Sciences bibliques et pastorale biblique au Liban

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Sciences bibliques et pastorale biblique au Liban
J. BOU RAAD /Rencontre régionale COCTI/1
Sciences bibliques et pastorale biblique au Liban
Comme le titre l’annonce, mon intervention se propose de faire le point sur les
différentes activités et initiatives culturelles dans le domaine biblique, dans le
cadre de la recherche scientifique ainsi que dans celui de la pastorale biblique, dans
le contexte libanais. L’ordre de la présentation invertira celui du titre, je
commencerai donc par une présentation des différentes activités bibliques
pastorales pour dresser ensuite un bilan de la recherche qui se fait dans ce domaine.
I.
La pastorale biblique
Le cadre qui rassemble la majorité des agents dans le domaine de la
pastorale biblique est sans doute la fédération biblique catholique FBC. A l’instar
de la FBC internationale, cette institution a comme mission principale la diffusion
de la Bible. Ses activités ont de ce fait une visée pastorale très nette. Ainsi comptet-elle parmi ses membres des agents pastoraux riches d’une longue expérience dans
le domaine de la pastorale biblique mais aussi la plupart des spécialistes en la
matière. Les spécialistes membres de la FBC sont effectivement les professeurs
actifs dans les différents instituts et facultés de théologie. Les réunions de la FBC
se font 1 fois tous les 2 mois pour élaborer les plans de travail, distribuer les
tâches, partager les expériences et s’échanger publications et revues.
La spécificité de la fédération biblique libanaise, par rapport à d’autres
filières, réside dans son caractère œcuménique. Tout en étant catholique, de par ses
origines et ses horizons, les fondateurs de la fédération au Liban ont pris soin, dès
le départ, de laisser ses portes ouvertes à tous les biblistes Chrétiens, toutes
confessions confondues. Toutefois, ses membres partagent outre leur passion pour
la Bible et pour les études bibliques une formation à la lecture critique de la Bible,
y compris ses membres qui appartiennent à l’Eglise Orthodoxe, formés en occident
aux études bibliques. La lecture de la Bible intégrant les acquis de la science
biblique offre ainsi un terrain de rencontre œcuménique, qui se révèle vitale pour la
survie des Chrétiens d’Orient, et qui se déroule d’une façon spontanée et naturelle.
Parmi les activités de la fédération, je m’arrêterai aux deux événements majeurs, le
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congrès biblique et les journées bibliques avant de citer certaines des publications
à titre indicatif.
A. Le congrès biblique
Une des activités principales de l’association est l’organisation d’un congrès
régional tous les deux ans réunissant des délégués et des participants de tous les
pays membres de la FBC Moyen-Orient : l’Égypte, l’Iran, l’Iraq, le Soudan, la
Syrie, la Terre Sainte et le Liban bien entendu. Les deux premiers congrès ont eu
lieu à Chypre, mais depuis 1988 ils se déroulent au Liban.
Le congrès est en lui-même un générateur et déclencheur d’activités. Ses
fruits ne se limitent pas à la série de conférences bibliques qu’il propose, mais
aussi aux discussions et aux rencontres variées et profondément unitaires entres des
congressistes de différents pays, cultures et Églises, dont il est l’occasion. Un
échange unique d’expériences vécues, couronné par des célébrations liturgiques
propres à chaque groupe de divers rites : byzantin, copte, latin, maronite,
protestant, orthodoxe. Chaque congrès compte un conférencier principal, souvent
un bibliste francophone de renommée internationale, invité à partager son savoir
biblique et à mettre les congressistes au courant de la recherche dans le domaine
biblique de sa compétence. Aux derniers congrès nous avons accueilli Camille
FOCANT, André WÉNIN. Daniel MARGUERAT est attendu pour le prochain congrès.
Les thèmes traités jusqu’à présent couvrent une bonne partie du Nouveau et de
l’Ancien Testament : de la Genèse, aux Psaumes, en passant par les évangiles
synoptiques, l’évangile de Marc, les épitres de Paul et finalement les actes des
apôtres, pour ne mentionner que quelques uns.
B. Les «Journées Bibliques»
La Fédération Biblique au Liban organise, tous les deux ans (les années au
nombre impair), des journées bibliques où une série de conférences est donnée par
des biblistes libanais, portant sur un thème spécifique, et réparties sur plusieurs
jours.
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Récemment (en 2008) les journées ont eu lieu dans les Facultés et les
Instituts de Théologie de différentes Églises, Catholique, Orthodoxe et Protestante
au Liban. Successivement les 18 conférences données ont été publiées sous forme
d’actes, parus dans la série Études Bibliques.
C. Publications
Nous nous limitons dans la suite à mentionner quelques unes des publications
les plus importantes :
1. la FBC publie :
- la collection «Études Bibliques» (en arabe) qui comprend actuellement 36
volumes au nombre des Congrès dont elle publie les actes.
- Le Bulletin biblique (en arabe également) : 33 numéros dont le dernier
porte sur le Xème Congrès Biblique. Apparaitront prochainement des
versions en français et anglais de ce bulletin.
Dans ce cadre, nous citons le P. Paul FEGALI, pour longtemps coordinateur de la
FBC et ses publications qui couvrent l’ensemble des livres bibliques.
Notons également que la majorité des membres de la FBC Moyen-Orient participe
actuellement au projet de l’Église Évangélique d’Égypte (Dar as-Saqafah) qui
consiste en la réalisation d’un « Commentaire des livres bibliques en arabe».
2. L’USEK publie :
- La Collection Littérature Rabbinique, 3 ouvrages : présentation et
traduction par P. Émile AKIKI.
- La revue Biblia publiée à la Faculté Pontificale de Théologie à l’USEK,
est à 90⁄100 rédigée par les membres de la Fédération. Jusqu’à présent
elle a à son compte 43 numéros.
- La collection À la table de la Parole (explication de l’Évangile du
Dimanche), deux ouvrages, par P. Hady MAHFOUZ.
3. L’Université Antonine a publié deux Interlinéaires :
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- Interlinéaire grec-arabe NT réalisé par PP. Paul FÉGHALI et Antoine
AOUKAR, Université Antonine.
- Interlinéaire hébreu-arabe AT réalisé par PP. Paul FÉGHALI et Antoine
AOUKAR, Université Antonine.
4. L’USJ (Université Saint-Joseph de Beyrouth)
Outre la fameuse traduction de la Bible, dar al Mashreq (maison d’édition
rattachée à la USJ) continue à publier la série « études dans le livre sacré ». Nous
sommes au numéro 43. Une bonne partie de ces fascicules consiste en des
traductions de quelques un des « cahiers évangiles » et des « suppléments aux
cahiers évangiles ».
5. L’université Balamand a publié :
Des introductions aux différentes parties de l’AT et d’autres ouvrages Paul
TARASI (exégète Orthodoxe vivant aux USA) traduits de l’anglais aux soins de
l’Université Balamand.
D’autre part, les membres de la FBC sont très présents dans le monde des
médias surtout les médias religieux. Nombres d’entre eux animent des émissions
radiophoniques ou télévisées (La Télévision couvre la majorité des activités de la
FBC, les conférences, les signatures de livres et les débats).
De même qu’en occident, depuis le Vatican II nous assistons à une montée
en flèche de l’intérêt ecclésial pour la Bible et pour les études bibliques. Les
biblistes sont très recherchés pour la direction des retraites, des sessions, que ca
soit par des religieux et des religieuses ou même par les laïcs. L’activité qui engage
le plus les biblistes est l’enseignement théologique dans les différents centres de
formation religieuse ouverts au grand public et qui sont au nombre de 36 !! Ces
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derniers représentent un phénomène ecclésial très intéressant et qui est digne
d’attention et d’étude.
II. La science biblique
Il est significatif que jusqu’à présent, il n’existe pas un organisme qui
réunisse les biblistes dans un cadre de recherche, à l’instar des différents pays
occidentaux où, à côté de la fédération biblique catholique, il existe des
associations regroupant des biblistes dans un souci de recherche (Associazione
Biblica, ACFEB, Catholic biblical Association). Il est généralement rare de trouver
parmi les membres de la FBC de grandes biblistes, ces derniers préfèrent, en effet,
rejoindre les associations susmentionnées.
Cette absence est donc significative de la difficulté qui est la nôtre de faire la
part des choses. Les activités de la FBC, animées souvent par des biblistes,
oscillent toujours entre le souci pastoral et la rigueur scientifique.
Ainsi il est difficile de parler de la recherche biblique au Liban, dans le vrai
sens du terme. Bien que le plus grand nombre des biblistes soit formé à la
recherche en des universités de haut niveau en occident (en Italie, en France, en
Allemagne, ou aux Etats-Unis), leur production littéraire en arabe peut
difficilement s’élever au rang de la vraie recherche. Preuve en est, aucun de leurs
ouvrages n’a été traduit en langues occidentales. En conséquence, l’apport des
biblistes libanais et orientaux en général à la recherche exégétique est très maigre.
Très rares sont les biblistes parmi nous qui publient dans des revues à comité de
lecture et en langue étrangère. Ceci ne concerne pas uniquement la science biblique
mais une bonne partie de la science théologique et des sciences en générale.
Les raisons de ce manque sont multiples. Je crois qu’une vraie discussion sur
cet état des choses n’a pas encore été sérieusement entamée. Par conséquence, les
raisons que je vais signaler expriment un point de vue personnel qui n’a pas été
encore discuté et il ne fait donc pas unanimité, comme cela va ressortir du débat
qui suit, et comme je l’espère bien :
1. Une raison historique : Après la période patristique, notre histoire de
chrétiens catholiques orientaux a connu un bon nombre d’érudits qui ont une
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bonne renommée en occident mais pas des écoles ou des courants
théologiques dans le vrai sens du terme, qui ont développé une pensée
propre.
Notre histoire ecclésiale est marquée par l’urgence. Dans la logique de
primum vivere deinde philosophare nous nous sentons souvent encore au
stade du primum. Cela n’est pas dû aux conditions sociales dans lesquelles
nous vivons, qui ne diffèrent pas trop des pays occidentaux, mais à notre
conscience communautaire de minorité en éternelle lutte pour sa survie, et
pour l’affirmation de son identité. Or notre vis-à-vis dans cette quête de
différenciation n’est pas le Chrétien appartenant à une autre culture, mais
notre compatriote appartenant à une autre religion. En général, notre
discours théologique reste marqué par un souci apologétique.
Le statut de chercheur ou de professeur n’est pas très reconnu dans une
société où les titres et les apparences comptent beaucoup, au moins plus que
la qualité véritable de la recherche produite.
Le nombre très réduit de chrétiens au Liban et au Moyen Orient en général.
Proportionnellement le nombre de biblistes est acceptable, il reste toutefois
assez réduit.
Nous subissons en général les conséquences de notre culture arabe et
moyen-orientale. On a mal intégré les principes de la critique occidentale et
de la modernité en général au moins au niveau de la pensée religieuse.
L’esprit critique que nous apprenons à l’école n’a pas encore pénétré notre
conception de la science et du savoir en général. La demande critique ne
nous vient pas du contexte culturel qui est le nôtre mais de la mentalité
occidentale moderne. L’interlocuteur le plus exigeant du bibliste et du
théologien en général ne sont pas les penseurs libanais ou l’élite culturelle,
encore moins le théologien musulman, mais les partenaires européens.
L’influence de l’Islam et le conditionnement de la lecture littérale de ses
livres sacrés, qui reste encore celle dominante.
Le tableau que je viens de dresser ne devrait en aucun cas nous amener à
croire que toute tentative de relancer la recherche biblique au niveau local, est
vouée à l’échec. Au contraire, je suis profondément convaincu que nous disposons
de tous les moyens nécessaires pour réaliser ce projet mais qu’il nous faudra pour
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cela revoir nos présupposés et nous mettre d’accord sur l’analyse de la situation.
En outre et pour rattraper le retard que nous avons accumulé par rapport à nos
collègues occidentaux nous devrions multiplier nos efforts, user de notre créativité
et nous poser surtout des objectifs réalisables, à notre portée.
Une des pistes de recherche que nous devrions mieux explorer et pour
laquelle nous sommes mieux placés que nos collègues occidentaux est celle du
rapport entre la tradition exégétique chrétienne et celle des nos concitoyens
musulmans. Un effort devra être fait pour traduire en arabe les « classiques » de
l’exégèse biblique, en particulier les ouvrages qui portent sur l’herméneutique
biblique et qui ont jeté les bases de la lecture critique de nos Livres Sacrés.
J’en arrive à la fin de mon exposé. Dans sa partie descriptive, il se veut un
état des lieux, dans sa partie analytique, il se veut une invitation à la réflexion
commune et au débat.
P. JOSEPH BOU RAAD
Doyen de la Faculté des Sciences
Théologiques et des Etudes Pastorales

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