai retrouvé la vue. J’ai commencé à lire et écrire". L’écriture comme moyen d’évasion, truisme d’intello, filon inépuisable pour les simples. "J’ai dû attendre l’âge de 38 ans pour publier mon premier roman. J’ai toujours été snobé par les intellocrates parisiens, Giono n’a jamais eu de grand prix littéraire, moi non plus, je suis l’autodidacte, le provincial". Le bouseux vaut pourtant son pesant de bouquins. "15 000 environ pour chacun des sept romans publiés chez nous" dit-on chez Denoël. Le plouc a désormais son morceau du gâteau. France 2 a acheté les droits du roman "On ne s’endort jamais seul" pour en faire un téléfilm tourné par Yves Boisset et avec Richard Bohringer comme acteur principal. Cette semaine, Frégni recevra le prix Antigone, décerné par la ville de Montpellier et, en juin, le Prix des lycéens de Marseille, petit par la notoriété, grand pour le symbole. "Les mots de Frégni rencontrent un écho important chez les jeunes" dit Claude de Peretti, organisatrice. C’est sans doute un curieux sentiment, la reconnaissance, chez un révolté. "Non, ne soyons pas hypocrites. La vie me comble actuellement.Ecrivain est un métier qui sort de moi". Relaisétape, apaisement. "Le contraste est grand avec le Frégni d’antan qui interprétait Ionesco ou écrivait des pièces grinçantes, burlesque douloureux avec un slip kangourou comme seul costume" raconte, amusé, Maurice Vinçon, directeur du théâtre de Lenche. Les idées se sont fanées. "J’ai changé cent fois de vérité". Il ne reste que les émotions simples. Les petites vallées. Le sentiment d’être un privilégié quand il quitte les Baumettes le lundi à 17 heures. "C’est un déchirement, eux, vont dans leur trou, moi, je revois la lumière. On s’est livré, on s’est délivré mais l’atelier d’écriture reste une goutte d’eau. Je suis toujours en révolte contre la prison et son injustice même si j’ai conscience de la faute à payer à la société. Où sont les hommes politiques impliqués dans toutes les affaires ? En prison, tu apprends que la moralité n’existe pas. Il y a les forts et les faibles. Pour les jeunes, la seule valeur, c’est de réussir un bon coup, le mal c’est de se faire prendre". A 53 ans, René Frégni, écrivain reconnu, a tout élagué, tout dépouillé, tout simplifié. "Quand on n’a plus envie d’aimer, on meurt". PHILIPPE WALLEZ "MARSEILLE L'HEBDO" du 17/5/01 DES ATELIERS D'ECRITURE DANS LES PRISONS LA LIBERTE ENTRE LES LIGNES A Salon-de-Provence ou à Marseille, des détenus ont choisi l'évasion par le verbe. Sous la houlette de l'écrivain René Frégni, ils livrent sur le papier leurs rêves et leur douleur. Devant nos reporters, ils ont su trouver les mots. Où se perdent les hommes ? Dans le désamour, la violence. Puis dans la solitude bruyante d'une prison. A la rencontre de ces hommes perdus, René Frégni, un écrivain à la prose noire comme la vie. Depuis six ans, tous les lundis, il anime des ateliers d'écriture, le matin au centre de détention de Salon-de-Provence, l'après-midi à la maison d'arrêt des Baumettes de Marseille. Son dernier roman, Où se perdent les hommes, est une histoire tendre et sauvage, candide et bouleversante, où il mêle à la fiction pas mal de sa propre expérience (lire page 14). Un lundi de novembre où René s'en va rejoindre derrière les barreaux ses complices en écriture, deux femmes (une photographe, une journaliste) lui emboîtent le pas. Salon-de-Provence, 9 heures. Le centre de détention ne se distingue des autres bâtiments neufs de la zone industrielle que par son mur où courent des barbelés. Un entrepôt d'hommes parmi les entrepôts de marchandises. Ici, les six cents prisonniers sont calmes, patients. Ils sont en fin de peine. Sortie prévue vers l'an 2000. Si prêts du but, ils ne prennent pas le risque d'une cavale. Les gardiens sont détendus, blaguent : " Vous êtes de L'Huma ? " Pas de fouille, nous montrons simplement patte blanche. Dédale de couloirs clairs et pimpants. On se croirait - presque - dans un collège... Voilà la classe, une petite salle où s'entassent une dizaine d'élèves, tous rasés de près, en tenue de ville soignée. Ils font honneur aux dames puis nous tendent la main, gauchement. On s'embrouille dans les bonjours. On se bouscule pour s'asseoir. On est tous un peu gênés. Max la Clef (1) envoie à la cantonade un dernier sourire de connivence et referme la porte sur nous. Instant symbolique et émouvant. Désormais, pour quelques heures, nous tournons, nous aussi, le dos au monde libre. Pour les détenus, cette porte close signifie qu'ils sont libres... de parler. Et ils foncent : " C'est comment à l'extérieur ? ", " C'est vrai qu'il y a des téléphones à cartes ? " Ça fuse de partout et de façon inattendue : " Vous avez des enfants ? ", " Qu'est-ce que ça fait d'être une femme et d'entrer ici ? ", " La presse est trop centralisée. Ce qui se passe à Paris, c'est pas la France ", " Moi, j'aime bien Libé ", " Paris, ce n'est pas vivable. On y va juste pour faire carrière. Nous aussi, c'est là que les banques sont les plus riches ! " On éclate tous de rire.Déjà, on oublie les murs. Ces hommes joyeux ont entre 20 et 60 ans. Ils essaient de se reconstruire. Et prennent lentement le chemin de la liberté en apprivoisant l'écriture. La veille au soir, autour d'un gratin de courge maison, René a longuement parlé de son respect, de sa tendresse aussi, pour ces hors-la-loi de la société comme de l'orthographe, qui puisent dans l'écriture une force, une rédemption que d'autres vont chercher dans la religion. Le principe de l'atelier est simple. En fin de séance, René distribue les devoirs, propose une phrase (" La vie est un fruit ; notre but est de le manger ; vivre n'a pas d'autre sens que cela ") ou des mots (" passion " ; " résistance " ; " révolte ", etc.). Le lundi suivant, chacun lit à voix haute son texte puis écoute les critiques des copains. René pousse les débats, encourage les apprentis, les nourrit avec des textes d'auteurs. Cette semaine, Philippe le Bavard a planché sur " les vertiges de l'interdit ". Il lit son texte d'une voix assurée puis s'emballe, la réclusion n'a pas tué la griserie de l'inaccessible : " La liberté, c'est l'Amérique sans les Américains ! " Il a des images-chocs, à la démesure de ses espoirs. Georges, en vieux sage à la chevelure blanche, rétorque : " L'interdit, c'est une tentation depuis la Genèse. Une histoire de pomme ! " René provoque : " Pour être là, mes cocos, vous avez dû goûter aux fruits défendus ! - Nous sommes tous des bouffeurs de pommes ! " Raymond se lance, sa voix tremble : " Un seul endroit où passion, violence, révolte s'éteignent : le cimetière ou la fosse commune. Un lieu de liberté par excellence. " Grave, il ôte ses lunettes et commente son propre texte : " C'est paradoxal, on ne peut pas s'évader de la mort. " Seul le silence lui répond. René se risque : " Céline dit que, dès l'ovule, on est mort. " Charles : " Céline, il était plutôt ambigu comme bonhomme. D'ailleurs, il a piqué le prénom de sa grandmère ! " Le " bébé " de la classe ouvre la bouche pour la première fois : " Si on est oublié de tous, on est mort bien avant de mourir. " Ses yeux se sont embués. Tous l'ont remarqué. Charles le réconforte comme un homme, brusquement : " L'espoir fait vivre, c'est ça le pire. L'espoir te mine, te tue. J'ai relevé cette phrase sur les murs d'une cellule. " Nouvel effroi, balayé par notre prof : " C'est magnifique cette phrase. Redis-la... " Certains sont méticuleux, manipulent, fiers, un beau classeur. Le " bébé ", lui, a étalé son écriture enfantine au dos d'un vieux bordereau de cantine. La prison, c'est le manque, la démerde. Il lit en suivant les mots un à un avec son doigt : " La prison, c'est ma maison, dit le détenu no 2941 Z... Il avait peur de sortir, car dehors, il n'avait plus rien. A l'appel du matin, on le retrouva pendu dans sa cellule. Il était libre. " Plus douloureux que la solitude, il y a le vide, le rien. La mort est une camarade arrogante, ricanante, qui les nargue, les tente sans cesse. Etienne, le papy, ouvre un cahier de brouillon et déclame, solennel : " Je suis la passion, je force les volontés et la raison... - Qu'est-ce que tu fous ici, tu devrais être à l'Académie française ! Vous voyez, Madame, la langue française n'est pas morte. C'est en prison qu'elle existe ! " Jeannot, dix-huit ans de réclusion, passe son tour. Ils affrontent tous, un jour ou l'autre, l'angoisse de la feuille blanche. René écoute les tourments de chacun, dédramatise, cite des oeuvres de Proust, Genet, Camus, d'autres écorchés de la vie épanouis dans l'écriture. Ou leur lit des polars, des livres davantage accessibles et proches de leur expérience : la violence, le racisme. Ils ont alors plongé sans réticences dans le Marseille foutraque de Total Khéhops ou de Chourmo et se sont laissé bercer par la formidable humanité de l'auteur, Jean-Claude Izzo (2). Charles le Corse, avec l'aisance de la quarantaine, se souvient de la primaire, où on lui interdisait de parler sa langue. Il trouve dans cet atelier un écho à ses racines déchirées, sa famille disloquée. Et fait resurgir dans l'allitération des rêves enfouis : " Liberté, écrire ta recherche ou ta perte n'a plus d'effet, mais sache que tu ne pâlis pas à force d'être écrite... Tu es le plus beau souvenir de mon existence, liberté... " René : " Tu nous fais un remake d'Eluard ! " Personne ne connaît. " J'ai une bricole là. " Remi tend un papier chiffonné à son voisin. Trop timide pour lire lui-même : " Avec un stylo / Sur une feuille blanche / J'ai refait le monde / Il n'était plus rond / J'ai besoin de coin / Où me réfugier... " " Bravo ! " Quand l'un lit, les autres ont un air grave qu'ils abandonnent vite pour jubiler, s'enflammer avec bruit, comme pour chasser une trop lourde émotion. Midi approche, l'heure de la sortie, pour nous. René propose un texte qu'une ancienne détenue lui a offert lors d'un débat à la Fnac. Cette jeune femme a couché en phrases sensuelles et violentes sa première rencontre avec l'amour après des années d'isolement. Un texte provocant, dans cet univers clos où les hommes sont sans répit confrontés au désamour, au remords. Ils sont concentrés, tendus, partent, chacun, très loin dans leurs souvenirs. On se sent de trop. Un ovni casse la rêverie. C'est Max la Clef. Il débarque, inopportun, et commente les dernières frasques de l'OM. On dégringole de la Lune. La prison reprend ses droits. On s'évade de Salon par la grande porte, comme des voleurs de vies. Un peu abasourdis. Direction, Marseille. La maison d'arrêt des Baumettes " héberge " des prévenus. Ils attendent leur jugement dans une promiscuité sans nom. Coupables ou non coupables ? Eux seuls le savent. Ils peaufinent leur défense ou, peut-être, organisent leur cavale. Pas seulement dans la tête. Récemment, des armes ont été découvertes dans les canalisations. Le personnel est sur les dents. L'énorme bâtisse tout entière résonne d'une tension effrayante, insoutenable. On a tout entendu sur cette forteresse surpeuplée et ses deux mille cinq cents locataires. Pourtant, la réalité dépasse l'appréhension. Ici, ce ne sont que bruits, odeurs, saletés, cris, escaliers décatis, murs écaillés, couloirs sombres, gardiens méfiants. Nous traversons comme des aveugles cet immense labyrinthe des douleurs. René fait le guide : " Là-bas, c'est l'ancien bâtiment des con- damnés à mort... " Section D, enfin l'atelier d'écriture. Dérisoire réflexe : ouvrir les fenêtres de cette pièce grise, happer un peu d'air du dehors... " Vaut mieux fermer, ils font trop de bruit dans la cour ! Ça joue au foot, ça se chamaille, nous, on aime le calme. " Cette voix de détenu se veut rassurante. Alors, on surmonte l'angoisse et on se blottit avec les autres autour de la table. Les hommes d'ici ont l'insolence de ceux qui ont tout à perdre ou tout à gagner. Machos et peut-être pire, ils se font prévenants : café, chocolat. Ils nous accueillent avec bienveillance et humour : " Dites à votre patron qu'il vous faut beaucoup de pages pour ce reportage. Sinon, on vient le braquer ! " Le fumeur de pipe, un grand costaud, " positivise " : " Moi, je dis merci à la prison, je m'y suis découvert ! " Il cumule toutes sortes d'activités : atelier d'écriture, multimédia, cours d'anglais et de philo. Il consacre 80 % de son temps à l'étude, 20 % au sport. Exigeant, dur avec lui-même pour ne pas sombrer dans le chaos : " J'étais un volcan, je me dompte. Mais les gardiens n'apprécient pas les détenus cultivés... " Une injustice qu'ils reprennent tous de volée : " Ils veulent nous niveler par le bas ! - On est suspect quand on devient trop intelligent. Quand tu es abruti, on te mate comme un animal dangereux. Mais quand t'es intelligent, tu fais peur. - Celui qui perd son temps devant la télé ne fait pas peur. " Dominique sort les douze volumes de son journal. 3 600 pages de mots ronds et bleus. Depuis trois ans, il épanche là sa douleur : " Quelle folie, la confiance... C'est se faire injustice que de vivre les yeux bandés... " Il ressasse sa vie entière jusqu'aux larmes. Ici, la pudeur n'a plus sa place. René enchaîne : " Comme au bistrot, chacun sa tournée ! " Georges récite un poème mélancolique : " Adieu, mon idéal, adieu mes amis... - On dirait Le Dormeur du val, de Rimbaud ! " Henri, lui, s'amuse de métaphores écolos : " Des cafards, il n'en manque pas dans la décharge : dealers vendeurs de morts, julots casse-croûte, assassins crapuleux, violeurs sournois, faussaires [...]. Décharge, tu entasses en couche ce ramassis, mélangeant le meilleur avec le pire en litières suintantes. " Impossible d'entendre les commentaires, un vacarme couvre les voix. Train ou tremblement de terre ? " Ne vous inquiétez pas. Ils sondent les barreaux. S'ils sont sciés, ils sonnent faux. Ils font ça régulièrement. " Un ange passe, les cigarettes circulent. Ces élèves insolites, au bagage scolaire pour certains très correct, ont de l'envergure. Ils ne suivent pas un cours, ils tiennent un salon philosophique. Ils commentent leurs lectures (Elisabeth Badinter, Alfred de Vigny, Gilles Perrault, Balzac, Hemingway), critiquent politique et société, argumentent autour de leur production personnelle. Ni la télé ni la presse ne leur donnent une telle ouverture sur le monde. Le parloir, c'est une épreuve : un instant de pauvres échanges qu'ils désirent et redoutent à la fois tant, il est dérisoire, tant il les confronte à leur solitude, à l'abandon des leurs. Les enfants pleurent et les épouses se lassent. Alors, ils se réfugient dans leurs cahiers. Ils sont les " complices du lundi " et ébauchent ensemble des plans d'évasion : " Ecrire, c'est se retrouver ", " C'est aller au-delà de soi, c'est témoigner ", " C'est une relation intime, douloureuse, nécessaire ", " On va peut-être en prendre pour vingt ans. Alors, écrire, c'est s'évader. C'est un cliché pour les autres, dehors, pas pour nous... " Il fait désormais sombre dans cette salle surchauffée. Personne ne se résout aux néons. Sans la nommer, on prolonge une intimité qui s'est tissée doucement. Jean baisse la voix : " Les amants ont pris le temps de mourir un peu... " C'est beau et triste. L'atelier s'achève sur un silence. Escortées par un gardien, nous raccompagnons Henri à sa cellule, " sa chambre ". " Parmi nous, il n'y a pas de crapules. " Nous restons interdites. Que répondre à cela ? Il comprend notre embarras : " Pas de violeurs, pas de proxénètes, pas de pédophiles... " Il assume son incarcération et revendique avec une belle arrogance une dignité hors norme. Il nous confie un texte écrit à notre attention. Le voici, tel quel : " Mesdames, permettez-moi, au nom de tous les miens, de vous accueillir sur cet îlot paisible et de vous remercier de votre audace aux fins de partager ce temps fort hebdomadaire, animé par notre romanesque ami. Je devine votre angoisse, devant la porte monumentale de ces hauts murs... Passé cette bouche monstrueuse, qui orne la face de ce monstre de pierre, vous êtes aspirées à l'intérieur de ce corps de géant et vous cheminez à travers de longs boyaux d'où se dégagent des effluves de souffrance et de solitude. Peut-être avez-vous songé à tourner les talons, par crainte d'être digérées par cette hideuse machine à broyer les hommes. Mais, si nos corps sont disloqués, ont-ils pour cela perdu leurs essences spirituelles ? Pénétrez dans le sanctuaire littéraire dans lequel nous cultivons cette obstination à survivre dans un milieu... féroce, et qui renforce nos espérances de sauver nos esprits, aussi sombres soient-ils... Bien que nos âmes soient déchirées par de multiples accrocs d'une vie chaotique, un ultime espoir subsiste : les ravauder avec le fil de l'écriture... Bienvenue, Mesdames, parmi les écorchés de la société carcérale. " Ils ont rejoint leurs cellules, nous ont laissées seules, désoeuvrées dans ce grand couloir tout noir. On cherche la sortie · Martine Laval http://site.voila.fr/renefregni/biographie.htm Frégni par Frégni ! A " l'âge de 19 ans, comme tous les jeunes gens, je fus appelé sous les drapeaux, je m'y rendis mais sans trop me presser. J'arrivai à la caserne souriant, bronzé et on me mit au trou. Mi-figue Mirador j'y croupis quelques mois en compagnie du silence et des puces . U n beau matin le désir me vint d'être amoureux. Je m'évadai de ce cachot. Déserteur. Muni de faux papiers je franchis le frontière, courus l'Europe, me livrai aux menus travaux et misères de la route, séjournai à Istanbul. Je revins deux ans plus tard caresser ma langue maternelle. A Marseille on m'embaucha dans un Hôpital Psychiatrique comme auxilliaire puis infirmier. Pendant 7 ans j'observai les étranges contorsions de la folie. Ayant un peu perdu là toute notion du bien et du mal j'écrivis deux pièces de théâtre que je jouai dans le Sud de la France. Sans m'en rendre compte je glissai du théâtre à l'écriture romanesque et là tout me servit: ce que j'avais vu dans les prisons militaires, sur les routes, à l'asile. j'entamai alors le grand voyage immobile. J e savais qu'un jour Rimbaud avait dit: "En avant, Route!" Il ne me restai plus qu'à faire le plein de mon stylo." René Frégni Quelques vers de “L’heure traversière”,, de Jean Claude Izzo Extrait du recueil de poèmes « Loin de tous rivages » "S’il y a une chance pour le silence, c’est dans le fracas de l’heure chue. Mais faudra-t-il s’agenouiller devant la blancheur nue et, les yeux intimement fermés sur la nuit profonde de nos origines, prier ? Voyageur dans l’immobile. La chaleur dévore mon corps. Le sel imprègne mon sang. Avec persévérance. Héros de Midi dans l’intensité de ce silence de l’homme -tragique parce qu’historique- le soleil consume ma chair dérisoire, et désormais sans révolte. Tous mes voeux sont pour la cendre." Réné Frégni, dos au mur…. L’acte d’écrire ???? (©©© le village des facteurs d’images) Jean-Claude Izzo, par Catherine Bouretz-Izzo, Dublin, juillet 1998. Marseille, la lumière et la mer Jean-Claude Izzo, in Méditerranées, anthologie présentée par Michel Le Bris et Jean-Claude Izzo (Librio, 1998) - extrait Marseille s'offrait juillet en septembre. Le bel été durait. Dans les rues, bruyantes, exubérantes comme toutes les villes du Sud, on avait oublié les incendies, violents, du mois d'août à Septème-les-Vallons, au Rove et à Allauch, et la sourde peur de voir les feux embraser la ville. L'Olympique de Marseille, ce soir-là, jouait contre Bordeaux. A Bordeaux. Dès vingt heures, des bars de quartier allaient se remplir de supporters. Ici, on aime bien suivre les matches dans un bar. Une ou deux télés, selon les bars. Parfois même, certains y viennent avec femme et enfants. Une part de pizza, une bière, et quatre-vingt-dix minutes à espérer la victoire du club, toujours. Chaque bar recrée un microcosme du stade et, exception faite du Paris-Saint-Germain, on peut, si l'on est originaire d'ailleurs ou simplement de passage dans la ville, manifester son soutien à l'équipe adversaire. Avec quelques limites à ne pas franchir, bien évidemment. On a son honneur, quand même! Pour l'heure, sur le Vieux-Port, à la terrasse de la Samaritaine, on boit jusqu'à la dernière minute, et avec insouciance comme toujours, cette superbe lumière d'automne qui coule du ciel dès cinq heures du soir. On ne comprend rien à cette ville si l'on est indifférent à sa lumière. Elle est palpable, même aux heures les plus brûlantes. Quand elle oblige à baisser les yeux. Marseille est ville de lumière. Et de vent. Ce fameux mistral qui s'engouffre dans le haut de ses ruelles et balaie tout jusqu'à la mer. Jusqu'au large de Pomègues et Ratonneau, les îles du Frioul. Jusqu'après Plannier, le phare, aujourd'hui éteint, reconverti en école de plongée, qui indiquait à tous les marins du monde que Marseille était à portée de main, et que ses femmes, putes ou pas, leur feraient oublier la passion des mers et des îles lointaines. Marseille, à dire vrai, on ne peut l'aimer qu'ainsi, en arrivant par la mer. Au petit matin. A cette heure où le soleil, surgissant derrière le massif de Marseilleveyre, embrase ses collines et redonne du rose à ses vieilles pierres. On voit alors Marseille comme Protis le Phocéen la découvrit il y a deux mille six cents ans. Et qu'importe si c'est exagéré de dire ça. Marseille exagère toujours. C'est son fond. Et, dans le fond, rien n'a changé depuis ce jour-là. Il suffit simplement d'arriver de Corse, en ferry, pour renouer avec cette histoire. Ou, plus simplement encore, de revenir d'une nuit de pêche au large de l'Estaque. Quand la rade vous ouvre ses bras, alors, alors seulement, on découvre le sens, éternel, de cette ville. L'accueil. Car Marseille est faite d'ailleurs, d'exils, et elle se donne sans résistance à ceux qui savent la prendre, l'aimer. Ici, on est chez soi. D'où que l'on vienne. Et personne, jamais, ne vous demandera d'où vous arrivez, exception faite des flics, la nuit, sur le cours Belsunce où l'on rénove à tour de bras, dans les rues autour de la place de l'Opéra, et sur le cours Julien où s'est déplacée la vie nocturne. Marseille est un mythe. C'est ça seulement qu'il y a à voir. A épouser. Le reste peut y être aussi futile, ou vaniteux, qu'ailleurs. On pourrait même dire que la ville est à l'image de ces fausses blondes que l'on croise dans ses rues. Elles ne donnent à voir que ce qu'elles ne sont pas. Marseille et la Mafia : Un couple explosif, dans les romans comme dans le rap… Eclairage : La mafia, selon Akhenaton, chanteur du groupe I am Loin de l’éloge de la mafia, généralement de mise dans les textes rap, qui souvent jouent la provoc ou cultivent le culte du criminel (Pacino et Scarface sont des icônes récurrentes du rap), Akhenaton nous invite à réfléchir sur la voie sans issue que représente cette organisation… Un propos d’autant plus intéressant que AKH est luimême issu d'une famille italienne... Je ne vous présente pas Akhenaton, membre du groupe de rap IAM, qui mène en parallèle une carrière solo plutôt réussie comme en témoigne l'album Métèque et Mat sorti en 1996 dont est issu ce titre. Akhenaton nous raconte la vie d'un membre de la Mafia. En le suivant, nous découvrons l'histoire de cette organisation. Akhenaton - La Cosca (album "Métèque Et Mat", 1996 ) Ma famille est sept fois séculaire, ancienne et insulaire Entourée de mystères, et comme le Saint-Suaire A l'aube de troisième millénaire encore on dit La légende des trois cavaliers espagnols qui débarquèrent Au large de Trapani, les usages d'une secte Dans leurs têtes et leurs bagages amenés de Tolède Et tout ceci n'est pas mythe, fou l'ignores-tu? Le jour où mon sang a coulé sur un fil, je fus perdu […] [voilà donc des années de passées] Je suis resté discret et n'ai jamais balancé J'ai quatre-vingt dix piges et des nouveaux changements politiques Me font comprendre que mon âge est critique Dehors, cette moto m'inquiète Ce soi-disant postier porte des lettres. Il guette Ils ont encore moins de respect que je pensais Peut-être des nouveaux gars de l'organisation appelée Stidde [organisation criminelle du Sud de la Sicile] C'est terminé, alors pourquoi ne pas en rire Sortir cette tête qui vaut 600.000 lires C'est dérisoire, à dix mètres se tapit Une armée de Guappi [caïds], tout ça afin d'éliminer un papi Dernier mot, dernière lueur dans mes yeux Je me suis trompé, je n'ai jamais été heureux, je dois sortir… http://www.sans-pitie.com/cuisine03-02.htm