Savoir médical et pouvoir des médecins de la révolution industrielle

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Savoir médical et pouvoir des médecins de la
révolution industrielle à l’État post-industriel :
autour de Manchester*
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ans les années 1960, il était aisé de raconter l’histoire de la profession
médicale dans le monde occidental. Depuis le milieu du XIXe siècle, son
pouvoir s’était accru de bien des manières : les médecins réalisaient de
meilleurs diagnostics et leurs traitements étaient devenus plus efficaces ; leurs
rémunérations et leurs conditions de travail s’étaient améliorées, notamment
parce qu’ils avaient pris les commandes des institutions de la médecine, et principalement des hôpitaux. Certes, des voix s’élevaient pour dénoncer la médicalisation de la vie quotidienne et appeler à la démocratisation des services fournis
(Illich 1975), mais fort peu d’analystes envisageaient une diminution du pouvoir
des médecins. Cinquante ans plus tard, et bien que leur arsenal thérapeutique se
soit amplifié, la position des médecins britanniques s’est pourtant délitée, et les
pouvoirs relatifs d’autres catégories d’agents – patients, professions paramédicales,
compagnies médicales et État – ont augmenté. Les plus âgés des médecins, quel
que soit leur rang dans la profession, soulignent la dégradation de leur rapport
avec la National Health Service (NHS) et rangent au rayon des souvenirs la
liberté de définir librement leur travail et leurs institutions (Freeman 2005).
Pour comprendre ces bouleversements, je suggère de suivre les chemins de la
professionnalisation et de l’autorité médicale en Grande-Bretagne, du XIXe siècle
à nos jours. Et, pour ce faire, de nous concentrer sur un terrain longuement étudié
par les historiens. Depuis la fin du XVIIIe siècle, Manchester est la ville éponyme
de l’ère industrielle, et demeura la capitale mondiale du textile jusqu’en 1920
environ. Par la suite, son histoire épouse le déclin de l’industrie textile, la dépression de l’entre-deux-guerres puis, après la Seconde Guerre mondiale, l’essor des
nouvelles industries – pharmacie, nucléaire, informatique – et la rapide croissance
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de l’enseignement supérieur (Kidd 2002). Après une désindustrialisation massive
dans les années 1970 et 1980, Manchester est devenue un symbole de la régénération urbaine, par le déploiement des activités de services et du loisir, et demeure
le premier centre universitaire du pays en dehors du triangle Londres-OxfordCambridge. Se centrer ainsi sur un espace limité, et dans la longue durée, est
inhabituel ; j’en conviens. Pourtant, j’espère ainsi explorer des questions interdépendantes, souvent négligées et rarement considérées dans leur ensemble. Je me
concentre sur Manchester afin d’observer la médecine in situ, et d’envisager des
perspectives régionales et locales relativement aux relations entre médecine et
capitalisme – industriel et commercial. Bien sûr, certaines des conséquences du
capitalisme industriel peuvent être appréhendées par des comparaisons avec
Londres ou d’autres régions moins industrielles, menées sur la courte durée. Mais
je fais ici le pari que suivre la médecine à Manchester tout au long de la trajectoire
économique de la ville permet d’envisager d’autres aspects de la question.
Dans la mesure où la médecine a toujours été affectée par les institutions
nationales, et est de plus en plus contrôlée par les gouvernements nationaux,
notre histoire mancunienne sera néanmoins largement nationale, particulièrement après la Seconde Guerre mondiale. De fait, l’extraordinaire centralisation
de la politique médicale dans les deux dernières décennies est ici cruciale1. Pour
autant, même dans le système actuel fortement centralisé, les politiques de santé
sont mises en œuvre dans des contextes locaux, en rapport avec les dynamiques
locales : cette dimension passe souvent inaperçue aux yeux des historiens qui
s’intéressent aux seules politiques nationales. Pour intégrer ces vues depuis la
« périphérie », je propose donc une histoire qui explore continuité et changement
autour de situations particulières, façonnées par les déterminants économiques et
sociaux fonctionnant à différentes échelles, tant spatiales que temporelles. On
li(e)ra donc de manière constante le local, le régional et le national. Et plus spécialement, j’entends m’intéresser à un aspect particulier des politiques médicales
régionales et locales : le rôle et les pouvoirs des hôpitaux universitaires (teaching
hospitals) et des écoles de médecine (medical schools) à Manchester2. Le paysage
en la matière est pluriel : à différents moments du XIXe siècle, plus d’une école de
médecine fut associée à l’hôpital central ; au cours des quarante dernières années,
trois hôpitaux assurent la formation des étudiants de l’unique école de médecine.
Mon observation porte surtout sur un hôpital particulier, l’Infirmary de Manchester, qui fut associé à l’université à partir des années 1870.
Hôpitaux et formation médicale à Manchester au XIXe siècle
Considérons d’abord les formes de direction des hôpitaux philanthropiques
du début du XIXe siècle, au moment où Manchester se glisse dans ses habits
neufs de ville industrielle. L’esprit d’entreprise débordait alors le seul milieu des
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affaires, et même l’érection des lieux de culte participait de projets spéculatifs
dont le succès était basé sur l’aura de certains prêcheurs (Perkin 1969a). Les
nouvelles institutions philanthropiques de la santé, et les nouvelles écoles de
médecine, furent fondées sur une base semblable par des médecins ou par des
profanes. Nul n’avait alors de doute sur le gain pécuniaire qui résultait du travail
bénévole des médecins dans les hôpitaux charitables. En soignant gratuitement
les patients pauvres, le praticien établissait sa réputation et nouait des relations
avec les bienfaiteurs de l’hôpital qui étaient autant de patients privés potentiels.
Dans un Manchester en plein essor, les médecins furent parfois considérés
comme des directeurs d’usine – une fonction en plein essor dans le contexte de la
révolution industrielle (Pickstone 1985). Toutefois, si dans leur travail hospitalier les médecins étaient traités comme des employés et des techniciens, et si
dans leur pratique privée ils se muaient en entrepreneurs sur un marché très
concurrentiel, comment pouvaient-ils se différencier des autres marchands ou
fournisseurs de services ? Que subsistait-il de leur identité, revendiquée, de gentlemen ? Comment redéfinir leur professionnalisme à une période où l’industrie et
l’urbanisation rapide fragilisaient les relations familiales et où chaque année
amenait son lot de nouveaux concurrents ?
Vers 1820, alors que les difficultés économiques et politiques consécutives
aux guerres avec la France s’éclaircissaient, la classe moyenne émergente créa de
nombreuses associations, en particulier des sociétés scientifiques. À Manchester
comme ailleurs, les médecins établirent des écoles de médecine privées, des
hôpitaux charitables, et des sociétés médicales qui se fédérèrent au niveau
national (Pickstone 1985 : 51 et suiv. ; Webb 1988). Un certain esprit de corps
se développa, nourri par des revues locales et nationales qui traitaient aussi bien
d’organisation professionnelle que des progrès du savoir médical (Brown 2009).
C’est dans ce cadre que la médecine put être définie comme une profession
unique incluant les apothecaires et chirurgiens, fondée non plus sur une formation humaniste ou des savoir-faire artisanaux, mais sur les sciences de l’anatomie pathologique et de la physiologie redéfinies par la chimie nouvelle. Dans
les débats de « santé publique », au cœur de l’extension des activités du gouvernement national à partir des années 1830, chimie, médecine et économie politique furent étroitement associées, à Manchester en particulier (Pickstone 2001 :
125-129). Leur identité publique collective de professionnels maîtres de ces
savoirs devait les protéger, symboliquement, d’une définition de leur statut par
les seules relations de marché, fort brutales. Dans le même temps, naquit à
Manchester la première école provinciale d’anatomie, qui s’inséra dans le système d’examens nationaux géré par les anciennes corporations médicales.
Jusqu’aux années 1870, toutefois, ces écoles provinciales demeurèrent des entreprises privées, parfois en concurrence. La formation médicale ressemblait fort à
l’apprentissage des métiers artisanaux, une perception renforcée par la réputation chahuteuse des étudiants en médecine. Si bien qu’à la fondation du preGenèses 82, mars 2011
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mier collège « d’arts libéraux » à Manchester en 1851, la formation médicale en
fut délibérément exclue (Butler 1986).
La médecine du XIXe siècle s’inscrivait donc dans le registre du capitalisme
industriel classique : un monde d’entreprises familiales, de professions libérales et
d’organisations philanthropiques, qui permettaient de faire avancer ses intérêts
intellectuels et/ou de prodiguer des services aux plus pauvres. Dans ce monde,
les médecins participaient aux organisations liées à l’activité médicale, mais ils ne
contrôlaient alors que leurs propres associations professionnelles. Dans quelques
institutions, certains hôpitaux spécialisés en particulier, la répartition formelle
des pouvoirs masquait la domination effective des médecins ; mais de tels arrangements demeuraient le plus souvent instables et généraient de fréquents conflits
entre administrateurs et médecins. À un moment où l’initiative était partagée
entre les anciennes corporations et les nouvelles associations professionnelles, le
seul lien avec le gouvernement central passait par le Medical Officer, institué en
1848 dans le cadre du Public Health Act pour superviser « l’état sanitaire de
l’Angleterre », jugé de plus en plus scandaleux. Ce ne fut pas avant les années
1870 que la plupart des grandes villes provinciales disposèrent de leur propre
Medical Officer of Health (MoH), qui pouvait jouer, éventuellement, le rôle
d’intermédiaire entre les communautés médicales locales et les gouvernements
urbains contrôlés, depuis les années 1830, par les industriels locaux. Le premier
MoH de Manchester fut un chirurgien doublé d’un chimiste, qui avait auparavant conseillé la municipalité sur des questions techniques de service public
(Pickstone 1985 : chap. VI, 98-137).
Scientifiques, entreprises et essor du gouvernement
C’est au cours du siècle suivant, entre les années 1870 et 1970, que l’on
observe l’essor d’institutions véritablement contrôlées par des médecins et des
scientifiques, en particulier les écoles de médecine et les hôpitaux qui leur sont
liés. Cette évolution suit étroitement celle des firmes industrielles, où l’exercice
du pouvoir en vint à se distinguer de la propriété et où la direction, aussi bien
que la production, devinrent des compétences spécialisées. C’est certainement
l’historien américain Charles Rosenberg qui a le mieux présenté la transformation que connurent alors les hôpitaux : les administrateurs commencèrent à
s’occuper plus de collecte de fonds que du choix des praticiens, les matrons, chefs
infirmières, supervisant le fonctionnement quotidien (Rosenberg 1979). La hiérarchie médicale se complexifia d’une manière qui généra un mouvement croissant de promotion interne ; le pouvoir de recrutement des administrateurs était
de plus en plus circonscrit à de petites commissions dont les choix étaient
contraints par les présélections des candidats effectuées par les principaux médecins. À la fin du XIXe siècle, nombre de carrières fulgurantes au sein de l’Infir78
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mary de Manchester furent le fait de médecins recrutés comme assistants, après
de brillantes études médicales en dehors de la ville. Au début des années 1870
toutefois, l’intérêt des milieux industriels pour cette formation facilita l’intégration de la médecine au collège local, dans un processus d’expansion qui aboutit,
une décennie plus tard, à la fondation de la première université provinciale (Butler 1986). Et au début du XXe siècle, l’essentiel de l’élite locale passait par la
faculté de médecine de Manchester, devenue suffisamment prestigieuse pour
attirer des fils de famille qui, jusque-là, auraient opté pour Londres. Les succès
universitaires au sein de cet établissement en vinrent à déterminer le devenir
professionnel des médecins dans la pratique privée, les hôpitaux et les associations professionnelles (Butler 1986 ; Valier 2002).
Quand les collèges universitaires furent établis en Grande-Bretagne – à
Londres dans les années 1820 et dans les provinces à partir des années 1850 – ils
étaient eux aussi dirigés par des profanes, et les personnels enseignants peinèrent
à établir leur autorité sur les activités d’enseignement (Perkin 1989, 1969b). Les
enseignants universitaires bataillèrent également pour établir leurs propres examens, en marquant leur autonomie par rapport aux jurys nationaux. Ils pouvaient, il est vrai, invoquer de nombreux précédents, comme le système de gouvernement collégial d’Oxbridge, ou celui des universités allemandes, placées sous
l’autorité de l’État. En outre les collèges étaient moins complexes que les hôpitaux en matière de financement, de direction, d’administration : il fut plus simple
d’en prendre la direction. Le changement y était plus facile : les universités
étaient alors des institutions guidées par le savoir, les réformes des études ou des
pratiques d’enseignement n’étaient que la conséquence d’évolutions dans les disciplines et non fonction d’une quelconque théorie pédagogique générale, des
goûts estudiantins ou même des préférences des employeurs des jeunes diplômés
(bien qu’employeurs et organisations professionnelles aient pu peser sur ces
questions, dans certaines disciplines). Ces collèges avaient un statut d’institution
philanthropique et devinrent des modèles d’organisation sous domination professionnelle, qui ne dépendaient pas exclusivement du gouvernement ou de
mécènes individuels, même s’ils devaient faire appel aux donateurs et aux contributions des étudiants.
Dans la mesure où une école de médecine participait de ces caractères « technocratiques », elle pouvait contribuer à faire reconnaître les études médicales
comme une branche de l’enseignement supérieur et non plus comme un simple
apprentissage. Vers 1900, la nomination de diplômés de médecine à des postes
de scientifiques médicaux salariés – en tant qu’anatomistes, physiologistes,
pathologistes – ancra l’éducation médicale dans la science universitaire. Au cours
des cinquante années suivantes, à l’instar des imitations américaines des
exemples allemands, les professeurs de médecine britanniques travaillèrent à
imposer le modèle de l’universitaire-scientifique dans les cliniques universitaires
(Booth 1989). Et le rôle des fondations philanthropiques, souvent établies sur
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des fortunes industrielles, ne fut pas moindre dans la Grande-Bretagne de la fin
de la période victorienne, qu’aux États-Unis au début du XXe siècle.
Prenons le débat qui débuta dans les années 1860 à propos d’un éventuel
déménagement de l’Infirmary, le principal hôpital de Manchester, du centre vers
la périphérie sud de la ville. Les arguments initiaux invoquaient la pollution et le
bruit, mais à mesure que l’école de médecine se développait à proximité de ce
site, la lutte entre les partisans du déménagement et leurs opposants se transforma en une opposition entre, d’un côté, les médecins qui voyaient dans les
hôpitaux un élément de la culture civique libérale et, de l’autre, ceux qui les
considèrent comme un rouage d’une formation médicale moderne. À une
conception de la médecine fondée essentiellement sur l’expérience et la poursuite
d’intérêts professionnels par des praticiens regroupés en associations, s’opposait
celle d’une science médicale transmise et développée par des experts scientifiques
organisés en corporations3. Les seconds durent en grande partie leur victoire sur
les premiers au soutien des philanthropes et gestionnaires des dons charitables
qui adhéraient au modèle universitaire. À leurs yeux, la recherche était, sur le
long terme, plus efficace que le seul financement des soins médicaux et l’expertise savante constituait un ingrédient indispensable aux entreprises modernes. À
Manchester, ce furent principalement les milieux de l’industrie chimique et de
l’ingénierie qui soutinrent ce point de vue et non l’industrie textile locale, techniquement moins innovante (Pickstone 1985 : 185-196)4.
Le premier MoH de Manchester était, on l’a dit, un chirurgien assez éloigné
des idées de réforme sanitaire. À partir des années 1890 cependant, se succédèrent à ce poste des hommes plus jeunes, formés à la santé publique et membres
d’un sous-groupe professionnel national favorable à la science et à l’extension des
services de santé et de protection sociale. L’Université s’impliqua dans les questions municipales de santé publique, principalement à travers la création d’un
laboratoire de santé publique lié au département de pathologie de l’école de
médecine. Dirigé par un pionnier suisse de la bactériologie, Sheridan Delépine,
le laboratoire était financé par la facturation des analyses ; il travaillait avec des
officiers de santé locaux et des médecins hospitaliers, tout particulièrement pour
le dépistage de la tuberculose (Valier 2002 ; Niven 1923)5. À l’échelle nationale,
la crainte de la tuberculose et la dynamique amorcée par le National Health
Insurance en 1911 aboutirent à la création d’un organisme gouvernemental qui
prit rapidement le nom de Medical Research Council. Le nouvel organisme et
ses ressources furent bien vite contrôlés par des médecins engagés dans des
recherches scientifiques, plutôt que par les spécialistes de santé publique ou les
praticiens. Après 1914, l’« opinion éclairée » reconnaissait que l’avenir reposait
sur la recherche, nécessairement détachée des contraintes de la pratique professionnelle comme du travail administratif. Principaux bénéficiaires de cette
manière de voir, les chercheurs universitaires purent installer leur conception
d’une médecine façonnée par la recherche et sa valorisation, et cornaquée par des
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savants spécialisés (Austoker 1989). Les contributions de ces savants à l’effort de
guerre, entre 1914 et 1918, puis le financement public de la recherche à des fins
d’application industrielle vinrent sceller le nouveau rapport de force.
Au cours des années 1920 et 1930, la concurrence internationale créa les
conditions d’une concentration et d’une centralisation des industries émergentes,
dont la recherche, en particulier dans les laboratoires de Londres et de sa région.
En Écosse, au pays de Galles et dans le Nord de l’Angleterre, les industries
émergentes étaient moins nombreuses, et le déclin des anciennes industries eut
pour conséquence que l’essentiel de l’investissement dans le capital humain provint désormais davantage de l’exécutif local (et de la redistribution nationale) que
de la philanthropie locale (Daunton 1996). Dans les services pour tuberculeux,
de médecine maternelle et infantile et, bientôt, de cancérologie, les « patrons »
médicaux travaillaient de plus en plus avec les autorités locales. Une orientation
semblable se faisait d’ailleurs jour pour des spécialités en devenir et aux débouchés restreints, mais qui pouvaient cependant s’identifier à des causes nationales,
comme la croissance de la population, la santé infantile ou la prise en charge des
victimes d’accidents. Ces nouvelles préoccupations se traduisirent par le succès
de la notion de « médecine sociale », qu’on peut considérer comme la relecture du
paradigme de « santé publique » par les médecins scientifiques et l’apparition
d’une nouvelle génération d’organismes philanthropiques comme le Nuffield
Trust, fondé en 1940 par le propriétaire de la firme automobile oxonienne Morris.
Le Trust encouragea la médecine scientifique à l’université d’Oxford et ses
comités scientifiques réunirent médecins travaillant dans des administrations
(centrales et locales), dirigeants des écoles de médecine et spécialistes des disciplines médicales les plus « sociales ». Grâce aux initiatives de Nuffield et de
quelques autres, plusieurs leaders médicaux régionaux acquirent une autorité
nationale qui fut déterminante dans la mise en place du National Health Service
(NHS) après la Seconde Guerre mondiale (Goodman 1970)6.
Dans le Manchester du milieu des années 1930, le conseil municipal travailla
à redorer le blason des hôpitaux associés aux formes antérieures de l’assistance
publique (Poor Law). L’embauche de nouveaux chefs de service eut pour conséquence une collaboration accrue entre les hôpitaux et la ville, avec l’Université et
son école de médecine comme intermédiaires. Cette nouvelle politique fut ainsi
élaborée par un conseil consultatif commun placé sous la direction de John Stopford, un anatomiste devenu doyen de l’école de médecine, puis président de
l’Université. J. Stopford tenait un rôle important au Nuffield Trust, tout comme
son ami et collègue mancunien Harry Platt, orthopédiste renommé, très actif
dans le traitement des accidentés et de la tuberculose infantile. Sous cette direction, au nom de l’amélioration des ressources humaines locales, l’école de médecine servit d’intermédiaire entre les intérêts municipaux et ceux de l’assistance
privée, en apportant dans les débats une compétence nationale qui augmenta
leur rayonnement régional (Pickstone 1985 : chap. XII).
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Les praticiens régionaux et le NHS
Cette collaboration locale préfigurait le National Health Service tel qu’il fut
conçu par Aneurin Bevan, ministre de la Santé du gouvernement travailliste parvenu au pouvoir en 1945. A. Bevan utilisa son pouvoir au moment des principales nationalisations de services publics et d’industries stratégiques. Il mit
notamment fin aux discussions sur la propriété des services de santé en nationalisant les hôpitaux des municipalités et ceux des organisations philanthropiques
(Webster 1988-1996, 2002 ; Rivett 1998). En accord avec les projets du Nuffield
Trust, il conçut le NHS comme un organisme fonctionnel placé sous contrôle
étatique, bien que la résistance des médecins généralistes limitât finalement son
application complète aux seuls hôpitaux. Ceux-ci furent placés sous l’autorité de
comités régionaux chargés de superviser les comités locaux d’administration hospitalière. Les organisations philanthropiques et les municipalités, si elles fournirent des membres à ces comités, n’y étaient pourtant pas représentées en tant que
telles. Les véritables timoniers de ces conseils, en tout cas à Manchester, furent
ceux qui apparaissaient les plus détachés des intérêts en présence, car ils incarnaient le futur de l’hôpital et non les desiderata de ses précédents propriétaires.
Au premier rang de ces nouveaux maîtres, on retrouva les cliniciens de faculté de
médecine. Au fait des progrès les plus récents ils étaient à même d’améliorer la
qualité des soins et de former les jeunes médecins appelés le nouveau service de
santé. J. Stopford, qui avait travaillé pendant la guerre à une étude nationale de
la formation médicale, fut nommé à la présidence du conseil régional de Manchester, flanqué d’un diplômé de l’Université de Manchester qui avait contribué
à la gestion des services hospitaliers durant la guerre (Valier et Pickstone 2008).
En termes de direction médicale, le NHS fut calqué sur le modèle des hôpitaux philanthropiques, avec ses chefs de service indépendants, abandonnant
totalement celui, hiérarchique et administratif, des hôpitaux hérité des Poor
Laws (workhouse hospitals) ou même des asiles. Quant aux MoH, ils perdirent
l’essentiel de leur autorité sur une série de services médicaux (hospitaliers, de
dispensaire et à domicile) institués dans les décennies passées dans le domaine de
la tuberculose, de la médecine périnatale et même de la psychiatrie (Lewis
1986)7. Certes, le pouvoir administratif sur la médecine n’avait pas disparu.
Dans chaque région, un haut fonctionnaire assurait la liaison entre l’élite médicale régionale et les fonctionnaires médicaux du ministère de la Santé (Sheard et
Donaldson 2006). Les conseils régionaux et le ministère disposaient bien chacun
de hiérarchies parallèles d’administrateurs médicaux et profanes, mais en ce qui
concerne le fonctionnement des services de santé, ce furent les médecins qui
l’emportèrent, en partie parce qu’ils étaient liés aux élites médicales (londoniennes et régionales) gravitant autour des écoles de médecine. Dans une très
large mesure, la mission impartie au nouveau dispositif était de faciliter les changements impulsés par les cliniciens et chefs de service innovants (Harrison
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1988). D’ailleurs, dans les décennies qui suivirent la Seconde Guerre mondiale,
une des tâches confiées aux sciences sociales fut de former des administrateurs
susceptibles de travailler avec les médecins dans le NHS et d’autres services
d’assistance. Le département d’administration sociale de l’Université de Manchester, fondé en 1955 par Teddy Chester, deuxième plus important programme
de formation des directeurs hospitaliers d’Angleterre, forma également de nombreux travailleurs sociaux spécialisés en psychiatrie au sein du même département. De leur côté, les anthropologues collaboraient avec des médecins pour
créer des programmes en anthropologie médicale, fortement influencés par la
médecine sociale ( Jones et Pickstone 2008).
Un siècle auparavant, certains praticiens allemands avaient soutenu que la
politique faisait partie de la médecine, puisque la santé des individus et des peuples
en dépendait (Porter 1999 : 106-109). Les premières années du NHS semblèrent
réaliser cette revendication radicale. Si les médecins hospitaliers devinrent salariés,
ils gardèrent pour l’essentiel leur autonomie : par exemple, ils étaient officiellement
employés par le conseil régional et non pas leur hôpital d’exercice. Le contrôle sur
l’activité médicale était bien de type professionnel et non pas bureaucratique, en
écho à des rôles hybrides désormais bien installés dans les universités. Les principales figures médicales de la région alliaient alors expérience clinique, pédagogique
et scientifique, à des savoir-faire politiques. Les plus brillants d’entre eux concevaient toujours le développement de la médecine comme une vocation, mais dans
un contexte où le pouvoir politique pouvait étendre l’influence professionnelle
pour le plus grand bien des usagers. Bien évidemment, aux yeux des praticiens certains hôpitaux universitaires, particulièrement à Londres, avaient conservé leur
caractère de « club pour médecins ». À son heure de gloire cependant, le jeune
NHS ne constituait pas une bureaucratie d’État8 : il mobilisait et encourageait le
pouvoir professionnel (Moran 1999 ; Fox 1986 ; Webster 1988-1996).
De fait, les premières critiques de ce mode de gouvernement qui se firent
entendre dans les années 1960 n’émanaient pas des médecins mais de sociologues orientés à gauche, lesquels soulignèrent, en particulier, que loin d’être
désintéressées, les professions libérales poursuivaient leurs intérêts personnels
comme n’importe quel groupe de métiers9. Ces critiques prirent de l’importance
au cours des années 1970 quand les problèmes économiques et les conflits de
travail, y compris dans le NHS, faisaient l’actualité. Après l’élection de 1979, le
gouvernement Thatcher rechigna à diriger ce qu’il percevait comme un gigantesque conglomérat étatique, et privilégia les modèles entrepreneuriaux au détriment des modèles professionnels. Pourtant, ce n’est qu’au milieu des années
1980, et un peu par hasard, que l’institution de postes de « managers » menaça
véritablement le pouvoir des médecins du NHS, lequel se réduisit notablement à
partir du début des années 1990, dans un contexte où le « changement » n’était
plus mis en œuvre graduellement par le bas mais imposé par le haut. Après 1997,
le gouvernement « New Labour » commença par réagir contre les mécanismes
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néolibéraux instaurés par les thatcheriens : la « santé publique » retrouva brièvement de son lustre et des médecins de renom établirent des plans de modernisation pour des services prioritaires. Mais, au début des années 2000, les mécanismes du marché et les privatisations revinrent sur le devant de la scène, à un
moment où les gouvernements Blair et Brown cherchaient un retour rapide sur
les importants investissements consentis au NHS (Klein 2006).
Médecins, managers et concurrences professionnelles
En 2009, ce sont des directeurs administratifs qui dominent le NHS, agissant au nom du gouvernement central. Quant aux services hospitaliers, ils sont
gérés au quotidien par des infirmières qui rendent compte aux managers plutôt
qu’aux médecins. Dans le contrôle de la formation médicale, le gouvernement
central s’est presque totalement substitué aux associations professionnelles médicales et aux universités, grâce à sa situation d’employeur quasi exclusif. Le General Medical Committee (GMC) est maintenant composé en majorité de
membres non-médecins. Suite à une série de scandales médicaux, les médecins
sont régulièrement contrôlés (Harrison et McDonald 2008 : chap. III). La plupart des instances du NHS associent désormais administrateurs médicaux et
civils, mais les anciennes hiérarchies parallèles ont disparu et les membres médicaux ne sont plus aussi dominants qu’ils le furent (Sheard et Donaldson 2006 :
67-90, 199-208). La suite de cet article va explorer les différentes explications
possibles de ces changements, en focalisant sur le cas mancunien.
Dans Governing the Health Care State, Michael Moran (1999) a souligné à
quel point la conception victorienne des professions libérales, encore très présente
dans le NHS naissant, était désormais jugée obsolète. Cette interprétation semble
correcte dans la mesure où les changements opérés au sein et autour du NHS
affectaient également les autres professions, juridiques ou universitaires par
exemple. Le public est désormais plus sceptique, les médias prompts à critiquer
les médecins sur des questions de sécurité sanitaire. Néanmoins, si les sociétés
d’avoués sont de plus en plus grandes et anonymes, elles restent sous la direction
d’avoués ; la plupart des avocats (barristers), quant à eux, continuent à exercer
indépendamment ; et quand les juges commettent des erreurs, ils sont réprimandés par d’autres juges. De fait, les mutations induites par les changements néolibéraux semblent avoir favorisé avocats et comptables, et désavantagé les docteurs
et les savants. Et même dans les universités, où le contrôle gouvernemental s’est
pourtant accru, ces professionnels que sont les universitaires ont conservé leur rôle
de gestion et de décision (Wilson 2008 ; Wilson et Lancelot 2008).
Une différence entre les médecins, les juristes ou les universitaires tient à la
fragmentation de la représentation des médecins, conséquence directe de la
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croissance et de la spécialisation de la profession médicale. Au XXe siècle, de
nouvelles spécialités ont obtenu d’être représentées par un Royal College spécifique, mais les tentatives de fédérer ces collèges n’ont jamais abouti. Cette fragmentation a rendu les médecins moins audibles, dans les négociations comme
dans les protestations10. On peut en repérer les conséquences au niveau régional.
À Manchester, par exemple, le développement de la formation médicale à partir
des années 1970 induisit la création de deux hôpitaux universitaires supplémentaires, plusieurs kilomètres au sud et à l’ouest de l’université. En l’absence de
coordination, les spécialités de recherche qui s’y développèrent furent fonction
du dynamisme des praticiens. Quand les autorités régionales et locales du NHS
tentèrent de rationaliser les services spécialisés au cours des années 1990, de violents conflits entre hôpitaux se firent jour, que l’école de médecine ne parvint pas
à réguler (Valier et Pickstone 2008). La réforme du cycle préparatoire des études
médicales (le pre-clinical studies) contribua à détacher un peu plus la faculté de
médecine des programmes de recherche (de plus en plus importants) de la nouvelle faculté des sciences de la vie (Wilson 2008), désormais en charge de ces
enseignements « fondamentaux ». Et si la faculté de médecine a créé une école
d’infirmières, phagocyté la pharmacie, la psychologie et les études dentaires,
l’absence d’intégration entre ces spécialités semble avoir accentué les problèmes
de leadership, plutôt que renforcé le pouvoir des médecins.
Ces évolutions reflètent les questions plus larges qui agitent le NHS quant à
la prolifération des professions paramédicales et à leurs pouvoirs respectifs, et à
la tendance des médecins à n’être plus que les primus inter pares d’une multitude
d’intervenants paramédicaux, tous qualifiés de « cliniciens ». La plupart des professions « apparentées », comme les infirmières, disposent d’une hiérarchie plus
solide que celle des médecins, en partie du fait que l’obtention de ces postes de
cadres constitue un avancement dans leur carrière. Pour ces raisons, leurs
membres sont aussi plus susceptibles de parvenir à des postes d’administration
générale que les docteurs. Lors de la restructuration du NHS en 1974, on avait
favorisé des formes de direction en équipe, qui associaient infirmières, médecins,
administrateurs non-médicaux et directeurs financiers. Les médecins ont généralement occupé ces fonctions de direction par devoir et n’y ont pas vu une promotion.
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Le NHS et le capitalisme post-industriel
À partir des crises économiques des années 1970, le fait que le gouvernement était le premier employeur du pays conféra à la gestion des ressources
humaines une grande importance politique. Les restrictions budgétaires, la prise
de conscience des besoins médicaux croissants d’une population vieillissante et le
coût des technologies médicales incitèrent à un contrôle des dépenses. Les gouGenèses 82, mars 2011
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vernements successifs intensifièrent le suivi comptable et la surveillance, jusqu’à
la rupture de 1982 lorsqu’un manager du secteur de la grande distribution Roy
Griffiths fut chargé d’un rapport sur la gestion du personnel du NHS mais
obtint que l’étude porte en réalité sur son système de gestion et de direction. Au
lieu de procéder à des auditions des différents intervenants, selon la pratique
consommée, quatre hommes d’affaires chevronnés visitèrent les hôpitaux du pays
et recommandèrent que les institutions hospitalières et les autorités de santé
soient dirigées par des administrateurs non-médicaux11. L’organisation qui avait
jusqu’alors facilité le travail des praticiens était qualifiée de pathologique. C’est
que, dans l’ensemble du monde anglophone, le souci de contrôler les coûts incitait alors à la mise en place de formes nouvelles de direction : les ingénieurs et les
spécialistes cédaient la place aux comptables et aux gestionnaires. Quasiment au
même moment, le secteur privé devint un modèle pour l’administration des
organismes publics. De manière symptomatique, la formation de niveau universitaire pour ce New Public Management était dispensée dans les écoles de commerce (business schools), fragilisant ainsi les départements de social administration.
La tradition de la formation spécifique à la fonction publique, qui avait été cruciale dans la croissance des sciences sociales dans la Grande-Bretagne d’aprèsguerre, fut mise au ban. Dans les services de santé, la social administration se
trouva également marginalisée par une nouvelle sous-discipline : l’économie de la
santé, dont le pionnier en Grande-Bretagne était l’Université de York (Ashmore,
Mulkay et Pinch 1989). Bien que son contenu technique ne fût guère plus
important que celui de « l’administration sociale », l’économie de la santé commença à fournir le référentiel des débats autour des problèmes de services de
santé, et les économistes de la santé firent leur entrée dans l’administration gouvernementale (Smee 2005)12.
Le rapport Griffiths, comme Stephen Harrison l’a établi, a contribué à réduire
considérablement l’autorité des médecins dans les hôpitaux. Ceux-ci ont protesté,
combattu… et perdu. Après les changements culturels des années 1960 et le tournant entrepreneurial des années 1980, il était facile de présenter les médecins
comme poursuivant leurs intérêts propres et difficile de les considérer comme susceptibles de suggérer « par le bas » les grandes orientations que les gouvernements
cherchaient à formuler « par le haut » (Harrison 1988). Bien évidemment, le style
de management fut différent d’un endroit à l’autre ; dans certains hôpitaux de
Manchester et de ses alentours, les administrateurs continuèrent de travailler avec
les médecins, presque comme auparavant13. C’était le style que préféraient les gestionnaires hospitaliers diplômés à Manchester dans les années 1950, ou au moins
de ceux que nous avons interrogés : la plupart d’entre eux avouaient ne pas aimer la
position d’autorité qu’ils étaient encouragés à assumer (Snow, à paraître).
À partir de 1990, le gouvernement conservateur déplaça son attention, du
management vers des changements structurels fondés sur l’instauration de « mar-
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chés intérieurs »14, ce qui renforça encore les pouvoirs des administrateurs généraux. Les hôpitaux furent invités à se constituer en Trust ; la réorganisation était
proposée et non imposée aux hôpitaux, mais des avantages financiers substantiels
étaient accordés à ceux qui suivaient les propositions du gouvernement (Harrison et McDonald 2008 : 142-143). Au centre hospitalier universitaire de Manchester, nombre de chefs de service manifestèrent leur opposition à la réforme,
parce qu’ils n’appréciaient ni l’idée de « marchés médicaux », ni les menaces
qu’elle faisait naître sur les habitudes de collaboration entre cliniciens, ni la
conception d’un hôpital-entreprise dirigé par un administrateur. En revanche,
les administrateurs étaient clairement incités à demander le statut de Trust
– passer avec succès les épreuves de la procédure était une manière de faire valoir
leur sens politique, leur esprit d’initiative et leur compétence. Finalement, face à
la possibilité d’accroître les ressources ou d’échapper au contrôle des autorités de
santé du district (dirigées par des administrateurs), les médecins opposés au processus se trouvèrent vite à court d’arguments (Valier et Pickstone 2008 ; Klein
2006 : ch. VI).
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Un des résultats de tout ce processus de transparence des coûts et des revenus fut une augmentation du personnel administratif, et un basculement des
priorités au sein de l’hôpital : l’économie et la politique générale de l’hôpital prirent le pas sur le développement des différents services. Initialement, le gouvernement travailliste élu en 1997 rejeta ces modèles. Mais, à partir de l’an 2000,
l’importance des investissements opérés au sein du NHS (il s’agissait ni plus ni
moins que d’amener les dépenses de santé britanniques au niveau des autres pays
européens) induisit un souci de retour sur investissement toujours plus pressant,
qui le poussa à reprendre à son compte et même à radicaliser l’approche thatcherienne, au point de multiplier les changements structurels.
Les conservateurs des années 1980 avaient privatisé des services communs,
comme le nettoyage et la cuisine ; le gouvernement travailliste facilita la tâche
des firmes privées désireuses de construire et gérer des hôpitaux, ou d’établir des
centres de diagnostic ou de traitement. Il encouragea la privatisation des fonctions d’administration, de collecte des données, d’achats et de logistique. Des
réformes structurelles majeures furent introduites tous les trois ans, sans compter
les milliers de petits changements dans les services hospitaliers, ou dans leurs
relations aux autres services et aux administrations locales. Ce rythme effréné eut
deux conséquences particulièrement importantes. En premier lieu, les administrateurs locaux et régionaux s’apparentèrent de plus en plus à des agents du gouvernement central, consacrant l’essentiel de leur temps aux « réformes » imposées
d’en haut. En second lieu, les restructurations perpétuelles aliénèrent les « cliniciens » et particulièrement les médecins, provoquant une résistance à la fois au
changement et au « management ». Finalement, le NHS est devenu ce que certains médecins redoutaient à ses débuts : un conglomérat étatique. En exagérant
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quelque peu, on pourrait dire que les médecins, qui travaillaient autrefois au sein
de services médicaux régionaux centrés sur des hôpitaux universitaires, travaillent aujourd’hui au sein d’une « industrie » nationalisée, fermement dirigée
par le gouvernement central. Il faut noter toutefois que le terme d’« industrie »
renvoie maintenant à un groupement d’entreprises apparentées : il indique
l’importance croissante des compagnies de santé commerciales, la segmentation
du système étatique en de nombreuses unités liées par contrats, et la croissance
concomitante des coûts d’administration et de transaction au sein du NHS.
Depuis les années 1980, Manchester et une large part du Nord de l’Angleterre sont entrées dans une ère « post-industrielle », dominée par les industries
« de service », parmi lesquelles on compte le droit, le sport, l’enseignement supérieur et la culture, ainsi que les versions néolibérales de la médecine d’État et
l’assistance. Au même moment, le gouvernement de la ville a abandonné le
« vieux municipalisme », délaissant l’idéologie d’assistance au profit d’une politique de régénération immobilière, en particulier dans le centre rénové (Peck et
Ward 2002 : chap. III et IV). Ce que nous pouvons désigner sous le nom de culture « transactionnelle » domine maintenant les villes post-industrielles, comme
elle domine la nation depuis la City de Londres. L’« ingénierie financière », le
droit et la comptabilité caractérisent davantage cette culture que les professions
de production ou de soin (Reich 1983).
Plus généralement, on peut y voir une promotion de l’expertise dans des procédures de formalisation générale plutôt que dans des contenus et précis. Chris
Hamlin pointe une évolution semblable lorsqu’il remarque qu’au tournant des
XVIIIe et XIXe siècles, pour juger des mérites et risques d’une entreprise quelconque, on se fiait plus facilement à l’opinion de ceux-là même qui y avaient
investi, tandis qu’à la fin du XIXe et au début du XXe la croyance placée dans les
professions techniques émergentes reposait précisément sur leur désintéressement (Hamlin 2008). Cette thèse s’apparente à la nôtre et peut sans doute être
généralisée. À la fin du XXe siècle, tandis que l’industrie déclinait ou délocalisait,
les néolibéraux en vinrent à considérer les scientifiques et les médecins comme
des groupes d’intérêt plutôt que des communautés désintéressées ; ils consultèrent alors des conseillers en management, qui vantaient une expertise en matière
de processus de décision, sans que leur ignorance des contenus soit considérée
comme un handicap. On retrouve cet accent sur les procédures dans le NHS, à
mesure que le recours aux protocoles se généralise dans la pratique et l’administration de la médecine. Tout en standardisant le travail des médecins et en facilitant leur évaluation, ces derniers autorisent une marge de délégation et constituent un vecteur d’implication des personnels (Harrison et McDonald 2008 :
chap. III). Il est vraisemblable que les pressions en termes de coûts vont favoriser
cette délégation et ainsi accroître (à nouveau) le pouvoir de contrôle de certains
médecins. Et, dans la mesure où les protocoles et la fonction de conseil exigent
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une activité de recherche, et parce que la production de nouvelles thérapies est
désormais considérée comme partie prenante de la modernisation du service de
santé (et du bien-être économique), le rôle des écoles de médecine comme des
centres de recherche pourrait également se renforcer considérablement, en particulier en raison de leur capacité à organiser les nombreux essais cliniques que
requiert la vision néoempirique actuelle de la médecine.
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Une expertise régionale dans la médecine de protocole ?
Durant la campagne électorale du printemps 2010, les conservateurs avaient
promis une période de stabilité pour le NHS et une meilleure prise en compte de
l’avis des professionnels ; parvenus au pouvoir en coalition avec les libérauxdémocrates, ils revinrent immédiatement sur leur promesse de stabilité. Le NHS
allait à nouveau être restructuré et il incomberait désormais aux praticiens généralistes d’acheter pratiquement tous les services hospitaliers nécessaires à leur
patient. La plupart de ces généralistes ne sont guère intéressés par ce rôle, mais il
séduit néanmoins ceux d’entre eux qui adhérèrent avec enthousiasme aux
réformes successives des années 1990 et des dernières années du gouvernement
New Labour. De fait, le gouvernement joue sur la mentalité de petit entrepreneur
qui n’a jamais totalement disparu du NHS (et qui explique, par exemple, qu’à sa
création il fut décidé que les praticiens généralistes conserveraient le statut de
« travailleurs indépendant », liés par contrat au service de santé, au lieu de devenir
ses salariés). Or, comme le financement du service public diminue en termes
réels, les généralistes vont devoir assumer la responsabilité du rationnement des
soins et l’indépendance professionnelle de la plupart d’entre eux sera notablement
plus limitée que les discours politiques actuels ne le suggèrent. Reste à savoir dans
quelle mesure les préférences des médecins et l’opinion des patients et de leurs
proches seront, ou non, prises en compte. Les consortiums d’achat de services
regroupant plusieurs praticiens ressembleront peut-être aux purchasing authorities
actuelles (notamment en termes de taille) et emploieront les mêmes personnes.
En définitive, ces opérations d’achat pourraient fort bien se trouver sous-traitées
et contrôlées de facto par des compagnies privées, sur le modèle américain. Et la
question de savoir comment articuler ces logiques de libre marché et le type de
coopération entre généralistes et hôpitaux déjà expérimentée dans certaines
régions est loin d’être résolue. Mais les choix des consortiums de généralistes
seront certainement encadrés par des protocoles approuvés au niveau national et
des procédures de rationalisation des soins motivés par le souci de réduction des
séjours hospitaliers et de concentration des ressources disponibles.
Dans ces entreprises de rationalisation, les gouvernements peuvent s’appuyer
sur l’un des outils organisationnels qui semble avoir fonctionné : les programmes-cadres nationaux, comme celui établi pour la lutte contre le cancer
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(Briatte 2010). Dans certains cas, la politique nationale, même dans des
domaines spécialisés, apparaît comme la résultante de pressions politiques – par
exemple, le slogan relatif au délai d’attente maximale acceptable, soit deux
semaines, pour les soins relatifs au cancer, même dans les cas où aucune nécessité
clinique ne l’impose. Mais les médecins n’ont pas manifesté d’opposition aux
« programmes-cadres nationaux de service » développés au cours de la décennie
passée dans plusieurs domaines de la médecine. Dans la plupart des cas, ces programmes sont conduits par ce que l’on appelle des « tsars » bénéficiant d’une légitimité professionnelle, bien que certains se plaignent de ce que ces « tsars » ne
soient là que pour calmer la profession et fournir un alibi à des visées
politiques15. Dans la mesure où ces grands programmes fournissent un instrument de collaboration entre praticiens et gouvernement, ils remplissent
quelques-unes des fonctions autrefois attribuées aux structures régionales.
Comme les « tsars », généralement recrutés dans les facultés de médecine, collaborent étroitement avec elles, ils sont en mesure de répercuter les messages « vers
le haut » et, symétriquement, de mobiliser les soutiens nécessaires à la mise en
œuvre du programme (leurs correspondants régionaux sont d’ailleurs le plus souvent parmi les promoteurs de la rationalisation des services médicaux, généralement à partir des hôpitaux universitaires, y compris dans les domaines ne bénéficiant pas d’un programme-cadre national).
Les évolutions récentes des mécanismes du financement de la recherche
médicale ont également accru le rôle de (certaines) écoles de médecine, et, d’une
certaine manière, réaffirmé les dispositions particulières qui caractérisaient les
hôpitaux universitaires dans les premières années du NHS. Grossièrement, les
financements pour la recherche médicale, qui étaient par le passé dominés par les
chercheurs « fondamentalistes » travaillant au laboratoire, vont de plus en plus à
des projets à rentabilité immédiate, comme les essais cliniques. Et alors que les
ressources consacrées à la recherche au sein du NHS étaient auparavant fondues
dans le budget global des hôpitaux, elles sont aujourd’hui sujettes à compétition
nationale, une mesure censée favoriser de grandes organisations régionales destinées à abriter de nombreux laboratoires, plusieurs hôpitaux, des services de
médecine générale et des services communs16. En conséquence, la collaboration
entre les universités et leurs hôpitaux d’enseignement s’est récemment renforcée,
sur le modèle d’expériences américaines, comme celle de Johns Hopkins où
l’Université est propriétaire des hôpitaux (Ludmerer 1999)17.
La coopération en recherche, lorsqu’elle poursuit des buts localement pertinents, peut s’avérer un mode de développement rationnel des services de santé,
même si l’on adhère à la vision concurrentielle qui prévaut depuis les années
1990. Cela rappelle les formes de direction médico-politique qui existait dans les
capitales régionales comme Manchester et qui connut son apogée dans les premières années du NHS. Ainsi, au niveau de la recherche et du développement, la
reconnaissance de besoins locaux en santé publique aussi bien qu’en ressources
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techniques adaptées au contexte pourrait contribuer à revivifier cette conception
plus large et mieux enracinée du rôle des professions dans les services de santé
dont j’ai montré en quoi elle s’oppose à celle des marchés médicaux, dans leur
version victorienne autant que dans leur déclinaison néo-libérale récente.
Traduction de Christelle Rabier, Luc Berlivet
et Pierre-Yves Saunier
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Notes
* L’auteur remercie le Wellcome Trust qui a soutenu cette recherche au fil des ans, ainsi que ses collègues gravitant autour du Centre for the History of
Science, Technology and Medicine, de l’Université
de Manchester, et en particulier du Contemporary
History Group. Sa reconnaissance va également aux
traducteurs et en particulier à Luc Berlivet, pour
son aide à la préparation de cet article.
1. Mais rappelons-nous qu’au XIXe siècle, Manchester avait été l’un des cas symptomatiques de
l’essor des interventions gouvernementales autour
des problèmes sociaux de la ville industrielle. Le
rapport centre-périphérie s’inscrit dans la durée.
2. En Angleterre, mais non en Écosse, vers 1820 la
formation des chirurgiens et des médecins s’effectue au sein d’écoles de médecine (medical schools)
généralement contrôlées par des praticiens. Par la
suite, comme le montre l’article, les medical
schools sont progressivement intégrées aux structures universitaires en cours de constitution.
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3. Cette opposition correspond généralement à la
division entre les praticiens du secteur public et du
secteur privé, fréquent chez Harold Perkin (1989).
10. Entretien avec Robert Boyd, ancien professeur
de pédiatrie et doyen de la faculté de médecine,
15 mars 2010.
4. Tout en reconnaissant l’importance de la culture
du diplôme dans la plupart des pays occidentaux,
et dans nombreux champs du savoir, il faut souligner que les universités britanniques, en particulier
dans les provinces industrielles, lèvent des fonds
en raison de leur promotion des sciences physiques
(Alberti 2005 ; Pickstone 2005).
11. Outre Roy Griffiths, directeur exécutif d’une
grande chaîne de supermarché, le groupe de travail
était composé d’un directeur financier, d’un directeur du personnel et d’un ancien responsable syndical devenu président d’une compagnie de télévision régionale (Harrison 1988 : 60).
5. Voir aussi les entrées correspondant à ses différents directeurs dans Willis Ellwood et A. Felicite
Tuxford (1984).
6. Parmi les associés du Nuffield Provincial Hospital, on trouve Harry Platt et Geoffrey Jefferson
de Manchester et les pédiatres Leonard Parson
(Birmingham) et James Spence (Newcastle) : dans
leurs régions respectives, tous ont joué un rôle
important dans le nouveau NHS.
7. Après 1974, les anciens médecins de « santé
publique » sont employés comme médecins communautaires au sein des structures principales du
NHS. Toutefois, leur large éventail de fonctions
consultatives leur laisse peu de pouvoir dans les
services du NHS et peu de temps pour les fonctions relevant spécifiquement de la santé publique.
À mesure que la modernisation s’accélère dans les
années 1990, les restructurations récentes ou
imminentes dévorent tout (Fotaki 2007 ; Jones et
Pickstone 2008).
8. En présentant le NHS des origines comme une
bureaucratie d’État et le NHS des années 1990
comme un marché, les modèles du New Labour
pouvaient apparaître comme une « troisième voie ».
9. Pour Manchester, comme exemple de l’administration sociale, voir George Victor et Paul Wilding (1985).
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12. Voir la note de bas de page fort éclairante figurant en page 2 : « Je suis reconnaissant à Rudolf
Klein qui m’a donné raison d’insister sur le fait que
l’analyse de politique publique n’est pas synonyme
d’analyse économique » – une telle confusion aurait
été impensable avant les années 1980.
13. Entretien avec Bill Sang, Salford Royal Hospital.
14. Il s’agit d’arrangements contractuels entre des
organisations « fournissant » des services médicaux,
tels les hôpitaux, et les autorités de santé (health
authorities) qui utilisent les sommes allouées au
NHS pour « acheter » ces services.
15. Sur les « tsars », voir le British Medical Journal,
n° 326, 17 janvier 2004, pp. 117-118 et 126-127.
16. Voir par exemple le rapport de Sir David
Cooksey, A Review of UK Health Research Funding, décembre 2006, publié par le Stationery
Office. Il est disponible en ligne, avec quelques
réactions : http://www.official-documents.gov.uk/
document/other/0118404881/0118404881.asp
(consulté le 16 juin 2009).
17. Sur la dialectique national-local en matière de
recherche médicale et la maximisation des retombées locales de tout type, voir Kenneth Ludmerer
(1999), Linda Kohn (2004), Irving Lewis et Cecil
Sheps (1983).
John V. Pickstone Savoir médical et pouvoir des médecins de la révolution industrielle...