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Vladimir Velickovic
Les béances sanglantes du monde
« En fait je peins ce que l’homme fait à l’homme »
Les peintures et les dessins de Vladimir Velickovic sont les béances du
monde. D’un monde sans amour et sans espoir. Pourtant la série des
hommes qui grimpent laisse une porte ouverte, enfin à peine. Mais
celles-ci se referment vite.
Et Vladimir Velickovic peint les visions des cris étouffés et qui pourtant
vrillent nos consciences. Visiter une exposition de ce peintre est une
plongée oppressante et puissante, qui laisse des cendres dans la tête,
tant tous ces corps suppliciés qui se tordent vers nous, qui hurlent en
nous, avec une puissance émotionnelle terrifiante.
Peindre les horreurs que font les hommes aux hommes sur d’immenses
toiles provoque un choc qui vous pousse sur « les versants du silence »,
titre d’une récente exposition au Musée des Abattoirs à Toulouse fin
2011, tant la gorge se serre.
Elle est organisée en différentes sections qui rendent bien compte de
l’univers de ce peintre : Human in motion : hommes en fuite face à
l’absurde de la vie, Écho (Gisant) : corps inertes à jamais, Bête
philosophique : chiens reflets déformés des humains, Lieu : intérieurs
désertés par l’humain où ne vit que le vide, Origine : désir et mort
entremêlés d’où nous venons et où nous disparaîtrons, Éléments, Écho
(Crucifixion) : corps cloués sur la croix avec les vautours qui les mangent,
Têtes et Néant : série extraordinaire de paysages désolés et dévastés.
Ces thèmes qui s’entrecroisent et reviennent parfois au fil des ans, et ce
depuis plus de cinquante ans de création, font la cohérence de toute une
œuvre.
Certes nous savions que la nature humaine était aussi grande
pourvoyeuse en supplices et tortures. Sanguinolentes. Ceci les
actualités le montrent presque chaque jour, mais se trouver en face à
ces immenses toiles de corps crucifiés, ces chiens de l’apocalypse, ses
pauvres Prométhée toujours écorchés, ces cadavres sanguinolents. Et
dans un vaste tableau qui occupe toute une salle, il aligne tous les sans
noms, tous en souffrance.
Aucun message d’espoir ne peut percer de ses dessins, de ses tableaux.
Et les corbeaux font la ronde, les vautours tournoient autour des gisants
et dépècent les crucifiés, les gibets et les potences sont les seules forêts,
et le monde se met en feu, et nous ne pouvons que regarder au loin les
incendies des villes, les ruines de nos consciences.
L’exposition est donc nommée Les versants du silence, mais l’on
n’entend que cris de douleurs dans un espace qui, s’il est indéfini, n’est
pas nommé, n’est pas imaginaire. Ce nulle part est déjà parmi nous, à
nos portes. Et les versants du silence ce sont nos lâchetés, nos propres
silences. Et le silence des toiles de Vladimir Velickovic est comme une
craie qui crisse sur le tableau noir de nos consciences
Les plaies non refermées de Vladimir Velickovic
Vladimir Velickovic est né à Belgrade (jadis en Yougoslavie, maintenant
en Serbie) en 1935. Diplômé de l’école d’architecture de Belgrade en
1960, par compromis avec ses parents, car seuls le dessin et la peinture
le passionnaient. Il décide finalement de se consacrer totalement à la
peinture. Sa première exposition personnelle se réalise en 1963, et en
1965 il obtint le prix de la Biennale de Paris où il représentait son pays,
la Yougoslavie, ville qui à cette époque semblait encore, pour peu de
temps, une des capitales mondiales des arts.
il s’installe à Paris en 1966, et il y travaille aujourd’hui encore. Il est
révélé dès 1967 par une exposition à la galerie du Dragon
Velickovic sera Chef d’atelier à l’École National Supérieure des Beaux
Arts de Paris de 1983 jusqu’en 2007. Il a été élu sous la coupole à
l’Académie des Beaux-Arts et de l’Institut de France. Il est aussi
sculpteur.
Sa reconnaissance se fait assez rapidement et dès 1967, il est considéré
comme un des peintres les plus importants de son temps. Et une grande
cohérence sous-tend son parcours. Les corps suppliciés des hommes,
les animaux terribles comme corbeaux, vautours, rats, chiens
monstrueux sont présents tout le long de sa peinture.
Maître de la Figuration narrative il peint et repeint les mêmes
obsessions : les corbeaux qui nous envahissent nous déchiquettent, les
villages en feu, les corps en croix, ou suspendus en sang, les chiens
lâchés sur nous, les potences et les gibets. Les références christiques
sont bien plus pâles que celles des immenses oiseaux noirs. Le malheur
au malheur ressemble et il n’y a aucun intercesseur dans ses peintures.
Cette exposition initialement prévue uniquement avec ses dessins, car
Vladimir Velickovic est avant tout un dessinateur exceptionnel, est
devenue une rétrospective hallucinante qui prend tout l’espace et fait
une large place aux tableaux peu montrés.
L’exposition à part les dessins, se concentre donc sur la période du
peintre des années 1990, et surtout celles de 2006 à 2008. Mais la
récurrence des thèmes est constante. Il est le marqueur pictural des
catastrophes physiques et métaphysiques qui nous entourent. C’est bien
sûr l’histoire de son pays, mais aussi celle de tous les pays, qu’il peint.
Il reste à jamais marqué par la Seconde Guerre mondiale et par la
guerre civile qui ravagera son pays. Les plaies non refermées de
Vladimir Velickovic saignent sur ses tableaux.
Sa peinture est centrée sur les horreurs de la guerre, mais comme
Francis Bacon, il s’est passionné pour l’étude de la décomposition du
mouvement. Cette étude des mouvements, il en fait une course folle
d’apocalypses. Et à partir de 1972, il réalise des séries de peintures et
de dessins inspirés des photographies d’Eadweard Muybridge (séries
des Descentes, 1989-1991, et des Crochets, 1983-1991.)
Les crucifixions abondent, sans référence christique aucune, car seuls
les hommes saignent, abandonnés, écorchées. Seule compte la
souffrance humaine. Le néant est répandu sur les toiles. Les gisants ne
ressusciteront jamais, et « ils représentent la présence intemporelle de la
mort sur les champs de bataille ». Et dans ses paysages désolés, où au
loin ne se dressent que des incendies, tout n’est que dévastation, sans
plus aucun être humain. Dans son univers macabre, cruel, il semble que
nous sommes quelques heures après l’apocalypse, quand tous les
carnages ont été accomplis et que les corbeaux restent seuls au monde.
Vladimir Velickovic définit ainsi sa peinture :
Ma peinture est figurative. On serait tenté de la dire expressionniste.
Mais elle s'éloigne de cette école, car elle n'est pas spontanée. Au
contraire, elle est très précise et procède d'études préalables. La mise
en scène est très importante, car chaque tableau est une autre histoire.
Les figures représentées sont presque de taille humaine. La composition
est primordiale pour aboutir à l'efficacité de l'image. (Interview à la
Dépêche du Midi).
Cette mise en peinture tragique de la condition humaine, de la barbarie,
se dresse devant nous pour nous empêcher d’oublier que tout peut
revenir de par la cruauté humaine. Aussi le corps est au centre de ses
toiles, corps mutilé, torturé, déchiré, voué à la plus extrême douleur
infligé par l’homme à l’homme.
Le monde déchiqueté de Vladimir Velickovic
Le tragique est plaqué sur chacune des grandes toiles aux couleurs de
sang séché, ces marrons profonds charrient la mémoire des tortures.
On chemine en décrivant les cercles de l’enfer, entre les cadavres, les
molosses, les oiseaux maléfiques, les rats, les poupées barbares.
Le monde déchiqueté appartient aux vautours, aux rats, aux chauvessouris, aux chiens qui courent vers leurs victimes. Les tourments du mal
humain sont là, non pas en symboliques d’images, mais en réalités
frontales qui nous sautent dessus. Pas d’échappatoire, le dessin ou le
tableau vous saute à la gorge et referme sur vous les dents de l’horreur.
Vladimir Velickovic ne veut pas susciter la pitié ou la peur. Il montre
simplement jusqu’où peut aller l’homme. Quand on est un enfant de 6
ans à Belgrade et que l’on voit les réverbères de la ville ornés de pendus,
de « strange fruit » dirait Billie, on ne l’oublie jamais. Et les bombes
tombent tout alentour. Jusqu’à 10 ans, il pourra voir les suppliciés fleurir
dans sa ville. Ses souvenirs ne l’ont jamais laissé tranquille. La guerre
civile qui a frappé dans les années 1990 son pays d’origine, la
Yougoslavie d’antan, il ne l’a connu que de loin, mais les traces sont en
lui, marquées de lettres de feu et de nouvelles horreurs. Ce seront ses
images « originelles ».
Vladimir Velickovic est un homme empli de stigmates, et ses toiles les
mettent en scène.
La base de tout mon travail est constituée de cette mémoire subjective,
en regard des errements réels et des menaces possibles,
malheureusement quotidiennes sur l’avenir... Modestement, avec mes
moyens, qui sont ceux du peintre, j’essaie de poser mon regard sur le
monde et celui-ci me renvoie une multitude d’informations et d’images
qui en effet ne sont pas moins terrifiantes que celles du passé. Ce qui
m’oblige, humainement, intellectuellement à réagir et en quelque sorte à
répondre par l’image, tout en restant conscient que la représentation de
l’horreur ne suffit pas à dire l’horreur… ce qui me contraint à hurler par
l’image en réponse à ce que je vois, à ce que j’entends, à ce que je vis.
Mon iconographie est faite de cette réalité infernale. (Entretien avec
Évelyne Artaud)
Ce réalisme glaçant qui gicle de ses toiles est donc bien un cri d’horreur.
Il lutte de toutes ses forces contre l’anéantissement, en montrant les
corps écorchés, les paysages dévastés. Sa peinture est un drame
tragique.
Sur le site officiel de Vladimir Velickovic, ce sont surtout des dessins en
noir et blanc qui prédominent et qui parlent déjà d’écartèlements, de
douleurs, de mains déjà squelettes, de têtes déjà décapitées, ou encore
hurlantes. La palette de couleurs, bleus glaçants, marrons coagulés, gris
déchirés, est la mise en abîmes de toutes ses tortures endurées par les
hommes à cause des hommes. Dans les salles se succèdent, un
hommage au triptyque de Grünewald, des chiens affamés,, des
blessures, des crucifixions, des épouvantails, des paysages désertés,
des origines, des salles de torture, des poupées folles, des séries de
dessins. Partout monte la même angoisse et le néant est tapi partout.
Il utilise principalement trois couleurs, le noir du néant, le blanc du vide,
le rouge du sang ou le feu dévorant. Elles sont sans arrêt présentes
dans presque toutes ses œuvres, mais comme pour un ensevelissement
il jette des bruns, couleur de terre, comme sur une tombe. Et un corbeau
survole souvent son travail, comme une allégorie du malheur.
Vladimir Velickovic semble poursuivre une alchimie de la souffrance, de
la mort écorchée.
Vladimir Velickovic parle de la tragédie humaine, de l’angoisse
existentielle, sans rédemption possible. La cruauté, celles des hommes,
celles des bêtes, qui laissent planer les vautours et les corbeaux à la
place du ciel et des étoiles, est toute puissante. Et s‘écoulent et le feu et
le sang, sans aucune purification possible. Pourtant un sens certain du
sacré plane sur ses peintures.
Sombre et cruelle est l’œuvre de Vladimir Velickovic. Dérangeante,
cauchemardesque, mais inoubliable. Michel Onfray a écrit un livre
Splendeur de la catastrophe. La peinture de Vladimir Velickovic dans
lequel il met en lumière « les catastrophes métaphysiques » que
dénonce la peinture de Velickovic, qui, « use de la catastrophe de
manière thérapeutique - d’où sa splendeur, car elle autorise un
dépassement... » . Et en effet il semble que toute l’œuvre de Vladimir
Velickovic soit une célébration de la splendide catastrophe que nous
engendrons, et sa peinture âtre et violente n’est que notre miroir fêlé que
nous devons purifier. Et de cette violence lancée à nos regards peut
sourdre au travers de sa poésie noire, une remise en cause de nos
comportements. Ces chairs en souffrance ne trouveront la paix.
Vladimir Velickovic n’a pas de message autre que de nous dire que tout
est encore en marche pour de nouvelles horreurs et que tout peut
recommencer. Il devient à la fois témoin et prophète.
Bibliographie sur l’artiste
L'atelier de Vladimir Velickovic, Évelyne Artaud, Thalia Edition, 2009.
Splendeur de la catastrophe : La peinture de Vladimir Velickovic, Michel
Onfray, Editions Galilée, 2007.
Vladimir Velickovic : Les versants du silence, éditions Lienart, 2011
Métamorphoses du sacré Sur Vladimir Velickovic, Amélie Adamo
Editions Galilée, 2011.