TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE NANTES N°1211000

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TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE NANTES N°1211000
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE NANTES
N°1211000
___________
M. F... C...
___________
M. G...
Président-rapporteur
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M. H...
Rapporteur public
___________
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Tribunal administratif de Nantes
(1ère chambre)
Audience du 26 janvier 2015
Lecture du 1er mars 2016
_________
68-03-06
60-01-01-02
C
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 20 novembre 2012, le 29 juillet 2014 et le
17 juillet 2015, M. F...C..., représenté par MeB..., demande au Tribunal :
1°) - de condamner solidairement la commune de l'Aiguillon-sur-Mer et l'Etat à lui verser
la somme de 70 000 euros, assortie des intérêts légaux à compter du 17 octobre 2012 pour la
commune et à compter du 25 octobre 2012 pour l'Etat ;
2°) - de mettre à la charge de ladite commune et de l'Etat le versement des sommes
respectives de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice
administrative.
Il soutient que :
- il a acquis le 12 septembre 2008, un terrain au lieudit La Prise de Gâte Bourse, classé en
zone bleu clair par le plan de prévention du risque naturel d’inondation et pour lequel avait été
décerné un certificat d'urbanisme positif en date du 21 mars 2008 ;
- à la suite de la tempête Xynthia, le terrain a été classé en zone rouge ; un certificat
d'urbanisme négatif lui a été délivré le 21 août 2012 ;
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- le préfet de la Vendée a commis une faute en classant le terrain en zone constructible
bleu clair alors qu'il connaissait les risques d'inondation ;
- la commune a commis une faute en ne faisant pas usage de l'article R. 111-2 du code de
l'urbanisme ;
- son terrain a été acquis pour la somme de 70 000 euros, les frais de transaction s'élevant
à 9 015 euros ; il s'est acquitté de la taxe à l'hectare à hauteur de 9,46 euros ;
- le préfet ne saurait utilement faire valoir que les servitudes instituées en application du
code de l'environnement ne sont pas indemnisables sur le fondement des dispositions de l'article
L. 160-5 du code de l'urbanisme ; il est en tout état de cause fondé à obtenir une indemnisation
sur le fondement de ces dispositions, dans la mesure où il supporte une charge spéciale et
exorbitante, hors de proportion avec les objectifs poursuivis ;
- la prescription dont était assorti le certificat d'urbanisme était insuffisante.
Par des mémoires enregistrés le 19 avril 2013, le 30 septembre 2014, et le
28 octobre 2015, le préfet de la Vendée conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les servitudes instituées en application du code de l'environnement ne sont pas
indemnisables sur le fondement des dispositions de l'article L. 160-5 du code de l'urbanisme ;
- l'Etat n'a commis aucune faute.
Par des mémoires enregistrés le 6 mai 2013 et le 12 août 2014, la commune de
l'Aiguillon-sur-Mer conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. C...le
versement de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de
justice administrative.
Elle soutient que :
- la commune n'a commis aucune faute ; le terrain était classé en zone bleu clair du plan
de prévention des risques projeté, dont l’application anticipée avait été décidée le 8 juin 2007 ; il
ne saurait être reproché au maire de n’avoir pas pris en compte un phénomène
exceptionnel survenu deux ans après l’intervention de la décision attaquée ; le certificat
d’urbanisme comportait des prescriptions ;
- le lien de causalité n'est pas établi ;
- M.C..., qui ne pouvait ignorer les risques auxquels son terrain était exposé, a lui-même
commis une faute.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de M. G...,
- les conclusions de M. H..., rapporteur public,
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- les observations de MeE..., représentant M.C..., de Me A...représentant la commune de
l’Aiguillon-sur-mer et de Mme D...représentant la préfecture de Vendée.
1. Considérant que M.C..., qui souhaitait acquérir un terrain cadastré AM 35 et
AM 40, sur le territoire de la commune de l'Aiguillon-sur-Mer (Vendée) a sollicité et obtenu du
maire de ladite commune, le 21 mars 2008, un certificat d'urbanisme opérationnel, déclarant
réalisable l'opération projetée, à savoir la réalisation d'une construction à usage d'habitation ;
qu'au vu de ce certificat, lequel a été annexé à l'acte de vente, M. C...a acquis ce terrain, pour un
montant de 70 000 euros ; que ce terrain a, toutefois, fait l'objet, le 21 août 2012, d'un certificat
d'urbanisme négatif, fondé, d'une part, sur les dispositions de l'article R. 111-2 du code de
l'urbanisme, d'autre part sur les dispositions du II de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme ;
que le maire, en ce qui concerne le premier motif, a notamment pris en considération le passage
catastrophique de la tempête Xynthia sur le territoire de cette commune le 28 février 2010 et a
relevé que ce terrain, situé dans l'estuaire du Lay, était classé en zone rouge du plan de
prévention des risques d'inondations ; que M. C...demande la condamnation solidaire de la
commune de l'Aiguillon-sur-Mer et de l'Etat à l'indemniser des préjudices qu'il allègue ;
Sur le principe de la responsabilité :
2. Considérant qu’aux termes de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme : « Le projet
peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales
s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation,
de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres
installations » ; que, pour l’application de cet article, l’autorité administrative compétente doit
notamment apprécier, au regard des données disponibles, l’existence d’un risque de submersion
marine en prenant en compte notamment le niveau marin de référence, la situation du projet au
regard des ouvrages de défense contre la mer, les précédents connus de rupture de digues ou de
submersion ; que l’instauration ou l’application anticipée d’un plan de prévention des risques
naturels élaboré par l’Etat ne dessaisit pas l’autorité compétente de son pouvoir d’appréciation ;
qu’il incombe ainsi au maire, agissant, en l’espèce, au nom de la commune de vérifier que le
projet n’est pas de nature à porter atteinte, notamment à la sécurité publique et d’opposer à la
demande, le cas échéant, un refus fondé sur les dispositions de l’article R. 111-2 du code de
l’urbanisme ;
3. Considérant que le terrain en cause était classé en zone constructible UCa et Na du
plan d’occupation des sols ; que le certificat d’urbanisme du 21 mars 2008 mentionne que
l’opération projetée, à savoir la construction d’une habitation, est réalisable, et prévoit « (…)
qu’en application de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, la cote de plancher du premier
niveau aménagé sera fixée à 0,20 m au-dessus de la cote de référence du projet de plan de
prévention des risques d’inondation de l’estuaire du Lay approuvé par anticipation (…) » ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction et, notamment, de la note de présentation du
plan de prévention des risques prévisibles d'inondations établie en août 2010, après la tempête
Xynthia, que le 14 mars 1937, lors d'une tempête avec vents violents, conjuguée à une forte
marée d'équinoxe, plusieurs ruptures de digues avaient été enregistrées sur le territoire de la
commune de l'Aiguillon-sur-Mer ; que le 16 novembre 1940, lors d'une marée de coefficient 88,
de nombreuses digues avaient été franchies par la mer, même à l'intérieur des terres, dans cette
même commune ; que cette note relève que les espaces naturels ou agricoles, dans lesquels l'eau
se répandait, se sont urbanisés et que « l'exposition des personnes au risque s'est fortement
accrue » ; qu'elle énonce que ces espaces urbanisés, parfois situés en arrière des digues
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implantées ou de cordon dunaire le long de l'estuaire du Lay sont vulnérables en cas de
submersion ou de rupture des digues et que cette configuration conduit à une inondation rapide
des terrains de faible altitude et à une stagnation longue de l'eau surversée ; qu'il n'est pas
sérieusement contesté que cette configuration préexistait à la tempête Xynthia et que le risque de
submersion, mis en évidence lors des auditions auxquelles a procédé la mission d’information de
l’Assemblée nationale sur les raisons des dégâts provoqués par la tempête Xynthia a été sousévalué par les autorités ; qu'à cet égard, il résulte des écritures-mêmes du préfet de la Vendée que
le niveau marin de référence retenu lors de l'élaboration du projet de plan de prévention des
risques d'inondations, antérieur à la tempête Xynthia était "sous-estimé" ; que le rapport de la
Cour des comptes établi en juin 2012, certes postérieurement à l’événement catastrophique, mais
qui rend compte d’une situation antérieure à celui-ci, souligne qu'antérieurement à la tempête
Xynthia, le risque de submersion des zones situées à l'arrière d'un "réseau de digues vieillissant"
avait été rappelé dans un rapport administratif, établi en 2008, par un responsable de la direction
départementale de l'équipement, lequel estimait que la zone de l'estuaire du Lay était la zone « la
plus dangereuse du département » ; qu'il résulte de ce qui précède que M. C...est fondé, dans les
circonstances de l'espèce, à se prévaloir de l'existence d'une faute de la commune, résultant de
l'illégalité du certificat d'urbanisme pré-opérationnel qui lui a été délivré, laquelle repose sur une
erreur manifeste d’appréciation dans l’application des dispositions de l’article R. 111-2 du code
de l’urbanisme ;
5. Considérant, par ailleurs, que le terrain en cause était classé, dans le projet de plan de
prévention des risques d'inondations appliqué par anticipation, en vertu d'un arrêté préfectoral en
date du 8 juin 2007, en secteur bleu clair, pour lequel le risque d'aléa était regardé comme faible ;
que le rapport établi par la mission interministérielle sur la tempête Xynthia en mai 2010,
mentionne que le « PPR appliqué par anticipation depuis 2007, faisait, avant la tempête Xynthia,
l’objet d’une actualisation datée de 2009 fixant l’aléa de référence à 3,90 NGF, inférieur au
niveau de 4 m pris en compte pour le littoral vendéen en raison de l’influence moindre des
houles océaniques sur l’élévation du niveau de l’eau dans l’estuaire du Lay. » et en déduit que
cette assertion revêtait un « caractère erroné » ; qu’il résulte de ce qui vient d’être dit que
l’appréciation du risque doit être regardée comme ayant été sous-évaluée, ainsi que le reconnaît
d'ailleurs le préfet de la Vendée, tant dans ses écritures que dans la note de présentation du plan
élaboré après la tempête Xynthia, qui a classé le terrain en zone rouge ; que cette sous-estimation
révèle l’existence d’une faute, de nature à engager la responsabilité administrative de l’Etat ; que
ce classement en zone bleu clair a nécessairement contribué à fausser l'appréciation du maire et à
le dissuader d'opposer aux demandes présentées un refus fondé sur les dispositions de l’article
R. 111-2 du code de l’urbanisme ; que le préfet de la Vendée ne peut, en tout état de cause,
utilement se prévaloir de ce que les servitudes instituées par un plan de prévention des risques
d'inondations n'entrent pas dans les prévisions de l'article L. 160-5 du code de l'urbanisme dès
lors que M. C...recherche la mise en jeu de la responsabilité administrative sur le terrain de la
faute ;
6. Considérant que, compte tenu des fautes respectives de l’Etat et de la commune,
M. C...est fondé à demander leur condamnation à l'indemniser, à hauteur respectivement de 60%
et de 40% chacun, des conséquences dommageables des fautes ci-dessus analysées ; que,
toutefois, le certificat d'urbanisme mentionnait expressément l’existence d’un risque
d’inondation ; que, pour faible qu'il ait été regardé par l’administration, son existence était portée
à la connaissance de l'acquéreur ; qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de
l'espèce en laissant à la charge de M. C...20 % du préjudice indemnisable ;
Sur le préjudice :
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7. Considérant qu’eu égard aux conditions dans lesquelles est intervenu l’achat du terrain
susmentionné, les préjudices correspondant à la différence entre la valeur réelle de cette
propriété et les coûts exposés pour son acquisition en vue d’y construire, doivent être regardés
comme directement liés aux fautes de la commune de l'Aiguillon-sur-Mer et de l'Etat ; que
M. C...a acquis son terrain pour un prix de 70 000 euros ; que sa valeur résiduelle doit être
estimée à 7 500 euros selon l’estimation versée au dossier, qui ne fait l’objet d’aucune
contestation ; que, compte tenu du partage de responsabilité auquel il a été procédé au point 6
entre les collectivités publiques et le requérant, M. C...a droit, de ce chef, à une indemnité de
50 000 euros ; que les autres préjudices allégués, à savoir les impositions et frais de notaire
supportés par l’intéressé ne peuvent être regardés comme directement liés à la faute commise ;
8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la commune de l’Aiguillon-sur-Mer
doit être condamnée à verser à M. C...une indemnité de 20 000 euros ; que l’Etat doit être
condamné à lui verser une indemnité de 30 000 euros ; que ces sommes porteront intérêt au taux
légal à compter des dates de réception des demandes préalables, soit le 12 octobre 2012 pour la
commune de l’Aiguillon-sur-Mer et le 23 octobre 2012 en ce qui concerne l’Etat ;
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de
justice administrative :
9. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de
M.C..., qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande à ce
titre la commune de l’Aiguillon-sur-Mer ; qu’il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de
l’Etat et de la commune de l’Aiguillon-sur-Mer le versement à M. C...des sommes respectives de
750 euros sur le fondement desdites dispositions ;
DECIDE:
Article 1er : L’Etat versera la somme de 30 000 euros à M.C.... Cette somme portera
intérêt au taux légal à compter du 23 octobre 2012.
Article 2 : La commune de l’Aiguillon-sur-Mer versera la somme de 20 000 euros à
M.C.... Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 12 octobre 2012.
Article 3 : L’Etat et la commune de l’Aiguillon-sur-Mer verseront, chacun, la somme de
750 euros à M. C...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
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Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. F... C..., à la commune de l'Aiguillonsur- Mer et à la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer. Une copie sera transmise
au préfet de la Vendée.
Délibéré après l’audience du 26 janvier 2016 à laquelle siégeaient :
M. G..., président,
M. I..., premier conseiller,
Mme J..., conseiller,
Lu en audience publique le 1er mars 2016.
Le président-rapporteur,
L’assesseur le plus ancien dans
l’ordre du tableau,
R. K...
F. L...
Le greffier,
J. M...
La République mande et ordonne
au préfet de la Vendée
en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce
requis en ce qui concerne les voies de droit commun
contre les parties privées, de pourvoir
à l’exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,

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