Compte rendu formation Gremlins

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Compte rendu formation Gremlins
Compte-rendu de la formation sur Gremlins, Joe Dante, 1984
Intervention de Séverine Vermesch, cinéaste et ancienne enseignante à la Femis
Au Cinéma Le Bretagne à Quimper, le 23 novembre 2011
Introduction
Sous ses airs de conte de Noël, Gremlins est en réalité un film symbolique et référentiel. Le
regarder, c’est voir au-delà de l’histoire naïve et déceler le message de Joe Dante et sa vision
cynique de la société américaine.
1. L’origine des Gremlins : Une légende urbaine
Les gremlins sont des petites créatures qui relèvent d’une légende qui aurait pris naissance en
Irlande. A l’image des trolls, leur légende a pris plus de poids pendant la seconde guerre
mondiale : le personnage de Futterman dans le film l’explique d’ailleurs très bien. On disait
alors que les gremlins détruisaient les avions, abîmaient les machines. « Lorsqu’un appareil ne
fonctionnait plus correctement, on disait qu’il y avait des Gremlins dedans. Une idée reprise
plus tard par le célèbre et talentueux auteur de livres pour enfants Roald Dahl dans son livre
The Gremlins (1943), écrit durant la guerre, alors qu’il était un officier de la Royal Air Force
particulièrement indiscipliné. Puis le concept des Gremlins fut repris plus tard, toujours
pendant la guerre, par la Warner et les cartoons avec Bugs Bunny. Bien sûr, à l’époque, les
Gremlins n’avaient ni le même look ni le même comportement que ceux du film de Dante,
mais les bases étaient là : c’étaient des grains de sable dans la machine de l’Occident. Ceux
sur qui on rejetait les fautes ». Walter Paisley - Jeudi 23 Juin 2005 http://www.cinetudes.com.
2. La peur de l’étranger, l’angoisse de l’autre.
Les gremlins, lutins malicieux qui viennent enrayer la machine, sont donc le symbole de la
peur de l’étranger, du mal (du communisme), révélée par le personnage protectionniste de
Futterman. Le film de Dante est empreint des années 50 et 60, époque où émergent et se
développent les films de science-fiction, révélateurs eux-aussi de la peur de l’étranger.
De la même manière, Gremlins fait référence indirectement (le speaker Rock’n Roll Ricky) et
directement (dans un des dialogues) à la fameuse vague de terreur qu’Orson Welles provoqua
par sa lecture radiophonique de La Guerre des Mondes. Les Américains avaient alors cru à
une invasion d’extra-terrestres.
Les personnages des Gremlins sont issus de la bande dessinée, de l’imaginaire et c’est
précisément ce que Joe Dante veut nous dire : à force de se replier sur nous-mêmes, on crée
nos propres démons. Le film révèle l’angoisse des Américains qui ont crée leurs propres
démons.
3. Les Gremlins, des enfants sans père
Gremlins commence comme un conte ainsi que le signalent la voix-off (figure du conteur) et
Chinatown présenté comme un décor imaginaire. Cependant, le film ne commence pas
comme un film pour enfants. Il n’y a qu’à observer le décor érotisé de Chinatown pour en
prendre conscience : on y voit beaucoup de couples enlacés, des prostituées. L’ouverture est
l’unique scène du film où est présentée la sexualité. Car tout le reste du film est asexué : le
couple Peltzer (le mari-enfant et la femme-mère), le couple Futterman. Or, c’est justement ce
que Dante pointe du doigt : l’asexualité est un des problèmes de la société dénoncé par le
film. Dante semble dire : voilà ce qui arrive à la société quand le père, comme celui de Billy,
est encore un enfant. Effectivement, Rand Peltzer est physiquement absent de l’action : loin
de sa famille parce qu’il participe au congrès des inventeurs, il n’arrive qu’après la bataille
dans le magasin lors de la scène finale. Il ne joue pas son rôle et laisse même son fils le jouer
à sa place. En effet, en se servant d’une épée pour abattre un des monstres, il devient ce que le
père aurait dû être. Et l’absence de père est fatale car elle entraîne la transgression. Ici, sont
rappelées les trois lois :
- pas de lumière vive : référence à Dracula
- pas d’eau : référence au Magicien d’Oz.
- Ne pas manger après minuit : interdiction faite aux enfants.
Or, les Gremlins, créatures cruelles et sans limite, sont des enfants qui ne sont pas sages, qui
n’ont pas reçu la loi, parce qu’ils n’ont pas de parents, ni d’éducation.
Le grand-père, dans la scène d’ouverture, est celui qui dit la loi et ne la transgresse pas. Dante
parle donc de la génération d’avant, celle de nos pères, ceux qui disaient la loi. Cette idée
fondamentale du film est à mettre en relation avec les créatures qu’il dépeint : lorsque le
Mogwaï se multiplie, il donne naissance à des créatures qui sont moitié Mogwaï moitié
Gremlins. Mais quand la deuxième génération accouche, elle donne naissance à d’affreuses
créatures qui sont des Gremlins. Ces Gremlins sont en fait d’affreux enfants qui font ce que
l’on rêve de faire (perturber les feux de circulation par exemple) mais ce que la loi nous
interdit de faire. Pourtant, ce sont bien eux qui vengent la population en débarrassant la ville
de Mrs Deagle.
Le magasin du grand-père est présenté comme un cabinet de curiosités. Situé au sous-sol, il
est le lieu de notre passé, de notre mémoire, le lieu où existait la loi.
L’absence du père fait que l’enfant devient un personnage sans limite (comme le sont les
Gremlins) qui transgresse la loi et c’est ce qui mène à la folie.
4. Les références cinématographiques
Joe Dante fait partie de cette génération de cinéastes (avec Spielberg, Landis, Miller…) qui
ont vu beaucoup de films de série B et de films d’horreur. Nourris à la sauce Corman,
producteur de films série B à petit budget, Dante sait, comme ses collègues, comment faire
peur.
- L’invasion des profanateurs (Invasion of the Body Snatchers), Don Siegel, 1956
Les cosses destinées à donner naissance à des clones humains dénués de toute émotion sont
identiques à celles que Billy trouve dans sa chambre avant l’éclosion des Gremlins. La grande
angoisse développée dans le film de Siegel est celle d’être inhumain. La même peur se lit dans
l’autre référence cinématographique majeure des Gremlins : La Vie est belle.
- La Vie est belle (It’s a wonderful life), Frank Capra, 1948
La ville de Bedford Falls (Kingston Falls dans Gremlins) est toute entière dévolue au banquier
Potter. Le film dénonce l’Amérique gérée par les banques à travers ce monstrueux
personnage, Potter, qui chasse les gens de chez eux. Sa réplique, Mrs Deagle, dans Gremlins,
fera de même : vieille femme esseulée qui vit avec ses chats (auxquels elle donne des noms de
monnaie : Kopek….), elle met les gens à la porte de chez eux, menace le chien de Billy
(comme le fait l’affreuse Mrs Gulch dans Le Magicien d’Oz).
La vie est belle comme Gremlins racontent la même chose : l’ennemi est à l’intérieur de la
société ; il ne vient pas d’ailleurs, mais de nous-mêmes et de notre société de consommation.
Or, l’action des deux films se déroulent justement à la même période de Noël, époque de
débauche de la consommation. De manière cynique, le film de Dante met en scène la
destruction du dernier des Gremlins dans un grand magasin.
La Vie est belle donne également l’occasion au héros George Bailey, grâce à l’intervention de
l’ange Clarence, d’assister à ce que pourrait être la vie de Bedford Falls s’il n’était pas né. Le
spectateur assiste avec Bailey à la vision sinistre d’une ville désormais appelée Pottersville,
plongée dans la corruption et la tristesse : la femme de George n’est qu’une vieille fille
travaillant à la bibliothèque, son jeune frère est mort car il n’était pas là pour le sauver…
C’est justement ce que Dante semble dire dans Gremlins : en prenant le prétexte d’un conte
de Noël, le réalisateur dit aux enfants que la vie n’est pas un conte et qu’ils sont responsables
de leur propre existence. Nous sommes artisans de notre propre bonheur et malheur.
- Blanche-#eige et les sept nains (Snow White and the seven dwarfs), Disney, 1937: le dessin
animé fait partie de la mythologie américaine. Les Gremlins saccagent ce film fondateur pour
la société américaine. Ils sont le négatif des nains qu’ils voient sur l’écran. Ils se comportent
comme des enfants mal élevés.
Conclusion
En 1983, Joe Dante réalise le 3ème épisode du film La Quatrième Dimension, hommage à la
série éponyme des années 50. Il y montre une famille totalement détraquer par l’enfant qui a
tous les pouvoirs. George Miller, réalisateur de la même génération, met en scène le 4ème
épisode. On y voit un aviateur qui prétend avoir vu un Gremlins. Steven Spielberg et John
Landis sont les auteurs des deux premiers épisodes.

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