La question sur corpus

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La question sur corpus
Les quatre textes du corpus montrent, décrivent, analysent, mais aussi racontent comment un ou plusieurs
personnages nagent, se baignent, dans des circonstances toutes différentes les unes des autres. Il y a cependant
un point commun à ces textes : les dialogues (dans deux d’entre eux seulement) et les actions des personnages
servent à les faire comprendre du lecteur.
Les dialogues font comprendre la personnalité des personnages.
Dans le texte de Colette, par exemple, leur brièveté ou leur sécheresse montre un Philippe plutôt brusque,
autoritaire, qui parle en même temps qu’il agit (il nage) : « Jusqu’au rocher ! cria-t-il en fendant l’eau. », et
Vinca s’exprime de façon assez enfantine, familière, par l’emploi du mot « Un monsieur … », dans une phrase
de style oral et simple. Le terme « Papa » est aussi révélateur d’une certaine enfance, et la phrase complète est
assez approximative dans sa construction : « Papa a dit qu’on s’habille ! »
De manière différente, dans le texte d’Aragon, la discussion entre Riquet et Aurélien révèle leur personnalité,
leur milieu social, et leur niveau d’éducation ou de maîtrise de la langue.
Ainsi Riquet emploie des phrases inachevées, des mots d’argot ou raccourcis, comme « champes » pour
« champions », ou « des mectons » ; sa manière de raccourcir l’expression complète « n’est-ce pas » en « pas »
est aussi un indice de parler populaire, comme la négation incomplète : « mais ça fait rien » ou « C’est pas tout
ça… », ou « On est pas marida… tu piges... ».
La difficulté de Riquet à tutoyer son compagnon, les artifices maladroits qu’il emploie, sont aussi un indice de
son malaise face à quelqu’un d’une classe sociale qu’il estime supérieure. On peut relever les formules
suivantes : « Moi qui t’offrais... qui vous offrais à boire ! », « Alors on est capitaliste ?... », « Et à quoi vous
travaillez ? ».
Inversement, Aurélien, dans son affectation à employer un mot familier, montre son malaise d’avoir été
démasqué comme rentier, ou bourgeois : « Ah bien, Riquet, si tu m’appelles Monsieur parce qu’on s’est
fringué… Tu ne me tutoies déjà plus… ».
Les actions aussi permettent aux auteurs de faire comprendre les personnages. Qu’il s’agisse d’inaction presque
totale, comme dans Mont-Oriol, ou d’actions plutôt frénétiques chez Colette et Aragon, ou encore d’actions
énergiques mais mesurées chez Camus, les personnages sont montrés avec des caractéristiques assez précises. Le
point commun à tous est la baignade, ou la nage, et cette situation nous fait comprendre leurs pensées, ou leur
manière de concevoir la vie.
En effet Christiane, l’héroïne de Maupassant, est presque inactive : « elle trempa son pied […] elle enfonça dans
l’eau tiède une jambe d’abord, l’autre ensuite […] et s’assit », ce qui correspond à la description de ses pensées,
et surtout de son caractère sensuel, adonné au plaisir de ressentir l’écoulement de l’eau ou des bulles sur son
corps.
Philippe et Vinca sont au contraire caractérisés par des actions vives, indiquée par le sens des verbes, comme
dans « Son ami plongea », geste augmenté par l’adverbe « brusquement », ou l’accumulation des participes
présents « crachant, soufflant, fendant l’eau », ou encore par l’image visuelle de l’arrachage du bonnet de Vinca,
évoquant une violence physique : « Elle arracha son bonnet comme si elle se scalpait, et secoua ses raides
cheveux blonds »
On voit ici qu’on a des personnages jeunes et vigoureux, qui prennent plaisir au mouvement, ce que le dialogue
montrait déjà, et cela se retrouve dans l’évocation de la compétition entre Aurélien et Riquet : la sensualité
consiste alors à éprouver la force de son corps, sa capacité à se dépasser ou à dépasser l’autre. Ainsi Aragon
montre le plaisir de la compétition : « Finalement, Riquet que ça travaille a décidé son nouveau copain à faire un
cent mètres. » et « Malgré son style, Aurélien s’est fait battre. »
Ce plaisir de rivaliser se retrouve lors de la nage nocturne de Rieux et Tarrou : « Rieux se retourna, se mit au
niveau de son ami, et nagea dans le même rythme. Tarrou avançait avec plus de puissance que lui et il dut
précipiter son allure. Pendant quelques minutes, ils avancèrent avec la même cadence et la même vigueur ».
C’est le vocabulaire comparatif de Camus qui fait comprendre l’action jumelle de la nage : « le même », « plus
de puissance », « la même cadence et la même vigueur ». Il fait comprendre aussi la force physique mise en
œuvre, la notion de rythme qui réunit les deux hommes. Ainsi, on comprend qu’ils sont à l’unisson dans l’effort
physique, ce qui est ensuite corroboré par les analyses psychologiques à propos de la peste et du sentiment de
libération provoqué par cette sortie. Agir les dispense de penser à des sujets tristes, mais les deux hommes savent
qu’il ne s’agit que d’une sorte de parenthèse. La nage est une détente pour des esprits inquiets ou tourmentés,
alors que pour Riquet et Aurélien elle est simplement un exercice, un passe-temps.
On voit donc que les dialogues, comme les manières de pratiquer la nage ou la baignade, sont des indices des
états d’âme (l’inquiétude, la rêverie, le malaise), de la vitalité adolescente, du besoin de s’échapper d’un contexte
pesant, d’un plaisir physique et intellectuel. C’est de cette manière que la narration contribue à enrichir les
analyses ou les descriptions psychologiques, ou sociales, à l’œuvre dans les différents textes de ce corpus.