sInnerman

Transcription

sInnerman
Interview
16
Interview
sinnerman
texte - Géraldine Rutsaert
Nom : Mennegun
Prénom : Cyril
Profession : Réalisateur
Film : « Louise Wimmer » (Rediffusion : A
ujourd'hui à 13h00 - C2
Vendredi 07 à 10h00 - C2)
« Louise Wimmer, femme seule et sans argent, vit dans sa voiture et
attend désespérément un logement. Comment en est-elle arrivée là ? » « Elle a le parcours d’une femme qui s’est séparée de son compagnon et qui
n’a pas eu de droit légal sur les biens de son couple. Peu à peu, la situation
s’est dégradée, elle n’a plus pu payer le loyer, et s’est retrouvée dans la rue.
C’est le genre de parcours que connaissent quantité de femmes. »
« C’est aussi une femme forte, presque blindée, qui refuse de se dévoiler. » « En tant que spectateur, je n’aime pas la façon dont les femmes sont traitées
en général au cinéma. Souvent elles apparaissent comme des êtres fragiles,
relativement soumis. Quelque part, pour moi, le cinéma perpétue une image de
la femme assez injuste et insensée. C’est pour ça que je voulais un personnage
de femme libérée de tous ces clichés.
J’ai d’ailleurs écrit le rôle spécialement pour la comédienne Corinne Masiero.
En général, j’ai besoin d’avoir mon personnage, son corps, sa voix, pour
pouvoir écrire l’histoire. J’aime écrire sur mesure. En choisissant Corinne
Masiero, j’ai donc voulu proposer un autre visage, un autre corps, une autre
réalité, un autre type de femme. Je voulais qu’elle soit libérée de l’obligation
d’incarner un objet de désir. Sans paraître militant féministe, je voulais redonner à la femme un espace qui n’appartient qu’à elle et qui ne soit pas spécialement soumis aux hommes. J’ai donc créé Louise Wimmer, une femme qui
dit non, qui ne veut pas parler, qui se comporte en amour comme un homme,
c’est-à-dire qu’elle décide quand elle a envie de faire l’amour et quand elle s’en
va. Parce que toutes les femmes ne sont pas là à se jeter aux pieds d’un
homme en réclamant leur amour. »
« Vous dépeignez une société qui n’est pas très humaine » - « Je montre
une société qui a toujours été violente pour les personnes plus fragiles, une
société où on est de moins en moins secouru, en cas de chute, il y a de
17
moins en moins de branches auxquelles se rattraper en fait. En France, le
système de l’assistanat est fait pour ceux qui osent pousser la porte, tout
le monde n’a pas le courage de le faire. Je trouve ce système avilissant car
il oblige les gens à s’humilier quelque part, à raconter leurs malheurs pour
avoir droit aux choses. Il y a aussi de la concurrence : beaucoup de personnes dans le besoin figurent sur des listes. Louise, par exemple, attend un
appartement depuis des mois car elle n’est pas prioritaire. »
« Vous filmez souvent votre personnage en train de se regarder dans les
miroirs. » - « J’aime beaucoup le motif des reflets, qui est très cinématographique. D’un autre côté, Louise est confrontée, comme tout le monde, à
son image. Elle tente de sauver les apparences, personne ne sait ce qu’elle
traverse et la seule manière pour elle de rester digne, c’est de cacher sa
situation. Et puis, il y a aussi la confrontation d’une femme qui, arrivée à un
certain moment de sa vie, se rend compte que la jeunesse est passée, donc
elle se raccroche à cette apparence. Le miroir, c’est aussi quelque chose de
très intime, on est souvent seul en général, face à son reflet, on évite d’être
vu. L’image que le miroir nous renvoie nous dit : "voilà, j’en suis là". Le film
parle en fait des apparences, ces choses qu’on veut dissimuler et la manière
dont on est obligé de donner en permanence une certaine image de soi. »
« "Louise Wimmer" est un film où il y a peu de dialogues, mais c’est aussi
un film très rythmé. » - « La narration du film repose beaucoup sur l’héroïne
mais aussi sur le montage des séquences. C’est la façon dont les scènes
sont agencées qui va créer la tension de l’histoire mais aussi l’attention que
le spectateur gardera tout au long du film. Quand j’écris, je me pose plus la
question du rythme que de l’histoire en tant que telle. Le rythme est crucial,
c’est lui qui donne la palpitation, c’est lui qui lie le spectateur au film. Il y a de
très grands films où l’histoire est ténue et pourtant ils restent captivants de
bout en bout, grâce à l’image, aux sons, aux silences, aux déplacements, à
toutes ces petites choses impalpables. Voilà la magie du cinéma ! »
« Le rythme du film est soutenu par la chanson «Sinnerman» de Nina
Simone qui revient constamment. » - « La chanson est récurrente parce que
le CD est bloqué dans la voiture. A chaque fois qu’elle démarre, la même musique revient. Dans mon scénario, je voulais que ce soit l’héroïne qui décide
du moment où il n’y aurait plus de musique. J’ai également joué sur plusieurs
niveaux: parfois, il s’agit de la musique du film, parfois de la musique dans le
film. J’aime bien ce flou. »
« Pourquoi "Sinnerman" ? » - « Parce que c’est très rythmé, avec les percussions, le battement, mais aussi parce que c’est Nina Simone, une femme au
physique particulier, de stature imposante, comme Louise, qui dégage beaucoup d’énergie, beaucoup de violence. J’aime bien la manière dont ces deux
femmes se complètent. Nina Simone a un côté héroïque, c’est quelqu’un qui
a refusé son destin, qui s’est opposé à la manière dont on traitait les noirs,
les femmes, les pauvres. Louise est aussi un personnage qui dit non. »
Interview
Interview