« Autoportrait - Portrait d`un homme »

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« Autoportrait - Portrait d`un homme »
« Autoportrait - Portrait d’un homme »
Cet autoportrait de Gauguin, peu connu, est l’un des plus étonnants que le peintre nous
ait livré.
Dans une belle notice, publiée à l’occasion d’une exposition intitulée « Le Portrait dans
les Musées de Strasbourg », Roland Recht et Marie-Jeanne Geyer l’évoquent en ces termes :
« Le visage - dont la partie supérieure au-dessus des sourcils, est remplacée par l’étude
agrandie d’un 3ème œil - n’est évoquée que par une ligne nette, très appuyée par endroits…Il
y a dans le dessin de Strasbourg, aussi simplifié soit-il, dans toute la dureté sans concession
du visage esquissé, le même pouvoir d’émotion et d’expression que dans [d’autres]
autoportraits… »1
Les auteurs estiment que ce dessin, non daté, a été réalisé, soit à la fin de l’année 1888,
soit au cours de l’année 1890, c’est à dire à des moments où Gauguin a été hébergé à Paris par
la famille Schuffenecker.
En effet au revers de cet autoportrait on découvre un autre croquis, au crayon, d’un
homme barbu qui pourrait être, d’après Recht et Geyer, Emile Schuffenecker.
Curieusement, les deux auteurs n’évoquent pas le visage de femme que l’on devine en
arrière plan, ni l’étonnant petit cœur, il est vrai, à peine perceptible. Pour nous ces deux
éléments pourraient être la clé de la compréhension de L’Autoportrait –Portrait d’un homme.
Les liens entre Gauguin et Schuffenecker commencent à être de mieux en mieux connus.
Sans entrer dans les détails, retenons que les deux hommes se sont connus comme employés à
l’Agence de Change Bertin. Leur goût pour la peinture les a rapprochés dès l’année 1872. Par
1
Roland Recht et Marie-Jeanne Geyer, A qui ressemblons-nous ? Le Portrait dans les Musées de Strasbourg,
Les Musées de la Ville de Strasbourg, 1988, p. 210
ailleurs, Mette, l’épouse de Gauguin, et Louise, la femme de Schuffenecker étaient également
fort proches.
On sait aussi que malgré la générosité d’Emile Schuffenecker à l’égard de Gauguin, ce
dernier a souvent affiché de la condescendance, voire du mépris vis à vis de son collègue. On
sait enfin que Gauguin a essayé de séduire, peut-être avec succès, Louise Schuffenecker, ce
qui a conduit, fin février 1891, à une rupture, au moins temporaire, entre les deux peintres.
Quant à Louise, qui a servi à plusieurs reprises comme modèle à Gauguin, elle a difficilement
supporté le départ de celui-ci à Tahiti. Après son divorce avec Emile, elle a mis fin à ses jours
en se jetant dans la Seine.
Revenant à l’analyse de l’Autoportrait on remarque, outre le 3ème œil, un second nez et
même l’esquisse d’une oreille supplémentaire. On ne peut s’empêcher de penser que ces
données sont présentes à la fois dans l’hindouisme et le bouddhisme mais aussi dans la
kabbale juive. Elles expriment les chose que l’on peut voir, sentir et entendre au-delà des
apparences. Or à partir de 1889, sous l’influence de Jacob Meyer de Haan, Gauguin et
Schuffenecker se sont beaucoup intéressés au bouddhisme, à l’interprétation kabbalistique de
l’Ancien Testament et plus généralement aux sciences occultes. Le premier s’en détournera
mais le second deviendra un adepte de la Rose-Croix.
On peut donc estimer, pour conclure, que Gauguin ait voulu montrer qu’à travers ses
capacités de perception extrasensorielles, il a deviné ce qui se passe, au-delà des apparences
dans le cœur de Louise et d’Emile Schuffenecker.
Ces croquis se situeraient, dans ce cas, à la fin de l’année 1890, peu de temps avant le
renvoi de Gauguin par son ami.