Homo floresiensis : le petit dernier de la famille ?

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Homo floresiensis : le petit dernier de la famille ?
Homo floresiensis : le petit dernier de la famille ?
Il y a six ans, les australiens Peter Brown et Mike
Morwood annonçaient avoir trouvé à 500
kilomètres à l'est de Java, sur l'île de Florès, des
outils de pierre datant de 800 000 ans.
clavicules et des côtes.
Des
ossements
suffisamment nombreux
pour que soit dressé un
portrait précis de ce
nouvel hominidé.
À l'époque, cette découverte avait semé le doute
parmi les anthropologues du monde entier. Elle
impliquait en effet qu'Homo erectus, notre
ancêtre vivant à cette époque en Asie, ait
traversé à bord d'embarcations la mer séparant
Java des îles situées plus à l'est : exploit qui,
jusqu'à présent, ne semblait pouvoir être
accompli que par l'homme moderne, Homo
sapiens…
Chose marquante, cet
individu est tout petit. Sa
taille ne dépasse pas un
mètre pour un poids ne
devait pas excéder 28 kg.
Plus surprenant encore,
sa capacité crânienne de
L'insistance des deux chercheurs a pourtant
seulement 380 cm³ est
porté ses fruits. En septembre 2003, ils
tout juste comparable à
découvraient dans la grotte de Liang Bua,
celle d'un chimpanzé.
toujours sur l'île de Florès, les ossements d'un
Aucun homininé
étrange petit homme n'appartenant à aucune
n'affiche un cerveau
espèce connue.
aussi réduit. La capacité
crânienne d'Homo
Dans deux articles qui viennent de paraître dans
erectus est d'environ
la revue Nature ( vol.43, pp.1041/1055/1087 (28
1000 cm³, celle d'Homo
octobre 2004) ), les auteurs de cette découverte
sapiens de 1300 cm³.
montrent qu'il y a seulement 18 000 ans, bien
Même
L u c y,
après la disparition de l'homme de Neandertal (il
l'australopithèque, âgée
y a environ 30 000 ans), Homo sapiens n'était
pourtant de 3,2 millions
pas le seul homininé ( Sous-famille des hominidés
L'homme de Florès (vue d'artiste)
d'années dispose d'un
comprenant les genres Australopithecus et Homo, c'est-à© Peter Schouten
cerveau (légèrement)
dire les préhumains et les humains. ) à vivre sur Terre :
plus volumineux :
en Indonésie, subsistait l'homme de Florès,
400 cm³
!
L'individu
retrouvé
n'est pourtant pas un
Homo floresiensis.
enfant. Sa dentition et son ossification montrent
À la différences de nombreuses découvertes récentes,
clairement qu'il s'agit d'un adulte. Plus précisément, il
les restes retrouvés dans la grotte de Liang Bua ne se
s'agit d'une femme (d'après son bassin) d'une trentaine
limitent pas à quelques éléments isolés. À 5,90 mètres
d'années.
de profondeur, dans une couche de terrain datant de 18
Humain ou préhumain ?
000 ans, les chercheurs ont en effet pu dégager un crâne
presque complet accompagné de sa mandibule, une
Une petite taille, une capacité crânienne réduite…
jambe droite, quelques éléments de la jambe gauche,
pouvait-il s’agir d’un préhumain, c’est-à-dire d’un
des fragments de mains, de pieds, ainsi que quelques
australopithèque comme Lucy ? Les auteurs de la
éléments de la colonne vertébrale, du sacrum, des
découverte l’ont pensé un moment. Mais les spécialistes
ayant eu entre les mains cet étrange individu sont
formels : sa position « debout » (attestée par la position
du trou occipital, à la base du crâne, auquel se rattache
Homo sapiens et Homo
la colonne vertébrale), et sa dentition fine sont des
floresiensis © Peter Brown
caractères indéniablement humains !
Il s’agit donc d’un homme à part entière, appartenant au
genre Homo. Une nouvelle espèce est alors créée :
Homo floresiensis, l’homme de Florès.
Nanisme insulaire
Reste à expliquer cette petite taille qui ne semble pas
constituer un cas pathologique : les ossements – moins
complets – de six autres individus, âgés de 70 000 à 18
000 ans, montrent en effet les mêmes caractéristiques.
L’Homme de Florès
Sources : Cité des Sciences
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outils, qu'il chassait et qu'il maîtrisait aussi
l'usage du feu.
L'étude archéologique du site a ainsi révélé
la présence de nombreux outils en silex
noir et en roches volcaniques. Ces
instruments sont constitués essentiellement
de simples éclats, mais comprennent aussi
des nucléus* avec de traces de coups
portés de manière à obtenir des bifaces.
Evolution et migrations de l'homme depuis 2 millions d'années
© D'après Nature
Pour les auteurs de la découverte, « l'explication la plus
vraisemblable de leur existence réside dans l'isolement
à long terme (sur l'île de Florès) d'une population
ancestrale d'Homo erectus qui a finalement conduit au
nanisme. »
Ce nanisme, dit insulaire, est fréquent dans le monde
animal. Lorsque des individus se retrouvent isolés sur
une île, il s'opère une sélection naturelle : face à des
ressources limitées, seuls les plus petits individus
survivent car leur besoin en nourriture est moins grand.
Jamais pourtant le nanisme insulaire n'avait été observé
chez l'homme. « Homo floresiensis montre que dans ses
réponses adaptatives, le genre Homo est
morphologiquement plus varié et plus souple qu'on ne
le pensait », concluent-ils.
Homme de Florès : l"hypothèse de la carence en iode
Homo floresiensis ne serait peut-être qu"un malade
victime d"une grave carence en iode ayant entraîné une
sorte de “crétinisme endémique“. C"est ce que viennent
de révéler trois chercheurs australiens après avoir observé
des traces caractéristiques d"une insuffisance
thyroïdienne, sans doute causée par ce déficit pendant la
grossesse de la mère. Les fossiles examinés proviendraient
donc de chasseurs-cueilleurs qui ne trouvaient pas de
nourriture assez riche en iode.
Source : Proceedings of the Royal Society B, 4 mars 2008
Des outils retrouvés dans la grotte de
Liang Bua © D'après Nature
Classification complète de l'homme de Florès
Ordre :
Primates
Superordre :
Anthropoïdes
Superfamille :
Hominoïdes (ou Hominoidea)
Famille :
Hominidés (ou Hominidae)
Sous-famille :
Homininés (ou Homininae)
Genre :
Homo
Espèce :
floresiensis
Ouvrier et chasseur
380 cm³. Une capacité crânienne aussi réduite pourrait
laisser penser que l'homme de Florès était un incapable.
Il n'en est rien ! Plusieurs éléments retrouvés dans la
grotte de Liang Bua montrent en effet qu'Homo
floresiensis était clairement capable de concevoir des
L’Homme de Florès
Sources : Cité des Sciences
http://www.cite-sciences.fr/fr/ressources/
science-actualites/detail/news/homofloresiensis-le-petit-dernier-de-la-famille/?
tx_news_pi1%5Bcontroller
%5D=News&tx_news_pi1%5Baction
%5D=detail&cHash=393855980611e5f694
115b6469123e90
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Homo floresiensis : polémique autour d'un (trop) petit cerveau
Un étrange squelette
Mais à qui appartient le
petit squelette mis au
jour en septembre 2003
par une équipe australoindonésienne dans la
grotte de Liang Bua, sur
l'île de Flores ? Depuis
l'annonce de la
découverte*, la
polémique n'a jamais
cessé.
Pour ses découvreurs, il
s'agit clairement d'un
représentant d'une
nouvelle espèce
d'homme – Homo
Les ossements retrouvés
floresiensis – qui vivait en septembre 2003 ©
encore il y a seulement Peter Brown
18 000 ans, lorsque
nous imaginions que
seul subsistait l'homme moderne, à savoir Homo
sapiens.
Mais cette interprétation n'est pas partagée par
tous. Quelques jours seulement après l'annonce de
la découverte, Marciej Henneberg de l'université
d'Adélaïde faisait déjà part de ses doutes sur
l'identité du squelette : l'homme de Flores lui
rappelait un Homo sapiens vieux de 4000 ans
découvert en Crète souffrant de microcéphalie, une
anomalie morphologique caractérisée par une tête
et un encéphale anormalement petits, généralement
accompagnée de capacités intellectuelles
réduites…
* Nature, vol. 437, p. 1012 (13 octobre 2004).
Nanisme insulaire
L'homme de Flores présente en effet des
caractéristiques très étonnantes : « LB1 »*, le
principal spécimen mis au jour, ne dépasse pas un
mètre de hauteur ! D'après ses ossements, il s'agit
pourtant d'un adulte âgé d'une trentaine d'années.
Cette taille atypique peut s'expliquer par un «
nanisme insulaire », un phénomène observé chez
de nombreux mammifères herbivores (cervidés,
hippopotames, éléphants, mammouths…) : isolés
sur une île durant plusieurs générations, les
animaux voient leur taille diminuer, ce qui
s'explique facilement s'il on considère que face à
une quantité de nourriture limitée, seuls les plus
petits individus (dont les besoins sont moins
importants) peuvent survivre.
L’Homme de Florès
Pour les australiens Mike Morwood et Peter Brown
à l'origine de la découverte, Homo floresiensis
aurait subi le même sort. Selon l'hypothèse qu'ils
avançaient en octobre 2004, des Homo erectus
seraient arrivés sur l'île de Flores il y a 800 000 ans.
Leur taille diminuant progressivement, ils auraient
évolué vers la forme Homo floresiensis jusqu'à la
disparition complète de l'espèce, il y a environ 12
000 ans.
* LB1 = spécimen 1 trouvé à Liang Bua
Un cerveau trop petit
Pourtant, le problème ne touche pas tant la taille
d'Homo floresiensis que celle de son cerveau.
Mesuré d'après l'endocrâne de LB1, celui-ci est
estimé entre 380 et 400 cm³ : le volume d'un
pamplemousse, à peine le tiers d'un cerveau
d'homme moderne.
Pour Robert Martin, primatologue au Field Museum
de Chicago, ces dimensions sont anormales. Si la
critique n'est pas nouvelle, elle est cette fois-ci
argumentée. Dans une étude publiée en mai sur le
site Internet de la revue Science*, le scientifique a
comparé les dimensions de différents mammifères
nains (ou pygmées) avec des individus de taille
normale. Une règle invariable semble émerger de
cette étude : toute proportion gardée, le volume du
cerveau ne diminue jamais autant que le reste du
corps.
Sources : Cité des Sciences
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En 2004, Mike Morwood et Peter Brown estimaient
que cet ancêtre devait être Homo erectus (apparu il
y a 1,8 million d'années). Dans son étude menée
au début de l'année 2005, Dean Falk était d'ailleurs
arrivée aux mêmes conclusions.
Mais depuis, d'autres ossements ont été mis au jour,
permettant à la fois de compléter (en partie) le
squelette de LB1 mais aussi de retrouver les restes
(très partiels) de huit autres individus. Fort de ces
découvertes, les chercheurs australiens Mike
Morwood et Peter Brown sont revenus sur leur
première hypothèse : certes, la taille des dents et la
morphologie faciale sont caractéristiques du genre
Homo mais la stature et les proportions du corps
rappellent plus celles de préhumains : celles
d'australopithèques !
En utilisant différents modèles, le chercheur est
ainsi arrivé à la conclusion que si Homo
floresiensis était bien issu d'Homo erectus, le
cerveau de LB1 devrait appartenir à un individu
n'excédant pas les 11,9 kg. Or, son poids estimé
oscille entre 16 et 29 kg ! En revanche, le
chercheur estime, chiffres à l'appui, que ce cerveau
anormalement petit pourrait bien appartenir à un
homme moderne atteint de microcéphalie.
En mars 2005, l'Américaine Dean Falk, du
département d'anthropologie de l'université d'état
de Floride à Tallahassee, avait pu modéliser
l'endocrâne de LB1, et était arrivée à la conclusion
qu'il ne présentait pas les déformations observées
habituellement chez les patients victimes de
microcéphalie. Robert Martin rétorque que ces
déformations sont plus ou moins marquées selon
les individus. « Je ne suis pas sûr à 100% qu'il
s'agisse de microcéphalie, explique-t-il dans
Science, il n'en demeure pas moins que ce cerveau
est trop petit. »
* Science, Vol. 312, p. 999b (19 mai 2006)
Un ancêtre incertain
Pour Dean Falk, l'homme de Flores se rapproche
d'Homo erectus Après avoir scanné le crâne
d'Homo floresiensis, la neuropaléontologue Dean
Falk et son équipe sont arrivées à la conclusion*
que le cerveau de cet homininé ne peut appartenir
à un individu souffrant de microcéphalie. En
revanche, il se rapprocherait de celui d'Homo
erectus.* Science, vol. 308, p. 242 (8 avril 2005) ©
DR
Autre cas de figure compatible avec les travaux de
Robert Martin : celui qu'Homo floresiensis dérive
d'un ancêtre plus ancien, possédant dès l'origine
un cerveau aux dimensions réduites.
L’Homme de Florès
Incapable d'élaborer des outils ?
Soit. Homo floresiensis est peut-être issu d'une
lignée plus ancienne. Mais alors se pose un
nouveau problème : celui de la capacité de cet
homme à fabriquer des outils élaborés. « Difficile
en effet d'imaginer qu'une lignée préhumaine ait
pu développer, parallèlement à l'homme moderne,
le même savoir en matière d'outillage », juge JeanJacques Hublin, paléoanthropologue à l'institut
Max Planck de Leipzig (en Allemagne).
Des pierres taillées ont pourtant été retrouvées dans
la grotte Liang Bua. Mais, « la relation entre ces
outils et les restes humains n'est pas très claire, »
estime le chercheur. « La plus grande partie de cet
outillage provient d'une fouille située à une dizaine
de mètres de celle où ont été retrouvés les
ossements, le seul point commun étant leur
profondeur. Tout spécialiste vous expliquera que la
stratigraphie dans une grotte est quelque chose de
très particulier et que la profondeur, à elle seule, ne
peut suffire pour la datation. »
« Continuité technologique »
Pour certains, comme Robert Martin, ces objets
particulièrement élaborés pourraient très bien avoir
été taillés par des Homo sapiens de passage ou
vivant sur l’île.
http://www.cite-sciences.fr/fr/ressources/science-actualites/detail/
news/homo-floresiensis-polemique-autour-dun-trop-petit-cerveau/?
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Sources : Cité des Sciences
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