La liberté se définit-elle comme un pouvoir de refuser
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La liberté se définit-elle comme un pouvoir de refuser
SHC20043.QXD 12/04/02 10:08 Page 1 La liberté se définit-elle comme un pouvoir de refuser ? PLAN Introduction 1 Oui, la liberté se définit comme un pouvoir de refuser A – La liberté est négation de tout ce qui la nie B – Le pouvoir de refuser est infini et rend l’homme semblable à Dieu 2 Non, la liberté ne se définit pas comme un pouvoir de refuser A – L’attitude de refus abandonne la volonté dans l’atermoiement et l’absence d’action B – La liberté se caractérise avant tout comme un pouvoir d’agir et de transformer le monde 3 Le pouvoir de refuser est un caractère fondamental de la liberté qui découle de sa définition comme autonomie A – Le pouvoir de refuser caractérise indirectement la liberté B – La liberté comme autonomie fonde l’efficacité du pouvoir de refuser Conclusion Introduction C’est souvent dans l’attitude de refus, refus de l’oppression ou de l’injustice en général, que la liberté de l’individu s’atteste de façon exemplaire. Les résistants, pendant la Seconde Guerre mondiale, témoignent par exemple de ce pouvoir de refuser qui fait la dignité de l’existence humaine. Mais ce pouvoir de refuser permet-il, de manière suffisante et essentielle, de définir la liberté ? Que s’agit-il de refuser au juste ? Par ailleurs, le refus est une caractérisation négative, qui n’offre pas véritablement d’orientation dans l’action. D’où le problème suivant : à définir la liberté comme pouvoir de refuser, ne risque-t-on pas de s’interdire toute action, et de suspendre la volonté dans un atermoiement vain ? Il s’agit donc de penser la pertinence et les limites de cette définition de la liberté pour en saisir la valeur réelle. SHC20043.QXD 12/04/02 10:08 Page 2 1. Oui, la liberté se définit comme un pouvoir de refuser A. La liberté est négation de tout ce qui la nie L’exemple avancé en introduction (celui de la Résistance pendant la guerre) révèle que la liberté s’affirme et s’atteste dans le refus des contraintes, pour autant que celles-ci font violence, écrasent l’individu et soulèvent une volonté de résistance. La liberté serait dans ce sursaut de la volonté qui pousse l’individu à s’opposer à la force des contraintes extérieures. C’est donc le pouvoir de refuser la contrainte qui définit la liberté, et cette définition n’est qu’un autre versant de sa définition générale comme absence de contraintes extérieures. Cette définition générale est ici réinterprétée dynamiquement du point de vue du sujet : on insiste sur le dynamisme de refus de ce dernier. Le pouvoir de refuser ici, c’est donc celui de résister : c’est la capacité qu’a l’homme de s’élever contre une contrainte jugée injuste. Ce qui est refusé, c’est en effet la pression exercée, dans la mesure où elle vient contrecarrer l’action ou les aspirations morales et politiques de l’homme. La liberté se définit donc ici comme pouvoir de refuser, parce qu’elle nie cela même qui tente de la nier : la liberté est négation de tout ce qui la nie. En outre, ce pouvoir de refuser fait peut-être la valeur et la dignité de la liberté humaine. C’est en effet dans la force du refus que se révèle la puissance de la liberté face à la contrainte extérieure. En refusant et en résistant, quitte à ce que ce soit au péril de sa vie, l’individu fait montre d’un courage qui force l’admiration. B. Le pouvoir de refuser est infini et rend l’homme semblable à Dieu Cette détermination dans le refus révèle la puissance de ce pouvoir de refuser. En d’autres termes, le pouvoir de refuser renvoie ici à une faculté, la volonté, qui se distingue par sa puissance. On peut avec Descartes (Lettre au père Mesland), considérer notre pouvoir de refuser comme le signe de notre ressemblance avec Dieu : la liberté humaine est à l’image de la liberté divine dans la mesure où elle est capable de refuser jusqu’à l’évidence la plus certaine. En d’autres termes encore, de même que la volonté divine n’est pas assujettie à son entendement, de même, la volonté humaine se distingue par sa capacité à nier l’évidence. La liberté comme libre arbitre se caractérise en effet comme un pouvoir d’affirmer et de nier, et de suivre ou non ce que l’entendement nous indique. Quand bien même mon entendement m’indique avec certitude que deux et deux font quatre, ma volonté peut rejeter cette certitude. La volonté est donc plus SHC20043.QXD 12/04/02 10:08 Page 3 puissante que l’entendement : elle est capable d’une forme d’indifférence et donc de refus à l’égard de ce que l’entendement conçoit. En ce sens, le pouvoir de refuser est le signe de la toute-puissance du libre arbitre. On pourrait dire qu’ici la définition de la liberté comme pouvoir de refuser se justifie par le fait que cette définition met en avant un caractère exceptionnel de la liberté. Transition On peut néanmoins se demander si la mise en avant de ce caractère singulier de la liberté suffit à la définir. Définir, ce n’est en effet pas seulement révéler un caractère propre, mais cerner la nature d’une chose. Or, si ce pouvoir de refuser, même l’évidence, doit certes être signalé, il peut conduire à une conception relativement vaine et stérile de la liberté. Car l’affirmation de la possibilité de refuser ne permet pas pour autant de penser de manière positive la liberté comme orientation dans l’action. 2. Non, la liberté ne se définit pas comme un pouvoir de refuser A. L’attitude de refus abandonne la volonté dans l’atermoiement et l’absence d’action Le pouvoir de refuser, même l’évidence, signalé par Descartes est moins une définition de la liberté que la description d’une caractéristique propre. Ce pouvoir de refuser est certes infini, mais, comme tel, il n’a « aucun pouvoir » au sens où il ne nous donne aucune capacité de produire ou d’agir sur notre situation. Autrement dit encore, ce pouvoir mène paradoxalement à l’incapacité : il ne permet pas de penser l’action libre de manière positive, et la volonté qui se cantonne dans une attitude de refus est incapable d’action. C’est donc une volonté débile, incapable de faire face à l’urgence de l’action. C’est au fond la liberté du vide, telle qu’elle est décrite par Hegel dans les Principes de la philosophie du droit : la liberté qui, par souci de l’absolu, refuse de s’inscrire dans la particularité d’une action, reste stérile et s’interdit toute existence réelle. Ainsi, si l’on définit la liberté comme pouvoir de refuser, alors la liberté reste indéterminée et l’âme qui veut être belle en demeurant dans le refus reste morte. B. La liberté se caractérise avant tout comme un pouvoir d’agir et de transformer le monde Si la liberté est un pouvoir, il faut concevoir celui-ci de manière positive et dynamique comme capacité d’agir dans et sur le monde. La liberté SHC20043.QXD 12/04/02 10:08 Page 4 s’atteste en effet davantage dans ses réalisations concrètes que dans le refus d’agir. Ce pouvoir d’action obéit avant tout à une nécessité. En effet, la conduite de la vie affronte sans cesse l’urgence de l’action : il nous faut donc nous résoudre à agir, quand bien même cette résolution est difficile à prendre. Le pouvoir de refuser est ici moins le signe de la liberté que son écueil. L’homme libre et responsable est celui qui parvient à repousser le refus, le doute et l’atermoiement pour s’engager efficacement dans l’action. Transition Si être libre, c’est d’abord être capable de s’engager dans l’action, alors la question essentielle est celle de savoir ce que je dois faire. Dans cette perspective, le pouvoir de refuser ne peut donc se concevoir que dans l’horizon d’un devoir qui lui donne son sens. 3. Le pouvoir de refuser est un caractère fondamental de la liberté qui découle de sa définition comme autonomie A. Le pouvoir de refuser caractérise indirectement la liberté Le pouvoir de refuser ne caractérise l’action libre que dans la mesure où l’on a le devoir de refuser. En d’autres termes, ce n’est pas le refus comme tel qui confère à une action son caractère libre, mais le fait que ce refus soit commandé par le devoir. C’est donc indirectement que le pouvoir de refuser se raccroche à la définition de la liberté. Celle-ci peut en effet être conçue comme autonomie du sujet, c’est-à-dire selon Kant, comme fait d’agir selon la représentation d’une loi que le sujet s’impose à lui-même. Le devoir fournit une orientation positive, universelle et nécessaire à l’action libre. C’est à partir de cette définition de la liberté comme autonomie que l’on peut saisir le caractère fondamental du pouvoir de refuser : l’action libre et autonome est en effet celle qui parvient à s’arracher aux déterminations sensibles qui lui sont pathologiques. Si donc la liberté se caractérise par un pouvoir de refuser, c’est donc celui de refuser ces déterminations contraires au devoir. B. La liberté comme autonomie fonde l’efficacité du pouvoir de refuser Pour que le pouvoir de refuser ait un sens, encore faut-il que ce pouvoir soit doté d’une efficacité attestée. Là encore, c’est le devoir qui permet de fonder ce pouvoir comme tel. En effet, l’efficacité du pouvoir de refuser commandé par le devoir est prouvée indirectement, à partir de la SHC20043.QXD 12/04/02 10:08 Page 5 conscience que nous avons de notre devoir. Ce devoir est en effet l’expression de la raison pratique. Or celle-ci ne peut se contredire lorsqu’elle commande impérativement une action : si la raison dit : « tu dois » ; elle dit en même temps : « tu peux ». Le pouvoir de refuser les sollicitations pathologiques qui se présentent à nous est donc réel, et l’homme a le pouvoir de refuser et de s’arracher au « torrent de la nécessité » (Critique de la raison pratique). Ce pouvoir s’atteste de manière indirecte, à partir du devoir qui permet de définir la liberté comme autonomie. Conclusion Ainsi, si le pouvoir de refuser apparaît comme un caractère essentiel de la liberté, il ne permet pas pour autant de la définir. Le refus comme tel apparaît comme une détermination négative qui ne permet pas de concevoir pleinement la liberté. Ce pouvoir ne nous livre en effet aucune orientation dans l’action, et peut même conduire la volonté à s’abîmer dans l’atermoiement et l’incapacité à agir. Ce pouvoir de refuser n’est pourtant pas sans rapport avec la liberté conçue comme autonomie. C’est en effet cette définition de la liberté qui permet, d’une part de donner un sens au refus, et d’autre part de fonder l’efficience réelle de son pouvoir. ■ Ouvertures LECTURES – Descartes, Lettre au père Mesland, et Méditations métaphysiques, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade ». – Kant, Critique de la raison pratique, PUF, coll. « Quadrige ».