ATELIER DE Réflexions # 16
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ATELIER DE Réflexions # 16
1 ATELIER DE Réflexions # 16 12 novembre 2013, LA Friche de Mimi - Montpellier RENCONTRES PERFORMATIVES CONSTRUIRe UN VOCABULAIRE COMMUN à pArtIR DE NOS IDENTItés plurielles < CONTEXTE Fabriques artistiques, lieux intermédiaires, espaces-projets, créations partagées… qui y a-t-il de commun entre ces expériences singulières menées en Languedoc-Roussillon ? Le 12 novembre 2013, à la Friche de Mimi, ARTfactories/ Autre(s)pARTs encadrait un atelier de réflexion sur ce sujet à la Friche de Mimi. Située à Montpellier dans le quartier de Figuerolles, La Friche de Mimi existe depuis 2006. Elle rassemble une dizaine de structures qui se partagent 650 m2 d’anciens entrepôts. La majorité d’entre elles sont des compagnies évoluant dans le domaine du spectacle vivant, mais on y trouve aussi une association de production audiovisuelle. Le lieu est privé. Sa propriétaire (Mimi Vergne) occupe la maison située à l’entrée de la cour. Cette précision est importante : durant la journée, il a souvent été question des conditions d’occupation de ces “espaces-projets” également appelés “friches”, “lieux intermédiaires”, “fabriques artistiques”… < Résumé © La friche de Mimi - 2013 Enjeux et contraintes de la journée Cette journée de réflexion comportait plusieurs enjeux. Au niveau local, il s’agissait de poursuivre la mise en place d’une fédération des acteurs expérimentant de nouvelles manières de faire art et culture en Languedoc-Roussillon. Pour l’association ARTfactories/Autre(s)pARTs, cet atelier permettait de nouer des liens avec la région tout en accompagnant cette dynamique collective naissante. Les modalités de cet atelier étaient par ailleurs différentes de celles habituellement proposées par Af/Ap (cf. les autres ateliers de réflexion). Imaginées par Emilien Urbach (compagnie Sîn), les règles du jeu de cette journée d’échange visaient, selon ce dernier, à « rendre les choses plus vivantes qu’elles ne le sont lorsque des personnes se retrouvent assises autour d’une table ». La journée était organisée de la manière suivante : le matin, 6 rencontres performatives suivies d’un échange Synthèse #15 - Construire un vocabulaire commun à partir de nos identités plurielles 2 avec la salle l’après-midi, 4 ateliers de réflexion regroupant chacun une douzaine de participants débattant de l’une des 4 notions retenues. Les 6 structures ayant accepté l’exercice de la performance disposaient de 6 minutes pour réagir à la Lettre ouverte aux élus et responsables de politiques culturelles. Publiée en juillet 2013 par ARTfactories/Autre(s)pARTs suite à la parution du livre In Vivo, cette Lettre avait été remise quelque temps auparavant aux performeurs. En plus d’une contrainte de temps, trois objets leur étaient imposés (une bêche, une roue, un mégaphone) ainsi que trois estrades de 1 m2. À la suite de chaque performance, la salle était invitée durant 4 minutes à réagir, débattre, poser des questions. Ces performances étaient suivies par 4 “architextes” qualifiées par Emilien Urbach « d’observateurs assidus ». Tous membres d’ARTfactories/Autre(s)pARTs, Eric Chevance, Claude Renard, Laurie Blazy et Yves Fravega se sont réunis à l’heure du déjeuner pour retenir 4 notions, 4 thématiques évoquées durant la matinée et, selon elles, intéressantes à mettre en discussion l’après-midi. Les ateliers de réflexion organisés l’après-midi étaient également placés sous contrainte afin de favoriser la circulation de la parole. Chaque participant disposait de 5 minutes pour proposer sa propre définition de la notion choisie ou, plus simplement, les réflexions qu’elle lui inspirait. Un(e) gardien(ne) du temps veillait au respect de cette contrainte tandis qu’un(e) modérateur/trice était responsable des échanges succédant au tour de table inaugural. Au terme des 3 heures d’échange, chaque groupe avait à proposer une ou plusieurs définitions collectives du SYNTHÈSe // Atelier n°1 // < Qu’est-ce qu’un artiste citoyen ? À la question posée aux participants de cet atelier — « qu’est qu’un artiste citoyen pour vous ? » -, la réponse de Caroline (compagnie La Hurlante) mérite d’être rappelée. En précisant qu’elle préférait parler de « projets-lieux » plutôt que « d’espaces-projets » (cf. l’intitulé de cette journée), elle plaçait d’emblée l’accent sur le projet. Beaucoup des participants à cette journée occupent des lieux, mais un grand nombre d’autres sont nomades, certains par défaut, d’autres par choix. Sans attache particulière à un bâtiment, ils sont peut-être moins tentés d’y faire entrer tous leurs projets. En précisant ensuite qu’elle préférait parler de « créations de partage » plutôt que de « créations participatives », elle interrogeait les intentions de ce type de création auquel sont associés des habitants, des nonartistes. Dans le premier cas, la rencontre donne lieu à une création, dans le second, la création est le lieu d’une rencontre. Cette nuance touche à la position de l’artiste au sein du processus créatif dont il tantôt l’auteur, tantôt seulement l’un des rouages. Les 4 mots du jour : artiste citoyen, résistance, fabrique, commun. thème proposé. © Performance Octopus - 2013 Synthèse #15 - Construire un vocabulaire commun à partir de nos identités plurielles 3 Société d’artistes ou société sans artistes ? Le statut de l’artiste dans la société contemporaine a été un sujet-pivot de la discussion. Considérant que « nous vivons dans une société sans artistes », Mathieu (association le Garage électrique, Friche de Mimi) constatait que celle-ci ne laisse plus de place aux artistes ni à l’art. Yves Fravega ajoutait que les Nouveaux Territoires de l’Art accueillent en effet des artistes comme des non-artistes. Cette complexification du champ artistique et culturel marque-telle pour autant la fin des artistes et de l’art ? De fait, il existe aujourd’hui différentes manières de faire œuvre. Véronique considère ainsi que les fêtes organisées par l’association Teuf-teuf basée à Ganges sont des créations à part entière. Question de définition ou de perception ? Claire Schneider, coordinatrice de la Filature du Mazel à Valleraugue, se réjouissait au contraire de voir de plus en plus d’artistes en France, et de constater qu’ils y occupent une place toujours plus importante. Sans entrer dans le débat philosophique qu’il aurait fallu avoir pour statuer sur ce qu’est un artiste et sur ce qu’est l’art aujourd’hui, les participants se sont accordés pour dire que nul aujourd’hui ne faisait autorité en la matière et n’était capable d’imposer une définition valable pour tous ! © Atelier La friche de Mimi - 2013 Extension du domaine artistique C’est Jules Desgoutte (ABI/ABO, friche Lamartine, Lyon) qui, en se demandant en quoi ces nouvelles manières de faire œuvre se distinguaient des productions délivrées par les industries culturelles, a déplacé le cours de la discussion. Que l’on constate une disparition des artistes ou leur multiplication, force est de reconnaître que ce phénomène intervient dans un contexte de massification de la production artistique. Cette réalité perturbe l’interprétation qu’on peut en avoir au point de lui donner des significations radicalement opposées. La société créative est-elle en train de supplanter les mondes de l’art ? L’extension du domaine artistique redistribue les fonctions si bien qu’on ne sait plus qui est artiste, qui est spectateur, qui fait/ce qu’est l’œuvre. Reste une demande voire un besoin de clarification. Pour preuve cette journée dont l’objet, symptomatique dans une certaine mesure, était précisément de « définir un vocabulaire commun »… Artistes, spectateurs, œuvres : les instances redistribuées Bien que les participants à cet atelier ne soient pas parvenus à s’entendre sur une définition unique de l’artiste citoyen, ils ont néanmoins identifié que leurs démarches pouvaient se répartir en deux grandes catégories. D’un côté, celles qui revendiquent une portée sociale, de l’autre, celles qui recoupent des problématiques sociales. Dans tous les cas, les artistes sont conscients de vivre en société, d’être remis en question par elle autant qu’ils peuvent eux-mêmes en interroger les représentations ou les fonctionnements. Là est peut-être le sens premier de cette notion d’artiste citoyen, quelqu’un qui prend acte de cette transformation des liens existant entre les artistes, les œuvres et les spectateurs. Quelqu’un qui travaille à l’intérieur de cette redistribution des rôles. Quelqu’un qui questionne les rapports entre ces différentes instances. D’où il apparaît que son action n’est pas liée à un espace ou à une population, mais qu’il utilise l’un et l’autre comme supports d’un questionnement plus global. Les Nouveaux Territoires de l’Art Plutôt que de continuer à chercher ce qu’est un artiste, de surcroît citoyen, Jules Desgoutte a tenté d’éclairer autrement la situation à laquelle les artistes sont aujourd’hui confrontés (intervention à écouter ci-dessous). Selon lui, la question n’est pas de savoir qui est artiste, mais de voir comment ceux qui se qualifient d’artistes prennent aujourd’hui position. Reprenant à son compte le concept développé par Deleuze et Guattari, Jules Desgouttes a fait observer que l’art est pris dans un mouvement de déterritorialisation, c’est-à-dire qu’il subit la disparition des frontières qui distinguaient autrefois l’art de ce qui n’en est pas. Synthèse #15 - Construire un vocabulaire commun à partir de nos identités plurielles 4 Tout est art / rien n’est art sont deux conclusions radicales face à une même difficulté (impossibilité ?) : dire où il se trouve. Aujourd’hui, avec ce que certains ont appelé au début des années 2000 les Nouveaux Territoires de l’Art, expression qui selon lui garde toute sa pertinence, on assiste à une tentative de reterritorialisation de l’art. Des personnes essaient de récréer des frontières autour du mot « art », c’est-à-dire de lui trouver une nouvelle définition. Ce phénomène s’observe à travers l’occupation de lieux non consacrés (appelés friches, lieux intermédiaires etc.), le développement d’expériences artistiques difficiles à nommer, etc. © Atelier la friche de Mimi - 2013 Jules Desgoutte (collectif ABI/ABO, friche Lamartine-Lyon) En phase avec cette analyse, Mathieu ajoutait que cette déterritorialisation s’éprouve à tous les endroits et sur tous les plans. Le besoin de recréer du sens sur nos territoires, dans nos champs d’intervention, dans nos vies est partagé par tous selon lui. Dès lors, on comprend que la question ne peut pas porter sur le lieu que l’on occupe, mais sur la manière dont on lui donne du sens ainsi que l’annonçait Caroline en début d’atelier. Faut-il alors penser qu’un artiste est celui qui habite un lieu (et sa vie), quelle que soit sa pratique, et que c’est cet engagement que l’on reconnaît avant toute chose, et même avant la forme esthétique que cet engagement peut prendre ?… Synthèse #15 - Construire un vocabulaire commun à partir de nos identités plurielles 5 SYNTHÈSe // Atelier n°2 // < Ce que résistance veut dire ? Résistance. Le terme est marqué par l’Histoire, la Seconde Guerre mondiale, les réseaux organisés clandestinement au nom de la liberté. Devenu un nom propre, il demande à être précisé dès lors qu’il est utilisé dans un autre contexte. Ce à quoi s’est employée Claude Renard au début de cet atelier, établissant par la même occasion quelques liens avec la discussion qui se déroulait au même moment dans une autre salle de la Friche de Mimi à propos de « l’artiste citoyen ». Résister n’est pas attendre mais avancer, c’est une action citoyenne qui vise, selon elle, à « reprendre la main », c’est-à-dire à se donner les moyens d’exercer sa liberté, notamment de création. À quoi résister ? Ces préliminaires n’ont pas empêché certains participants de débattre d’autres connotations que ce mot pouvait avoir, ce qui a permis de mettre à jour une problématique déterminante pour la suite de la réflexion. Résistance peut en effet qualifier une action soudaine dont le caractère réactif révèlerait un manque d’anticipation. Est-il possible d’éviter les situations radicales auxquelles l’unique réponse serait de résister ? Est-il possible d’éviter les désaccords, voire les conflits, en repérant à l’avance ce qui posera problème ? À quel point faut-il être parvenu et pour quelles raisons entre-t-on en résistance ? Si chacun juge différemment des limites de l’acceptable, de nombreux participants voyaient dans l’interdiction quasi systématique d’accueillir du public dans leurs lieux un motif de colère. Pour des raisons de sécurité aux fondements douteux (selon certains, le refus d’accorder l’ERP — autorisation obligatoire pour les Etablissements Recevant du Public — , ou les moyens financiers de l’obtenir, camouflerait en réalité le refus de reconnaître à ces lieux leur caractère d’espaces publics alternatifs), les pouvoirs publics privent de moyens d’expression quelques initiatives citoyennes. C’était là un motif de résistance largement partagé dans l’assemblée. Le détournement des mots Mais la situation est parfois moins claire. Émilien Urbach, en évoquant rapidement la situation montpelliéraine, laquelle lui semble particulièrement consensuelle sur le terrain de la politique culturelle, insistait pour sa part sur la nécessité de déconstruire les mécanismes et les discours qui l’organisent. À la fois pour repérer ce qui démarque telle initiative de telle autre, et pouvoir en conséquence défendre l’une contre -ou à côté de-, l’autre. Les ZAT (Zones Artistiques Temporaires) sont selon lui un exemple typique d’utilisation de termes et de procédés qui s’apparentent à ceux employés par les représentants de certains espaces-projets réunis durant cette journée, mais qui s’en distinguent fondamentalement. Ce « recyclage » ne poserait pas problème s’il ne mettait en difficulté d’autres initiatives, toute différentes. © La friche de Mimi - 2013 Pour une résistance heureuse Exprimer et défendre sa différence est une ambition qui échoue régulièrement sur la définition de la norme ou sur l’invocation de l’intérêt général. Par rapport à quelle norme se juge-t-on différent ? En quoi sa propre singularité profite à tous ? Ces deux notions, complexes et sujettes à interprétation, n’ont pas été discutées durant cet atelier. Les participants ont préféré parler de leur sentiment d’être en marge, de s’y sentir confiné ou au contraire d’y trouver leur place. Parfois avec bonheur. Ainsi en témoignaient quelques personnes qui, en œuvrant de façon modeste, soit au sein d’un lieu soit au sein d’une compagnie, mais toujours en veillant à se maintenir dans des entreprises de petite taille pour en maîtriser l’évolution et l’organisation (« grandir sans grossir », dixit Bernard Lubat, cité par un participant), parviennent à trouver un équilibre entre marginalité et reconnaissance. Une comédienne expliquait pour sa part comment, en acceptant des cachets moins Synthèse #15 - Construire un vocabulaire commun à partir de nos identités plurielles 6 élevés, ce à quoi elle s’était toujours refusée au nom de certains principes, elle en était arrivée à jouer plus souvent et à retrouver du plaisir à cela ! Il a ainsi été question de « résistance heureuse » pour qualifier ces ruses, ces bricolages, ces changements de points de vue qui donnent ou redonnent sens à une pratique. © La friche de Mimi - 2013 Construire et préserver des espaces de liberté Préserver cette liberté d’invention est une entreprise difficile et épuisante. Elle nécessite une implication personnelle, un engagement de soi. Elle requiert également des espaces appropriés pour que chaque individu l’exerce à sa manière et parvienne à se réaliser dans la société. De nombreux participants ont expliqué que les espaces-projets qu’ils ont fondés ou auxquels ils prennent part sont des outils organisés dans ce but. C’est en cela qu’ils sont à la fois singuliers (ils dépendent des personnes qui les activent) et semblables (tous partagent ce même horizon). C’est en cela également qu’ils relèvent d’une forme de résistance. Résistance à l’institutionnalisation qui a tendance à substituer de grands principes aux personnes qui les font vivre. Résistance aux discours qui réduisent la portée et la complexité des aventures qui se déroulent dans ces espaces-projets et qui demandent à être dits, expliqués, mis en récit et régulièrement réinventés. Synthèse #15 - Construire un vocabulaire commun à partir de nos identités plurielles 7 < SYNTHÈSe // Atelier n°3 // Qu’est-ce qu’on fabrique ? L’histoire de la Friche de Mimi est une illustration intéressante du mot « fabrique ». Ce lieu comporte des caractéristiques et des problématiques que l’on retrouve dans de nombreux autres. Et d’abord celle-ci : les 5 ou 6 compagnies fondatrices se sont regroupées autour d’un besoin commun : disposer d’un lieu de stockage et de travail. Plus qu’un simple lieu de stockage Sans remettre en question le fonctionnement interne de ces structures qui poursuivent par ailleurs leur propre © Atelier la friche de MImi - 2013 activité plus ou moins de la même façon qu’auparavant, ce rapprochement les a obligées à s’organiser collectivement et à répondre à des demandes que ce rapprochement suscitait (notamment d’utilisation de leur salle de travail/ représentation). En somme, à prendre acte qu’ils étaient devenus, ensemble, un acteur supplémentaire de la vie culturelle et locale. Pour preuve depuis deux ans : la mise en place des Jours de friche, une ouverture du lieu aux habitants du quartier. Cette nouvelle réalité a remis en perspective le parcours habituellement suivi par une compagnie (monter une association > trouver un lieu > créer un spectacle > le diffuser > se faire reconnaître > bénéficier de subventions). De manière plus générale, la création et l’implication dans ce lieu ont interrogé ses membres sur l’organisation et le mode de fonctionnement du secteur culturel. Qu’est-ce qu’on fabrique ensemble ? Certainement plus que le simple partage d’un espace de stockage ! Un outil de production intermédiaire Un tel lieu reste néanmoins, d’abord, un outil de production. Et il en manque terriblement, en Languedoc-Roussillon comme ailleurs en France, de ces espaces de travail où il est possible d’inventer des formes et des formats, en bénéficiant du temps nécessaire à l’expérimentation. Sans cela, les artistes sont destinés à reproduire plutôt qu’à créer. La majorité des initiatives présentées durant cette journée sont nées en réaction à cette situation et défendent un droit à l’expérimentation. Sylvie, représentante de la Briqueterie, expliquait durant cet atelier que ce lieu situé à Amiens accueille régulièrement des artistes dont les projets ne sont pas encore formalisés, chose non envisageable au sein d’une institution culturelle dont le fonctionnement s’apparente à celui des administrations publiques. Or le temps des artistes n’est pas celui des administrations qui les finance. Pour cette raison, des structures comme la Briqueterie, la Friche de Mimi, La Krèche à Mauguio-Carnon ou le 232U à Aulnoye-Aymeries, pour ne citer que celles représentées dans cet atelier, sont des lieux intermédiaires. Dans une perspective identique, quoi que sans lieu physique, des expériences comme celle menée par l’association Teuf-teuf, promeuvent une action itinérante développée à l’échelle d’un territoire et de ses habitants, à même l’espace public. Si les espaces-projets sont des lieux où se fabrique quelque chose de singulier, il leur manque souvent des outils pour faire comprendre ce qu’ils fabriquent. Dispositif et reconnaissance institutionnelle Laurie Blazy, “architexte” de cet atelier, en distinguait deux principaux. Le premier type d’outil devrait servir de médiateur auprès des institutions publiques. La Mission NTA, dispositif hébergé à l’Institut des Villes de 2002 à 2010, exerçait ainsi à la fois une action de consolidation d’un réseau de lieux jusqu’alors peu liés les uns aux autres sinon par des points communs et quelques affinités, et une action de lobbying auprès de l’État et des collectivités en charge des politiques publiques. L’absence de ce type d’outil fragilise l’ensemble Synthèse #15 - Construire un vocabulaire commun à partir de nos identités plurielles 8 des lieux qui n’ont plus aujourd’hui les moyens de faire valoir qu’ils forment un mouvement de société. cela paraisse, un réseau s’appuie sur ses membres et non l’inverse. © Performance La Krèche - 2013 Se constituer en réseau Second type d’outil : le réseau, la fédération, souvent complété d’un centre de ressources. Grâce à lui, les acteurs disposent d’un espace où rassembler leurs réflexions, leurs expériences, leurs inventions et sortir ainsi du sentiment d’isolement qui bride souvent l’action de ces lieux. L’outil ressource est avant tout un espace d’échange et de mise en commun. Questions : quoi mettre en commun ? qui organise l’échange et la mise en commun ? Communiquer ses actions à travers une liste de diffusion ouverte ne demande pas trop d’efforts et peut être un début de mise en commun. Mais cette démarche est-elle pertinente pour des lieux ou des structures qui proposent bien plus que des dates et des spectacles ? Au motif que ces espaces-projets « créent du processus » selon l’expression d’un participant, il importerait de mettre en commun les cheminements propres à chaque lieu, d’en produire et diffuser les récits singuliers. Autre sujet de discussion à propos de l’outil ressource : son animation. Faut-il miser sur l’engagement de chacun ou faire appel à une tierce personne (souvent nommé coordinateur/ trice) ? Si les intérêts défendus par le réseau sont profondément partagés, s’il permet par ailleurs d’accéder aux instances de décision, il est alors permis de penser que les membres se sentiront partie prenante du réseau et qu’ils chercheront à le faire vivre, le cas échéant en s’appuyant sur un/e coordinateur/trice. Mais il faut pour cela veiller à ce que les intérêts défendus soient constamment réévalués pour s’ajuster aux réalités des membres. Aussi évident que Synthèse #15 - Construire un vocabulaire commun à partir de nos identités plurielles 9 < SYNTHÈSe // Atelier n°4 // Quoi de commun ? Échanger à propos du terme « commun » revenait à débattre du sens de cette journée dont l’ambition était de réunir différents acteurs de la région Languedoc-Roussillon pour voir ce qu’ils avaient en commun et si, par-delà leurs singularités, ils œuvraient pour le bien commun. © La friche de Mimi - 2013 Commun. Ce mot contient de nombreuses connotations. Il s’apparente au banal et peut être à ce titre perçu de manière péjorative. C’est l’ordinaire, l’anecdotique, ce qui est sans intérêt. Pour certain(e)s au contraire, le banal est une notion très positive comme en témoignent quelques références données durant la discussion (les fours banaux, les terrains communaux, autrement dit des endroits où toute une population peut se retrouver et partager quelque chose). Si le mot « commun » sonne mal aux oreilles de quelques-uns, c’est en raison de son ambivalence et du fait qu’il peut véhiculer l’idée d’une certaine passivité. À la différence de « mutualisation » qui serait plus du côté de l’action, du partage, de l’entente, « commun » ne rendrait pas suffisamment compte de ces notions dont tous les participants à cet atelier voulaient débattre. Autre précision : avant de parler de commun, il faut dire de quelle diversité il est constitué. De nombreuses personnes ont insisté sur ce point car sans cette étape préalable, il est toujours possible de réduire les différences au plus petit “dénominateur commun”… Démarche personnelle et visée collective Au lieu de chercher l’identique entre eux, les participants étaient donc favorables à nommer en premier leurs singularités en vue de les mettre en commun dans un second temps. Le commun ne doit pas dissoudre les différences, il doit les combiner de telle manière que l’ensemble en profite. Il sous-entend donc une démarche personnelle et une visée collective. C’est peut-être même dans la conscience de cette articulation que se situe le premier point commun entre tous les lieux représentés durant cette journée, des lieux faits d’individus conscients d’appartenir à une ou plusieurs communautés. Qu’est-ce qui pousse ces acteurs (compagnies, artistes, intellectuels, opérateurs culturels, habitants, etc.) à se réunir au sein d’espaces-projets Tout d’abord, un manque de lieux de travail et plus généralement d’espaces à imaginer, fabriquer et organiser collectivement au-delà d’un objectif de production de créations artistiques. Ces espaces-projets sont à la fois des espaces de travail et des espaces de vie où l’inconnu peut advenir et influencer le travail. C’est un deuxième point commun aux lieux représentés durant cet atelier : l’inconnu y est non seulement bienvenu mais a priori intégrable au processus de création. Comme le rappelait Marjolaine Combes, responsable de L’Atteline à Villeneuve les Maguelone, il en va de même des projets artistiques développés à l’échelle d’un territoire. Leur intention est également de créer une communauté éphémère où « chacun vient avec ses manques et augmente la réalité des autres ». Autant dire que ces démarches ne sont pas modélisables, ni leurs résultats prévisibles puisqu’ils se fondent et dépendent des personnes qui les font vivre. Elles ont néanmoins en commun de faire attention aux personnes et à leurs singularités. Les conditions d’une pratique politique Indépendamment des valeurs humanistes qui les inspirent, ces lieux de fabrique (du commun) prennent des formes très diverses. Ce sont par exemple les débats publics initiés par l’association Les 4 chemins dans deux bars de la Paillade à Montpellier, agoras éphémères où l’on discute de sujets qui n’ont rien à voir avec les faits divers auxquels la Synthèse #15 - Construire un vocabulaire commun à partir de nos identités plurielles 10 presse locale résume trop souvent le quartier. Comme le dit Sofiane, leur démarche consiste à « proposer un contenant aux gens qui ont des choses à dire, des experts parce qu’ils ont une expérience… » (Sébastien Berger, association Du moulin à Avèze dans les Cévennes, expliquait de son côté qu’il importait de pouvoir partager des outils administratifs pour permettre à chaque lieu d’affiner ses modes opératoires). Les 4 chemins, Nourdine Bara et Soufyan Heutte De façon évidente dans le cas des 4 chemins, peut-être moins clairement dans d’autres situations, ces pratiques collectives sont profondément politiques. Toutes interrogent, dans des proportions variées, ce qui fait commun entre des personnes et les formes dont elles disposent pour que leur communauté existe, s’exprime et soit reconnue en tant que telle. C’est dans ce sens qu’il faut entendre la revendication portée par les lieux représentés durant cette journée, ensemble de communautés partageant, au sein de la filière culturelle, la même difficulté à être reconnues pour leurs manières de faire. Comme le soulignait Dorine Julien des Pas Perdus (Marseille), ces manières de faire alternatives butent sur des règles éphémères qui demandent perpétuellement à être renégociées. Se plaindre qu’elles sont caduques est insuffisant et il revient à chaque espace-projet et à chaque personne de s’engager pour que changent les règles et les représentations instituées. Il en va de la reconnaissance de ces pratiques différentes, de ces voix dissonantes, de ces lieux intermédiaires qui, littéralement, troublent l’espace public. Sébastien Gazeau Synthèses Bahija Kibou Coordination Ateliers de réflexions À l’intérieur de chaque lieu, artistes et compagnies Synthèses avec extraits vidéo et audio diponibles en ligne ©Performance les 4 chemins - 2013 cherchent à se reconnaître mutuellement et à partager des pratiques qui diffèrent de celles rencontrées dans les institutions culturelles. Mais à l’échelle de chaque espace-projet, ce sont bien de nouvelles manières de faire culture (société) que l’on tente d’inventer. C’est en tout cas cette ambition que la plupart d’entre eux défendent, ambition qui en passe par un discours (« il ne faut pas s’empêcher de se réapproprier certains mots, comme art ou artistique » insistait Éric Chevance) et par des actions Synthèse #15 - Construire un vocabulaire commun à partir de nos identités plurielles 11 POUR EN SAVOIR PLUS > Actes if, Réflexion et propositions pour une politique publique en direction des “fabriques, 2011. > Gazeau Sébastien, Kahn Frédéric, In vivo. Lieux d’expérimentation du spectacle vivant, Éditions La Passe du vent, 2013. > Gazeau Sébastien, L’évaluation des espaces-projets artistiques et culturels, synthèse de l’atelier #8, ARTfactories, janvier 2011. > Henry Philippe, Un nouveau référentiel pour la culture ? Pour une économie coopérative de la diversité culturelle, Éditions de l’Attribut, 2014. > Henry Philippe, Quel devenir pour les friches culturelles en France ? D’une conception culturelle des pratiques artistiques à des centres artistiques territorialisés, ARTfactories, 2010. > Kahn Frédéric, Les espaces-projets face aux problématiques de labellisation, synthèse de l’atelier de réflexion #9, Artfactories, avril 2011. > Lextrait Fabrice, Bilan et perspectives des nouveaux territoires de l’art en Midi-Pyrénées, Le COUAC MidiPyrénées, 2012. > Lextrait Fabrice, Nouveaux territoires de l’art, Ministère de la culture et de la communication, 2001. > Nicolas-Le Strat Pascal, Le travail du commun (en cours d’écriture, articles préparatoires sur le blog personnel). > Nicolas-Le Strat Pascal, Moments de l’expérimentation, Fulenn, 2009. > Vercauteren David, Muller Thierry, Crabbe Olivier, Micropolitiques des groupes. Pour une écologie des pratiques collectives, Les Prairies ordinaires, 2011. Synthèse #15 - Construire un vocabulaire commun à partir de nos identités plurielles