Grillons, criquets et larves de vers de farine s`invitent à la table des

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Grillons, criquets et larves de vers de farine s`invitent à la table des
Repères
27 OCTOBRE 2016
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CONSOMMATION
Grillons, criquets et larves de vers de
farine s’invitent à la table des Suisses
En 2017, la Suisse
sera le premier pays
européen à légaliser la
consommation de trois
espèces d’insectes.
Le monde des
entreprises grouille
déjà de projets…
Sylvia Schibli
organise des ateliers-dégustations
tous les premiers
vendredis du mois,
sur inscription.
Parmi les multiples
mets proposés,
des quiches, une
purée rehaussée
de quelques larves
de vermisseaux
grillés, des apéritifs croquants…
Production bio et labellisée
Sylvia Schibli Saputra, Genevoise dynamique, issue de la restauration et du marketing, est une grande voyageuse. Elle s’intéresse aux insectes depuis son premier
voyage en Thaïlande: «Ce sont des aliments
À TESTER
© PHOTOS GUILLAUME MEGEVAND/DR
«C
herche surface en zone agricole
pour élevage un peu particulier»: c’est ainsi que Sylvia
Schibli Saputra pourrait formuler une petite annonce à paraître dans la presse locale.
Un élevage cantonné pour l’heure à son
domicile de la région genevoise, mais qui
vient d’obtenir le soutien de l’Office cantonal de l’agriculture. Un projet modèle en
termes d’environnement, peu gourmand en
espace: à première vue, on songe à un
meuble de bureau, de ces petites à tiroirs
multiples dans lesquels on glisse enveloppes, crayons, gommes… Surprise, l’objet
est habité! Notre éleveuse dévoile son
contenu avec une fierté teintée de malice:
une colonie de Tenebrio molitor, confortablement installés parmi quelques restes de
farine, épluchures de pomme et de carotte.
«C’est le système le plus pratique que j’aie
trouvé pour les élever, après avoir bricolé
différents modèles d’aquariums, etc. Ils
sont rangés par classe d’âge.»
Tenebrio molitor? Autrement dit des larves
de vers de farine, une des trois espèces
d’insectes comestibles sur le point d’être
légalisés, vraisemblablement au 1er janvier
2017, mais au plus tard au 1er juin 2017. Les
deux autres espèces étant le grillon domestique (Acheta domesticus) et le criquet migrateur (Locusta migratoria). Ces charmantes bébêtes pourront ainsi s’inviter à la
table des Helvètes en toute transparence,
grâce à la dernière révision de l’ordonnance
sur les denrées alimentaires. Une perspective alléchante pour les entrepreneurs,
nombreux à s’y intéresser.
très prisés, qu’on peut cuisiner de multiples manières.» Pas question pourtant
d’importer des espèces exotiques pour une
production qui se veut locale, bio, éthique
et visera le haut de gamme. Les vers de farine mangent des restes de boulangerie, des
pommes, des carottes, les grillons, omnivores, sont nourris avec des fruits, céréales,
restes de cuisine, alors que les criquets apprécient l’herbe fraîche et les feuilles de
bambou, précise celle qui les élève pour
l’heure en petites quantités pour des dégustations, dans l’attente du jour J. Parmi
leurs avantages, leur caractère frugal: pas
besoin d’eau, l’humidité des fruits leur suffit. Ni chauffage, ni main-d’œuvre, ni infrastructures coûteuses.
Un élevage bio, local et éthique, qui pourrait prétendre au label GRTA (Genève Région Terre Avenir) «dès que la production
démarrera et que les exigences auront été
définies par la commission technique du
label». À la Direction générale de l’agriculture, Alexandre de Montmollin, après dégustation, admet que la chose «bouscule un
peu nos habitudes et nécessitera un gros
BON À SAVOIR
Une nourriture pas si exotique
Près de 2000 espèces sont consommées, en premier lieu les scolythes, groupe de coléoptères,
suivis par les chenilles, les abeilles, les guêpes et les fourmis, les sauterelles et les criquets, etc.
C’est qu’ils sont riches en protéines, calcium, fer – 8 à 20 mg/100 g chez la sauterelle, 6 mg
pour le bœuf – utilisent peu d’eau et ont un faible impact environnemental. Selon la FAO,
l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, qui soutient leur élevage
pour réduire la faim dans les pays en développement, 2 kg d’aliments sont nécessaires pour
produire 1 kg d’insectes, contre 8 pour les bovins. De quoi apporter des réponses à l’explosion
démographique annoncée, avec plus de 9 milliards de Terriens d’ici à 2030…
effort d’information pour trouver son public…». Mais aussi que le futur élevage «fait
partie des projets innovants. Le label GRTA
s’applique à de nombreux produits très divers: pourquoi pas celui-ci, qui contribue
aussi à diversifier le tissu économique de la
région?» Sylvia Schibli organise de nombreuses dégustations. «Nous rencontrons
un grand intérêt. Plusieurs chefs ont craqué
et des bouchers sont intéressés à se lancer
dès l’ouverture du marché.» C’est que le ver
Trois insectes à se mettre sous la dent
Le ténébrion meunier
Tenebrio molitor
Ce ravageur des boulangeries et des moulins
est une des espèces «les plus prometteuses sur
le plan de l’entomophagie», selon la FAO. L’œuf
microscopique du ténébrion (de l’ordre des
coléoptères) passe par plusieurs mues, mais
seule sa larve, blanche, qui peut atteindre
2,5 cm, est consommée. Omnivore, d’origine
européenne, mais disséminé sur toute la
planète, il se nourrit de restes de boulangeries,
pommes, carottes, sans autre apport de liquide.
Le criquet migrateur
Locusta migratoria
Présent dans toute l’Afrique subsaharienne et
le pourtour méditerranéen, il est connu pour
ses ravages aux cultures, une des plaies
bibliques – et une des raisons de sa consommation quasi universelle… Ce bouffeur de
graminées, de l’ordre des orthoptères, apprécie
aussi l’herbe fraîche, le son, les feuilles de
bambou, la salade. Au terme de plusieurs
mues, le mâle peut atteindre 42 à 55 mm de
long, la femelle 54 à 72.
Le grillon domestique
Acheta domesticus
Celui-ci est bien connu et a priori plutôt
sympathique puisqu’il chante: le mâle stridule
toute la journée en frottant ses élytres – d’où
le caractère assourdissant que peut prendre
son élevage... Cet orthoptère (pourvu d’ailes
droites) serait arrivé en Europe par la route
des épices pour ne plus en repartir. Omnivore,
il se nourrit de fruits, céréales et autres restes
de cuisine, peut vivre plus d’un mois et
atteindre une longueur de 15 à 20 mm.
de farine aurait «un petit goût de noisette,
alors que le grillon évoque les céréales, les
graines et les noix et que le criquet a un
merveilleux goût de peau de poulet grillée», à en croire notre entrepreneuse, qui
rédige un manuel sur le sujet.
Un marché porteur
Une étude menée par la Haute École de
sciences appliquées de Berne estime que le
marché potentiel est prometteur: en gros,
30% de la population devrait être intéressée. D’autres projets ont vu le jour un peu
partout en Suisse. L’entreprise argovienne
Entomos qui réservait jusqu’ici sa production bio à l’agriculture, la recherche et l’alimentation animale la proposera bientôt
aux humains omnivores. La start-up zurichoise Essento espère lancer une dizaine de
produits: burgers, boulettes et autres nachos à base de vers, criquets et grillons.
EntoLog, une autre start-up zurichoise, a
mis au point une barre énergétique à base
du fameux Tenebrio molitor – un projet primé en 2015 par la Société suisse des
sciences et technologies alimentaires.
Parmi les plus impatients, Juergen Vogel,
militant de la première heure et président
de Grimiam, espère que le texte avalisé par
le Conseil fédéral ce mois inclura les insectes transformés – pas seulement entiers. Faute de quoi, «leur consommation
pourrait bien rester cantonnée quelques
années encore à Halloween».
Véronique Zbinden n
+ D’INFOS www.versogood.ch. Voir en page 7.

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